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Aux sources de l’histoire animale

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Éric Baratay

1. Restes

1. Restes

Texte intégral

1Depuis quelques décennies déjà, les animaux du passé témoignent avec leurs ossements, interrogés par l’archéozoologie. On n’aura pas l’outrecuidance de revenir sur cette discipline lancée dans les années 1950-1960, bien constituée depuis, fournissant des apports fondamentaux pour le versant animal, qu’on ne trouve le plus souvent nulle part ailleurs. En effet, à côté de multiples informations sur les manières humaines d’élever, de tuer, de dépecer, de manger ces bêtes, elle livre aussi beaucoup sur les âges, les poids, les tailles, les problèmes de croissance ou de déformation osseuse, donc sur l’alimentation, les maladies et les traitements des animaux, même si tout cela est limité aux ossements des zones d’abattage, de sacrifice, de dépotoir, de combat, etc., donc aux bêtes entourant l’homme.

  • 1 Jérémy Clément, « Le droit et l’animal chez les Anciens : l’État, le cheval de guerre et le caval (...)

2Il reste que les historiens utilisent encore insuffisamment ces apports et que les deux disciplines ont plutôt tendance à livrer leurs résultats chacune dans son coin, en particulier pour les périodes récentes. Il y aurait à favoriser les échanges. Justement, à propos de la question concrète du cheval de guerre antique, Jérémy Clément, historien1, montre ce que l’histoire peut faire des vestiges osseux et de l’archéozoologie, en particulier en les croisant avec des sources plus habituelles pour les historiens, abordées précédemment, comme la littérature épique et des registres de la pratique quotidienne, chaque source nourrissant ou complétant les autres.

  • 2 Par exemple, Jean-Paul Aron, « Biologie, histoire et histoire de la biologie », Annales. Économie (...)
  • 3 Davis Chandler, « La sociobiologie et son explication de l’humanité », Annales. Économies, sociét (...)
  • 4 Parmi de nombreux articles en collaboration, « Metabit, an Integrative and Automated Metagenomic (...)

3Sans doute destinés à être encore plus importants dans l’avenir, un autre type de témoignage animal et une autre discipline arrivent sur le devant de la scène scientifique : l’ADN et la génétique. Après quelques essais de rencontre entre celle-ci et l’histoire dans les décennies 1960-19702, les ponts avaient été rompus, en partie parce que la génétique de l’époque croyait en un impérialisme mécanique des gènes, ce qui n’est plus le cas, en partie parce que les sciences humaines n’avaient plus voulu suivre pour préserver les dimensions sociale et culturelle face à la sociobiologie3. Cependant, depuis quelques années, le séquençage de plus en plus industriel et rapide des génomes d’un nombre croissant d’espèces incite les généticiens à se pencher sur l’histoire de celles-ci. L’un d’eux, Ludovic Orlando4, promoteur d’une innovante équipe de recherche sur le cheval, livre ici, à destination des non-spécialistes, une présentation très didactique de l’ADN et du génome, de leur intérêt majeur dans une perspective historique, des méthodes mises en œuvre et de leurs limites.

  • 5 Andràs Paldi, L’hérédité sans gènes, Paris, Le Pommier, 2009 [nouv. éd. L’épigénétique ou la nouv (...)

4L’apport de la génétique se révèle d’ores et déjà fondamental parce qu’elle livre des informations introuvables ailleurs, comme le fait que les chevaux de Przewalski ne sont pas les descendants d’ancêtres sauvages comme on le croyait, mais les rejetons ensauvagés de chevaux domestiqués, parce que l’ADN sédimentaire, répandu dans les sols avec la désagrégation finale des corps, permet de plus en plus de dépasser la nécessité d’ossements, c’est-à-dire de fouilles, donc d’élargir encore l’éventail des espèces, des lieux et des époques, enfin parce que l’épigénétique, en cours de constitution depuis une longue décennie5, représente une voie de réconciliation et de dialogue avec les sciences du culturel et du social.

