Vérité ou coutume ?
Une dialectique triangulaire entre les pouvoirs symboliques de l’Église, des villes et de l’État dans le comté de Flandre au xiiie siècle
p. 275-296
Note de l’auteur
Je tiens à remercier Mathijs Speecke et Ewout Waerniers pour leur aide pratique
Texte intégral
1Avec le passage qui suit, Dominus dicit : Ego sum veritas et vita. Non ait : Ego sum consuetudo, sed veritas, Grégoire VII fait bien évidemment écho à Jean 14,6 : Ego sum via et veritas et vita. Il renvoie toutefois également au contraste idéologique fondé sur ce passage, soit le contraste entre la vérité révélée par Dieu d’une part et les coutumes du peuple ignorant et païen d’autre part. Il s’agit d’une opposition discursive que l’on voit apparaître déjà chez les Pères de l’Église et les apologistes, tels que Tertullien, Cyprien et Augustin, mais à l’époque de Grégoire, elle renvoie plus spécifiquement au « droit coutumier » en usage, c’est-à-dire à la principale source – sans concurrence vraiment sérieuse – du droit en vigueur au cours du Moyen Âge1.
2D’après les estimations, les multiples coutumes locales constituaient encore au xie siècle 90 % des sources de droit en application. Il faut attendre au moins le xvie siècle pour que les lois émanant des souverains, d’autorités locales et en moindre partie de l’Église en arrivent à représenter ne fût-ce que la moitié environ des règles de droit. Telle était certainement la situation dans les zones septentrionale et occidentale de l’Europe continentale, mais également dans ce qu’on appelle communément les « pays de droit écrit », soit l’Europe méridionale, ou encore en Angleterre, où s’est développé un système plus centralisé de droit national. Le « droit coutumier » peut être défini comme « un droit non écrit, introduit par les usages et les actes continuellement répétés des hommes, dont on s’est servi publiquement, sans opposition de la majorité du peuple, le temps nécessaire pour le prescrire ». Or, les réformateurs grégoriens le considérèrent implicitement comme un droit coutumier perçu de manière légitime, ce qui en fit un obstacle de taille dans leur aspiration à soumettre la société à un contrôle ecclésiastique aussi étendu que possible. Afin de réaliser ce projet, il fallait en effet affaiblir les autres sources plus locales d’autorité légitime, un souci que partageront d’ailleurs plus tard les autorités séculières2. Cette « délégitimation » de la coutume est unanimement considérée comme un trait important du processus de formation d’État et ce tant sur le plan de la pratique du droit même que sur le plan idéologique.
3Le comté de Flandre fut aux xie et xiie siècles en Europe parmi les principautés les plus précoces en termes de centralisation et les plus développées du point de vue administratif3. Au xie siècle, les cercles dirigeants y étaient déjà tout à fait familiers avec cette attitude catégorique qui reflétait les ambitions totalitaires de pouvoir et de « vérité » de la part du mouvement grégorien. La bulle papale d’Urbain II émise le 2 décembre 1092 et adressée à l’énergique comte Robert le Frison – en fait un allié important du pape dans sa lutte contre l’empereur – stipule en effet de manière tout à fait similaire : scire debes creatorem suum dixisse « Ego sum veritas », non autem usus vel consuetudo. Une telle affirmation s’inscrivit dans le message idéologique adressé par les papes aux seigneurs séculiers afin de faire valoir leur pouvoir symbolique4. La plupart des auteurs savants opèrent tout d’abord une distinction entre « bonnes » et « mauvaises » coutumes, bonae ou malae consuetudines. Une telle bipartition correspond à la vision généralement partagée, à partir de cette époque, par les spécialistes du droit canonique mais aussi du droit romain, lequel connaîtrait un nouvel essor quelques décennies plus tard.
4Les mauvaises coutumes étaient donc visées et elles se trouveront d’ailleurs aussi dans la ligne de mire des princes séculiers tout au long du Moyen Âge. En 1094, saint Yves de Chartres, spécialiste de la première heure en droit canonique et partisan de Grégoire VII, le formule comme suit dans son Decretum (IV, 213) : Usum qui veritati contrarium est abolendum esse, une formule généralement attribuée à Grégoire même. En 1140, le droit canonique est pour la première fois rassemblé de manière cohérente à Bologne avec la rédaction du Decretum Gratiani. On voit alors de plus en plus émerger, d’abord donc en matière de droit canonique, l’idée que la lex vaut toujours mieux que la consuetudo. Ce point de vue évince à la fois l’idée plus ancienne selon laquelle les lois émanent des coutumes et la distinction plus traditionnelle entre « bonnes » et « mauvaises » règles coutumières qui en constitue le fondement. Une telle approche juridique était d’une importance cruciale pour l’Église, notamment dans le cadre de son objectif de centralisation interne. Le droit canonique étant en grande partie fondé sur l’analogie avec le Corpus Iuris Civilis, il est légitime de considérer dans ce contexte que la réception du droit canonique et du droit romain relève d’un seul et même courant dans l’histoire du droit européen. Tant les spécialistes du droit canonique que les spécialistes du droit romain établirent en effet une opposition entre leur propre « vérité » juridique universelle concernant le « droit écrit », et le droit coutumier appliqué au sein des communautés locales5.
5S’il est vrai que l’impact croissant de l’offensive chrétienne contribua à une rationalisation de l’administration des preuves, avec entre autres l’abolition des jugements de Dieu, les tentatives de l’Église pour s’imposer comme législateur universel, une prétention clairement formulée dans le Dictatus Papae de 1075, ont finalement échoué. Sans même prendre en considération le conflit avec les princes séculiers, l’éviction du droit coutumier tel qu’il était en vigueur dans les communautés locales s’est en effet avérée irréalisable dans la pratique. Le rêve grégorien d’étendre au maximum la compétence de la juridiction ecclésiastique ne se concrétisa donc jamais tout à fait. Bien au contraire, après avoir atteint au cours des xiie et xiiie siècles un sommet de puissance, le Moyen Âge tardif vit les tribunaux ecclésiastiques perdre leur pouvoir au profit des tribunaux séculiers6.
6Il est vrai qu’à partir du xiiie siècle, la doctrine juridique se mit à jouer un rôle plus important en tant que source de droit supplétive. Mais il s’agissait du droit romain plutôt que du droit canonique, même si la renaissance du premier devait donc beaucoup à l’essor antérieur du second. À partir du xiiie siècle, le droit coutumier subit ainsi progressivement l’influence du ius commune, soit la version reçue du droit romain que les juristes au Moyen Âge partageaient et diffusaient. L’évolution la plus marquante observée dans cette période est cependant l’augmentation de l’importance relative de la législation aux dépens du droit coutumier. Cette évolution concerne aussi bien la législation princière que la législation urbaine, cette dernière devant généralement être cautionnée par le souverain ou par ses représentants7. La formule bien connue de Grégoire ayant servi d’amorce au présent article a bien sûr fait l’objet d’observations antérieures. Jean-Philippe Genet s’y est intéressé, l’inspirateur et directeur du programme de recherche européen « Signs and States », dont le présent livre est un produit, ainsi que plusieurs contributeurs à un précédent volume publié dans cette série. Notre objectif ici est de partir de l’opposition entre « vérité » et « coutume » pour formuler quelques commentaires constructifs par rapport au programme fondé par Jean-Philippe Genet.
7Jean-Philippe Genet utilise l’anthropologie politique de Maurice Godelier et son concept de « l’idéel » pour dépasser l’opposition « marxiste vulgaire » entre « infrastructure » et « superstructure8 ». Tout rapport social, toute activité matérielle porte en soi également une dimension « idéelle » par le biais de certains médias représentés dans le système des signes. Pour Maurice Godelier, les représentations du pouvoir font ainsi elles-mêmes entièrement partie des rapports sociaux et politiques et peuvent de cette manière aussi opérer comme causes. Dans le cas concret de la genèse des États médiévaux, Jean-Philippe Genet accorde un rôle fondamental aux « bouleversements religieux, politiques et culturels » qui ont marqué l’Occident chrétien depuis le xie siècle, suite à la Réforme grégorienne. Pour lui, ce sont eux qui en dernière instance ont fourni à l’État les concepts idéologiques et les supports de communication – rassemblés dans la notion de « vecteurs de l’idéel » – afin de construire sa propre légitimité. Cela s’est concrétisé dans le contexte d’un nouveau « système de communication ». Il s’agit d’un dialogue formalisé entre les souverains et leurs sujets au sein de certaines institutions. L’on y employa différents systèmes de signes, tout en respectant bien sûr les rapports de force. L’Église, cherchant avant tout à imposer ses normes universelles à l’ensemble de la société par le biais d’un système cohérent de droit canonique, construisit ainsi progressivement une « idéologie de la vérité » réformiste.
