Pareurs de Perpignan au-delà des limites de la couronne d’Aragon et des frontières sociales
p. 297-312
Texte intégral
1L’essor de la production textile a constitué une étape essentielle dans l’histoire de la ville de Perpignan à la fin du Moyen Âge, qui put au cours de cette phase tirer un profit substantiel de sa position frontalière au nord du royaume de Majorque, puis de la couronne d’Aragon, à proximité du royaume de France, en y redistribuant une partie de ses tissus. Toutefois son épanouissement doit davantage encore à certains artisans qui jouèrent un rôle tout à fait déterminant bien au-delà des frontières de ces royaumes. Il devait également les amener à dépasser les tâches définies, certes partiellement, dans les règlements de métiers1, mais aussi assignées plus généralement à un groupe d’artisans. Si ce phénomène peut s’observer dans un certain nombre de centres urbains de taille moyenne2 à la fin du Moyen Âge, à Perpignan, il connut une ampleur remarquable correspondant manifestement à une étape clé du processus de professionnalisation de ce groupe d’artisans3, entraînant des conséquences déterminantes pour son identité et celle de la ville elle-même.
2Les études dédiées à la capitale du Roussillon au Moyen Âge n’ont pas manqué4, n’ignorant pas son développement grâce à la manufacture textile, bien que plusieurs d’entre elles, portant plus particulièrement sur ce thème n’aient malheureusement pas toujours pu être menées à leur terme5.
3Le but de cet article ne consiste pas à définir les contours et les activités d’un métier médiéval urbain6, en s’appuyant notamment sur une étude de la confrérie des pareurs ou sur la description minutieuse des tâches techniques qui caractérisaient cette profession, et qui toutes deux sont bien sûr essentielles7. Il s’agit en fait d’expliquer l’épanouissement de l’industrie textile et d’un groupe d’artisans, et ainsi de comprendre dans quelle mesure le thème des frontières, en tant que limites, séparations ou seuils, voire en tant que frontières invisibles8, peut contribuer à mieux cerner certaines de leurs activités, à tenter de définir la profession de pareur à Perpignan et les étapes clés de la professionnalisation de ce groupe, et enfin à mieux déterminer la place institutionnelle de ce métier dans la ville9. Il importe en premier lieu d’évoquer rapidement l’essor de la fabrication des draps à Perpignan et de comprendre le rôle des pareurs dans les différentes étapes de leur fabrication. L’attention pourra ensuite être portée sur la commercialisation des draps dans la couronne d’Aragon et dans le royaume de Majorque, mais aussi au-delà, jusqu’aux confins orientaux de la Méditerranée. Ces constats de base étant posés, nous pourrons observer que les pareurs ne se limitaient pas aux seules activités productives, ce qui brouille les cadres habituels que les historiens assignent à cette profession, davantage protéiforme qu’il n’y paraît au premier abord. Enfin nous constaterons que le métier des pareurs tenait une place originale au sein des institutions municipales en lien direct avec les observations précédentes, ce qui contribuait à forger leur identité spécifique, bousculant quelque peu les limites politiques et la hiérarchie sociale observées jusqu’ici dans les centres urbains catalans.
Les débuts de l’activité textile à Perpignan
4Les origines des activités textiles à Perpignan remontent au troisième quart du xiiie siècle. La draperie de laine s’y développa d’une part grâce aux contacts avec les villes languedociennes où elle s’était implantée antérieurement, en particulier à Narbonne non sans effet de concurrence10, d’autre part, grâce à des ressources naturelles, elles aussi proches11. Perpignan devint ainsi le premier centre urbain de la couronne d’Aragon à se spécialiser dans cette activité et l’installation de la cour du nouveau roi de Majorque dans la ville à partir de 1276 stimula encore davantage la production drapière. De surcroît, le conflit qui éclata entre la couronne d’Aragon et le royaume de France au sujet de la question sicilienne (1283-1313), entraînant l’interdiction par le roi de France Philippe III d’exporter les draps du Languedoc vers l’État ennemi, offrit involontairement un nouveau débouché à la production perpignanaise, créant du même coup des conditions favorables à la naissance de nouveaux foyers textiles plus méridionaux en Catalogne12. Ainsi, dès la fin du xiiie siècle, le nombre des artisans du textile, les tisserands, les drapiers mais aussi les pareurs de draps et les teinturiers, s’accrut-il notablement et ces métiers devinrent-ils l’une des composantes économiques et sociales essentielles de Perpignan, conférant à la ville la physionomie d’un centre drapant13.
5Si la plupart de ces métiers sont assez bien connus, celui de pareur mérite en revanche des éclaircissements. Bien que le terme caractérise un nombre croissant de travailleurs à Perpignan, sa définition ne fait pas l’unanimité parmi les historiens et les philologues14. Selon certains auteurs, et non des moindres, les pareurs seraient à identifier aux foulons – le terme paratoria désignant effectivement des moulins à foulon ou leur équipement15 –, mais cette assimilation aux foulons a été remise en cause16. Toutefois les principaux dictionnaires de référence renvoient, pour définir ce métier, à une diversité des tâches17, dans un contexte, celui des xiiie-xive siècles, où nombre de termes en langue vernaculaire ne correspondent pas encore à des acceptions précises, bien délimitées, en particulier pour désigner des opérations nouvelles et techniques, susceptibles d’échapper à des scripteurs qui n’y sont pas familiarisés. On s’en tiendra donc à ce sens recouvrant une assez grande variété des tâches pour saisir les fonctions auxquelles se livraient les pareurs.