5En effet, cette épigénétique montre que l’expression individuelle du génome est modulée par l’environnement, comme si celui-ci déterminait la partition épigénétique sur le clavier génétique. Or, cet environnement doit être considéré au sens large : environnement physique et naturel, environnement d’autres espèces (notamment l’homme pour les animaux domestiques et certaines dites sauvages), environnement social et culturel à l’intérieur de l’espèce en question. Cela veut dire que la modulation génétique change avec la variation des environnements, selon les lieux, les époques, les groupes, les individus, et qu’il y a donc là nécessité de faire appel à la géographie, l’écologie, l’histoire, la sociologie, l’ethnologie, l’éthologie, animales et humaines, pour établir, analyser et comprendre ces environnements et ces variations.

  • 6 Éric Baratay, Biographies animales. Des vies retrouvées, Paris, Seuil, 2017.

6À l’inverse, l’épigénétique peut expliquer des oscillations comportementales à moyen terme, mises en valeur par l’histoire, par exemple des chiens ou des chats aux xixe-xxe siècles6 ; des oscillations que l’éthologie évolutionniste a du mal à prendre en compte, analysant trop souvent les comportements individuels à court terme par les évolutions spécifiques à long terme. Ce serait encore plus intéressant si l’épigénétique parvenait à montrer une transmission sur plusieurs générations des modulations du génome, c’est-à-dire de l’épigénome, donc une hérédité de caractères acquis à un moment, mais sans modification du génome, sans prise en compte par l’évolution. Quelques faits incitent à penser qu’il pourrait en être ainsi, mais l’affaire est encore débattue entre généticiens. Ces adaptations à moyen terme s’expliqueraient alors par les transformations de l’environnement de l’espèce ou de certains de ses groupes ou de certains individus, c’est-à-dire par l’histoire. Un travail des historiens sur l’ADN ancien fourni par la génétique devient donc indispensable (comme les sciences sociales et culturelles du présent devraient l’entreprendre sur l’ADN récent), car ces sources génétiques sont comme des archives s’ouvrant.

Notes

1 Jérémy Clément, « Le droit et l’animal chez les Anciens : l’État, le cheval de guerre et le cavalier aux ive-iiie siècles av. J.-C. », dans Dominique Taurisson-Mouret, Éric de Mari (dir.), Ranger l’animal, l’impact environnemental de la norme en milieu contraint, II, Paris, Victoires Éditions, 2014, p. 86-99.

2 Par exemple, Jean-Paul Aron, « Biologie, histoire et histoire de la biologie », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 17/6, 1962, p. 1131-1136 ; Alain Bideau, Henri Plauchu, Albert Jacquard, « Démographie historique et génétique des populations », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 34/1, 1979, p. 85-105.

3 Davis Chandler, « La sociobiologie et son explication de l’humanité », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 36/4, 1981, p. 531-571.

4 Parmi de nombreux articles en collaboration, « Metabit, an Integrative and Automated Metagenomic Pipeline for Analysing Microbial Profiles from High-throughput Sequencing Shotgun Data », Molecular Ecology Ressources, 16/6, 2016, p. 1415-1427 ; « Fast, Accurate and Automatic Ancient Nucleosome and Methylation Maps with epiPALEOMIX », Molecular Biology and Evolution, 33/12, 2016, p. 3284-3298 ; « Spotted Phenotypes in Horses Lost Attractiveness in the Middle Ages », Scientific Reports, 6, 2016, no 38548.

5 Andràs Paldi, L’hérédité sans gènes, Paris, Le Pommier, 2009 [nouv. éd. L’épigénétique ou la nouvelle ère de l’hérédité, Paris, Le Pommier, 2018] ; Eva Jablonka, Marion D. Lamb, Evolution in Four Dimensions, Cambridge, MIT Press, 2014.

6 Éric Baratay, Biographies animales. Des vies retrouvées, Paris, Seuil, 2017.

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