Conclusion
Texte intégral
1La 15e journée doctorale de l’École doctorale d’archéologie de l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne (ED 112) avait pour thème l’alimentation et était intitulée : « À table ! De l’approvisionnement au dernier repas. Regards croisés sur l’archéologie de l’alimentation ». Initialement prévue le 27 mai 2020 dans les locaux de l’INHA, il avait été impossible de maintenir cette journée d’étude en raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19. Délocalisée dans la sphère du virtuel, elle s’est déroulée sur la journée du 27 novembre 2020 sous la modération de Soultana Maria Valamoti-Kapetanaki (professeure à l’université Aristote de Thessalonique, Laboratoire pour la recherche interdisciplinaire en Archéologie) et de Matthieu Le Bailly (maître de conférences à l’université de Franche-Comté, UMR 6249 Chrono-Environnement). Divisée en trois axes thématiques, cette journée a réuni onze communicant·es rattaché·es à sept universités différentes (françaises, sénégalaises et suisses) et issus de diverses disciplines : archéologie, art, histoire et anthropologie.
2Suivie par plus d’une centaine de personnes en visioconférence, cette journée a été un vif succès. En effet, l’objectif des journées doctorales de l’ED 112 est avant tout de donner l’opportunité aux doctorants de communiquer, puis d’échanger sur leur sujet au sein de discussions avec d’autres doctorants, mais également avec des enseignants et des chercheurs spécialistes des sujets mis à l’honneur durant les rencontres. Ces derniers sont l’occasion pour les communicants de recevoir conseils et critiques constructives, d’augmenter leur réseau de contacts dans leur domaine et de faire connaître leur recherche plus largement. C’est en ce sens que la journée doctorale 2020 s’est avérée être une réussite, puisque chercheurs, enseignants et post-doctorants se sont réunis en nombre pour y assister depuis leurs écrans et alimenter les conversations.
3Nous sommes ravis que neuf des communicants publient au sein de ce quinzième numéro du périodique Archéo.doct. Ceci permet de finaliser de la meilleure des manières l’aventure qui a été celle de l’organisation de cette journée dans ce contexte particulier.
4Avant de nous plonger dans les remarques finales de ce volume si riche, nous tenons à remercier tout particulièrement les modérateurs et les communicants pour leur participation enthousiaste à cette journée, ainsi que pour la qualité de leurs interventions. Nous remercions également Hélène Criaud-Nicolle pour toute l’aide qu’elle nous a apportée depuis le début de la préparation de ces rencontres, jusqu’aux relectures finales des articles. Merci à Jeanne-Lise Nédélec, graphiste, pour les designs qu’elle a mis à notre disposition. Nous sommes également reconnaissants envers l’École doctorale d’archéologie et le collège des Écoles doctorales de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour leur soutien financier. Enfin, merci aux relecteur·rices des contributions et aux directeurs·rices de thèse des communicant·es pour leurs relectures avisées et leurs conseils aux auteur·rices.
5Se nourrir est un besoin physiologique primaire dans la pyramide des besoins (Maslow, 1943). Cependant, le rapport de l’Homme à l’aliment va bien au-delà de la simple nécessité physique. Des questionnements sur les modes de production-consommation à ceux sur l’aspect social et symbolique du repas, les questions relatives à l’alimentation permettent d’appréhender bien des pans de notre société. Essentielle à la vie, la nourriture transcende le besoin physique pour devenir un élément fédérateur à forte charge symbolique. Le repas, conjonction de choix (des ingrédients, de leur mode de préparation, de leur agencement en un menu, de leur présentation), devient alors non seulement un moment pour se repaître, mais aussi une façon de structurer le temps (Twiss, 2019, p. 3), d’échanger entre convives ou d’afficher son appartenance à un groupe culturel ou une sphère économique et sociale (Hastorf, 2016, p. 68 ; Sánchez Romero, 2008, p. 26). Le produit consommé (Lannoy et al., 2002), la façon dont il est préparé et le contexte de consommation (Twiss, 2015) deviennent des objets d’études privilégiés pour nos disciplines de par cette multiplicité des rôles qu’ils adoptent dans les sociétés humaines.