8La vérité telle que l’Église la proclama, augmenta son pouvoir en tant qu’institution en même temps qu’elle légitima ce pouvoir de manière idéologique. Ce processus, comme le montre Jean-Philippe Genet, fut soutenu par les changements qui eurent lieu simultanément au niveau des « structures éducatives ». Les normes et opinions ecclésiastiques pouvaient dorénavant être diffusées à une bien plus grande échelle. En dépassant le seul « système de communication », elles atteignirent ainsi également les laïcs et la langue vernaculaire9. Le modèle idéologique grégorien fut par la suite récupéré par les souverains séculiers pour qui l’utilisation de messages et de médias universels était une stratégie efficace leur permettant de légitimer leur propre extension de pouvoir et leur désir de centralisation politique, fiscale et militaire. Par conséquent, le pouvoir symbolique dut être réparti entre l’Église et l’État. Cela impliqua qu’il devait aussi être accepté, indépendamment du champ religieux, par la « société politique », c’est-à-dire les élites sociales dirigeantes qui dominaient ce dialogue. La notion de société politique, dont l’application à l’histoire médiévale revient à Raymond Cazelles, est devenue une des notions clés dans le modèle de Jean-Philippe Genet : le « pouvoir symbolique » et la « légitimité implicite » de l’État s’y construisent en effet au sein du dialogue avec la société politique10.
9Au cours du xiiie siècle, les monarchies et cités-États évoluèrent vers ce que Jean-Philippe Genet appela déjà l’« État moderne » au cours des années 90 du siècle dernier. « Toujours chrétienne, la société médiévale est devenue une société politique ». La langue des affaires politiques devint autonome et s’introduisit dans la sphère publique. Le concept de « la vérité » cessa d’être dominé par le monopole symbolique de l’Église, mais devint un enjeu dans la lutte politique entre les souverains séculiers, les magistrats citadins, les communautés locales et souvent aussi les rebelles11. Bref, pour reprendre la conclusion catégorique de Jean-Philippe Genet, sans la Réforme grégorienne, « il n’y a ni dialogue avec les sujets, ni développement administratif12 ».
10Bien évidemment, la thèse irréfutable de Jean-Philippe Genet selon laquelle les transformations politiques, juridiques et idéologiques de la seconde moitié du xie et du xiie siècle furent la conséquence directe ou indirecte de la Réforme grégorienne n’était pas une idée tout à fait nouvelle. Comme d’autres médiévistes avant lui, un historien du droit plus « traditionnel » tel que Raoul C. Van Caenegem par exemple, spécialiste des développements juridiques et de l’extension de l’autorité princière en Flandre et en Angleterre au Moyen Âge, avait lui aussi déjà remarqué l’importance des idées de Grégoire VII dans ce contexte13. Avant que le modèle socio-historique de Charles Tilly pour la formation d’État – modèle qui met surtout l’accent sur le dialogue entre aspects militaires et fiscaux – ne devienne populaire parmi les historiens et ne soit repris et approfondi principalement par Jean-Philippe Genet et Wim Blockmans, les médiévistes s’appuyaient sur une perspective principalement institutionnelle, juridique et législative pour jauger les souverains désireux d’augmenter leur autorité, soit donc un ensemble de faits ayant contribué au processus de la formation d’État.
11Depuis quelques années toutefois, Jean-Philippe Genet ayant subi l’influence de Maurice Godelier, il revient lui aussi vers les facteurs idéologiques. Mais dans le cadre du programme de recherche « Les vecteurs de l’idéel », l’approche historico-juridique ou institutionnelle traditionnelle fut néanmoins transposée de manière innovatrice vers une analyse du « pouvoir symbolique » de l’État au sein du système de communication médiéval émergent. D’une part, nous souscrivons tout à fait à cet intérêt nouveau pour les aspects « idéels » afin de nuancer le modèle de Charles Tilly fondé sur la paire war and taxation. Mais nous sommes également d’avis que pour aborder cette problématique, il est encore et toujours utile de s’intéresser de plus près aux évolutions du droit au cours du Moyen Âge tardif. Pourquoi ? Justement parce que le droit, tant comme discours que comme pratique, tant sur le plan « idéel » que « matériel », constituait évidemment un élément fondamental dans tout exercice du pouvoir public symbolique et dans toute construction de légitimité. Les propos de Grégoire VII l’illustrent parfaitement. Puis c’est aussi par le biais du droit que se concrétisent les formes importantes de la communication sociale.
12Il nous semble utile de définir d’abord le cadre de la tension entre veritas et consuetudo et de situer celle-ci par rapport aux révolutions fondamentales – démographiques, industrielles et commerciales – situées entre la fin du xie et la fin du xiiie siècle et responsables d’un paysage urbain en pleine expansion, du moins dans certaines zones d’Europe. Dans la vision de Jean-Philippe Genet, cette expansion urbaine avait à son tour aussi un impact important sur la réalisation de certains « vecteurs de l’idéel », même si au cours du Moyen Âge central avec ses « ressources croissantes », l’impact de « l’essor économique de l’Occident » semble s’être focalisé sur la seule capacité de l’État à faire la guerre14. Toutefois, certains aspects définis par Jean-Philippe Genet comme étant des points d’attention dans son programme de recherche, y figurent d’après nous un peu trop à l’arrière-plan. Il s’agit notamment de ce que Charles Tilly a appelé dans ses travaux plus tardifs le capital-intensive path of state formation, sans oublier les thèses de Wim Blockmans sur l’importance des villes dans l’avancement de ce processus15.
13Dans sa description de ce « chemin capitalistique de la formation d’État », Charles Tilly affirme que la présence de relations capitalistes précoces, d’échanges commerciaux intensifs et de puissantes institutions urbaines ont certes restreint le contrôle de l’État sur les individus et les ménages, mais ont également rendu la fiscalité plus efficace dans l’écrémage des « ressources » par l’État16. Certes, Jean-Philippe Genet ne ferme pas les yeux sur le fait que « la croissance économique et l’essor urbain ont transformé les structures sociales » et que « la Réforme grégorienne réagissait d’ailleurs à ces transformations ». Mais dans cette optique, il s’intéresse avant tout aux villes italiennes, dont l’autonomisation est en cours17. Il est vrai que « les cités de l’Italie » sont décrites par Jean-Philippe Genet comme étant des « proto-États modernes », mais uniquement parce qu’elles ont fini par devenir des cités-États18. Les choses sont beaucoup moins claires en ce qui concerne le rôle des principales grandes villes situées à l’intérieur d’un État en formation, comme les métropoles flamandes au sein du comté centralisé de la Flandre et par la suite dans l’État bourguignon. Les villes de ce type pouvaient-elles jouer elles aussi un rôle plus ou moins autonome dans la lutte pour le pouvoir symbolique ?
14De manière générale, la description de l’interaction entre les espaces urbains et le pouvoir symbolique de l’État moderne en devenir se fait chez Jean-Philippe Genet principalement en termes fonctionnels. La ville, et au sein de celle-ci en premier lieu l’université, se caractérise par un degré de développement intellectuel et de communication plus important qu’ailleurs. Pour Jean-Philippe Genet, les universités étaient d’ailleurs « à l’origine des institutions ecclésiastiques » – ce qui est un point de vue parfaitement légitime – et ce fut très certainement « la renaissance urbaine aidant » que se développèrent les écoles cathédrales19. De cette manière, le système de communication de l’Église se vit renforcé à l’intérieur de l’espace urbain et avec l’aide de celui-ci. Les intellectuels urbains ont joué quant à eux un rôle de poids. Jean-Philippe Genet reconnaît l’importance de ces intellectuels, fût-ce principalement dans les cas où ils rejoignirent les institutions ecclésiastiques ou princières20. La ville constituait donc une excellente terre nourricière pour la diffusion de « la vérité » tant par l’Église que par l’État. Mais ce constat, tout irréfutable qu’il soit, accorde peut-être trop peu d’autonomie d’action à la réalité urbaine même.
