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Aux sources de l’histoire animale

 | 
Éric Baratay

3. Médecine vétérinaire

Les derniers jours des condamnés

Retracer le vécu de bovins enragés à partir d’une revue vétérinaire de 1885

Nicolas Baron

Texte intégral

  • 1 Nicolas Baron, « La rage de Monsieur Chéri-Montigny et de son chien », Bulletin de la Société fra (...)
  • 2 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage. Observations recueillies sur 27 anim (...)

1Dans le dernier tiers du xixe siècle, la rage constitue une des préoccupations majeures des autorités sanitaires françaises. Le nombre d’animaux, voire d’hommes, enragés est alors relativement important1 et oblige les pouvoirs publics à mettre sur pied une surveillance et une législation spécifiques. C’est dans ce contexte rabique que paraît, en janvier 1885, un article de seize pages consacré à la rage bovine au sein du Recueil de médecine vétérinaire2. Il s’agit en fait d’une longue lettre écrite le 20 octobre 1884 par Ulysse-Alfred Ladague, vétérinaire à Mézières, et adressée à Henri Bouley, son ancien professeur à l’École d’Alfort et directeur de ce qui est alors la plus importante revue vétérinaire de la fin du xixe siècle. Ulysse-Alfred Ladague décrit un épisode de rage qui a touché vingt-sept bovins de la commune de Lumes (Ardennes) au cours de l’été 1884. Un tel document s’avère particulièrement précieux pour l’historien qui souhaite retracer le vécu des « bêtes à cornes » face à la rage en France à la fin du xixe siècle. Pour ce faire, il est nécessaire de se focaliser uniquement sur les éléments du texte qui informent de ce que vivent concrètement les animaux, en faisant donc abstraction des problématiques purement humaines. Le chercheur qui souhaite adopter ce positionnement zoocentré doit ainsi s’écarter de la structure de la lettre qui est habituelle dans les publications vétérinaires de cette époque (contamination, symptomatologie, incubation, lésions anatomiques, traitements) et élaborer un autre plan qui rende compte de la réalité, jour après jour, du vécu des animaux (conditions de l’agression, durée d’incubation, développement de troubles physiologiques et comportementaux, traitements subis, mort et devenir du cadavre). C’est seulement en décentrant son regard sur le document que l’historien est alors en mesure de reconstituer les derniers jours des bovins condamnés par la rage en 1884.

Vingt-sept bovins contaminés par un chien

  • 3 G. Bruno, Le tour de la France par deux enfants, Paris, Belin, 1878, p. 78.
  • 4 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 33.
  • 5 D’autres contaminations massives de bovins ont été rapportées aux xixe et xxe siècles. Parmi de n (...)
  • 6 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 38.
  • 7 Barbara Dufour et al., La rage, Lyon, Mérial, 2017, p. 8.

