1Le professeur François Luchaire mérite l’infinie reconnaissance des professions libérales de France : il a été l’artisan de leur légitimité.

2De tous temps, l’expression avait fait partie du langage courant. Mais elle ne désignait rien de juridiquement précis. Ce mot de « libéral », chargé d’équivoque économique ou politique, conduisait les esprits vers des concepts vagues et le plus souvent peu flatteurs.

3Aux yeux des générations de la fin du siècle dernier et du début de celui-ci, la profession libérale appelait l’image du dilettante, du bourgeois nanti, du fils de famille noceur et du fraudeur fiscal. Labiche, Balzac, Maupassant, Courteline, Fiers et Caillavet, Sacha Guitry, miroirs de leurs temps, fourmillent de ces personnages falots et séduisants.

4Certes, se dégageaient de cette image toute faite des figures dont personne ne discutait le prestige, médecins, avocats, architectes de génie et de caractère. Mais la connotation entre leur personnalité et leur mode d’exercice professionnel ne s’établissait jamais. Labori, défenseur de Dreyfus, le docteur Blanche, psychiatre des vedettes, Niemeyer, inventeur de Brasilia, tenaient leur célébrité – fort légitimement – de leur talent et de leur profil personnel. Personne ne se demandait si l’un et l’autre étaient stimulés par leur statut professionnel.

5Et pourtant chacun d’eux, plus ou moins confusément, était conscient de la part que le caractère libéral de leur exercice tenait dans leur démarche professionnelle.

6Puis, dans le troisième tiers de ce siècle, une évolution s’amorça.

7 Sous la pression des pesanteurs économiques, de la Sécurité sociale pour les professions médicales, des charges fiscales chaque jour plus écrasantes, de la montée en puissance de la fonction publique et de son omniprésence à tous les niveaux, chaque profession libérale réagit en mettant en place – à côté de sa structure ordinale lorsque celle-ci existait – une action syndicale forte et apte à lutter, en dehors de toute connotation politique, contre les entreprises du pouvoir.

8Ainsi naquirent la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), l’Union des syndicats français d’architectes (UNSFA), la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD), l’Institut français des experts comptables (IFCC) et bien d’autres. Chez les avocats, le mouvement avait commencé depuis longtemps : c’est en effet en 1921 que l’Association nationale des avocats (ANA) devait voir le jour, participer depuis lors à toutes les grandes réformes du barreau français et en être bien souvent l’initiateur.

9Mais, dans le même temps, un congrès de l’ANA, en 1973, à Versailles – et qui portait le titre provocateur « Le défi de la profession libérale » – fut sans doute le catalyseur d’une évolution plus « globale », les diverses professions en apparence hétérogènes – (qu’y a-t-il de plus différent qu’un notaire et un kinésithérapeute, qu’un expert comptable et un vétérinaire, qu’un géomètre et un pharmacien ?) – s’apercevant qu’elles menaient en réalité le même combat, au nom des mêmes valeurs.

10Un combat, certes, pour une meilleure condition fiscale et sociale, et pour des « intérêts » propres.

11Mais au-delà, un combat pour la sauvegarde de leur mode d’exercice : pour le maintien de leur indépendance professionnelle, de leur responsabilité, de leur éthique et de leur déontologie spécifique.

12De là à prendre conscience de ce que, finalement, les démarches – au-delà des hétérogénéités apparentes – étaient les mêmes, que les valeurs revendiquées étaient semblables et que, par suite, au niveau de l’essentiel, le combat était commun, il n’y avait qu’un pas.

13Et de là à se rapprocher – voire à s’unir – pour mener ensemble ce combat-là : il n’y avait qu’un autre pas.

14L’un et l’autre furent franchis en 1977 lorsque les organisations syndicales des professions juridiques, médicales et techniques se rassemblèrent pour créer l’Union nationale des associations de professions liberales (UNAPL).

15Celle-ci, à peine née, entama sa vie syndicale.

16Elle affirma sa présence auprès des pouvoirs publics ; elle se battit pour l’équité fiscale et sociale, pour la défense des structures ordinales, pour la promotion de l’évolution des professions, notamment en vue de l’exercice en groupe – mais, dans le même temps, pour la sauvegarde des valeurs qu’elles représentent, et plus spécialement de leur indépendance.

17 Dans le même temps, l’UNAPL – que de très nombreux syndicats, venus des horizons les plus divers (comme les graphologues, les interprètes ou les orthophonistes), avaient rejoint – imposait sa représentativité.