15S’il est vrai que Charles Tilly et Jean-Philippe Genet accordent tous deux un rôle important aux villes, ils présentent à vrai dire deux variantes d’une grille d’analyse qui, à notre avis, reste en essence un modèle top down. Dans la grille d’analyse de Charles Tilly, l’impact de la réalité urbaine sur le processus de la formation d’État ne dépasse pas le niveau du fondement socio-économique : les villes fournissaient aux États avant tout les moyens matériels. Quant à Jean-Philippe Genet, il semble concevoir la ville principalement comme un lieu où la production et la diffusion idéologiques du pouvoir symbolique prirent des formes plus importantes, plutôt que comme un laboratoire générant ses propres vecteurs idéologiques ou comme un système de communication autonome. Cette conception correspond très probablement à la situation dans la plus grande partie de l’Europe chrétienne des xiie et xiiie siècles, à la veille de l’émergence des « États modernes ». Par ailleurs, Jean-Philippe Genet ne distingue que deux fractions au sein de la classe sociale dominante au Moyen Âge, clercs et nobles, et délaisse ainsi un peu les élites urbaines commerçantes et financières21. Cette question était de toute façon moins pertinente dans le cas des cités-États italiennes, où les niveaux de ville et d’État coïncident. Mais comment concevoir alors l’éventuel impact urbain au niveau de l’idéel ? Dans ce contexte, nous aimerions formuler un certain nombre d’hypothèses qui, plus qu’une véritable critique, se veulent surtout un complément aux approches citées.
16Tout en sachant qu’il s’agit d’une opposition par trop simpliste du point de vue historico-juridique (le droit urbain en Flandre ne se réduisait pas à un droit coutumier mais subissait des influences princières et romano-canoniques et se caractérisait par des pratiques législatives en propre), nous proposons d’assimiler provisoirement la culture politique et juridique avec le second élément – l’élément marginalisé – dans la comparaison de Grégoire (et en fait aussi dans la conception de J.-P. Genet de la croissance des puissances symboliques au Moyen Âge) : la consuetudo dans un sens élargi. Tout bien considéré, on peut affirmer que la Flandre de la fin du xiiie siècle fut encore fortement dominée par des principes politiques et juridiques de nature « communale » et « corporatiste », avec notamment le droit de coutume urbain et les pratiques de consultation des « associations assermentées » telles que les communes, les guildes marchandes et les métiers. La Réforme grégorienne s’était principalement dirigée contre d’autres types de « droit coutumier », soit les us féodaux et l’arbitraire seigneurial. Force est toutefois de reconnaître que cela faisait des siècles que l’Église condamnait ces formes de légitimité et de communication politique. L’indignation d’Alpert de Metz concernant la guilde marchande de Tiel et ses règles de droit spécifiques, ou le dégoût qui s’empara de Guibert de Nogent lorsqu’il écrivit le terme communio en sont de probantes illustrations22. La question que nous nous posons est la suivante : tout ceci n’était-il donc que d’une importance secondaire dans le processus hégémonique idéologique qui, dans la vision de Jean-Philippe Genet, accompagnait la formation de l’État ?
17La grille d’analyse proposée par Jean-Philippe Genet pour étudier l’influence idéologique fondamentale de la Réforme grégorienne sur le devenir du pouvoir symbolique des États modernes en Europe occidentale est en soi ingénieuse. Mais nous sommes d’avis qu’elle devrait être légèrement adaptée en accordant une plus grande importance et une relative autonomie aux dynamiques politiques et aux « vecteurs de l’idéel » qui se sont développés depuis « le bas ». C’est la suggestion que prudemment nous voudrions formuler, en tout cas pour un certain nombre de régions spécifiques au sein de l’Europe médiévale. À nos yeux, le programme de recherche « Signs and States : Semiotics of the Modern State » néglige donc un peu trop cet aspect lié à la ascending theory of power en comparaison avec la descending theory of power, comme l’aurait formulé Walter Ullmann23, c’est-à-dire ce que nous avons reformulé ici, for the sake of the argument, en termes d’opposition entre « coutume » et « vérité ». En d’autres mots, les principes politiques et les systèmes de communication « d’en bas » durent avoir un impact fondamental sur les mutations de la société politique ayant lieu dans l’État moderne en devenir qu’était le comté de Flandre. Cela dut se faire à travers une interaction dialogique permanente avec l’offensive idéologique des couches supérieures mise en exergue par Jean-Philippe Genet. Mais un tel échange mérite qu’on s’y intéresse de plus près afin d’apporter éventuellement quelques nuances au modèle tel qu’il est conçu maintenant.
18L’espace politique flamand au xiiie siècle, et par extension toute la région comprenant le nord de la France et les Pays-Bas méridionaux, constitue donc en ce sens un test case intéressant pour les considérations qui vont suivre, même si nous devons provisoirement nous limiter à la formulation de quelques remarques théoriques plutôt que la présentation de résultats liés à une nouvelle recherche empirique. Nous nous appuyons pour cela sur deux observations. D’abord, la Flandre se caractérisait par un très important degré d’urbanisation et d’industrialisation, et c’était un marché important du point de vue commercial. Ensuite, elle était dominée par, ou était en contact direct avec quelques-uns des principaux États modernes en devenir dans la zone du nord-ouest de l’Europe : des monarchies comme la France (dont le comté dépendait dans le contexte du système féodal) et l’Angleterre (le principal partenaire commercial) ou encore la dynastie comtale elle-même qui cherchait sans cesse à étendre son pouvoir institutionnel, financier et militaire. Ce fut précisément à la fin du xiiie et au début du xive siècle, avec la bataille de Courtrai (1302) comme moment clé, que le conflit entre la France et la Flandre, ayant pour protagonistes les villes flamandes, mena à l’émergence d’un « État moderne » dans le comté. Aux xive et xve siècles, l’État bourguignon ayant succédé au comté, cet État tenta ensuite de renforcer ses propres revendications de pouvoir et de vérité sur les plans législatifs et judiciaires. Dans ce processus, la culture politique et juridique de la ville continua à représenter un niveau concurrentiel24.
19Si nous acceptons l’idée selon laquelle la Réforme grégorienne, et la mutation culturelle qui s’ensuivit, fut le principal élément révolutionnaire dans l’émergence du pouvoir symbolique de l’État, quels sont alors les possibles vecteurs complémentaires venant de la base, c’est-à-dire des communautés locales et donc en premier lieu des villes comme lieux de savoirs ? Comment les formes typiquement urbaines dans le domaine du savoir, de la compétence, de la pratique politique, des systèmes de communication et de la légitimité contribuèrent-elles à ce processus idéologique de grande envergure qui accompagna la formation d’État ? Ou faut-il plutôt considérer que ces formes urbaines de légitimité furent elles-mêmes fondamentalement influencées par la mutation culturelle analysée par Jean-Philippe Genet ?
20J’aimerais renouer ici avec la thèse présentée par Susan Reynolds dans un précédent volume de la présente série concernant l’importance politique des communautés laïques au bas Moyen Âge25, ainsi qu’avec un certain nombre de constats formulés par Wim Blockmans dans le cadre du projet qui nous occupe26. Susan Reynolds a montré de manière convaincante que dès le début, le pouvoir des princes au Moyen Âge se situa au même niveau que le pouvoir légitime émanant des communautés locales, ou qu’il fut en tout cas restreint par celui-ci.