2La lettre du vétérinaire ardennais débute par le récit des circonstances dans lesquelles les bovins ont été contaminés par le virus rabique. Au début du mois de juillet 1884, il s’est rendu à Lumes, à la demande du maire de la commune, afin de réaliser l’autopsie d’un chien. Cet animal qui appartenait au pâtre communal venait d’être abattu pour suspicion de rage après s’en être pris à des bovins. Les « bêtes à cornes » mordues faisaient partie d’un troupeau collectif de quatre-vingts animaux appartenant à plusieurs propriétaires de la commune. La surveillance du groupe était confiée pendant la journée à un gardien, nommé localement « herdier », et à son chien, ce qui était alors une pratique fréquente3. Du 6 au 9 juillet 1884, les bovins ont été agressés régulièrement par le chien devenu inhabituellement agressif, le vétérinaire rapportant ainsi le fait que le « chien les mordait à chaque instant » et ce « sans qu’il y fut envoyé4 ». Au total, ce sont vingt-sept bovins sur les quatre-vingts animaux du troupeau qui ont été infectés par le virus rabique présent dans la salive du chien mordeur5. Les victimes bovines présentent des profils variés puisque l’on relève dix-neuf vaches, sept génisses et un taureau, âgés de 1 à 7 ans. Absent au moment des faits, le vétérinaire fait état de « sujets qui ont été mordus à la queue, au cou, aux membres antérieurs6 », mais il ne prend pas la peine de présenter les réactions des bovins face à leur agresseur. Cependant, les apports renouvelés de l’éthologie bovine et les informations fournies par d’autres sources concernant des attaques d’animaux enragés subies par des bovins permettent à l’historien d’émettre des hypothèses. Ainsi, dans ce troupeau communal à la composition disparate et aux origines diverses, donc où les liens entre animaux sont faibles, on peut postuler que les bovins se sont défendus individuellement. Les bovins ont certainement dû soit chercher à fuir devant les attaques du chien, ce qui est la réaction la plus fréquente des herbivores, soit faire face, cornes en avant, ce qui accroît le risque de contamination étant donné que la tête est particulièrement innervée et que le virus rabique circule par la voie nerveuse7.

  • 8 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 34.
  • 9 Ibid., p. 43.
  • 10 Pierre Linossier, Contribution à l’étude de la rage bovine en France en 1975. Vaccination spécifi (...)
  • 11 Michel Pépin et al., « Rage expérimentale des bovins : sensibilité, symptômes, réactions immunita (...)
  • 12 Jean Blancou, Claude Rueff, Louis Andral, « La salive des bovins enragés est-elle virulente ? », (...)
  • 13 Pierre Bugniet, « La rage des herbivores et le Congrès sanitaire du 25 octobre 1885 », Recueil de (...)

3Après avoir été contaminés par le virus rabique en raison de la morsure canine, les bovins entrent dans une période d’incubation. Cette période, variable, correspond à la durée de montée du virus par la voie nerveuse depuis le point d’inoculation jusqu’au système nerveux central où la rage se manifeste. La lettre montre bien que l’incubation est absolument asymptomatique chez l’animal mordu. En effet, Ulysse-Alfred Ladague rapporte que, quelques minutes encore avant de manifester les premiers signes de la maladie, le bovin était « bien portant, alerte, gai, mangeant comme ses camarades8 ». On peut toutefois nuancer cette description en avançant l’idée que, pendant quelques jours, les bovins ont dû ressentir physiquement les blessures infligées par l’animal malade. Le vétérinaire nous informe également que la durée d’incubation de la maladie est très inégale selon les individus. Bien que l’ensemble des vingt-sept victimes ait été mordu en quelques jours, le déclenchement de la maladie s’étale sur près de deux mois. Les premiers bovins meurent ainsi au début du mois d’août 1884, soit moins d’un mois après l’agression, tandis que les derniers succombent à la toute fin du mois de septembre 1884, soit environ soixante jours après les premiers et plus de onze semaines après la morsure9. Une telle différence concernant la durée d’incubation, ici du simple au triple, ce qui est fréquent dans les cas de contaminations multiples10, peut s’expliquer par la différence de quantité de virus inoculé, par les endroits des morsures ou par certaines caractéristiques individuelles des bovins mordus. Dans d’autres occasions, il a été constaté que certains états physiologiques, comme la gestation, pouvaient modifier le développement de la rage chez les mammifères11. On peut également s’interroger sur la possibilité d’une contamination entre les bovins, sachant que la salive des herbivores enragés est virulente12 et que des cas de transmission par morsure ou par dépôt de salive sur la nourriture ont été très exceptionnellement constatés13.

Des malades incurables

  • 14 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 35-36.
  • 15 Ibid., p. 37.
  • 16 Ibid., p. 38.
  • 17 Ibid., p. 39.
  • 18 Ibid.
  • 19 Claude Dardart, La rage bovine en France, thèse vétérinaire, École nationale vétérinaire d’Alfort (...)