6Les recherches menées sur l’alimentation regroupent la quasi-totalité des différents domaines en sciences humaines. En effet, archéologues, géographes, historiens, historiens de l’art, sociologues et philosophes peuvent être amenés à travailler sur cette question du rapport entre l’Homme et l’alimentation. Cette thématique se place donc au centre du paysage scientifique actuel en sciences humaines. Elle permet des discussions larges et pluridisciplinaires indispensables à l’avancement des recherches sur ce sujet.
7C’est dans cette optique que naît notre journée doctorale : permettre à des doctorants aux contextes de recherche et approches d’études très variés de se réunir et d’échanger sur une thématique fédératrice. Ainsi, les articles qui s’enchaînent dans ce volume s’étendent sur près de cinq mille ans d’histoire, sur quatre continents différents. De même, les approches et disciplines varient et offrent une vision du panel d’études large et riche – bien que non-exhaustif – permettant d’aborder l’histoire de l’alimentation dans sa diversité, au travers d’un regard véritablement transdisciplinaire.
8Ces problématiques sont envisagées ici par le biais de trois axes thématiques : les deux premiers ayant une succession logique par rapport au processus empirique de l’alimentation, depuis l’acquisition des denrées jusqu’à leur consommation ; le troisième étant légèrement détaché des deux autres dans une sphère sociale et symbolique.
9Ainsi, la première thématique concerne l’acquisition, la production et le stockage des denrées alimentaires. L’accès à sa nourriture est une question fondamentale pour toute société humaine. Ce volume traite dans un premier temps des stratégies de stockage et de conservation au cours de l’Âge du Bronze Récent en Grèce continentale, à travers l’exemple des jarres de stockage en céramique et leur étude morphométrique (Webb). Les notions d’acquisition et gestion des denrées propres à la consommation ont été abordées par le biais de deux études de cas très différentes. Le cas des châteaux de la fin du Moyen Âge dans le nord de l’Aquitaine a permis de mettre en exergue les pratiques alimentaires dominantes, et de mettre en relation alimentation et contexte économique (Viaut). Un exemple historique plus récent, le cas de l’approvisionnement des troupes militaires françaises en Égypte en 1956, a été l’occasion d’explorer les conséquences, sur un groupe humain, d’un accès limité à une nourriture par ailleurs peu variée (Mazauric).
10Le deuxième axe de discussion concerne la consommation même des aliments et les pratiques culinaires. Les autrices discutent largement des changements dans la préparation des aliments, notamment via l’exemple des modes de cuissons médiévaux dans le nord de la France (Chantran), mais également des choix faits pour se nourrir, à l’image de la place des plantes dans le régime alimentaire thuléen en Alaska (Mayeux), traduisant des contextes culturels précis, évoluant à travers le temps et l’espace, notamment en Méso-Amérique (Mancina). Ces différentes études mettent en exergue l’aspect culturel de la consommation alimentaire : ce que l’on mange et comment on le mange évolue d’une région à l’autre et à travers le temps, et constitue par ailleurs un élément autour duquel se construit l’appartenance d’un groupe humain à une sphère culturelle donnée. Elles usent de méthodologies variées et complémentaires, depuis les études techno-céramologiques et expérimentales jusqu’aux analyses archéobotaniques et archéoentomologiques, appliquées à des corpus riches composés de sources archéologiques, iconographiques et ethno-historiques.
11Enfin, la troisième problématique abordée ici discute largement des pratiques sociales et symboliques autour du repas et de l’aliment. Elle nous permet de dépasser la nourriture comme simple réponse à un besoin physiologique et d’aborder le repas comme un fait social structurant pour une société. Il est d’abord question de revisiter les théories anciennes sur certains symboles attribués aux domaines de l’alimentation et de les remettre en question à l’aide d’une étude méthodologique fiable. C’est tout l’enjeu du travail présenté sur les focacce en terre cuite découvertes dans le Latium à la fin du viie et au vie siècle av. J.-C. (Wall).
12La question de la relation entre les mondes des morts et des vivants est au cœur de nombreuses problématiques dont celle de l’alimentation et de l’utilisation de la céramique culinaire comme ponts symboliques entre ces mondes. Cette question est abordée ici à travers l’exemple emblématique de la nécropole de Thaj (nord-est de l’Arabie) à la période pré-islamique (Laguardia).
