1Pour les historiens du point de vue animal, les animaux non humains sont des fantômes que le chercheur tente de faire revivre grâce à une multitude et une originalité de sources historiques. Ceux qui pistent et travaillent sur les animaux sauvages vivants rencontrent eux aussi des fantômes, car la plupart des espèces ne se laissent pas voir, en particulier les grands carnivores et/ou les animaux particulièrement pourchassés.

2Le rapport à l’animal n’est pas évident en sciences humaines et sociales dont les discours et travaux portent plus souvent sur les humains à propos des animaux que sur les animaux dans leurs aspects concrets. Le biologique et l’écologique doivent demeurer le point de départ. Les géographes français s’intéressent aussi de plus en plus aux animaux non humains. Le rapprochement de la connaissance de leur point de vue ouvre des perspectives. Exceptées de rares tentatives, comme le travail pionnier, non poursuivi, d’Estienne Rodary¹ sur l’écologie du paysage du point de vue d’un lynx dans le Jura, ce champ n’a pas été exploré. Après le pistage grâce aux traces des animaux, c’est par la technique que des scientifiques tentent de se mettre à la place ou de vivre à côté des spécimens suivis pour reconstituer leur vie, leur parcours afin de mieux les connaître et de les incarner. Les outils du suivi scientifique sont en général maîtrisés par des biologistes et des biogéographes, les plus à même d’aborder ces méthodes relevant davantage des sciences naturelles. À ce titre, l’ouvrage de James Cheshire et Oliver Uberti², l’Atlas de la vie sauvage, sous titré Comment les nouvelles technologies permettent de suivre et de comprendre les déplacements des animaux, est novateur, car il donne à voir et comprendre une multitude de cas concrets et contextualisés. Cependant, à l’invitation de chercheurs en sciences humaines et sociales comme l’anthropologue Louis Liebenberg³ ou le philosophe Baptiste Morizot⁴, il s’agit aussi d’utiliser le pistage, fondateur de notre humanité, pour voir et pratiquer le territoire avec les yeux et les sens des animaux.

3Notre propos est de faire le bilan des techniques modernes de suivi (suivi télémétrique, GPS, pièges photographiques…) couplées à un pistage physique fondé sur les traces laissées par des animaux afin de dégager des individualités ou des groupes d’une espèce permettant d’appréhender des cultures spécifiques à certains territoires, une géodiversité⁵. D’un suivi visant la généralisation, est-il possible d’avoir une connaissance plus individuelle permettant de recontextualiser les efforts de protection ? En se fondant sur des expériences précises ou prospectives, notamment sur l’ours des Pyrénées ou le loup dans les Alpes, il s’agira donc d’aborder l’importance des individus (humains et non humains) dans le suivi d’une espèce. Ensuite, il est aussi nécessaire d’abandonner un suivi des espèces en général pour les replacer dans un territoire marqué et influencé par les éléments physiques biotiques et abiotiques (la végétation, la topographie) ainsi que par la présence humaine (infrastructures de transport, constructions bâties, milieux aménagés). Les frontières spatiales entre nature et sociétés humaines, aux limites plus floues que communément perçues, sont aussi questionnées dans un contexte où les humains et leurs activités sont jaugés, « espionnés » par les autres animaux sans que ceux-là en aient conscience la plupart du temps. C’est par une technique un peu « froide » que l’on arrive à y voir plus clair, mais il paraît nécessaire de « réchauffer » ces sources pour mieux les exploiter en sciences humaines et sociales. Plus qu’un nécessaire croisement des sources, il faudrait renouveler les points de vue et les approches. Ce propos prospectif ouvre sur des recherches, mais risque de rencontrer des limites qui seront explorées.