Un remarquable succès commercial
6Quoi qu’il en soit, la réputation des draps de Perpignan dépassa rapidement les limites du Roussillon, ce que leurs prix, supérieurs à la moyenne des draps tissés dans les autres centres catalans, confirment indirectement. Les capacités croissantes de production des nombreux ateliers perpignanais, auxquels s’ajoutaient ceux de centres relativement proches tels Narbonne, Puigcerdà ou Villefranche-de-Conflent, comblèrent rapidement les besoins locaux et régionaux. Comme la plupart des textiles manufacturés dans les autres grandes régions productrices, en Italie du Nord et en Flandres, les draps de Perpignan trouvèrent progressivement des débouchés de plus en plus lointains à l’exportation, au-delà des frontières du petit royaume de Majorque, mais aussi de la proche couronne d’Aragon, à commencer par les foires de Pézenas et de Montagnac en Languedoc18. Ce n’est toutefois pas tant au royaume de France, qui disposait de nombreux centres de production textile plus anciens, qu’ils étaient destinés. L’espace méditerranéen, qui constituait pour ces États une forme de frontière jusqu’au xiie siècle19, offrait désormais, grâce au concours des marines italiennes, génoise en particulier, des débouchés démultipliés dans le sud de la péninsule Ibérique, à Séville, mais aussi en Italie du Sud, à Naples et en Sicile. Le célèbre manuel de commerce du Florentin Francesco Balducci Pegolotti, achevé vers 1340, recommande même la vente des draps de Perpignan à Constantinople, dans certains ports turcs et jusqu’à Famagouste, le principal port de l’île de Chypre face à la Syrie20. De limite, la Méditerranée s’était ainsi muée pour les chrétiens latins en vaste zone d’interface de plus en plus aisément franchissable, dont les différences de production, d’une rive à l’autre, stimulaient les échanges. Les cartes nautiques ou cartes portulans qui font leur apparition à la fin du xiiie et au début du xive siècle rendent clairement compte de ce phénomène majeur par leur format généralement centré sur le bassin méditerranéen. Il en va de même des destinations commerciales qui apparaissent dans les contrats commerciaux (commendes, associations ou nolis) au cours du xive siècle et qui se déploient à travers toute la Méditerranée21.
7Dans la foulée, l’essor du grand commerce du Levant, au départ de Barcelone, donne une impulsion nouvelle à la vente des draps perpignanais sur les marchés d’Égypte et de Syrie mameloukes. Les tissus catalans constituent en effet de loin la principale marchandise d’échange, contre les précieuses épices orientales qui y parviennent et sont massivement importées en Occident22. Dans ces pays, le franchissement de la frontière est explicitement matérialisé par les services du diwân, l’administration auprès de laquelle les marchands acquittent les taxes qui grèvent les marchandises et qui préfigure la douane – dont le diwân constitue l’étymologie. Plusieurs auteurs célèbres, tant latins qu’arabes, ont rendu compte de la brutalité de cet effet de frontière lors du contrôle des passagers et des marchandises, effectué sans ménagement par les autorités douanières à l’arrivée de leur navire23.
8Dans ces circonstances cependant très favorables aux échanges – qui tranchent vigoureusement avec le marasme du royaume de France dans le contexte de la guerre de Cent Ans –, les Perpignanais se lancent à leur tour dans l’exportation de leurs draps vers des destinations méditerranéennes lointaines, en Sicile et au Levant en particulier, à partir du second tiers du xive siècle. Comme en témoignent les impressionnantes séries de contrats de commende conservées à Perpignan et surtout à Barcelone, cet engouement commercial atteint son apogée tout au long du dernier quart du xive et de la première décennie du xve siècle, toujours dans le sillage des négociants barcelonais qui disposent d’un réseau serré de consulats marchands à travers toute la Méditerranée. Au cours de cette période, les draps de Perpignan s’exportent par milliers chaque année. Si les échanges organisés par les Barcelonais et les Perpignanais paraissent ensuite connaître un léger fléchissement, accompagné d’un recentrement des destinations méditerranéennes – en faveur de l’Italie du Sud, de la Sicile et de Rhodes –, les draps de Perpignan continuent, en dépit de quelques irrégularités, d’être abondamment exportés24 et même imités25, nouveau gage de leur succès durable. Il faut attendre la guerre civile catalane des années 1462-1472 et les sièges répétés de Perpignan par les troupes de Louis XI entre 1462 et 147526, pour constater un coup d’arrêt de ces fructueux échanges et la fin d’un cycle économique27.
9Comme on le constate, se cantonner aux seules données de la production des draps à Perpignan, comme dans bien d’autres foyers textiles occidentaux, n’amène à considérer qu’une partie des activités économiques, si on ne les associe pas à leur commercialisation qui a joué un rôle d’entraînement capital et durable sur la demande à la fin du Moyen Âge, puisque ces produits pouvaient facilement s’exporter. En ce qui concerne les draps catalans, l’une des clés d’explication de leur succès résidait dans leur qualité et leurs prix moyens par rapport à ceux de Flandre ou de Toscane, qui surclassaient ceux de Perpignan eux-mêmes. Mais cette gamme de produits permettait de toucher une clientèle plus large sur les marchés méditerranéens, concurrençant directement les productions locales, ce qui impliquait donc de les exporter massivement28. Toutefois, ces succès commerciaux étaient à mettre d’abord sur le compte des acteurs de ces opérations et de cette stratégie commerciales.
Un rôle inattendu des pareurs dans la commercialisation des draps
10L’examen détaillé des agents qui participèrent à la commercialisation des draps à Perpignan, dans le cadre des longues séries de commendes conservées, révèle un rôle inattendu des pareurs. Rappelons que ces contrats associaient un ou plusieurs bailleurs de fonds sédentaires (accommendants), qui restaient à Perpignan ou en Catalogne, à un ou plusieurs contractants itinérants (accommenditaires), les fameux « pieds poudreux » qui parcouraient les routes ou traversaient les mers pour commercialiser les marchandises confiées29. Leur statut social et leur âge étaient généralement différents : les bailleurs correspondaient en général à des marchands ou hommes d’affaires d’âge mûr, tandis que les contractants itinérants provenaient de milieux parfois moins aisés et se caractérisaient par leur jeunesse ; ils débutaient le plus souvent ainsi leur carrière de marchand. L’échantillon de contrats retenu dans le tableau (figure 1), centré sur les années 1381-1392, soit au cœur de la période d’acmé commercial, fournit une base de 358 commendes, toutes destinations confondues30, et permet de saisir le profil d’environ 200 contractants perpignanais, qui se répartissent entre les différents métiers, selon leur rôle de preneurs de fonds itinérants ou de bailleurs sédentaires. Les chiffres bruts saisis ici sont nécessairement très inférieurs aux effectifs réels – insaisissables – et sont destinés à obtenir des données relatives, que l’on peut tenir pour représentatives, compte tenu de l’ampleur de l’échantillon.