18Elle le faisait de manière spectaculaire en organisant, en 1979, un congrès national – le premier du genre – intitulé : « La profession libérale : un combat pour l’Homme » – qui réunissait près de 1 000 personnes et dont la presse, en première page, a pu dire qu’il était le « coup de sang des professions libérales ».

19Ou en faisant – là encore pour la première fois de leur histoire – descendre dans la rue les professionnels de toutes disciplines (même ceux, comme les notaires ou les experts-comptables, que l’on s’attendait le moins à voir dans cette aventure !) pour manifester leurs revendications et donner l’image de leur détermination et de leur unité.

20Ainsi les professions libérales prenaient-elles peu à peu conscience de ce qu’elles représentaient autre chose qu’une juxtaposition de métiers aux affinités voisines, et de ce que, en vérité, elles constituaient un véritable secteur socio-économique « à part entière » avec son « profil », ses droits, mais aussi ses devoirs – et surtout, son rôle, sa fonction spécifique dans la société moderne.

21Dès cet instant, l’UNAPL devenait, elle aussi, bien autre chose qu’un regroupement de syndicats revendicatifs : un véritable « partenaire social », porte-parole et défenseur d’un secteur économique finalement aussi important, numériquement, que celui des agriculteurs, et investi d’une fonction sociale spécifique auprès de l’homme de notre temps.

22Cette fonction sociale, dont les professions libérales prenaient ainsi conscience, il fallait la définir et lui donner sa légitimité.

23Ce fut l’œuvre de François Luchaire.

24Au nombre des combats menés par l’UNAPL figurait – (figure toujours) – la lutte contre la concurrence déloyale des services publics.

25Toutes les professions libérales – là encore, en dépit des diversités apparentes, ce qui en disait long sur la profondeur du phénomène – avaient à se plaindre des entreprises dont elles étaient les victimes dans ce domaine : droit pour les Préfets de recevoir des actes immobiliers au préjudice du notariat, fonctions « accessoires » des agents des Ponts et Chaussées et du Génie rural au détriment des architectes et des géomètres, centres de formalités des entreprises, scandale des fonctionnaires du Trésor placiers en assurance, etc.

26En 1980, UNAPL avait rendu public un « livre blanc » intitulé À armes inégales, qui dénonçait ces irritantes anomalies qui, jusque-là, s’étaient heurtées à la célèbre pesanteur de l’Administration.

27Elle avait placé en exergue de ce document un texte qu’elle estimait foulé aux pieds : celui de l’article 8 de l’ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959, relative au statut de la fonction publique, et aux termes duquel « il est interdit à tout fonctionnaire d’exercer à titre professionnel une activité lucrative de quelque nature qu’elle soit... »

28Or, en 1982, Pierre Mauroy – alors Premier ministre – entendait reprendre l’idée d’une mission d’étude portant sur les rapports entre les services publics et les professions libérales.

29Et il décidait de le confier à monsieur le professeur François Luchaire.

30Les professionnels libéraux rêvent quelque peu en relisant la lettre de mission qui lui fut envoyée le 15 mars 1982, eny retrouvant cette phrase que – naïts qu’ils étaient – ils croyaient porteuse d’espoir :

« Au moment où le secteur public connaît l’extension décidée par le Parlement et le Gouvernement, celui-ci tient à ce que soient nettement affirmées et garanties l’indépendance et la liberté des professions libérales. »

31Le 19 septembre 1983, le Rapport Luchaire était rendu public.

32À la suite d’investigations approfondies, à la lumière du génie de l’un des plus grands publicistes de notre temps, les professions libérales cessaient d’être un pluriel, pour devenir un singulier.

33Pour la première fois, sauf erreur dans un document public, « la » profession libérale se trouvait traitée comme un secteur socio-économique spécifique.

34À propos de la concurrence entre ce groupe et la fonction publique, et sans s’attacher à une définition précise du premier – considéré comme une « donnée » sociale, le rapport délimite avec soin les frontières entre lui et la seconde, ainsi que la légitimité à ses yeux de l’intervention de celle-ci dans le domaine de celui-là.

35François Luchaire estime que cette intervention est légitime en cas d’insuffisance de l’institution privée ou d’intérêt social, ou encore lorsqu’il s’agit d’une mission traditionnelle de la puissance publique – comme par exemple en matière hospitalière.