L’importance des individus dans le suivi de l’espèce

4Le suivi par trace est le moyen rudimentaire et premier pour connaître une espèce sauvage. Avant les progrès des techniques de suivi par télémétrie, balises Argos puis GPS, les premières avancées majeures sont toujours des histoires humaines faites de persévérance et d’abnégation. C’est le cas pour les grands carnivores comme l’ours et le loup qui sont particulièrement insaisissables. Il est intéressant d’aborder le cas des « diplomates », pour reprendre le terme de Baptiste Morizot⁶, à savoir des humains qui cherchent à mieux comprendre des animaux non humains en se rapprochent de leur appréhension du monde. Jean-Jacques Camarra, coresponsable du réseau Ours brun⁷ au sein de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), est pionnier dans le suivi de l’ours brun qu’il suit depuis 1976 dans les Pyrénées françaises. Il a mis au point des techniques de suivi indirect, car il ne pouvait pas capturer des individus pour les marquer. Il établit des fiches d’identité grâce aux empreintes relevées et arpente le Béarn afin de connaître la géographie des derniers ours, qui sont probablement moins d’une vingtaine quand il amorce le suivi. Avant d’intégrer l’ONCFS, il est un des premiers à mettre en place un suivi scientifique avec Claude Dendaletche et Gérard Caussimont, naturalistes pyrénéens. Jean-Jacques Camarra professionnalise peu à peu le suivi en rejoignant l’Office et la pénurie de moyens le pousse à l’innovation. Contrairement à ce qui commence à se développer en Amérique du Nord, il n’a aucun moyen technique, financier ou légal pour capturer des ours ni les identifier en les marquant. Selon une expertise extérieure d’un grand spécialiste américain de l’ours brun⁸, ce suivi indirect atteint les résultats les plus probants possible, malgré d’importantes limites. Rapidement, Jean-Jacques Camarra a mis au jour une pratique du territoire que les usagers locaux ignoraient⁹. Dans les premiers temps, il s’est beaucoup fondé sur les récits et témoignages d’éleveurs et chasseurs. Il s’est rendu compte d’une perte progressive de la mémoire de ces territoires et de la cohabitation avec l’espèce, recueillant même des histoires erronées. Il découvre, par exemple, des zones de tanières totalement ignorées des chasseurs.

5Plus à l’est, dans les Pyrénées centrales, un autre biologiste, Jean-Michel Parde, met au jour des cultures ursines spécifiques grâce aux traces laissées par les individus. Dans les années 1980, il découvre qu’une ourse accompagnée d’oursons entaille les résineux pour se nourrir de leur sève¹⁰. Il constate par la suite que seuls les descendants de cette femelle adoptent ce comportement. À l’époque, cela va dans le sens de recherches éthologiques innovantes, amorcées notamment à propos des macaques japonais, montrant la transmission d’habitudes relevant d’une culture chez des animaux non humains¹¹. Hélas, cette perspective de recherche s’éteint avec la disparition de cette population d’ours dans les années 1990. Dans les Pyrénées occidentales, Jean-Jacques Camarra va « personnifier » les ours suivis en donnant des prénoms à chaque individu, à un moment où les progrès du suivi scientifique amènent la plupart de ses homologues à donner des codes relevant de l’immatriculation. C’est lui qui prénomme des ours, un geste symbolisant leur protection, comme Cannelle, la dernière femelle de souche pyrénéenne abattue par un chasseur, ou encore Papillon, le dernier grand mâle pyrénéen probablement mort de vieillesse en 2004. Les progrès des analyses génétiques permettent à Jean-Jacques Camarra et au réseau Ours brun d’affiner les identifications et les liens de parenté des ours entre eux. Les outils modernes de suivi, complétant ou supplantant le pistage à la trace peuvent apporter une technicité froide, mais aussi leur lot de surprises. Les ours relâchés dans les Pyrénées centrales par la suite (1996, 1997, 2006, 2016) font l’objet d’un suivi plus classique aujourd’hui puisqu’ils sont équipés de colliers émetteurs, qui ne fonctionnent plus en 2018, à l’exception de celui de Goïat, le dernier ours lâché en Catalogne espagnole en 2016.