Figure 1 – Répartition des métiers parmi les contractants de commendes à Perpignan entre 1381 et 1392 (contrats du notaire Jaume Molines, Archives départementales des Pyrénées-Orientales)
Marchands | Pareurs | Autres métiers du textile | Autres | Sans profession | Femmes | TOTAUX | |
Preneurs de fonds | 20 | 27 | 0 | 6 | 6 | 0 | 59 |
Bailleurs de fonds | 43 | 48 | 12 | 31 | 9 | 4 | 147 |
Totaux et % | 63 30,6 | 75 36,4 | 12 5,8 | 37 18 | 15 7,3 | 4 1,9 | 206 100 |
11De ce tableau ressort avant tout la prédominance des pareurs en tant que preneurs de fonds itinérants et même en tant que bailleurs. S’ils ne devancent que de quelques individus les marchands, cette position prépondérante est étonnante, car, eu égard à leur activité artisanale, leur participation dans les opérations commerciales devrait être secondaire, en retrait en tout cas par rapport à celle des marchands dont telle est pourtant la vocation. Les pareurs dépassent ainsi les limites des tâches assignées à leur catégorie socioprofessionnelle, dirions-nous dans notre vocabulaire actuel, et même à leur métier.
12Or, les données recueillies à Barcelone au cours de la même période mettent en évidence un phénomène inverse, plus attendu, de prédominance des marchands dans les opérations commerciales en Méditerranée qui se consolide au cours de la première moitié du xve siècle31. Le contraste est surtout saisissant en ce qui concerne les pareurs qui, à Barcelone, ne participent quasiment pas aux opérations commerciales, pourtant abondantes aux xive et xve siècles, spécialement vers les destinations méditerranéennes et alors que le grand port catalan constitue lui aussi un centre textile de premier plan32. En revanche, dans le cas de Narbonne, Gilbert Larguier tire des constats similaires à ceux qui peuvent être observés à Perpignan : les pareurs y sont aussi particulièrement nombreux et dynamiques dans le domaine commercial33.
13Une première déduction de profils sociaux plus ou moins actifs dans le commerce, mais distincts, paraît donc se dégager selon le type d’activités dominant dans les différentes villes : dans les centres à vocation essentiellement drapante, les pareurs jouent un rôle prépondérant et étendent leurs activités au domaine commercial, du moins dans les cas proches de Perpignan et de Narbonne. En revanche, dans le cas d’un très grand port comme Barcelone, capable de rivaliser avec les plus importants de l’époque, tels Gênes ou Venise, marchands et hommes d’affaires parviennent à s’imposer dans les activités d’échanges, de même qu’à les diversifier davantage – la part des draps dans le trafic de Barcelone est moins prépondérante que dans celui de Perpignan, en particulier vers les destinations méditerranéennes34.
14On peut aussi déduire de la participation soutenue des pareurs de Perpignan au commerce, qu’ils devaient nécessairement abandonner leurs tâches artisanales durant plusieurs mois, au moins, lors des voyages à destination du Levant35, ce qui élargit encore l’éventail de leurs activités et tend à en accentuer davantage la confusion relevée précédemment. Mais ce constat de tâches diversifiées, voire a priori contradictoires, permet aussi d’établir un lien entre les opérations avales dans la chaîne de confection, destinées à améliorer la présentation des tissus, et les activités marchandes. Autrement dit, ceux qui s’adonnaient à la finition des draps étaient bien placés pour en faire la promotion et les commercialiser avec succès, de même que pour répercuter, en retour, les demandes et les préférences des acheteurs susceptibles de conditionner ou modifier les motifs, la décoration, voire les couleurs des draps36. En résumé, les pareurs de draps de Perpignan agissaient à la frontière entre activités de production et commercialisation des draps.
Un groupe hétérogène
15Les profils de pareurs qui peuvent être saisis grâce aux nombreux contrats notariés perpignanais confirment la diversité de leurs activités. La moyenne des sommes qu’ils confient en commendes en tant que bailleurs se limite à 164,4 livres de Barcelone (un montant appréciable – sachant que le prix d’une balle de six à sept draps de Perpignan valait environ 70 livres), quand celle des marchands atteint 250 livres37. Globalement les pareurs ne disposent donc pas de la même aisance financière que les marchands et appartiennent à une strate sociale inférieure à la leur, qui n’est cependant pas la plus modeste dans l’échelle sociale, puisque leurs activités d’apprêt et de finition des draps étaient plus rémunératrices que celles des autres tâches, de tissage en particulier38.
16Certains pareurs jouissent d’une opulence comparable à celle de marchands fortunés, révélant aussi de vigoureux contrastes au sein de la profession39. Tel est le cas de Joan Maiench qui se distingue en tant que copropriétaire d’une importante nef à destination du Levant en 1381 et qui est en mesure de confier, certes avec la collaboration d’un collègue en une commende commune, près d’une centaine de draps pour une valeur de plus de 1 100 livres de Barcelone – une véritable fortune – lors d’un autre voyage vers la même destination en 1392, tandis que d’autres contrats le montrent en contact avec des marchands narbonnais et saragossans. En outre, Joan Maiench avait au préalable exercé la fonction de consul de la ville, sa principale magistrature, en 1379-138040. Comme on le constate dans le cas de ce pareur opulent et dynamique, la limite n’est pas toujours économiquement et socialement bien nette entre cette profession et celle de marchand41.