36En revanche, il n’hésite pas – avec un courage auquel on doit rendre hommage – à dénoncer l’intervention publique lorsqu’elle a pour objet, soit d’apporter un complément de rémunération à des agents publics, soit de supprimer certaines garanties offertes par les prestations des praticiens libéraux, soit – de façon plus générale – de réduire sensiblement les possibilités ouvertes à ces mêmes praticiens.

37Enfin, sans suivre de manière totale la revendication majeure de l’UNAPL selon laquelle la présence de ce nouveau partenaire social impose la création d’un secrétariat d’État aux professions libérales, le Rapport Luchaire concluait à l’opportunité de mise en place, auprès du Premier ministre, d’une Délégation aux professions libérales, assistée d’une commission de concertation qui rassemblerait des représentants du gouvernement et des organisations les plus représentatives des professions intéressées.

38 Et le document s’achevait par une prise de position qui, jusque-là, n’avait – semble-t-il – jamais été exprimée, savoir : « L’affirmation de l’intérêt pour la société française de l’exercice libéral des sociétés concernée. »

39François Luchaire devait être entendu par les pouvoirs publics.

40Le 2 juin 983 paraissait un décret n° 83 445 relatif à la coordination de l’action à l’égard des professions libérales, créant – auprès du Premier ministre – un délégué interministériel aux professions libérales, assisté d’un représentant de chacun des ministres directement concernés par l’activité d’une ou de plusieurs professions libérales, et d’une commission permanente composée paritairement des représentants des administrations et de ceux des professions.

41L’article 7 du décret fixe la compétence de cette commission, savoir : l’examen de « toute question intéressant les professions libérales ».

42De même, l’article 2 précise que « le délégué interministériel est tenu au courant de tout projet relatif aux professions libérales ».

43En application de ce texte, François Luchaire lui-même devait être désigné comme le premier « délégué interministériel aux professions libérales ». Dans la lettre de mission qu’il lui adressait le 25 juin 1983, Pierre Mauroy, Premier ministre, tenait à souligner que « l’institution de la délégation interministérielle aux professions libérales consacre l’importance que le gouvernement attache à ce secteur d’activités ».

44Ainsi, le professeur Luchaire allait-il devenir l’interlocuteur privilégié des professions libérales, leur porte-parole, leur recours.

45Il allait conduire cette mission délicate avec une autorité, une compréhension et une hauteur de vue dont chacun devait lui rendre hommage et continue de le faire.

46Grâce à lui, la consécration et la légitimité de ce nouveau partenaire étaient acquises et désormais irréversibles.

47De fait, lorsque, le 22 septembre 1983, le Premier ministre installa la commission de concertation, il rappela cette formule du Président François Mitterrand qui, parlant de l’Administration, déclarait : « Il faut freiner cette tendance naturelle à répondre à toutes les aspirations ou à combler tous les vides. Dans certaines circonstances, l’État doit savoir s’effacer. »

48On ne saurait mieux définir ce que doit être, dans un État moderne, la fonction sociale des professions libérales.

49L’équivoque – et la difficulté – viennent de ce que celles-ci – qu’il s’agisse de la santé, de la justice, du patrimoine ou de l’environnement – assument une mission de « service public », mais qu’il faut se garder de confondre avec la « fonction publique ».

50La spécificité de la profession libérale est le caractère indépendant de l’acte professionnel, avec les traits essentiels qui en sont le corollaire : le libre choix réciproque du professionnel et de l’usager, la responsabilité individuelle, le secret – et sans doute aussi le statut ou, en tous cas, la déontologie et l’éthique.

51Il faut comprendre que ces concepts et l’acharnement avec lequel les professionnels les défendent et les revendiquent, ne sont pas le résultat d’un attachement à une tradition ni à une sorte de confort personnel et corporatiste – comme le pensent encore trop d’esprits abusés par les « idées reçues ».

52Ils sont d’une part, la condition proprement « technique » de la qualité de cette prestation particulière que dispensent les professions libérales. Mais ils sont aussi l’expression d’une liberté individuelle fondamentale de l’homme.

53Puis-je, en effet, « me remettre entre les mains » – selon l’expression consacrée – d’un médecin ou d’un avocat, si je n’ai pas pu le choisir librement – si je n’ai pas la certitude que l’assistance qu’il m’apportera ne sera téléguidée – fût-ce à son insu – par personne et qu’il gardera pour lui seul les secrets et les misères que je lui relaterai. La confiance totale que je lui dois – et, par suite, l’efficacité technique de son intervention – sont à ce prix.