De la « froideur » scientifique » à la « chaleur » de la contextualisation : progrès du suivi et heuristique de la surprise

6La plupart des outils de suivi ont été développés par des biologistes de la conservation. Le travail synthétique de James Cheshire et Oliver Uberti¹² permet de « réchauffer » des outils réputés pour leur froideur scientifique. Nous tenterons de voir quels usages nous – géographes et chercheurs en sciences sociales – pouvons en faire et comment accompagner ce mouvement.

7Ces techniques nécessitent la capture et l’équipement d’un individu, voire parfois la recapture. Elles connaissent des améliorations rapides et permanentes (précisions, miniaturisation, capacité de mémoire de stockage de données et d’autonomie de batterie). Pour le suivi radio, largement utilisé depuis les années 1960, l’animal porte un émetteur d’ondes radio. Les chercheurs les détectent à l’aide d’une antenne ou d’un récepteur ; la puissance du signal permet de localiser ou de suivre l’animal. Les balises Argos, suivies par satellite, envoient en continu des messages à impulsions brèves. Au passage de l’un des six satellites Argos, il détecte ces émissions et localise alors la balise, à quelques centaines de mètres près. Enfin, il envoie ces données sur Terre pour traitement. Contrairement aux balises Argos, les capteurs GPS n’effectuent pas de transmissions. Ils enregistrent et stockent les localisations au mètre près à partir des signaux reçus d’au moins trois des trente satellites constituant le Global Positioning System. Les données doivent ensuite être récupérées manuellement. L’appareil peut être couplé à un dispositif de type GSM, comme un téléphone mobile capable d’envoyer des données par SMS. Les GPS consomment également plus de batteries que les balises Argos, ce qui diminue la vie des capteurs. Pour nombre de chercheurs, cet inconvénient est compensé par la finesse des détails qu’ils relèvent.

8L’ouvrage de James Cheshire et Oliver Uberti livre plusieurs exemples permettant de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ces suivis scientifiques. Avec le cas du blaireau, il montre l’évolution spectaculaire de la précision du suivi, transformant la perception que l’on pouvait avoir :

Pensez à tous les différents lieux où vous vous rendez dans la journée. Maintenant, imaginez que quelqu’un sait où vous êtes, mais à 11 heures seulement. C’est en quelque sorte tout ce que réussissait à faire le suivi animal voici quelques années. […] Aujourd’hui, l’augmentation de la fréquence des enregistrements des données et la possibilité de les moduler à distance rendent l’observation d’un animal possible à toute heure. Comme le montre le travail de Michael Noonan sur les blaireaux, plus les relevés sont fréquents, plus le suivi des déplacements d’un animal présente de l’intérêt¹³.

9James Cheshire et Oliver Uberti évoquent très concrètement des exemples montrant bien que, malgré la technicité mise en œuvre, les choses ne se passent pas de façon millimétrée avec le vivant. Entre 2011 et 2012, les autorités namibiennes transfèrent plus de cinquante girafes du parc national d’Etosha vers trois réserves naturelles. Six furent équipées d’un collier émetteur. La plupart s’installèrent rapidement dans leur nouveau territoire, mais l’une d’elles (OJ 1) franchit la clôture frontalière du Botswana et parcourut le pays pendant un mois avant de retourner en Namibie.

10Aux techniques de suivi radio ou, plus récemment, GPS, on peut ajouter l’usage du suivi indirect et non invasif de la capture-marquage-recapture. Un indice (poil, crotte) laissé par un individu et collecté (capture « virtuelle ») est identifié grâce à son ADN (le marquage) ; puis, si son ADN est retrouvé ailleurs, c’est ce qu’on appelle la recapture. Ours et loup ont réservé de belles surprises, non sans effets géopolitiques. Ce suivi, aussi indirect, utilisé par le réseau Loup de l’ONCFS en France, est très riche d’enseignements sur les distances parcourues. Un individu « capturé » dans les Pyrénées-Orientales l’avait été un an auparavant dans les Alpes. En 2006, une nouvelle zone de présence est identifiée en Lozère sur le plateau de l’Aubrac. Un des individus avait été repéré par ses indices dans le Queyras, dans les Alpes, en 2004¹⁴.