4Un à trois mois après l’agression par le chien malade, les vingt-sept bovins ressentent les premiers symptômes de la rage. Celle-ci est, en fait, une encéphalomyélite, c’est-à-dire une inflammation du cerveau et de la moelle spinale, qui provoque des troubles très divers et se conclut inévitablement par la mort après quelques jours d’évolution. La maladie survient subitement alors même que le bovin était encore en excellente santé quelques minutes auparavant. L’animal manifeste tout d’abord de la nervosité et une hypersensibilité accompagnées d’une accélération des mouvements cardiorespiratoires et d’une nette hausse de la température, qui atteint 40 °C. À l’endroit de la morsure, le bovin souffre également d’un « prurit continuel », c’est-à-dire que le lieu de l’inoculation ne cesse de le démanger, ce qui contraint l’animal à se lécher, à se gratter ou à se frotter contre des objets14. Le deuxième jour, le bovin présente des troubles similaires avec quelques nuances. Ainsi, l’animal est un peu moins agité que la veille bien que ses « sens paraissent exaltés15 » au moindre bruit et sa boiterie est plus prononcée dans les cas de morsures à un membre. Le troisième jour, l’état de l’animal malade se dégrade : il est souvent couché ; les mouvements cardio-respiratoires et la température diminuent ; une paralysie touche d’abord la partie mordue puis elle gagne l’ensemble du corps en progressant de l’arrière vers l’avant ; l’animal beugle de façon forte et rauque surtout quand un chien s’approche de lui16. Le quatrième jour, et parfois le cinquième jour pour les animaux les plus résistants, l’état de l’animal devient désespéré : la paralysie quasi complète l’empêche de se lever ; son regard est éteint ; il souffre de vives douleurs coliques et ne semble plus vouloir manger ; de la bave coule de sa gueule, « claire comme de l’eau filante17 », en raison de la paralysie du larynx qui l’empêche de déglutir ; il beugle à la vue d’un chien ainsi que la nuit où il semble être en proie à une « hallucination18 » ; la sensibilité de sa colonne vertébrale disparaît et son dos se voûte exagérément ; les mouvements cardiorespiratoires sont très ralentis et la température peut descendre jusqu’à 33 °C. À aucun moment, l’article ne fait référence à une agressivité inhabituelle des bovins enragés bien que ce comportement anormal soit parfois observé dans d’autres cas19. S’ils n’ont pas été abattus avant, c’est lors de ces quatrième ou cinquième journées que les bovins enragés meurent.

  • 20 Joop Lensink, Hélène Leruste, L’observation du troupeau bovin, Paris, La France agricole, 2012, p (...)
  • 21 Edmond Nocard, Emmanuel Leclainche, Les maladies microbiennes des animaux, Paris, Masson, 1903 [3(...)
  • 22 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 34.
  • 23 Rosamund Young, La vie secrète des vaches, Paris, Stock, 2017.
  • 24 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 41-42.

5Les neuf pages de l’article dédiées aux symptômes endurés par les bovins malades sont d’une grande richesse et permettent donc de reconstituer, presque heure par heure, l’inéluctable dégradation de la santé de l’animal rabique. Le texte montre ainsi que la rage se manifeste de manière spectaculaire chez une espèce qui a tendance à montrer habituellement peu de signes extérieurs de souffrance afin de ne pas éveiller l’attention d’un possible prédateur20. Malgré ces apports, le texte néglige un peu la diversité des vécus animaux et ne présente que l’évolution d’un cas générique, qu’Ulysse-Alfred Ladague nomme « l’animal », « la vache » ou « le sujet », ce qui correspond aux usages des publications vétérinaires21. Il justifie cela en écrivant qu’il « serait trop long de faire l’histoire de chaque ruminant en particulier, ce qui du reste n’avancerait absolument à rien, tous ces animaux, à peu de choses près, ayant présenté les mêmes symptômes22 ». Pourtant, en tant qu’individus ayant chacun sa physiologie, son caractère et ses affinités23, les bovins n’ont pas dû manifester exactement les mêmes troubles. Le vétérinaire le reconnaît incidemment, en particulier quand il évoque le cas d’un taureau et d’une génisse ayant connu, après les premiers symptômes, une étonnante période de rémission d’un mois avant que la rage ne les emporte eux aussi24.