17Toutefois, ces cas ambigus sont rares. Dans la grande majorité des occurrences, les termes « pareurs » et « marchands » correspondent à des fonctions et à des statuts sociaux globalement distincts. Cette différence fait manifestement sens aux yeux des contemporains, en particulier des notaires qui enregistrent les contrats et constitue ainsi un cadre signifiant pour le groupe des pareurs au sein du corps social perpignanais42.
Un groupe politiquement influent
18Le poids économique des activités générées par les pareurs et leur dynamisme ne pouvaient rester sans conséquence dans les domaines civique et politique ainsi que sur les institutions de la ville de Perpignan. Les nouvelles dispositions prises dans l’ordonnance municipale du 16 novembre 1346, qui continuaient de diviser en trois ensembles hiérarchisés les citoyens contribuables, d’où découlait aussi la répartition des consuls de la ville, élus chaque année, regroupaient les pareurs de draps avec les notaires « et les autres pratiquant un art suffisamment honorable, dans la manus mediocris », la catégorie intermédiaire. Les « bourgeois et marchands menant une vie honorable selon l’opinion commune » étaient, quant à eux, regroupés dans la manus maior, tandis que les « cordonniers et maraîchers ou ceux qui pratiquaient des métiers comparables » appartenaient à la manus minus, dont étaient exclus ceux qui pratiquaient les activités jugées « infamantes », qui ne pouvaient occuper de fonction municipale43.
19Comme le note Philip Daileader, dans le reste de la Catalogne, les artisans étaient généralement rassemblés dans la manus minus, alors que les marchands formaient la manus mediocris44. Or, à Perpignan, les pareurs étaient les seuls artisans à être nommément cités au sein de cette manus mediocris dans l’ordonnance de 1346, ce qui les distinguait et les plaçait dans une position supérieure par rapport aux autres artisans, vraisemblablement parce qu’ils exerçaient des fonctions de marchands-pareurs. On s’explique ainsi mieux pourquoi nombre d’entre eux occupèrent la principale charge municipale à Perpignan, celle de consul – qui en comptait cinq à partir de 1312 –, en tant que représentants de leur « main45 ». À Narbonne, Gilbert Larguier relève une reconnaissance politique et sociale comparable, puisque l’un des consuls de la ville était obligatoirement choisi parmi les pareurs46. De façon logique, la spécialisation des villes de Perpignan et de Narbonne dans la fabrication des draps se traduisait ainsi par une mise en valeur politique des artisans du secteur textile, mais celle-ci s’était opérée au profit des pareurs et non des tisserands ou des drapiers.
20En outre, à Perpignan, le patriciat urbain dominant la manus maior s’efforçait de consolider sa prééminence vis-à-vis des artisans. Ses efforts entraînèrent un regroupement des associations professionnelles artisanales : pareurs et teinturiers furent contraints de se rassembler en 1378 par exemple. Leur nombre, mais aussi leur influence s’en trouvèrent réduits, et les rivalités entre elles s’exacerbèrent. Malgré les conflits qui en résultèrent, les pareurs parvinrent globalement à consolider leur position et à préserver leur influence politique dans la ville. De façon significative, lorsque les consuls et le bailli royal déterminèrent en 1356 l’ordre de marche des organisations de métiers avec leurs bannières dans la milice urbaine, celle des pareurs en prenait la tête ; après elle, venaient celles des tailleurs, des pelletiers et des tisserands47. En outre, le roi d’Aragon consolida, par une série inhabituelle de six documents, l’organisation du métier des pareurs perpignanais entre 1380 et 1386, qui se séparèrent des teinturiers à la suite d’un conflit avec eux. En 1386, les pareurs payèrent au prix de mille florins d’or d’Aragon un privilège royal leur permettant de se doter d’un conseil restreint destiné à rendre plus efficace leur organisation. Enfin une ordonnance municipale relative aux métiers de la ville confirma en 1395 le mode traditionnel d’élection des « sobreposats » (les représentants du métier) des pareurs et des notaires, parce qu’ils disposaient de privilèges royaux. En revanche, cette même ordonnance réduit le nombre d’électeurs choisissant les « sobreposats » des autres métiers artisanaux et ne mentionne même pas les teinturiers48.
21Chronologiquement, la reconnaissance civique et politique des pareurs est une conséquence du succès qu’ils rencontrèrent dans les activités commerciales. Si leur participation au négoce vers le Levant est postérieure aux premières manifestations de leur influence politique, c’est parce qu’il s’est développé plus tardivement, grâce à des opportunités économiques nettement plus favorables au cours du dernier quart du xive siècle49 – et que les marchands barcelonais surent mettre en valeur, entraînant dans leur sillage les pareurs perpignanais et leurs draps50.
22Toutefois, le rôle des pareurs roussillonnais dans le commerce, du moins celui au long cours, s’amenuisa progressivement au profit des négociants et des hommes d’affaires, comme à Barcelone où ces métiers contrôlèrent également de mieux en mieux les échanges. À partir de la seconde décennie du xve siècle, négociants et hommes d’affaires parvinrent à s’imposer de façon décisive, impulsant un processus de professionnalisation marchande, également perceptible dans d’autres grands ports méditerranéens51 et dont les bases reposaient en grande partie sur l’accumulation des bénéfices engrangés au cours de la phase antérieure d’intenses échanges à travers la Méditerranée52. La capacité des marchands et hommes d’affaires à mobiliser des capitaux et des moyens globalement plus importants et à en réinvestir les bénéfices plus judicieusement finit ainsi par faire la différence. Et de façon significative, en 1449, tous les artisans de Perpignan, pareurs compris cette fois, furent intégrés dans la manus minor, au bas de la hiérarchie des trois « mains », comme ailleurs en Catalogne53.