11En Europe, des loups équipés puis suivis par GPS offrent des cas encore plus étonnants quant aux distances parcourues. L’identification d’individus capturés physiquement permet non seulement l’apport de connaissances scientifiques mais donne aussi une dimension épique permettant de recontextualiser et de rendre rationnelle la colonisation d’une espèce au processus jugé suspect (suspicion systématique de lâchers clandestins). Présentons un cas en apparence extraordinaire, puis un autre donnant vie à des suppositions logiques. Slavc, ou Slavko, est un loup capturé en Slovénie par l’équipe de Hubert Potočnik de l’université de Ljubljana en 2011. Équipé d’un collier GPS et d’un système permettant de le localiser par SMS, il accomplit un périple de près de 2 000 km vers l’ouest et se retrouve dans la province de Vérone, en Italie¹⁵. Là, il fonde la première meute connue avec une louve d’une autre sous-espèce – Canis lupus italicus –, lui-même étant de la sous-espèce Canis lupus lupus. Ce loup devient célèbre, suivi à la fois par des scientifiques, des journalistes et un public de passionnés qui scrutent les évolutions et reproductions du nouveau couple mythique. Auparavant, un loup italien avait incarné la thèse du retour naturel de l’espèce en France. Au printemps 2004, Ligabue, ou M15, est renversé par une voiture non loin de Parme, en Italie du Nord. Équipé de la même technologie, il est relâché en Émilie une fois soigné. Après avoir tâtonné, l’animal file vers l’ouest, passe la frontière et se retrouve dans le Mercantour où il tente de s’installer en octobre-novembre 2004¹⁶. La controverse persistait – et persiste avec moins de virulence – autour de l’origine des loups en France. Les opposants avançaient l’hypothèse d’une réintroduction orchestrée par des écologistes et/ou le parc national du Mercantour, alors que les partisans du loup et les scientifiques avançaient celle du retour naturel en se fondant sur un faisceau de preuves (éthologie du loup, présence attestée de l’espèce dans le nord de l’Italie, analyse génétique rapprochant les populations de part et d’autre de la frontière). Ce loup venait simplement de donner vie à cette dernière hypothèse et était en mesure de clore le débat à lui seul, alors que ce n’était du tout le but initial de son suivi par GPS. Début 2005, il est retrouvé mort, vraisemblablement tué par une meute de loups déjà installée dans le Mercantour.

12L’ours dans les Pyrénées permet aussi de mettre au jour des déplacements aux conséquences nombreuses, non seulement biologiques mais aussi géopolitiques. C’est le cas de l’ours Néré, né dans les Pyrénées centrales de parents introduits de Slovénie. En raison des fortes tensions existantes en Béarn, à l’ouest des Pyrénées, le noyau autochtone de la population ursine n’avait pas pu faire l’objet de réintroductions pour sauver l’espèce. Un nouveau contexte politique les a en revanche rendues possibles dans les Pyrénées centrales, à Melles (Haute-Garonne montagnarde) en 1996 et 1997¹⁷. Deux femelles et un mâle sont lâchés, l’une des ourses donnant naissance, entre autres, à un mâle particulièrement mobile, même si les longs déplacements, voire des migrations, sont possibles pour les jeunes mâles en quête de femelles et de territoires. Surnommé Néré par l’équipe de suivi du réseau Ours brun, il entreprend un étonnant périple vers l’ouest et la zone des ours autochtones en parcourant près de 150 km en 2001. Son suivi direct et indirect permet de reconstituer des foyers successifs d’opposition à la protection de l’espèce qui se sont cristallisés dans les Pyrénées. Cet ours en est donc venu à incarner non seulement la jonction exceptionnelle entre les deux populations d’ours – celle d’origine à l’ouest et celle réintroduite à l’est –, mais aussi une mobilisation anti-ours qui avait d’abord un ancrage local (à l’échelle de la vallée, voire du département) puis qui s’est structurée à l’échelle du massif. Néré nous a d’ailleurs permis d’y voir plus clair dans ces mobilisations¹⁸. Pourtant, ce n’est qu’après coup que les différents acteurs et scientifiques ont compris qu’il s’agissait du même et unique ours, car il n’est pas aisé de se mettre à la place de l’animal quand il est suivi indirectement.