21L’action collective déployée par les communautés laïques entre 900 et 1300 pouvait soutenir ou entraver les formes de gouvernement imposées d’en haut. Au plus tard aux xiie et xiiie siècles, ces communautés furent poussées par la croissance économique et démographique et eurent plus qu’auparavant recours à leur propre système de valeur. On ne peut pas dire que celui-ci fut investi de véritables idéaux d’égalité mais il exprimait toutefois un important degré de coopération spontanée et l’idée que toute forme de gouvernement devait être fondée sur un consensus harmonieux en accord avec la coutume et le droit de la communauté27. Bien sûr, cette vision développée par Susan Reynolds n’en était pas non plus une des plus novatrices. Un grand médiéviste comme Otto Brunner avait déjà opposé, sous l’influence de savants du xixe siècle comme Otto von Gierke, le facteur Herrschaft à celui de Genossenschaft. Mais comme le fait Jean-Philippe Genet dans son modèle actuel, Otto Brunner mit clairement l’accent sur le premier élément28. À l’instar de Susan Reynolds, nous voudrions plaider pour une approche qui accorde plus d’importance aux interactions dialectiques entre les deux principes et systèmes de communication.
22Wim Blockmans a lui aussi déjà mentionné l’importance de la culture politique urbaine sur la formation d’État au Moyen Âge tardif, et notamment l’influence urbaine sur les institutions représentatives et les pratiques de négociation dans les Pays-Bas, soit un élément de premier ordre dans l’analyse de Jean-Philippe Genet quant à la formation d’État fondamentalement vu comme dialogue entre État et société politique. Mais dans ce dialogue entre le souverain et ses sujets, Wim Blockmans semblait entrevoir, du moins dans ces publications plus anciennes, un plus grand degré d’équivalence29, alors que dans les écrits de Jean-Philippe Genet, l’image globale est plutôt celle d’un rapport de pouvoir asymétrique. Or, une telle asymétrie est sans doute plus clairement observable en France et en Castille qu’en Flandre ou en Angleterre. De plus, la clarté n’est pas au rendez-vous pour ce qui touche aux racines de ces rapports de force au cours du Moyen Âge tardif.
23Dans le récent article publié dans la présente série, Wim Blockmans semble distinguer au xiie siècle trois types d’institutions, lesquelles sont toutes désireuses de maximaliser leur propre impact. À titre d’essai, il juxtapose ainsi la Réforme grégorienne, le pouvoir monarchique émergent et les communes en phase de devenir plus puissantes30. Ce faisant, Wim Blockmans étend donc lui aussi la dichotomie opérée par Jean-Philippe Genet entre l’Église et l’État, en y ajoutant le principe « communal » auquel Susan Reynolds accorde également une place centrale. La question à poser est toutefois la suivante : s’agit-il ici d’un conflit du type zero sum game, une vue déjà exprimée par Wim Blockmans auparavant31, ou s’agit-il plutôt d’un échange dialectique triangulaire ? Une autre question qui se pose est celle de savoir lequel de ces trois éléments, qui se situent tous dans la sphère de l’idéel, pèse le plus sur le processus global. Pour Jean-Philippe Genet, il s’agit incontestablement de la mutation culturelle représentée par la Réforme grégorienne. Wim Blockmans, toutefois, détecte dans les communautés urbaines l’apparition d’une « théorie politique pragmatique » : les communautés développent leur propre légitimité à partir de leurs besoins sociaux, économiques et politiques et se démarquent ainsi à la fois de l’Église et des seigneurs et souverains, respectivement détentrice du monopole de la culture écrite et protagonistes du monde de la violence32.
24Qu’en est-il donc du système de communication de l’Église ? Son autorité est-elle réellement aussi forte et hégémonique qu’elle ne l’est présentée dans le modèle de Jean-Philippe Genet ? Il est certain que la langue de l’Église était la plus universelle, celle qui prétendait être la seule via et veritas. Dans le monde occidental de l’époque, l’Église disposait aussi du réseau le plus élaboré d’institutions, d’intellectuels et de rituels. Mais cela n’empêchait pas que d’autres systèmes politiques et idéologiques pussent au moins jouer un rôle relativement autonome dans l’émergence du pouvoir symbolique de l’État. Jean-Philippe Genet lui-même a déjà affirmé que des systèmes de communication secondaires pouvaient également entrer en ligne de compte. Nous sommes donc d’avis qu’il devrait plus accentuer le rôle relativement autonome joué par le système de communication urbain sans pour autant devoir toucher aux fondements de sa grille d’analyse. Dans ce qui suit, nous nous pencherons sur la piste de la complémentarité et de l’interaction en braquant les projecteurs sur le comté de Flandre au xiiie siècle, soit une zone fortement urbanisée et marquée par un développement économique intense. Pour ce faire, nous nous intéresserons successivement à trois éléments pertinents au sein de cette dialectique : les oppositions entre le droit coutumier et le droit savant, la culture politique et l’idéologie des communes et des corporations, et le rôle des intellectuels urbains dans ces rapports dialectiques.
25Tout d’abord, il nous faut donc revenir vers la composante marginalisée dans la comparaison établie par Grégoire : la consuetudo. Ce fut précisément dans le droit coutumier que se situa l’essence de la culture « juridique » et donc aussi « politique » des villes flamandes : ubi societas, ibi ius. Que la lex ou veritas soit fondamentalement supérieure à la consuetudo demeura toutefois une idée d’essence plutôt savante au cours du xiiie siècle, siècle où émerge l’État moderne dans le modèle de Jean-Philippe Genet. Comme on l’a déjà vu, jusque loin dans les Temps modernes, la coutume resta la principale base de la juridiction courante, même si la pratique législative avança peu à peu. Si on ne peut nier leur importance idéologique, les attaques des canonistes et romanistes visant la coutume restèrent donc durant des siècles principalement une affaire théorique, car la coutume était tout simplement inévitable et de facto, toute forme de gouvernement et de pouvoir symbolique en devenir devait en tenir compte. Cela ne valait d’ailleurs pas uniquement pour les coutumes des communautés urbaines et rurales, mais également pour la juridiction seigneuriale soutenant le pouvoir de la classe féodale, un élément auquel nous ne pouvons nous intéresser dans le cadre de cet article.
26Le rejet de toute interprétation romantique du droit coutumier ou des formes d’organisation communales est bien évidemment de mise. Sans vouloir revaloriser ici l’un ou l’autre fantomatique Urform germanique de la civilisation européenne, une tendance qui se fit évidemment sentir chez les historiens romantiques et nationalistes, nous voulons toutefois plaider pour une réévaluation des théories du xixe siècle, et ce dans le prolongement de ce qui fut déjà suggéré par Susan Reynolds dans cette série. En Flandre, les nombreux droits coutumiers locaux, qui remontent à une version christianisée du vieux droit germanique, constituent quasiment le seul système de droit jusqu’au xiie siècle. À partir de cette période, la législation princière, qui avait totalement disparu depuis la pratique législative carolingienne des capitularia, se fit à nouveau valoir par le biais de chartes et de privilèges accordés aux villes et aux communautés rurales. Dans ces chartes, Haec est lex et consuetudo est la formule par excellence qui montre à quel point les institutions et formes de justice urbaines se développèrent en dialogue avec le pouvoir princier grandissant et ce certainement à partir du xiie siècle en Flandre ou encore en France et en Angleterre. Une partie du droit coutumier en place, notamment en matière de droit public et pénal, fut intégrée dans une charte princière et modifiée en fonction des rapports de force entre la communauté locale et le comte33.
27Nous préférons donc interpréter le concept de consuetudo de manière plutôt large en y intégrant aussi les traditionnelles mais pas pour autant immuables formes d’organisation politique et structures idéologiques des communautés locales, et surtout des communes urbaines. En Flandre comme dans d’autres régions d’Europe, notamment dans le nord et le centre de l’Italie ainsi que dans des fragments du paysage urbain du Saint-Empire et de la France, la pax, communio ou amicitia jurée reflétait les principes de ce qu’Otto von Gierke a appelé le Genossenschaftsrecht34. Le droit se fondait sur des règles acceptées solennellement par un groupe d’hommes libres rassemblés dans une communauté solidaire. De la même manière, les jugements des tribunaux populaires se fondaient sur des procédures qu’on appelait des « vérités35 ».