Conclusion
23Trois points majeurs méritent d’être dégagés de cette analyse du rôle des pareurs à travers le prisme de la problématique des frontières.
24Alors que les activités et les structures professionnelles se ressemblent beaucoup à Perpignan et Narbonne à la fin du Moyen Âge – toutes deux dominées par la manufacture textile –, la commercialisation des produits qui en résulte amène les seuls Perpignanais à collaborer étroitement avec les Barcelonais. Ils consolident ou complètent ainsi, par des activités économiques différentes parce que davantage orientées vers les échanges, la frontière politique qui sépare, depuis le traité de Corbeil en 1258, les villes pourtant proches de Perpignan et de Narbonne, au terme d’une mutation qui s’effectue dans la seconde moitié du xive siècle.
25Le caractère déterminant du négoce au long cours mérite également d’être rappelé. Outre les frontières lointaines qu’il implique de franchir, il révèle aussi d’inégales capacités de rayonnement et d’accumulation des capitaux dans les centres urbains, qui s’avèrent décisives pour leur évolution économique. Car les profits qui résultent des opérations commerciales sont généralement proportionnels aux distances parcourues par les marchands, qui se trouvent ainsi en position d’intermédiaires indispensables, en capacité de jouer sur les marges de bénéfice des opérations, producteurs et acheteurs aux deux extrémités de la chaîne n’ayant aucun moyen de communiquer54. De surcroît, les bénéfices résultant des activités de grand commerce ne profitent qu’à un petit nombre d’acteurs dont le poids économique augmente et qui concentre ainsi des pouvoirs accrus en matière de décision. À terme donc, les conséquences économiques et les effets d’entraînement du négoce au long cours, par-delà des frontières maritimes perméables qui invitent aux échanges, se révèlent plus décisifs que le commerce aux échelles locale et régionale55. Les pareurs de Perpignan étaient ainsi parvenus à saisir certains de ces mécanismes qui les attirèrent vers les activités marchandes, stimulant ainsi le rayonnement commercial de la capitale du Roussillon.
26Il est enfin tentant de souligner la différence de nature, voire l’opposition entre frontières territoriales, d’une part, et frontières sociales et politiques, d’autre part, et, partant, le caractère artificiel de leur rapprochement. L’expérience singulière des pareurs de Perpignan montre cependant que leur capacité à brouiller les lignes sociales et civiques habituelles au sein des institutions municipales – du moins telles qu’elles ont été jusqu’ici présentées dans l’historiographie –, de même qu’à franchir les frontières terrestres et maritimes pour commercialiser leur production au loin, reflète un même dynamisme polymorphe qui a su s’adapter et se renouveler avec le temps, à travers un processus de professionnalisation complexe et déterminant. Loin de renvoyer à des questions exclusivement centrifuges, le thème des frontières constitue donc un remarquable révélateur d’identité de groupes et de communautés qui cherchent à s’affirmer et à se distinguer au sein de sociétés composites dont les uns et les autres accélèrent ainsi l’évolution.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple le règlement des foulons dans le Livre des métiers d’Étienne Boileau, éd. par René de Lespinasse et François Bonnardot, Paris, Imprimerie nationale, 1879 (nombreuses rééditions).
2 L’expression « centres urbains de taille moyenne » renvoie ici aux villes caractérisées par un développement notable, mais qui ne se classaient pas parmi les plus importantes au plan démographique ou parmi les plus influentes sur le plan économique, telles Barcelone, Marseille, Gênes ou Milan.
3 Sur le thème de la professionnalisation des métiers artisanaux, voir Sandrine Victor, Juliette Sibon, « Le professionnel. Une catégorie d’analyse pertinente dans le contexte médiéval ? Introduction », Rives méditerranéennes, 55, Normes et marchés en Occident. De la professionnalisation des activités économiques autour de la viande et du vin, 2017, p. 7-20, ici p. 7-8 et 11-12.
4 Voir spécialement Philippe Wolff (dir.), Histoire de Perpignan, Toulouse, Privat, 1985 (pour la période médiévale, p. 27-72) ; Louis Assier Andrieu, Raymond Sala (dir.), La ciutat i els poders / La ville et les pouvoirs (Actes du colloque de Perpignan, octobre 1997), Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2000 ; Raymond Sala, Michelle Ros (dir.), Perpignan une et plurielle, Canet, Trabucaire, 2004. Voir Patrice Poujade (dir.), Histoire de Perpignan, en cours de publication – plus particulièrement la partie II « Moyen Âge », par Aymat Catafau (dir.), Damien Coulon et Rodrigue Tréton. Sur le plan économique, outre les travaux de Guy Romestan et d’Anthony Pinto (cf. note suivante), voir Antoni Riera Melis, « Perpiñán, 1025-1285. Crecimiento económico, diversificación social y expansión urbana », dans David Abulafia, Blanca Gari (dir.), En las costas del Mediterráneo occidental, Barcelone, Omega, 1997, p. 1-61 et Id., « Els origens de la manufactura tèxtil medieval a la Corona Catalanoaragonesa (c. 1150-1298) », dans R. Narbona Vizcaino (dir.), XVIII Congrés Internacional d’Història de la Corona d’Aragó, La Mediterrània de la Corona d’Aragó (València, sept. de 2004), 2 vol., Valence, Universitat de Valencia, 2005, vol. 1, p. 821-901.