13En 2014, une expérience innovante a tenté de donner à voir ce que pouvait être un comportement d’ours du point de vue de l’animal. Dans le cadre d’une exposition sur l’ours en son sein, le muséum de Toulouse s’est associé au réalisateur animalier, journaliste scientifique et ancien grand reporter Michel Tonelli¹⁹, pour équiper une ourse sauvage de Slovénie (surnommée Tolosa) d’une caméra au niveau de son cou. Elle a stocké cinq minutes de tournage par heure et ce 12 heures par jour pendant un mois en octobre 2013. Plusieurs équipes de scientifiques et d’experts ont visionné et exploité les images²⁰, qui ont pu être retransmises au public lors de l’exposition du muséum de Toulouse d’octobre 2013 à juillet 2014. Les résultats sont étonnants. Les images permettent de voir le résultat de raisonnements complexes que le visionneur peut déduire en fonction de ce que regarde l’animal, comme ses stratégies pour cueillir des fruits, ou encore le ressenti de la peur du contact humain quand le regard de l’ours s’arrête quelques secondes devant une cabane avant de s’en détourner brutalement pour fuir ce qui semble lui rappeler une mauvaise expérience²¹. D’après les organisateurs de l’opération, cette expérience n’a pas révolutionné l’éthologie de l’ours brun, mais elle a pu donner une information la plus proche possible du point de vue d’une ourse. Ce projet innovant n’a pas été poursuivi, ce qui est peut-être dommage mais qui n’est pas sans questionner le coût personnel que doivent supporter ces animaux impliqués dans la recherche. Ces cas abordés constituent de précieux supports d’études et de réflexions, qui posent aussi des difficultés et des questionnements.

Difficultés et perspectives de ces suivis

14La première limite rencontrée, pour notre part, est qu’il s’agit de données de seconde main. Certes, nous sommes coutumiers du fait en sciences humaines et sociales et nos regards peuvent enrichir ces travaux, car nous ne voyons pas les mêmes choses que des biologistes de la conservation. Nous avons néanmoins tout intérêt à nous former à ces technologies et techniques de suivi et, surtout, à monter des programmes pluridisciplinaires donnant plus de places aux géographes, historiens, sociologues, philosophes, etc.

15Par ailleurs, cette utilisation technique, permettant de se positionner quasiment du point de vue de l’animal par des artefacts, se prête davantage à certaines espèces, notamment les plus grandes. De plus, des espèces sont particulièrement difficiles à piéger : c’est le cas du blaireau qui se fait prendre une fois et que les spécialistes ont le plus grand mal à recapturer si nécessaire. Ce point soulève des questions éthiques, celles de la capture de l’animal et de la modification de son allure ou, parfois, de son comportement en raison de l’équipement. Les technologies utilisées sont invasives, peuvent blesser l’animal, voire le tuer. Les émetteurs intra-abdominaux font particulièrement débat. Ils permettent un suivi de deux ans sans le risque du détachement propre au collier émetteur. Mais le décès d’une oursonne en 2014 incite à se poser des questions. Elle a été retrouvée seule dans le val d’Aran en avril 2014, sans sa mère et probablement condamnée puisque âgée de 3 mois. Il a été décidé de la placer dans un enclos en attendant son lâcher dans la nature. Les scientifiques du val d’Aran, en partenariat avec l’ONCFS dans le cadre du Groupe transfrontalier de suivi de l’ours dans les Pyrénées, ont équipé l’animal pesant 34,5 kilos, le 9 novembre 2014, d’un émetteur GPS de 60 grammes (collé sur le poil et avec une durée de vie limitée) et d’un VHF²² de 95 grammes (intra-abdominal) afin d’en assurer le suivi après le lâcher. Elle a été retrouvée morte le 20 novembre, l’autopsie ayant montré que le décès a résulté d’un traumatisme accidentel ayant rouvert les plaies liées à l’opération. Il est possible que cet événement ait pour conséquence de ne plus faire équiper de ce dispositif les ours prévus pour des lâchers éventuels.