  • 25 Abdon Conte, Police sanitaire des animaux domestiques, Paris, Baillière, 1906, p. 10.
  • 26 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 34.
  • 27 Ibid., p. 33.
  • 28 Abdon Conte, Police sanitaire des animaux domestiques, op. cit., p. 3.
  • 29 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 36.
  • 30 Alain Boissy et al., Éthologie appliquée. Comportements animaux et humains, questions de société,(...)
  • 31 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 47.
  • 32 Ibid., p. 48.
  • 33 Valérie Paulmier et al., « Douleurs animales. 1. Les mécanismes. », Productions animales, 28/3, 2 (...)
  • 34 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 48.

6Pendant les quelques jours d’évolution de la maladie, les bovins enragés subissent une série de mesures qui ont une influence notable sur leurs conditions de vie mais sans aucun effet curatif. En tentant de soigner des animaux manifestement enragés, le vétérinaire semble prendre une certaine liberté, pour des raisons sans doute scientifiques, avec la loi du 21 juillet 1881 qui stipule pourtant que l’abattage « ne peut être différé sous aucun prétexte25 ». L’article laisse entendre, tout d’abord, que les animaux mordus par le chien mais dont la maladie ne s’est pas encore déclarée continuent d’être intégrés au troupeau communal. Le texte rapporte ainsi le fait que, lorsqu’un bovin montre les premiers signes de la rage au pâturage, le pâtre avertit la population en soufflant dans une trompette26. Quand l’animal présente ces symptômes inquiétants, il subit alors « la séquestration ou, tout au moins, l’isolement27 » ainsi que l’a établi la législation depuis la fin du xviiie siècle28. L’article ne précise pas les lieux où ils sont cantonnés, sans doute une partie de l’étable aménagée, mais il constate que l’animal mis à l’écart « ne paraît pas s’ennuyer après ses camarades » et que « leur départ de l’étable le laisse indifférent29 ». Le fait que les bovins ne semblent pas perturbés outre mesure par leur séparation du reste du troupeau, alors même qu’il s’agit d’une espèce sociale et grégaire au sein de laquelle existent des relations interindividuelles fortes30, montre que la rage modifie fortement le comportement des animaux atteints. Visitées régulièrement par le vétérinaire, les « bêtes à cornes » malades se voient alors administrer moult traitements au cours des quelques jours de la maladie : des saignées à la jugulaire, à la saphène, à la mammaire et à la queue ; des sinapismes (cataplasmes à base de moutarde) sous l’abdomen et aux membres ; des frictions d’essence ; des vésicatoires ; des purgatifs minoratifs ou drastiques ; des émollients et des excitants ; des injections hypodermiques de morphine associée à des lavements au chloral ; des boissons à base d’ail à raison de cent gousses par jour pendant trois jours31 ! Selon le vétérinaire, aucun de ces traitements n’apporte de « bons résultats32 » mais sans préciser si cela engendre des souffrances supplémentaires à ses patients. Pourtant, certaines substances peuvent être à l’origine de douleurs plus ou moins vives comme les vésicatoires qui provoquent des ampoules alors que la peau des bovins est particulièrement sensible, ceux-ci possédant en effet bien plus de nocicepteurs cutanés que les hommes33. Le seul soulagement évoqué pour les bovins vient de sacs trempés dans l’eau bouillante qui sont appliqués sur leurs reins, leurs côtes et leur croupe et qui apportent « réellement une diminution dans leurs souffrances34 » d’origine colique. Ce n’est toutefois que provisoire, car la mort emporte également les animaux ainsi soignés.