5 C’est en particulier le cas des travaux de Guy Romestan, accidentellement disparu en 1997, et de la thèse de doctorat inédite d’Anthony Pinto, Commerce et draperie dans le comté d’Empúries de 1260 à 1497, sous la direction de Christian Guilleré, université de Savoie, 2002 ; il n’existe donc pas de synthèse des travaux de ces deux auteurs. Voir par conséquent Guy Romestan, « Draperie roussillonnaise et draperie languedocienne dans la première moitié du xive siècle », Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon (FHLMR), XLIIe Congrès (Perpignan 1969), Montpellier, FHLMR, 1970, p. 31-59 et Id., « Perpignan et les foires de Pézenas et de Montagnac aux xive et xve siècles », FHLMR, XLVIIIe Congrès (Pézenas 1975), Montpellier, FHLMR, 1976, p. 75-103 ; Anthony Pinto, « Perpignan, un grand centre drapant méditerranéen (xiiie-xve siècle) : état de l’historiographie », La fibre catalane. Industrie et textile en Roussillon au fil du temps, Canet, Trabucaire, 2005, p. 13-37 ; Id., « Draperie et développement urbain : le cas de Perpignan à la fin du Moyen Âge (xiiie-xve siècle) », dans Christian Guilleré, Flocel Sabaté (dir.), Morphologie et identité sociale dans la ville médiévale hispanique, Chambéry, Université de Savoie, 2012, p. 365-415.
6 On entend par métier « un groupement professionnel reconnu par l’autorité publique et soumis à une règlementation collective », Jean-Louis Roch, « Métiers », dans Claude Gauvard, Alain de Libera, Michel Zink (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, Puf, 2002.
7 Outre les ouvrages cités dans l’article précédent, Pierre Bonnassie, La organización del trabajo a Barcelona a fines del siglo xv, Barcelone, CSIC, 1975 ; Dominique Cardon, La draperie au Moyen Âge. Essor d’une grande industrie européenne, Paris, CNRS, 1999 ; Sylvain Burri, Mohamed Ouerfelli (dir.), Artisanat et métiers en Méditerranée médiévale et moderne, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2018 ; Normes et marchés en Occident, op. cit. ; Philippe Bernardi, Corine Maitte, François Rivière (dir.), Dans les règles du métier. Les acteurs des normes professionnelles au Moyen Âge et à l’époque moderne, Palerme, New Digital Frontiers, 2020. Sur la confrérie des pareurs de Perpignan, voir Pinto, « Draperie et développement urbain », art. cité, p. 397.
8 Sur ces différentes acceptions de la notion de frontière au Moyen Âge, voir l’introduction de Stéphane Boissellier et Lucie Malbos. Sur le thème des frontières en Roussillon, voir Lucien Bayron (dir.), Entre Languedoc et Roussillon : 1258-1659. Fortifier une frontière ?, Canet, Les Amis du Vieux Canet/Trabucaire, 2004 et Aymat Catafau, « La frontière, une “calamité féconde” pour les comtés nord-catalans au Moyen Âge », dans Fabrice Corrons, Eliseu Trenc, Gracia Dorel-Ferré (dir.), « Comme une étoffe déchirée ». Les Catalognes avant et après le traité des Pyrénées, Canet, Trabucaire, 2012, p. 19-30.
9 Cette démarche s’appuyant sur les perceptions spatiales et les réalités sociales s’inspire du concept de spatialité dont « l’objectif principal consiste à appréhender l’espace comme une donnée non seulement physique, mais aussi (et surtout) sociale, définie par des pratiques et des notions historiquement variables », en ligne : https://lamop.univ-paris1.fr/la-recherche-au-lamop/spatialites/ (consulté le 11 avril 2020).
10 Romestan, « Draperie roussillonnaise », art. cité et Cardon, La draperie au Moyen Âge, op. cit., p. 12-24.
11 Parmi ces ressources naturelles, les zones de pâture que les Pyrénées orientales offraient aux troupeaux ovins, ainsi que les eaux de la Basse et de la Têt, facilitant les opérations de rinçage et permettant d’actionner les moulins à fouler. Sylvie Caucanas, Moulins et irrigation en Roussillon, Paris, CNRS, 1995, p. 195-197.
12 Romestan, « Draperie roussillonnaise », art. cité et Miguel Gual Camarena, « Para un mapa de la industria textil hispana en la Edad Media », Anuario de Estudios Medievales, 4, 1967, p. 109-168, ici p. 111.
13 Marcel Durliat, L’art dans le royaume de Majorque, Toulouse, Privat, 1962, p. 48-49 et Riera Melis, « Perpiñán, 1025-1285 », art. cité, p. 1. D’après un document émanant des consuls de Narbonne en 1329, que l’on peut certes soupçonner d’exagérer la concurrence des Perpignanais, ces emplois dans le domaine textile pourraient avoir atteint le nombre de 3 000 dans la capitale roussillonnaise. Romestan, « Draperie roussillonnaise », art. cité, p. 39, n. 27. En outre, drapiers et pareurs se regroupèrent dans des quartiers spécifiques de Perpignan. Pinto, « Draperie et développement urbain », art. cité, p. 365-415.
14 Selon certains auteurs, les pareurs se livraient à des travaux d’apprêt et plus généralement de présentation des tissus. Wolff (dir.), Histoire de Perpignan, op. cit., p. 52 ; Pinto, « Draperie et développement urbain », art. cité, p. 382. Sans donner de définition précise des pareurs, G. Larguier les classe aux côtés des foulons, dont il les distingue, et des teinturiers, soit parmi les artisans « spécialisés surtout dans les dernières opérations de la confection des draps », Gilbert Larguier, Le drap et le grain en Languedoc, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 1996, t. 1, p. 30. Claude Denjean précise quant à elle que le « perayre » est « celui qui travaille la laine avant de la teindre (peigner, carder, chardonner) », Claude Denjean, Juifs et chrétiens de Perpignan à Puigcerdà, Canet, Trabucaire, 2004, p. 214.
15 Du Cange et al., Glossarium mediae et infimae latinitatis, s.v. « Paratoria 1 ».
16 Assimilation des pareurs aux foulons, Durliat, L’art dans le royaume de Majorque, op. cit., p. 398 et Wolff, Histoire de Perpignan, op. cit., p. 52. Toutefois, selon Pinto (« Draperie et développement urbain », art. cité, p. 389), les pareurs seraient bien distincts des foulons, ceux-ci étant en fait désignés par le terme, certes moins courant parmi les sources perpignanaises, de « caussinyer » ou « calcinyer ». Mais Rodrigue Tréton réfute l’interprétation des précédents termes, qui renvoient en fait à des opérations de trempage de peaux dans de l’eau mêlée à de la chaux, afin de faciliter leur épilage, Poujade (dir.), Histoire de Perpignan, op. cit., t. 1, 2e partie, chap. 2.