28Bien évidemment, le mouvement communal en Flandre fut clairement influencé par le mouvement de la paix de Dieu, situé juste avant le mouvement grégorien. Les principes communaux et coutumiers venant de la base étaient donc tout autant « surdéterminés par le christianisme » que les normes et représentations proclamées par les membres de la société politique des États émergents afin de légitimer leur pouvoir. En ce sens, le modèle de Jean-Philippe Genet est correct, hormis le fait que l’influence dont il est question est somme toute plus indirecte qu’il ne le suggère. Dans le comté de Flandre, depuis les années 1030 déjà, ce furent les comtes qui renforcèrent le mouvement de la paix de Dieu en imposant leur propre paix publique d’une main de fer. Jusqu’au milieu du xiie siècle, le comté connut une série de comtes puissants tels que Baudouin IV et V, Robert le Frison, Charles le Bon et Thierry d’Alsace. Dans ce contexte, ils purent compter sur le franc soutien des agglomérations urbaines en pleine expansion. En Flandre, depuis le début de la nouvelle période de croissance économique, le comte, les élites cléricales et les communautés urbaines furent donc solidaires en ce qui concerne le maintien de l’ordre public36.
29Les villes flamandes du xiie siècle avaient leurs leges consuetudinariae, selon la terminologie du chroniqueur Galbert de Bruges, et étaient libres de les adapter à leur guise. Il est vrai que le contrôle princier augmenta assez rapidement et de manière significative mais cette question demeure un enjeu – jusqu’au Moyen Âge tardif – dans le champ conflictuel entre le prince et la ville37. Il importe donc de retenir que le droit coutumier, qui se présentait habituellement comme ancien et traditionnel, n’était pas nécessairement immuable. Les « vieilles coutumes » étaient susceptibles d’être adaptées aux besoins du moment. De plus, à partir de la seconde moitié du xiie siècle, elles furent souvent sujettes à tension dans les villes flamandes de par la centralisation juridique qu’imposèrent les comtes de la dynastie d’Alsace aux grandes villes en leur accordant des privilèges analogues.
30Après l’introduction du nouveau droit pénal par les comtes au cours des xie et xiie siècles, les méfaits furent désormais considérés comme des infractions à la pax comitis. Cette conception est exprimée de manière claire dans les « grandes chartes » accordées entre 1165 et 1177 aux grandes villes du comté par Philippe d’Alsace38. Ce fut alors l’époque où les conseils d’échevins seigneuriaux usurpèrent presque toutes les compétences des institutions communales précédentes. Comme ce fut également le cas dans d’autres régions d’Europe, il existait en Flandre des procédures appelées communément « vérité du pays » ou durghingha waerhede. Elles remontaient à une procédure accusatoire archaïque concernant les affaires criminelles. À intervalles réguliers, il était possible de se servir de l’assemblée du peuple pour accuser un voisin d’un fait criminel. Dans certains cas, les personnes présentes firent office de juges, mais généralement cette fonction était réservée aux échevins dans le contexte de la veritas scabinorum, soit une forme de recherche plus rationnelle qui vint à remplacer les anciennes ordalies39. Le droit privé resta principalement coutumier jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. À partir du xiiie siècle, de plus en plus de juristes instruits apparaissent en Flandre, mais l’influence du droit romain et canonique reste toutefois très modeste et il faut attendre le xve siècle pour que cette situation commence peu à peu à se modifier.
31Le caractère « politique » des réunions communales dans les premières villes flamandes revêt une importance tout aussi grande que la pratique coutumière urbaine. On trouve chez Galbert de Bruges des traces de cette riche culture urbaine de concertation40. De plus, et c’est là un aspect qui fut également déjà mentionné par Wim Blockmans dans cette série, au xie siècle au plus tard et encore au cours du Moyen Âge tardif, les hanses et guildes marchandes créèrent leurs propres règlements, indépendamment des sanctions princières ou ecclésiastiques en vigueur41. Dans un cadre politique communal, la société politique est par rapport à l’ensemble des personnes relevant de son autorité beaucoup plus grande, proportionnellement, que ce n’est le cas dans l’État moderne. Dans les communes primitives des xie et xiie siècles, la société politique devait comprendre la grande majorité des hommes libres ayant une certaine maturité. Ensuite, au xiie et plus nettement au xiiie siècle, la légitimité automatique de l’autorité communale devint nettement moins évidente en raison de la forte polarisation et oligarchisation marquant les villes. Au cours du xiiie siècle, « le peuple » – comme un demi-siècle auparavant il popolo dans les villes italiennes – eut à nouveau recours à l’idéologie communale primitive42. Enfin, aux xive et xve siècles, le principe communal de la participation directe fut remplacé, dans les grandes villes flamandes, par le principe corporatif : les guildes « politiques » revendiquèrent depuis la base une considérable légitimité au sein de l’espace urbain43.
32Nous sommes convaincus que la genèse d’un « champ d’État » autonome est redevable, de manière plus significative que ne le suggère Jean-Philippe Genet, aux principes de consensus, fût-ce un consensus apparent, et aux structures horizontales de pouvoir propres à la commune. La légitimité de la commune ou de la guilde se construisit alors à partir de ce que Max Weber appelait herrschaftsfremde Charisma44, tout en subissant également l’influence de la tradition romano-canonique. Max Weber attribua d’ailleurs aussi, à raison, un caractère sacral chrétien à la commune45. Bien sûr, au sein du monde des métiers, les pratiques politiques et idéologies furent fortement marquées aussi par l’idéologie chrétienne et ses concepts de la fraternitas et de la caritas. En ce sens, il nous faut à nouveau en grande partie donner raison à Jean-Philippe Genet. Mais il importe de préciser que les principes politiques communaux et corporatifs gardèrent malgré tout une nature principalement coutumière et témoignèrent d’un important degré d’autorégulation46.
33Il s’agit donc en réalité d’une interaction entre d’une part les principes politiques propres venant « d’en bas » et d’autre part la veritas chrétienne dictée « par le haut ». En témoignent par exemple la grande popularité que connut à la fin du xiiie siècle à Liège, autre grande ville des Pays-Bas méridionaux, la culture de procession typiquement urbaine autour du Corpus Christi, ou encore l’émergence de la métaphore corporelle comme représentation de l’espace politique urbain dans les villes flamandes47. Plutôt que de simplement docilement emprunter aux systèmes de signes ecclésiastique ou monarchique les signifiants idéologiques « centraux » ou « vides » tels que pax, communitas, justitia, utilitas publica et bonum commune, même plutôt que de se les « approprier », les villes flamandes les élaborèrent en dialogue avec eux dans le cadre d’une lutte dialogique. La même chose vaut pour les « droits souverains » ou pour la « légitimité » de l’Église et de l’État : ce serait trop réducteur de conclure que les villes n’ont fait que les reprendre ou se les approprier, comme le suggère Jean-Philippe Genet, n’ont fait que les « déconstruire », comme semble le supposer Wim Blockmans48, ou n’ont fait que combler un vide idéologique existant.
34Jean-Philippe Genet attache, il est vrai, beaucoup d’importance aux pratiques de consultation et aux réunions dans le contexte des conciles ecclésiastiques49 mais y néglige à nouveau un peu trop la culture politique urbaine. Il s’agit d’une culture politique organisée par le biais d’assemblées de métiers internes à la ville ou encore de « Grands conseils » ou de « collations » qui ne rassemblaient pas uniquement l’élite patricienne. Dans la Flandre médiévale, ces organes étaient intimement liés à la concertation parlementaire avec le prince, laquelle avait émergé avec les scabini Flandriae des grandes villes, et était très intensive50. Un régime politique ne peut en effet acquérir sa légitimité que si cette légitimité est activement soutenue et propagée par un groupe de personnes politiquement impliquées, soit parce qu’elles sont au service de ce régime, soit parce qu’elles négocient avec lui, soit encore parce que le régime leur est profitable d’une manière ou d’une autre. Dans le contexte de la formation d’État au Moyen Âge, différents groupes appartenaient ainsi à la société politique : non seulement les courtisans, clercs et nobles qui étaient en contact direct avec l’autorité princière mais, comme l’a bien sûr affirmé Jean-Philippe Genet lui-même à plusieurs reprises, aussi les élites régionales et locales. Les représentants urbains siégeant dans les assemblées des États, les marchands et les financiers soutenant les seigneurs féodaux toujours affamés d’impôts et de crédit, étaient eux aussi des membres à part entière de la société politique. Que c’est avant tout dans ce groupe que la légitimité du pouvoir devait être acceptée et activement diffusée, cela va de soi.