13Enfin, si, jusque-là, il était principalement question de nourriture physique ou réelle, produite, stockée, puis consommée de différentes manières et dans divers contextes, le dernier article du volume vient ouvrir la discussion vers une approche plus rare encore, celle de l’étude de la nourriture imprimée. En se fondant sur une lecture sociologique de données picturales variées, on comprend les rapports politiques et sociétaux entretenus entre les Hommes et la nourriture imprimée (Bonoron).
14La question de l’alimentation, bien qu’au centre des considérations des archéologues depuis les prémices de cette discipline, reste un sujet de recherche riche et en constante évolution. La multiplicité des approches présentées dans les différents articles démontre le potentiel des perspectives de recherche à l’heure de l’interdisciplinarité. La complémentarité de ces approches permet alors d’embrasser largement d’une part, et précisément d’autre part, toutes les questions liées aux denrées alimentaires, depuis leur acquisition jusqu’à leur consommation, en passant par leur connotation politique et leur importance symbolique. Il est alors possible de comprendre le rôle de l’alimentation qui, à un certain moment, dépasse le simple apport physiologique. Véritable enjeu économique et social, elle modèle autant qu’elle est modelée par les traditions et les identités culturelles.
Bibliographie
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Hastorf C., « The Practices of a Meal in Society », dans Id., The Social Archaeology of Food, New York, Cambridge University Press, 2016, , p. 55-80.
10.1017/9781316597590 :Lannoy S., Marinval P., Buléon A., Chiron H., Mejanelle PH., Pin S., Rech J., Tchapla A., « Étude de “pains/galettes” archéologiques français », Civilisations, 49/1-2, 2002, p. 119-160.
Maslow A., « A Theory of Human Motivation », Psychological Review, 50/4, 1943, p. 370-396.
10.1037/h0054346 :Sánchez Romero M., « El consumo de alimentos como estrategia social : Recetas para la construcción de la memoria y la creación de identidades », Cuadernos de Prehistoria y Arqueología de la Universidad de Granada, 18, p. 17-39.
Twiss K., « The Complexities of Home Cooking. Public Feasts and Private Meals inside the Çatalhöyük House », dans Pollock S. (éd.), Between Feasts and Daily Meals. Towards an Archaeology of Commensal Spaces, Berlin, Topoi, 2015, p. 63-85.
Twiss K., « What is Food, and Why do Archaeologists Study it? , dans Id., The Archaeology of Food: Identity, Politics and Ideology in the Prehistoric and Historic Past, New York, Cambridge University Press, 2019, p. 1-17.
10.1017/9781108670159 :Auteurs
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Paul Bacoup
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne UMR 7041 ArScAn, Protohistoire Égéenne
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Natacha Caurette
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 7041 ArScAn, Ethnologie Préhistorique
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Anne-Sophie Laurent
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 7041 ArScAn, VEPMO
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Astrid Marty
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8215 Trajectoires
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Appréhension et qualification des espaces au sein du site archéologique
Antoine Bourrouilh, Paris Pierre-Emmanuel et Nairusz Haidar Vela (dir.)
2016
Des vestiges aux sociétés
Regards croisés sur le passage des données archéologiques à la société sous-jacente
Jeanne Brancier, Caroline Rémeaud et Thibault Vallette (dir.)
2015
Matières premières et gestion des ressources
Sarra Ferjani, Amélie Le Bihan, Marylise Onfray et al. (dir.)
2014
Les images : regards sur les sociétés
Théophane Nicolas, Aurélie Salavert et Charlotte Leduc (dir.)
2011
Objets et symboles
De la culture matérielle à l’espace culturel
Laurent Dhennequin, Guillaume Gernez et Jessica Giraud (dir.)
2009
Révolutions
L’archéologie face aux renouvellements des sociétés
Clara Filet, Svenja Höltkemeier, Capucine Perriot et al. (dir.)
2017
Biais, hiatus et absences en archéologie
Elisa Caron-Laviolette, Nanouchka Matomou-Adzo, Clara Millot-Richard et al. (dir.)
2019