  • 35 Ibid., p. 41.
  • 36 Ibid., p. 39.
  • 37 Évelyne Robinot, Contribution à l’étude de la rage. Étude de l’évolution de la rage dans la Meuse (...)
  • 38 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 44.
  • 39 Ibid., p. 44-45.
  • 40 Ibid., p. 46-47. Depuis les travaux de Victor Galtier puis de Louis Pasteur, le lapin est devenu, (...)
  • 41 A. Conte, Police sanitaire des animaux domestiques, op. cit., p. 89-94.

7La rage provoque la mort des vingt-sept bovins, soit la totalité des animaux contaminés. Ulysse-Alfred Ladague précise que celle-ci survient le quatrième ou le cinquième jour après le déclenchement de la maladie et que le décès survient « sans provoquer d’agitation, sans secousse35 ». En réalité, il semble que plusieurs bovins enragés ne soient pas allés au bout de leur agonie et que les animaux aient été abattus, avant l’issue naturelle, à la demande des éleveurs apeurés ou apitoyés. Le vétérinaire précise ainsi qu’il a accédé à « la demande de certains habitants qui me priaient de bien vouloir faire tuer leurs animaux36 ». Concrètement, l’auteur de la lettre n’indique pas comment ni par qui les bovins ont été achevés. Dans les sources consultées pour des cas similaires, on constate généralement que c’est le fait de gendarmes, voire d’un chasseur, mais rarement du propriétaire et que, le plus souvent, les animaux sont tués au fusil d’une balle dans la tête37. Une fois morts, les bovins sont autopsiés par le vétérinaire « à l’atelier d’équarrissage ou à l’étable38 ». L’ouverture du cadavre est faite avec rigueur afin de recenser les lésions anatomiques qui prouveraient qu’il s’agit bien de la rage. Après avoir décrit l’état de divers organes (intestins, vessie, cœur, poumons, cerveau…), le vétérinaire insiste sur le fait, saillant dans les cas de rage, que la moelle spinale et l’encéphale sont congestionnés et ramollis39. Il nous apprend aussi qu’il a extrait diverses substances des corps autopsiés (sang, lait, larmes, bile, liquide céphalorachidien…), afin de pratiquer des tests d’inoculation sur des lapins, tests qui se sont révélés positifs ou négatifs selon les substances et les individus40. Si Ulysse-Alfred Ladague ne précise pas le devenir de ces cadavres, on peut toutefois penser que ceux-ci ont été enfouis profondément ou détruits soit par incinération, soit par un procédé chimique comme le prévoit la législation41.

Des sources vétérinaires riches mais imparfaites

  • 42 Bernard Toma, « Naissance, vie et mort des périodiques vétérinaires français », Bulletin de la So (...)

8Cet article paru dans le Recueil de médecine vétérinaire constitue un exemple de ce que peut apporter la presse vétérinaire aux historiens partis à la recherche du vécu animal dans une situation passée. Les revues professionnelles sont, en effet, une mine d’informations par les données statistiques qu’elles fournissent, par l’état qu’elles dressent de la réglementation nationale et par la précision des cas qui sont développés, souvent dans le cadre de débats entre spécialistes. Les historiens en quête de la santé des animaux au xixe siècle ont à leur disposition un certain nombre de périodiques écrits par et pour des vétérinaires42. Trois revues méritent un éclairage particulier en raison de leur durée de publication et de la qualité de leurs articles. Le Recueil de médecine vétérinaire dont nous venons d’étudier un article constitue sans doute la référence tant par sa durée de publication, de 1824 à 1999, que par la réputation de ses contributeurs et de ses directeurs souvent issus de l’École vétérinaire d’Alfort, comme Henri Bouley. Lié à la revue précédente, le Bulletin de la Société centrale de médecine vétérinaire a duré de 1847 à 1927 avant de devenir, en 1928, le Bulletin de l’Académie vétérinaire de France, qui existe toujours. L’actuelle Revue de médecine vétérinaire résulte, elle, de la fusion en 1937 de périodiques vétérinaires (le Journal de médecine vétérinaire et le Journal des vétérinaires du Midi) édités par les écoles vétérinaires de Lyon et de Toulouse depuis les années 1840. Les autres périodiques vétérinaires du xixe siècle se caractérisent par des durées de publication très courtes, généralement de quelques années, ou par une thématique très précise (presses syndicale, militaire, départementale…) et présentent donc un intérêt plus limité.