54Mais il s’agit aussi de ma liberté. J’ai le droit de bénéficier d’un conseil compétent – mais aussi librement choisi, indépendant et secret – et ceci, quelle que soit ma condition sociale et économique, et même si je suis atteint d’un mal dangereux pour la société, et même si je suis un criminel.

55Ce n’est donc qu’à la condition de répondre à ces critères que la profession libérale remplira la mission sociale qui est la sienne et le rôle de « contre-pouvoir » qui en fait un rempart contre les menaces de tyrannie qui pèsent sur la société.

56Mais si l’on veut que cette mission soit menée à bien, il faut que les critères qui le permettent soient respectés. Et il est du devoir des gouvernements soucieux des libertés d’y veiller. Et s’il est des circonstances où l’État doit « savoir s’effacer », c’est bien celle-là.

57Or, la fonction publique – structurellement – est tout le contraire de la profession libérale ; elle obéit à des critères inverses : elle est fondée sur la dépendance – le pouvoir hiérarchique – la responsabilité collective, la transparence, l’interdépendance des services et l’absence de libre choix.

58Autant l’une s’adresse à l’individu, autant l’autre a vocation de concerner la collectivité ; autant d’un côté, on trouve le principe du « coup par coup », autant de l’autre, on procède par réglementation générale. Autant ici, on respecte une déontologie – par exemple, en matière de publicité – autant là, on n’y est pas tenu.

59On pourrait donc penser que l’Administration et la profession libérale sont – et doivent demeurer – deux entités rigoureusement étanches l’une par rapport à l’autre, dès l’instant où elles obéissent à des motivations différentes et remplissent, dans la société, deux fonctions sociales rigoureusement séparées, si ce n’est même parfois contradictoires.

60 Et de fait, cette conclusion serait totalement exacte si l’Administration – et le pouvoir exécutif dont elle est l’émanation – n’avaient pas dans leur mission de veiller à l’intérêt public – étant acquis que la santé, la défense, l’environnement, voire l’assistance de l’individu en toutes matières, ressortissent de cet intérêt.

61De ces considérations résultent deux conséquences.

62La première est qu’il appartient au pouvoir exécutil et à l’Administration de veiller à ce que la profession libérale puisse exercer sa fonction « d’intérêt public » dans les meilleures conditions possibles d’indépendance, de responsabilité, de moralité, de compétence, de secret – puisque, comme dit ci-dessus, c’est à cette seule condition que son rôle social est rempli – ce qui signifie que « l’État doit savoir s’effacer » pour permettre qu’il le soit.

63La seconde conséquence est que ce n’est qu’à défaut d’accomplissement – ou en cas d’accomplissement défectueux – de la fonction sous la forme libérale, que l’intervention de l’Administration devient légitime – et ce, de manière provisoire jusqu’à ce que le service indépendant puisse être rétabli.

64C’est donc selon un principe de subsidiarité que doit s’établir la relation entre les deux fonctions, étant une fois pour toutes acquis que ne sauraient être confondues les deux notions « d’intérêt public » et de « fonction publique ».

65Il ne faut pas croire qu’un tel raisonnement relève de la pure spéculation intellectuelle.

66Si l’on veut bien y réfléchir, on s’aperçoit bientôt que, bien loin d’obéir à des critères abstraits, l’exercice libéral – tel que nous l’avons défini ci-dessus – est consubstantiel à toute vie en société.

67La nécessité d’un conseil indépendant a toujours existé. Et il existera toujours. Et plus la société est complexe, sophistiquée, technocratique, plus la « vocation humaine » de la profession libérale est irremplaçable.

68Et elle est aujourd’hui plus irremplaçable que jamais, sur une planète où la relation personnelle est devenue rare, où les automatismes, la robotique, l’ordinateur et Internet sont en train d’achever de désincarner les rapports entre les êtres et où chacun finit par désapprendre le langage, la communication, et la confidentialité.

69Face à cette « période glaciaire des âmes », les professionnels libéraux sont des êtres de chair. Leur vocation est la relation personnelle, d’homme à homme, le « cas particulier » par rapport au « cas général » ou, pour reprendre une image empruntée à la couture, le « sur-mesure » par opposition à la « confection ».