35Nous arrivons ainsi à notre troisième et dernier point à traiter, lequel concerne les porteurs de la culture politique urbaine et les diffuseurs de ses valeurs idéologiques. Il faut mentionner ici en premier lieu les élites marchandes. Leur domination oligarchique était encore nette dans les villes flamandes du xiiie siècle. Les élites corporatives les rejoignirent après la victoire des métiers en 1302. De quelles manières subirent-elles l’influence de la veritas imposée depuis le haut ? Ou, en d’autres termes, la société politique était-elle également soutenue, dans la ville, par ce qu’on pourrait appeler en utilisant une métaphore gramscienne des « intellectuels urbains organiques » ? Nous entendons par là des intellectuels qui fonctionnèrent comme intermédiaires pour diffuser de manière spécifique dans la communauté urbaine la veritas propagée par les « intellectuels traditionnels » de l’Église. Sans être à même de creuser et de développer cette matière ici, nous pouvons néanmoins affirmer que la plupart des intellectuels flamands du xiiie siècle étaient encore des clercs qui complétaient leur formation principalement aux Universités de Paris ou de Cologne (où ils étudiaient les artes et la théologie), éventuellement à Bologne (destination spécifique pour le droit romain) ou encore à Montpellier (médecine). Parmi les intellectuels flamands traditionnels inscrits à l’Université de Paris, le doctor solennis Henri de Gand est bien sûr un exemple connu51.
36Mais depuis le xiie siècle et certainement au xiiie siècle, la connaissance administrative, coutumière et comptable n’était plus l’apanage des clercs ni des élites étatiques. Jean-Philippe Genet lui-même a déjà mentionné l’importance de la « littératie pragmatique familiarisant marchands et artisans avec l’écrit », et Henri Pirenne fut quant à lui le premier, depuis le premier numéro des Annales, à s’intéresser de manière systématique à l’« instruction des marchands52 ». Ces formes de savoir « pragmatiques », administratives, financières, commerciales et coutumières ne doivent donc certainement pas être opposées aux formes de savoir « plus élevées » des universités ou à la vérité « hégémonique ». L’intellectuel urbain construisit entre le xie et le xiiie siècle un modèle de pensée spécifique à côté de la langue chrétienne universelle, et ce à partir d’une base commerciale, politique et coutumière. Ici aussi, nous sommes enclins à voir les choses plutôt en termes de complémentarité et d’interaction. En Flandre, on retrouve les premiers légistes dans les années 1260 dans les officialités, c’est-à-dire les tribunaux épiscopaux. C’est par leur intermédiaire que la procédure romano-canonique s’est peu à peu introduite dans le droit. Ensuite, à partir des années 1270 on trouve aussi des legum professores au sein de la chancellerie seigneuriale. À partir du milieu du xiiie siècle, les universités enregistrent quant à elles de plus en plus d’étudiants flamands en droit, et ce entre autres à Bologne, Cologne et sans doute en plus grand nombre encore à Paris. À la fin du xiiie siècle, les grandes villes n’employaient plus beaucoup de clercs juridiques et de pensionnaires qualifiés. Ceux-ci avaient pour tâche première la défense des intérêts de la ville dans les tribunaux supérieurs, entre autres au Parlement de Paris. Force est de constater qu’ils avaient peu d’impact sur la juridiction urbaine même car la plupart des clercs urbains, s’ils portent le titre de « maître » dans les sources, étaient en fait toujours des spécialistes en droit coutumier ou en finances, certains ayant éventuellement bénéficié d’une formation en arts, soit la principale formation universitaire dont ont bénéficié la plupart des intellectuels flamands de l’époque. Souvent, ces clercs, qu’ils aient reçu des consécrations supérieures, inférieures ou aucune, étaient eux-mêmes originaires des milieux urbains patriciens et purent rassembler de grandes fortunes53.
37La grande majorité des juges en Flandre continuaient donc à être des échevins urbains et des hommes liges qui « trouvaient » un jugement à partir de la coutume. Les juristes étaient avant tout des praticiens, des « hommes de la pratique », Urteilfinder ou « diseurs de droit », soit des gens qui connaissaient la coutume plutôt que le droit écrit. Encore au xiiie siècle, la réception du droit romain resta très limitée dans ces coutumes et, comme nous l’avons déjà dit, il faut attendre le xve siècle pour que l’influence des juristes savants ne devienne réellement importante. C’est d’ailleurs au xiiie siècle que les autorités séculières se mirent à miner de manière systématique l’influence des tribunaux ecclésiastiques, par exemple dans le domaine du droit matrimonial. Il arriva bien sûr que des principes centralisateurs princiers furent introduits après la répression de révoltes dans les grandes villes, mais force est de constater qu’il faut attendre le xve siècle et la dynastie bourguignonne des Valois pour qu’une législation seigneuriale systématique ne soit à nouveau instaurée. Et ce n’est qu’à partir du xvie siècle que les droits de coutume locaux furent codifiés et homologués de manière systématique aux Pays-Bas54.
38Ainsi que l’affirme aussi Jean-Philippe Genet, les intellectuels de langue vernaculaire furent très certainement formés dans les écoles cathédrales des villes. Tel fut également le cas pour l’intellectuel urbain par excellence de la Flandre du xiiie siècle : Jacob van Maerlant. Maerlant appartenait lui aussi à ce cadre de clercs urbains. Il fut formé à l’école du chapitre de Saint-Donatien, la principale église de Bruges, et ne fréquenta probablement jamais d’université. À côté de la littérature dévote et moralisante en langue vernaculaire, qui dans la Flandre du xiiie et surtout du xive siècle devait faire office de miroir aux laïcs, d’autres formes d’écriture en langue vernaculaire émergèrent dans la Flandre urbanisée de cette époque. Maerlant était traducteur, remanieur, compilateur et il est notamment connu pour avoir vulgarisé en langue vernaculaire les savoirs religieux et profanes les plus pertinents pour le bourgeois. Il s’intéressa en effet particulièrement à la morale et aux sciences « utiles » pour les laïcs et s’opposa au cadre dominant de l’épique chevaleresque « wallonne ». En tant qu’auteur flamand, il était la cristallisation de tout ce qui composait le discours idéologique répondant aux attentes de son public urbain. Le nouvel esprit introduit dans la vie religieuse et intellectuelle par les Franciscains l’influença. Il traduisit ainsi la vie de Bonaventure en moyen néerlandais et nombreuses sont ses œuvres où résonne un discours identique à celui d’une homélie franciscaine adressée au peuple urbain. Si ses lecteurs étaient avant tout des nobles et des membres plus aisés de la population urbaine, Maerlant défendit souvent la cause des petites gens et se caractérisait par un sens prononcé de la justice qui était clairement d’inspiration chrétienne classique. Il fut un produit typique du nouvel essor, dans les villes flamandes, des écoles cathédrales de haut niveau55.
39Au sein de ces centres se concrétisa en effet la diffusion de la pensée ecclésiastique parmi les laïcs, comme le souligne aussi Jean-Philippe Genet. Les « enclaves » cléricales que furent ces chapitres séculiers étaient des lieux où l’esprit urbain, l’enseignement et l’administration entraient en contact avec la high theory ecclésiastique. En ce sens, leur empreinte sur la société fut plus large que ne l’était celle des universités. Ces dernières eurent certes un impact plus profond, mais qui ne concerna qu’une petite élite au sein de la population urbaine. Dans le modèle de Jean-Philippe Genet, une place importante revient aussi à la prédication. Dans ce contexte, un rôle important doit être accordé, aussi bien en Flandre qu’en Italie, aux couvents des frères mineurs. Nous ne pouvons toutefois creuser ici cette thématique qui nécessite plus de recherches concernant la culture en Flandre au xiiie siècle56.
