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François Luchaire, un républicain au service de la République

 | 
Jeannette Bougrab
, 
Didier Maus

François Luchaire et les constitutions Textes de François Luchaire

Avant-propos de la deuxiѐme édition

Le conseil constitutionnel*

François Luchaire

Texte intégral

  • * Le Conseil constitutionnel, Paris, Economica, 1997.

1Ce nouvel – et plus important, – aspect du rôle du Conseil constitutionnel a très naturellement suscité beaucoup plus d’intérêt que le précédent non seulement chez les juristes mais aussi dans les milieux politiques et même dans l’opinion publique.

2Les ouvrages, les commentaires juridiques des décisions du Conseil et même les articles de presse se sont multipliés ; il convient de rendre hommage, certes à la jurisprudence du Conseil, mais aussi à la Doctrine et aux facultés de Droit qui désormais font de cette jurisprudence un élément essentiel des études juridiques.

3Mais la place du Conseil, son rôle, ses pouvoirs, ses décisions ont été discutées ; l’expression « Gouvernement des juges » a été utilisée, dans un sens critique car le Conseil n’a pas de responsabilité politique.

4Faut-il alors adresser à sa jurisprudence l’hymne que Baudelaire consacrait à la beauté : « Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien » ?

5Ceci permet d’expliquer dans quel esprit le présent ouvrage est rédigé.

6Il convient en effet de s’interroger sur le rôle du juriste, lorsqu’il enseigne ou qu’il écrit ; il diffère de celui qui juge et qui d’ailleurs n’est pas nécessairement un juriste.

7Le second se trouve devant un cas qu’il lui faut régler parfois : dans une atmosphère assez passionnée et sous les yeux de l’opinion publique ; sur sa décision – surtout lorsqu’elle concerne la Constitution – la conjoncture politique économique ou sociale pèse d’un grand poids, même s’il fait effort pour s’en abstraire ; le juge est porté à ne considérer que le cas qui lui est soumis et les conséquences immédiates de la décision qu’il va prendre.

8Pour le premier au contraire chaque affaire fait partie d’un ensemble ; ce qu’il cherche à dégager c’est une ligne générale dont il admet mal que le juge s’écarte selon les circonstances ; cette différence d’optique est d’autant plus certaine que la décision juridictionnelle est une œuvre collective et peut être le fruit d’un compromis entre des hommes ou des femmes interprétant différemment les textes ou principes qu’ils appliquent ; l’auteur d’un livre est au contraire seul devant son ouvrage ; une jurisprudence peut aller en zigzag, l’auteur ne le peut pas ou ne le veut pas ; il se fixe une ligne directrice dont il ne s’écarte pas.

9L’un et l’autre doivent cependant faire preuve de modestie et se comprendre mutuellement ; le juge doit admettre que l’auteur critique ses contradictions, ses revirements, ses retours en arrière et l’invite en même temps à mieux respecter le droit et à voir plus loin que la conjoncture précise dans laquelle il décide ; l’auteur de son côté doit admettre que la ligne droite n’est pas nécessairement la meilleure, qu’il ne peut tout prévoir et que les circonstances nouvelles justifient des changements de jurisprudence.

10Cet ouvrage ne se limite donc pas à un exposé des textes et de la jurisprudence ; l’auteur s’est fixé une ligne directrice qui est la raison d’être de son engagement de juriste ; elle consiste à assurer le progrès du droit grâce à deux principes qui sont les suivants :

  • respecter la hiérarchie des normes ; droit international, Constitution, lois organiques, lois ordinaires, décrets... etc. ;
  • inciter le juge à utiliser – et si besoin même à inventer – les mécanismes juridictionnels garantissant à tous le respect du droit et de cette hiérarchie.

11Cela n’a rien d’original – dira-t-on – et vaut pour toutes les disciplines juridiques : cependant la décision du juge constitutionnel présente par rapport à celle des autres juges une différence – sinon de nature du moins de degré – ; bien des jugements ont des conséquences, non de droit mais de fait, qui dépassent l’affaire qui les ont provoqués ; lorsque la Cour de cassation accentue ou réduit la protection des délégués syndicaux c’est toute l’action du syndicalisme qui se trouve concernée ; or presque toutes les décisions du juge constitutionnel limitent ou élargissent, dans l’immédiat et surtout pour l’avenir, les pouvoirs des organes de l’État, les droits ou les libertés de l’individu.

12Il doit donc, plus encore que tout autre juge, voir au-delà du cas précis qui lui est soumis et peser toutes les conséquences non pas seulement de sa décision mais du principe ou de la règle qu’il dégage.

13Il convient donc d’aller plus loin que les textes et les décisions du juge ; cet ouvrage d’une part voudrait en prévoir l’application aux cas qui ne se sont pas encore présentés ; d’autre part et surtout il se voudrait critique à l’égard des textes ou des décisions qui s’écartent de la ligne directrice et des deux principes qui viennent d’être soulignés.

14Tout juge donne de son pays une bonne image en rendant une bonne justice ; mais la mission du juge constitutionnel est encore plus haute : en assurant le respect de la Constitution, en protégeant les droits et les libertés de la personne humaine en toute circonstance, même et surtout contre le législateur, il fait du peuple, au nom duquel il se prononce, un exemple pour le reste du monde.

Notes de fin

* Le Conseil constitutionnel, Paris, Economica, 1997.

© Éditions de la Sorbonne, 2005

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