70Et leur présence dans la société est si nécessaire qu’on la retrouve partout, quels que soient les régimes, les latitudes ou les cultures et que, lorsque les environnements politiques les entravent ou – comme parfois – les martyrisent, ils réapparaissent « volens noiens » comme un phénomène écologique, dans la clandestinité – et souvent au péril de la vie de ceux qui la dispensent.

71 Tant il est vrai que tout homme – même le plus vil – doit être défendu, que tout patient – même le plus dangereux – doit être soigné, et qu’ils doivent pouvoir l’être par un professionnel qu’il aura bien évidemment choisi, qui connaîtra la solution de ses problèmes, qui se mettra à son service et dont il sera sûr qu’il gardera le secret de ses misères, et qu’il n’est ni « téléguidé » par personne, ni par l’État, ni par la police, ni par le grand capital, ni par les forces sociales, économiques, médiatiques ou culturelles qui constituent aujourd’hui notre univers.

72Grâce à l’élan donné voici quinze ans par François Luchaire, la profession libérale de France a défini et précisé sa vocation.

73Elle a affirmé son action.

74Devenue un partenaire social, elle a rejoint ses grands homologues des autres secteurs et fondé avec eux le CLIDE au sein duquel elle affirme sa spécificité.

75Elle a conquis sa place au Conseil économique et social. L’UNAPL est devenue membre du Conseil supérieur des conventions collectives.

76Il y a désormais des représentants des professions libérales dans les conseils des prud’hommes et dans les structures des Allocations familiales.

77Son identité – son profil – sont aujourd’hui définis et reconnus.

78Mais l’UNAPL de France n’a pas borné là sa mission.

79En 1980, elle fondait le Secrétariat européen des professions libérales (SEPLIS), qui depuis bientôt vingt ans regroupe les organisations de professions libérales de l’Union européenne et les représentent au sein des institutions communautaires. L’un des présidents du SEPLIS a même été président du Comité économique et social européen.

80De même, en 1987, elle organisait à Paris la première Conférence internationale des professions libérales qui rassemblait des représentants multidisciplinaires venus des cinq continents.

81Ce jour-là, elle s’apportait à elle-même la démonstration de ce que l’exercice libéral est un concept – non pas hexagonal, ni même européen, ni davantage occidental – mais universel.

82Et elle fondait l’Union mondiale des professions libérales (UMPL) qui, à son tour, allait représenter ce secteur auprès des organisations intergouvemementales (BIT, OCDE, UNESCO, OMC, etc.) et bien souvent à le leur faire découvrir – comme à l’ONU, auprès de laquelle elle a aujourd’hui le statut consultatif.

83Est-il permis d’aller plus loin et de s’interroger sur l’avenir du concept, aujourd’hui circonscrit à un type limité de profession – que constitue l’exercice libéral ?

84Ose-t-on s’aventurer à transposer ce « mode d’approche » du travail dans un plus large domaine ?

85 Est-il inconcevable de relever que, dans nos sociétés modernes, le critère juridique essentiel du contrat de louage de services – à savoir le lien de subordination – reflète de moins en moins la réalité de la volonté réciproque des parties – qui fait aujourd’hui de plus en plus appel à des notions d’échange et d’association entre des êtres, dans l’intérêt commun de la prospérité de l’entreprise ?

86Cette relation particulière – sans subordination, mais au contraire dans l’indépendance et la responsabilité de chacun – entre le professionnel libéral et celui qui le consulte – ne serait-il pas alors une sorte de « prototype » pour un « nouveau contrat de travail » du prochain millénaire ?

87Sur un monde du travail ainsi libéré, responsable, associatif..., on peut rêver.

88Quoi qu’il en soit – et pour rester sur terre – il convient de relever que l’ère postindustrielle est commencée.

89Elle voit, avec le millénaire qui s’avance, l’avènement et bientôt la primauté des services.

90Parmi eux, celui des professions libérales est plus nécessaire que jamais. La faculté tout à la fois d’« osmose humaine » et de « contre-pouvoir » qu’elles représentent constitue leur apport spécifique et leur raison d’être dans la société moderne.

91Elles représentent – et doivent continuer de représenter – dans notre pays comme dans le monde un facteur d’équilibre social indispensable, un rouage dont l’homme de notre temps, moins que jamais, ne peut se passer et sans lequel, peut-être, les machines, les ordinateurs et les satellites, continueraient de tourner, mais s’arrêterait la vie.

92Que le professeur François Luchaire soit remercié d’avoir si éminemment contribué à cette extraordinaire aventure humaine.