17 Diccionari Català-Valencià-Balear, Barcelone, Palma de Majorque, Alcover, Moll, 1930-1969, s.v. « paraire ». Le même dictionnaire indique que le verbe « parar » signifie « préparer et disposer la laine pour qu’elle puisse être filée. Cette préparation comprend différentes opérations successives, qui sont : assouplir la laine avec de l’eau chaude, la rincer à l’eau courante, l’étendre pour qu’elle sèche, puis la peigner et la carder. » ; ibid., s.v. « parar » § 6. Voir en outre Joan Coromines, Diccionari etimològic i complementari de la llengua catalana, 9 vol., Barcelone, Curial Edicions Catalanes, 1980-1991, s.v. « paraire » : « personne qui se consacre à toute opération à laquelle la laine est soumise, du lavage au cardage ».
18 Romestan, « Perpignan et les foires de Pézenas », art. cité.
19 Aymat Catafau, « La Catalogne et la mer au xiie siècle : l’autre frontière », Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 48, 2017, p. 101-114.
20 Francesco B. Pegolotti, La pratica della mercatura, éd. par Allan Evans, Cambridge (Mass.), The Mediaeval Academy of America, 1936, p. 37, 55, 58 et 79.
21 Damien Coulon, « Perceptions spatiales et éléments de culture des marchands catalans à travers le prisme des contrats notariés », Cahiers électroniques d’histoire textuelle du LaMOP, 10, Écrits, langages et cultures du commerce, Paris, LaMOP, 2018, en ligne : https://lamop.pantheonsorbonne.fr/sites/default/files/inline-files/04._Coulon_-_Perceptions_spatiales.pdf
22 Id., Barcelone et le grand commerce d’Orient. Un siècle de relations avec l’Égypte et la Syrie-Palestine (ca 1340-ca. 1430), Madrid/Barcelone, Casa de Velázquez/Institut Europeu de la Mediterrània, 2004 p. 307-491.
23 Christiane Deluz éd. et trad., « Le voyage de Symon Semeonis d’Irlande en Terre sainte », dans Danielle Régnier-Bohler (dir.), Récits de croisades et de pèlerinages, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 972-973 et Mario Esposito éd. et trad., Itinerarium Symonis Semeonis ab Hybernia ad Terram Sanctam, Dublin, The Dublin Institute for Advanced Studies, 1960, p. 44-48 ; voir en outre Ibn Jubayr, Relation de voyage, dans Ibn Fadlan, Ibn Jubayr et Ibn Battuta, Voyageurs arabes, éd. et trad. par Paule Charles-Dominique, Paris, Gallimard, 1995, p. 76.
24 Henri Bresc, « La draperie catalane au miroir sicilien, 1300-1460 », Acta Mediaevalia, 4, 1983, p. 118-122.
25 Federigo Melis, Industria e commercio nella Toscana medievale, éd. par Bruno Dini, Florence, Le Monnier, 1989, p. 143-145 ; Cardon, La draperie au Moyen Âge, op. cit., p. 514 et Pinto, « Perpignan, un grand centre drapant », art. cité, p. 13 et 18.
26 Le premier siège dura d’octobre 1462 aux premiers jours de 1463 ; le second d’avril à juillet 1473 et le dernier, de décembre 1474 à janvier 1475.
27 L’importante rupture que constituèrent ces épisodes guerriers dans l’histoire de Perpignan, n’empêcha pas une reprise économique dès les dernières années du xve siècle, comme en atteste encore aujourd’hui l’opulente demeure du négociant perpignanais Bernat Xanxo, bâtie vers 1508.
28 Damien Coulon, « L’expansion occidentale vers le Levant à la fin du Moyen Âge : la mise en place de structures de domination commerciale », L’expansion occidentale (xie-xve siècle). Formes et conséquences, 33e Congrès de la SHMESP (Madrid-Tolède, mai 2002), Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, p. 159-175.
29 Les profits des commendes étaient ensuite partagés à raison d’un quart pour le preneur de fonds itinérant et trois quarts pour le bailleur, tandis que le capital investi à l’origine dans l’opération revenait intégralement au bailleur.
30 Parmi les destinations des contrats de commendes dominent très largement, dans une proportion d’environ 80 %, la Sicile et le Levant méditerranéen (plus précisément Rhodes, Chypre, Beyrouth, Damas et Alexandrie). Coulon, « Perceptions spatiales », art. cité.
31 Coulon, Barcelone et le grand commerce du Levant, op. cit., p. 302-305, 506, 526 et 608-609.
32 À Barcelone, la part des artisans du textile impliqués dans le commerce du Levant dépasse à peine 5 % des contractants. Coulon, Barcelone et le grand commerce du Levant, op. cit., tableau p. 497 et 550-551. Et parmi les quelques pareurs présents, fait révélateur, plusieurs viennent de Perpignan (6 sur 27), ibid., p. 572, n. 106.
33 Larguier, Le drap et le grain, op. cit., t. 1, p. 31 et t. 3, annexe 1, p. 1245-1247.
34 Coulon, Barcelone et le grand commerce du Levant, op. cit., p. 307-428 et Id., « Convergencias económicas entre Perpiñán y Barcelona en un periodo clave de su historia bajomedieval », dans Flocel Sabaté (dir.), El mercat. Un món de contactes i intercanvis, Lerida/Lleida, Pagès, 2014, p. 141-156, ici p. 148.
35 G. Larguier tire le même constat à Narbonne, Larguier, Le drap et le grain, op. cit., t. 1, p. 39.
36 Michel Pastoureau, Jésus chez le teinturier. Couleurs et teintures dans l’Occident médiéval, Paris, Léopard d’or, 1997.