40Loin d’infirmer le modèle d’analyse de Jean-Philippe Genet, nos observations invitent à accorder une place plus prépondérante à un aspect qui était resté plus ou moins dans l’ombre. C’est là la conclusion provisoire de cette modeste contribution qui constitue donc avant tout une invitation à se repencher sur cette question. Sans doute aucun, la « vérité » de l’Église et de l’État pesa lourdement sur les formes urbaines locales que prirent l’organisation judiciaire et la culture politique. L’ingérence seigneuriale et l’émergence de la culture écrite eurent pour conséquence que la consuetudo perdit sa place privilégiée unique en tant que source de droit. Toutefois, elle survécut en tant que principe idéologique fondamental, comme on a pu l’observer encore dans le contexte des révoltes urbaines en Flandre à la fin du xiiie siècle. Cette consuetudo peut donc être conçue de manière métaphorique comme un système de communication dotée d’une autonomie relative, un système qui a également joué un rôle important dans la construction symbolique de l’État moderne au bas Moyen Âge, et ceci surtout dans des régions spécifiquement urbanisées où le pouvoir princier s’imposa aussi avec toute sa force matérielle et idéelle.
Notes de bas de page
1 Pour les références aux citations originales, voir G. B. Ladner, « Two Gregorian Letters : on the Sources and Nature of Gregory’s Reform Ideology », dans id., Images and Ideas in the Middle Ages : Selected Studies in History and Art, Rome, Storia e letteratura, 1983, p. 665-682, et pour le contexte général, voir G. Le Bras, C. Lefebvre, J. Rambaud, Histoire du droit et des institutions de l’Église en Occident, t. 7 : L’âge classique, 1140-1378 : sources et théories du droit, Paris, Sirey, 1965, p. 205-219.
2 J. Gilissen, La coutume, Turnhout, Brepols (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 41), 1982, p. 14, 21.
3 J. Dhondt, « Développement urbain et initiative comtale en Flandre au xie siècle », Revue du Nord, 30, 1948, p. 133-156 ; F.-L. Ganshof, « La Flandre », dans F. Lot, R. Fawtier (dir.), Histoire des institutions françaises au Moyen Âge, t. 1 : Institutions seigneuriales, Paris, Presses universitaires de France, 1957, p. 343-426 ; B. D. Lyon, A. Verhulst, Medieval Finance : a Comparison of Financial Institutions in Northwestern Europe, Bruges, De Tempel, 1967.
4 G. B. Ladner, « Two Gregorian Letters… », art. cité, p. 675.
5 R. C. Van Caenegem, « Considerations on the Customary Law of Twelfth-Century Flanders », dans id. et al. (dir.), Law, History : the Low Countries and Europe, Londres, Hambledon Press, 1994, p. 98.
6 Pour la Flandre, voir : M. Vleeschouwers-Van Melkebeek, De officialiteit van Doornik : oorsprong en vroege ontwikkeling (1192-1300), Bruxelles, Paleis der Academieën (Verhandelingen van de Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, Klasse der Letteren, 117), 1985, et de nombreux articles de la même historienne.
7 J. Gilissen, La coutume, op. cit., p. 15. Pour un aperçu concis et clair de la diversité du droit médiéval, on consultera avec profit R. C. Van Caenegem, « Law in the Medieval World », Legal History Review, 49, 1981, p. 13-46.
8 M. Godelier, L’idéel et le matériel : pensée, économies, sociétés, Paris, Fayard, 1984.
9 J.-P. Genet, « La vérité et les vecteurs de l’idéel », dans id. (dir.), La vérité. Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (xiiie-xviie siècle), Actes de la conférence organisée à Rome en 2012 par SAS en collaboration avec l’École française de Rome, Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome (Le pouvoir symbolique en Occident [1300-1640], 2), 2015, p. 10-11, ainsi que les contributions de E. A. R. Brown, H. Millet, M. Barral-Baron et F. Mazel dans le même recueil.
10 Id., « Pouvoir symbolique, légitimation et genèse de l’État moderne », dans id. (dir.), La légitimité implicite, Actes des conférences organisées à Rome en 2010 et en 2011 par SAS en collaboration avec l’École française de Rome, Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome (Le pouvoir symbolique en Occident [1300-1640], 1), 2014, t. 1, p. 11 ; R. Cazelles, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, Librairie d’Argences, 1958 ; J.-P. Genet, « L’État moderne : un modèle opératoire ? », dans id. (dir.), L’État moderne : genèse, bilans et perspectives, Actes du colloque tenu au CNRS à Paris les 19 et 20 septembre 1989, Paris, Éd. du Centre national de la recherche scientifique, 1990, p. 261-281 ; id., W. Blockmans (dir.), The Origins of the Modern State in Europe, 13th to 18th Centuries, Oxford, Oxford University Press, 1995-2000, 7 vol.
11 J.-P. Genet, « La vérité et les vecteurs de l’idéel », art. cité, p. 37-39.
12 J.-P. Genet, « Introduction », dans id., I. E. Mineo (dir.), Marquer la prééminence sociale, Actes de la conférence organisée à Palerme en 2011 par SAS en collaboration avec l’École française de Rome et l’université de Palerme, Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome (Le pouvoir symbolique en Occident [1300-1640], 6), 2014, p. 14.
13 R. C. Van Caenegem, « Considerations on the Customary Law… », art. cité.
14 J.-P. Genet, « Pouvoir symbolique, légitimation… », art. cité, p. 13.
15 Par exemple W. Blockmans, « Princes conquérants et bourgeois calculateurs : le poids des réseaux urbains dans la formation des états », dans N. Bulst, J.-P. Genet (dir.), La ville, la bourgeoisie et la genèse de l’État moderne (xiie-xviiie siècles), Actes du colloque de Bielefeld (29 novembre-1er décembre 1985), Paris, Éd. du Centre national de la recherche scientifique, 1988, p. 167-181, et d’autres articles du même auteur.
16 C. Tilly, Coercion, Capital, and European States, AD 990-1990, Cambridge (Mass.), Blackwell, 1990, p. 99.
17 J.-P. Genet, « La vérité et les vecteurs de l’idéel », art. cité, p. 36.
18 Id., « Pouvoir symbolique, légitimation… », art. cité, p. 12.
19 J.-P. Genet, « Pouvoir symbolique, légitimation… », art. cité, p. 33.
20 Ibid., p. 35.
21 Ibid., p. 46.
22 Alpertus Mettensis, De diversitate temporum, lib. 2, c. 20, dans Alpertus van Metz, Gebeurtenissen van deze tijd & Een fragment over bisschop Diederik I van Metz. De diversitate temporum & Fragmentum de Deoderico primo episcopo Mettensi, éd. par H. Van Rij et A. Sapir Abulafia, Amsterdam, Verloren, 1980, p. 80-81 ; Guibertus Novigenti, Monodiae, lib. 3, c. 7, dans Autobiographie, éd. par E.-R. Labande, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 322.
23 W. Ullmann, Principles of Government and Politics in the Middle Ages, Londres, Methuen, 1961.
24 La littérature sur le rapport entre villes et princes en Flandre médiévale est abondante, voir pour une synthèse récente M. Boone, À la recherche d’une modernité civique : la société urbaine des anciens Pays-Bas au bas Moyen Âge, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, 2010.
25 S. Reynolds, « Communities and Legitimacy », dans J.-P. Genet (dir.), La légitimité implicite, op. cit., t. 2, p. 75-84 ; ead., Kingdoms and Communities in Western Europe 900-1300, Oxford, Clarendon Press, 1984.
26 W. Blockmans, « Les fondements de la légitimité politique des communes flamandes », dans J.-P. Genet (dir.), La légitimité implicite, op. cit., t. 2, p. 141-160.
27 S. Reynolds, Kingdoms and Communities…, op. cit.
28 O. Brunner, Land und Herrschaft : Grundfragen der territorialen Verfassungsgeschichte Oesterreichs im Mittelalter, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1973.
29 W. Blockmans, « Voracious States and Obstructing Cities : an Aspect of State Formation in Preindustrial Europe », Theory and Society, 18, 1989, p. 733-755.
30 Id., « Les fondements de la légitimité politique… », art. cité, p. 141.
31 Id., « La manipulation du consensus : systèmes de pouvoir à la fin du Moyen Âge », dans S. Gensini (dir.), Principi e città alla fine del Medioevo, Rome, Ministero per i beni culturali e ambientali, Ufficio centrale per i beni archivistici, 1996, p. 433-447.