  • 43 Je remercie le vétérinaire et historien François Vallat pour la relecture de cet article.

9Comme l’étude de cette lettre l’a montré, les articles des périodiques vétérinaires du xixe siècle ne révèlent pas tout du vécu animal. Largement centrés sur l’étiologie, la symptomatologie et la thérapeutique, ils s’intéressent davantage à la maladie qu’à l’animal et développent une vision assez mécaniste des bêtes. Ces revues négligent de ce fait certains aspects de la condition de l’individu malade, en particulier ses réactions face à la souffrance ou aux traitements ainsi que l’évolution de ses conditions de vie et de ses relations avec les autres animaux et les humains. C’est pourquoi il est fort utile d’étudier d’autres documents pour mieux comprendre le sort des animaux face à la maladie dans le passé. Ainsi, les procès-verbaux de gendarmerie ou les rapports des maires ou des vétérinaires départementaux aux autorités préfectorales comportent bien souvent des informations très détaillées sur les circonstances de la contamination, sur les conditions de la séquestration ou sur les procédures de mise à mort. En croisant ces différentes sources et en les explicitant à l’aide des savoirs issus d’autres disciplines comme l’éthologie, l’historien est alors en mesure de reconstituer une partie importante du vécu animal à d’autres époques43.

Notes

1 Nicolas Baron, « La rage de Monsieur Chéri-Montigny et de son chien », Bulletin de la Société française d’histoire de la médecine et des sciences vétérinaires, 17, 2017, p. 59-69 ; Id., « Les bovins enragés en France (fin xviiie-fin xxe siècle) », communication au 141e colloque du CTHS « L’animal et l’homme », Rouen (11-16 avril 2016) [à paraître].

2 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage. Observations recueillies sur 27 animaux de l’espèce bovine », Recueil de médecine vétérinaire, 7e série, II/1, 15 janvier 1885, p. 32-48.

3 G. Bruno, Le tour de la France par deux enfants, Paris, Belin, 1878, p. 78.

4 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 33.

5 D’autres contaminations massives de bovins ont été rapportées aux xixe et xxe siècles. Parmi de nombreux exemples, on peut citer les seize bovins qui meurent enragés après avoir été mordus par le chien d’une ferme près de Melun (Louis Pasteur, Œuvres de Pasteur [réunies par Pasteur Vallery-Radot], Paris, Masson, 1933, t. 6, fascicule 2, p. 596), les onze bovins contaminés par un renard enragé dans une exploitation près de Metz en 1974 (Claude Rueff, Contribution à l’étude de la rage des bovins. Recherche sur la virulence de la salive, thèse vétérinaire, École nationale vétérinaire de Toulouse, 1976, p. 46) et même, ce qui est peut-être le record, les soixante-quatre bovins mordus par une louve enragée dans les Côtes-d’Armor en 1851 (Archives départementales des Côtes-d’Armor, 7 M 535).

6 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 38.

7 Barbara Dufour et al., La rage, Lyon, Mérial, 2017, p. 8.

8 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 34.

9 Ibid., p. 43.

10 Pierre Linossier, Contribution à l’étude de la rage bovine en France en 1975. Vaccination spécifique, thèse vétérinaire, École nationale vétérinaire de Lyon, 1975, p. 32.