37 Ces résultats sont tirés du même échantillon de commendes instrumentées par le notaire Jaume Molines entre 1381 et 1392. Les médianes s’établissent à 84 livres pour les pareurs et 143 livres pour les marchands.
38 C’est ce que déduit G. Larguier du cas narbonnais, Larguier, Le drap et le grain, op. cit., t. 1, p. 30-31. A. Riera qualifie quant à lui d’« aristocracia menestral » le groupe des pareurs, Riera, « Perpiñán, 1025-1285 », art. cité, p. 36. Voir également Romestan, « Draperie roussillonnaise », art. cité, p. 35.
39 Pour Narbonne, G. Larguier tire le même constat de diversité sociale, Larguier, Le drap et le grain, op. cit., t. 1, p. 38.
40 Damien Coulon, Un port sans rivage ? Grand commerce, réseaux et personnalités marchandes à Perpignan à la fin du Moyen Âge, Madrid, Casa de Velázquez, 2e partie § 2.1.1 (à paraître).
41 Pour Narbonne, G. Larguier relève également d’intéressants cas de pareurs aussi opulents que des marchands ou tour à tour caractérisés par l’une, puis l’autre fonction, Larguier, Le drap et le grain, op. cit., t. 1, p. 31 et 37-38.
42 Le logiciel Gephi qui traduit sous forme graphique les liens entre individus (ou entités), ici entre marchands et pareurs, permet d’affiner ces remarques et montre effectivement dans ce cas que pareurs et marchands préféraient conclure des contrats plutôt séparément, même si les cas d’accords entre ces deux catégories n’étaient pas rares. Coulon, Un port sans rivage, op. cit., § 2.1.1.
43 Philip Daileader, De vrais citoyens. Violence, mémoire et identité dans la communauté médiévale de Perpignan 1162-1397, Canet, Trabucaire, 2004, p. 156. Pour le texte de l’ordonnance municipale, Vicent Garcia Edo (éd.), El Llibre verd major de Perpinyà (segle xii-1395), Barcelone, Fundació Noguera, 2010, p. 586-589, doc. 212.
44 Daileader, De vrais citoyens, op. cit., p. 156.
45 Les listes des consuls de Perpignan, malheureusement incomplètes, mentionnent encore plus sporadiquement les fonctions qu’ils exerçaient, de sorte qu’il n’est guère possible de s’appuyer sur elles pour tenter une approche statistique solide. Dans la liste reconstituée par Ph. Daileader, le premier consul pareur, Pere Geli, est mentionné dès 1305-1306, Daileader, De vrais citoyens, op. cit., p. 243.
46 Larguier, Le drap et le grain, op. cit., t. 1, p. 31.
47 Daileader, De vrais citoyens, op. cit., p. 186.
48 Robert Freitag, « Die katalanischen Handwerkorganisationen unter Königsschütz im Mittelalter insbesondere Aufbau und Aufgaben im 14. Jahrhundert », Gesammelte Aufsätze zur Kulturgeschichte Spaniens, 24, 1968, p. 41-226, spécialement au sujet des pareurs, p. 98-99, 132 et doc. 15, p. 200-201 (privilège royal accordé aux pareurs le 9 mai 1386) ; Id., « La protección real de los gremios en el siglo xiv y los tintoreros de Perpiñan », VIII Congreso de Historia de la Corona de Aragón (Valencia, octubre de 1967), Valence, Artes gráficas, 1970, t. 2, p. 141-162 et Daileader, De vrais citoyens, op. cit., p. 186-189. La série des six documents de chancellerie royale destinés aux pareurs de Perpignan entre 1380 et 1386 comprend certes deux privilèges qu’ils partagent avec les teinturiers, dont celui qui leur accordait à nouveau leur indépendance vis-à-vis des pareurs en 1381.
49 L’essor des échanges avec le sultanat mamelouk est en effet remarquable au départ de Barcelone, mais aussi de Gênes et de Venise à partir des années 1370. Coulon, Barcelone et le grand commerce d’Orient, op. cit., p. 171-173 et 301-302.
50 Cet effet d’entraînement par une puissance navale est sans doute ce qui a manqué aux Narbonnais, dont les efforts dans ce domaine ont été contrariés en particulier par les Génois, qui cherchaient à garder le contrôle du trafic entre les ports du Languedoc et la Méditerranée orientale en particulier, Larguier, Le drap et le grain, op. cit., t. 1, p. 32. Cette différence essentielle relative à la participation au négoce au long cours et aux débouchés commerciaux qui en découlaient, a largement contribué à imprimer une évolution économique divergente entre Narbonne et Perpignan.
51 Michel Balard, La Romanie génoise (xiie-début du xve siècle), Paris/Rome, École française de Rome, 1978, t. 2, p. 698-700.
52 Coulon, « Convergencias economícas », art. cité, p. 154-155 et Id., Un port sans rivage, op. cit., § 1.3.3.
53 Daileader, De vrais citoyens, op. cit., p. 156, n. 10 ; Antoine Jaubert-Campagne, Essai sur les anciennes institutions de Perpignan, Perpignan, J. Alzine, 1833, p. 25-26 et Pierre Vidal, Histoire de la ville de Perpignan, Paris, H. Welter, 1897, p. 266.
54 Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985, p. 57-58.
55 Même si les plus opulents hommes d’affaires finissent généralement par se laisser séduire au bout de quelques générations pendant l’Ancien Régime par un mode de vie aristocratique et rentier, eu égard à la permanence du prestige nobiliaire, Damien Coulon, « Ruling Class and Long Distance Trade in Barcelona at the End of the Middle Ages », dans María Asenjo González (dir.), Urban Elites and Aristocratic Behaviour in Spanish Kingdoms at the End of the Middle Ages, Turnhout, Brepols, 2013, p. 133-142.
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