32 Id., « Les fondements de la légitimité politique… », art. cité, p. 142.
33 Pour ces considérations historico-juridiques, nous nous fondons à nouveau en grande partie sur le travail de R. C. Van Caenegem.
34 O. von Gierke, Das deutsche Genossenschaftsrecht, Berlin, Weidmann, 1868-1881, 3 vol.
35 Pour la justice criminelle en Flandre médiévale, voir R. C. Van Caenegem, Geschiedenis van het strafrecht in Vlaanderen van de XIe tot de XIVe eeuw, Bruxelles, Koninklijke Vlaamse academie voor wetenschappen, letteren en schone kunsten van België, 1954.
36 Id., « Considerations on the Customary Law… », art. cité, p. 100 ; F.-L. Ganshof, « La Flandre », art. cité, p. 366-367 ; H. Platelle, « La violence et ses remèdes en Flandre au xie siècle », Sacris erudiri, 20, 1971, p. 101-173.
37 R. C. Van Caenegem, « Considerations on the Customary Law… », art. cité, p. 100.
38 Id., L. Milis, « Kritische uitgave van de “Grote Keure” van Filips van de Elzas, graaf van Vlaanderen, voor Gent en Brugge (1165-1177) », Bulletin de la Commission royale d’histoire/Handelingen van de Koninklijke Commissie voor Geschiedenis, 143/4, 1977, p. 207-257.
39 R. C. Van Caenegem, « L’État de droit dans la Flandre médiévale », dans B. Durand, L. Mayali, A. Gouron (dir.), Excerptiones iuris : Studies in Honor of André Gouron, Berkeley, University of California Press, 2000, p. 771.
40 T. Reuter, « Assembly Politics in Western Europe from the Eighth Century to the Twelfth », dans P. A. Linehan, J. L. Nelson (dir.), The Medieval World, Londres, Routledge, 2001, p. 432-450 ; Galbertus Notarius Brugensis, De multro, traditione, et occisione gloriosi Karoli, comitis Flandriarium, éd. par J. Rider, Turnhout, Brepols (Corpus Christianorum. Continuatio mediaevalis, 131), 1994 ; M. Boone, « “In den beginne was het woord” : de vroege groei van “parlementen” in de middeleeuwse vorstendommen der Nederlanden », Bijdragen en mededelingen betreffende de geschiedenis der Nederlanden, 120/3, 2005, p. 338-361.
41 Voir la contribution de W. Blockmans et les références qui y sont citées.
42 J. Dumolyn, J. Haemers, « Reclaiming the Common Sphere of the City : the Revival of the Bruges Commune in the Late Thirteenth Century », dans J.-P. Genet (dir.), La légitimité implicite, op. cit., t. 2, p. 161-188.
43 J. Dumolyn, « Guild Politics and Political Guilds in Fourteenth-Century Flanders », dans id. et al. (dir.), The Voices of the People in Late Medieval Europe : Communication and Popular Politics, Turnhout, Brepols (Studies in European Urban History, 33), 2014, p. 15-48, et V. Challet, J. Dumolyn et R. Oliva Herrer dans la présente série.
44 B. Scheller, « Das herrshaftsfremde Charisma der Coniuratio und seine Veralltäglichungen : Idealtypische Entwicklungspfade der mittelalterlichen Stadtverfassung in Max Webers “Stadt” », Historische Zeitschrift, 281, 2005, p. 307-335.
45 Voir les remarques à ce sujet formulées par D. Iogna-Prat, « L’Église, la ville et la morphologie de l’espace public (1200-1600) : une esquisse programmatique », dans P. Boucheron, J.-P. Genet (dir.), Marquer la ville : signes, traces, empreintes du pouvoir, xiiie-xvie siècle, Actes de la conférence organisée à Rome en 2009 par le LaMOP en collaboration avec l’École française de Rome, Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome (Le pouvoir symbolique en Occident [1300-1640], 8/Collection de l’École française de Rome, 485), 2014, p. 128-130.
46 J. Dumolyn, « Guild Politics and Political Guilds… », art. cité ; M. Boone, « La construction d’un républicanisme urbain : enjeux de la politique municipale dans les villes flamandes au bas Moyen Âge », dans D. Menjot, J.-L. Pinol (dir.), Enjeux et expressions de la politique municipale (xiie-xxe siècles), Actes de la 3e table ronde internationale du Centre de recherches historiques sur la ville, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 41-60 ; K. Schulz, « Die politische Zunft : eine die spätmittelalterliche Stadt prägende Institution ? », dans W. Ehbrecht (dir.), Verwaltung und Politik in Städten Mitteleuropas : Beiträge zu Verfassungsnorm und Verfassungswirklichkeit in altständischer Zeit, Cologne, Böhlau (Städteforschung. Reihe A. Darstellungen, 34), 1994, p. 1-20.
47 Voir en général M. Rubin, Corpus Christi : the Eucharist in Late Medieval Culture, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
48 W. Blockmans, « Les fondements de la légitimité politique… », art. cité, p. 159, parle de « la déconstruction graduelle par les communes flamandes des droits universels de l’Église et des droits souverains des princes ».
49 J.-P. Genet, « Introduction », dans C. Barralis et al. (dir.), Église et État, Église ou État ? Les clercs et la genèse de l’État moderne, Actes de la conférence organisée à Bourges en 2011 par SAS et l’université d’Orléans en l’honneur d’Hélène Millet, Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome (Le pouvoir symbolique en Occident [1300-1640], 10/Collection de l’École française de Rome, 485), 2014, p. 20.
50 J. Dhondt, « Les origines des états de Flandre », Standen en Landen/Anciens pays et assemblées d’états, 1, 1950, p. 22-27.
51 G. A. Wilson (dir.), A Companion to Henry of Ghent, Leyde, Brill, 2010.
52 J.-P. Genet, « La vérité et les vecteurs de l’idéel », art. cité, p. 14 ; H. Pirenne, « L’instruction des marchands au Moyen Âge », Annales d’histoire économique et sociale, 1, 1929, p. 13-28.
53 J. Gilissen, « Les légistes en Flandre aux xiiie et xive siècles », Bulletin de la Commission royale des anciennes lois et ordonnances de Belgique, 15, 1939, p. 117-231 ; J. De Smet, « Maître Nicolas de Biervliet, l’aîné : clerc des échevins de la ville de Bruges (première moitié du xiiie siècle-1293) », dans [anon.], Études d’histoire dédiées à la mémoire de Henri Pirenne par ses anciens élèves, Bruxelles, Nouvelle Société d’Éditions, p. 143-160 ; T. de Hemptinne, W. Prevenier, « Les actes urbains, témoins d’une conscience identitaire : instruments de décision politique et de contrôle social en Flandre, à Gand en particulier (xive-xve siècles) », Histoire urbaine, 35, 2012, p. 13-30.
54 R. C. Van Caenegem, Le droit romain en Belgique, Gand, Rijksuniversiteit Gent (Studia historica Gandensia, 52), 1966 ; J. Gilissen, La coutume, op. cit., p. 41 ; E. I. Strubbe, « De receptie in de Vlaamse rechtbanken van midden veertiende tot einde vijftiende eeuw », Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis, 29, 1961, p. 445-462 ; J. Gilissen, « Loi et coutume : quelques aspects de l’interpénétration des sources du droit dans l’ancien droit belge », Revue d’histoire du droit, 21, 1953, p. 257-296 ; R. C. Van Caenegem, « Coutumes et législation en Flandre aux xie et xiie siècles », dans [anon.], Les libertés urbaines et rurales du xie au xive siècle, Bruxelles, Pro Civitate, 1968, p. 245-279 ; J. Gilissen, « Codifications et projets de codification en Belgique au xixe siècle (1804-1914) », Revue belge d’histoire contemporaine/Belgisch tijdschrift voor nieuwste geschiedenis, 14/1-2, 1983, p. 203-285.
55 F. P. Van Oostrom, Maerlants wereld, Amsterdam, Prometheus, 1996.
56 W. Simons, Stad en apostolaat : de vestiging van de bedelorden in het graafschap Vlaanderen (ca. 1225-ca. 1350), Bruxelles, Koninklijke academie voor wetenschappen, letteren en schone kunsten van België, 1987.
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