11 Michel Pépin et al., « Rage expérimentale des bovins : sensibilité, symptômes, réactions immunitaires humorales, lésions et excrétion du virus », Annales de recherches vétérinaires, 15/3, 1984, p. 330-331.

12 Jean Blancou, Claude Rueff, Louis Andral, « La salive des bovins enragés est-elle virulente ? », Revue de médecine vétérinaire, 129, 1978, p. 895-905.

13 Pierre Bugniet, « La rage des herbivores et le Congrès sanitaire du 25 octobre 1885 », Recueil de médecine vétérinaire, série 7, 3/3, 1886, p. 117.

14 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 35-36.

15 Ibid., p. 37.

16 Ibid., p. 38.

17 Ibid., p. 39.

18 Ibid.

19 Claude Dardart, La rage bovine en France, thèse vétérinaire, École nationale vétérinaire d’Alfort, 1974, p. 34-35.

20 Joop Lensink, Hélène Leruste, L’observation du troupeau bovin, Paris, La France agricole, 2012, p. 19 ; Jan Hulsen, Signes de vaches. Connaître, observer et interpréter, Zutphen, Roodbont, 2009.

21 Edmond Nocard, Emmanuel Leclainche, Les maladies microbiennes des animaux, Paris, Masson, 1903 [3e éd.], p. 438-440.

22 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 34.

23 Rosamund Young, La vie secrète des vaches, Paris, Stock, 2017.

24 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 41-42.

25 Abdon Conte, Police sanitaire des animaux domestiques, Paris, Baillière, 1906, p. 10.

26 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 34.

27 Ibid., p. 33.

28 Abdon Conte, Police sanitaire des animaux domestiques, op. cit., p. 3.

29 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 36.

30 Alain Boissy et al., Éthologie appliquée. Comportements animaux et humains, questions de société, Versailles, Quæ, 2009, p. 67.

31 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 47.

32 Ibid., p. 48.

33 Valérie Paulmier et al., « Douleurs animales. 1. Les mécanismes. », Productions animales, 28/3, 2015, p. 217.

34 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 48.

35 Ibid., p. 41.

36 Ibid., p. 39.

37 Évelyne Robinot, Contribution à l’étude de la rage. Étude de l’évolution de la rage dans la Meuse et dans le cadre d’une clientèle meusienne, thèse vétérinaire, École nationale vétérinaire d’Alfort, 1979, p. 70 ; Archives départementales du Finistère, 5 M 62, Rage à Poullan et Beuzec-Cap-Sizun, 1815.

38 Ulysse-Alfred Ladague, « Contributions à l’étude de la rage… », art. cité, p. 44.

39 Ibid., p. 44-45.

40 Ibid., p. 46-47. Depuis les travaux de Victor Galtier puis de Louis Pasteur, le lapin est devenu, à son corps défendant, un animal de laboratoire essentiel dans les recherches sur la rage.

41 A. Conte, Police sanitaire des animaux domestiques, op. cit., p. 89-94.

42 Bernard Toma, « Naissance, vie et mort des périodiques vétérinaires français », Bulletin de la Société française d’histoire de la médecine et des sciences vétérinaires, 2, 2003, p. 24-76.

43 Je remercie le vétérinaire et historien François Vallat pour la relecture de cet article.

Auteur

Nicolas Baron, agrégé et doctorant en histoire, université de Lyon (UMR 5190-Larhra), chargé de cours à l’université de Bretagne occidentale, a publié « Être un ovin malade en Bas-Berry (fin xviiie-milieu xxe siècle) », Anthropozoologica, 50/2, 2015, p. 87-97 ; « Les animaux de Benjamin Rabier s’en vont en guerre », Revue de l’Académie du Centre, 2016, p. 153-161 ; « Les renards face à la rage (France 1968-1998) », dans Rémi Luglia (dir.), Sales bêtes ! Mauvaises herbes !, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 219-231.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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