16Enfin, en ce qui concerne les grands carnivores, en France, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, les autorités françaises et les associations de protection de la nature sont particulièrement réticentes à la capture d’espèces protégées posant des problèmes géopolitiques. Les associations de protection des animaux pointent, à juste titre, les risques liés à des captures pouvant mettre en danger les individus et donc des populations de carnivores qui ont de relativement faibles effectifs. À ce titre, par exemple, le Conseil national pour la protection de la nature (CNPN), instance consultative du ministère en charge de l’environnement, livrant son avis sur les politiques et projets environnementaux, a récemment refusé de donner son accord à un programme de l’ONCFS et de la Fédération des chasseurs du Jura qui voulaient capturer des lynx. L’objectif affiché du programme était de mieux comprendre les interactions entre le prédateur et ses proies (chevreuils, chamois). Les associations écologistes, qui dominent cette instance, ont aussi posé la question des arrière-pensées politiques d’un tel programme. Les chasseurs sont connus pour reprocher au lynx de trop prélever de proies sauvages ; ils sont alors soupçonnés de partialité, puisqu’ils chercheraient à démontrer une prédation excessive pouvant, à terme, justifier une de leurs demandes historiques, à savoir pouvoir chasser les lynx. Certes, cela peut relever du procès d’intention, mais il est évident que la portée politique de certaines espèces est importante à prendre en compte. Pour les grands carnivores, il y a en effet un précédent car, même si des instances comme l’ONCFS sont officiellement garantes d’une rigueur scientifique, cette administration n’en reste pas moins inféodée aux pouvoirs politiques, très sensibles aux revendications des chasseurs. Ainsi, le premier programme Prédateur-Proies²³, visant à étudier les relations entre le loup et ses proies, et qui impliquait l’ONCFS, le parc national du Mercantour et la Fédération des chasseurs des Alpes-Maritimes (2004-2013), a vraisemblablement été interrompu en raison de pressions émanant du pouvoir politique local et des chasseurs. Les résultats montraient que les loups n’avaient aucune incidence sur la démographie des espèces proies, contrairement aux hypothèses défendues par les chasseurs, partie intégrante et influente du programme.

17Toutes les espèces animales ne permettent pas des dispositifs de suivi permettant de « faire parler » les individualités, notamment si l’on pense aux insectes, aux batraciens ou aux oiseaux. Mais, même dans ces domaines, et chez les oiseaux par exemple, des individualités peuvent nous apprendre. Reste à savoir accéder à ces connaissances. Par ailleurs, quand il s’agit de travailler sur certaines espèces, des obstacles autres que techniques peuvent surgir, surtout si l’on se place dans une recherche contextualisée visant à pérenniser et protéger les animaux non humains en question. Les traitements infligés aux individus peuvent légitimement faire débat (sédation, capture, équipement). Les dimensions politiques et géopolitiques sont évidemment à prendre en compte. Cependant, ces difficultés, que l’on peut travailler à surmonter, ne doivent pas empêcher de poursuivre la réflexion, la recherche et l’action. Des projets de type ANR ou autres paraissent aujourd’hui indispensables.