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François Luchaire, un républicain au service de la République

 | 
Jeannette Bougrab
, 
Didier Maus

Préface

Didier Maus

Texte intégral

1 À quoi peut bien servir une préface ? À treize reprises, François Luchaire a dû répondre à cette question avant que l’auteur de ces lignes ne se la pose à son tour. D’après le Petit Larousse illustré 2003, une préface consiste en un « texte de présentation placé en tête d’un livre ». Cette définition nous fournit deux indications essentielles. La première concerne l’emplacement de la préface dans l’ordonnancement du livre ; la seconde souligne qu’il s’agit de présenter le livre lui-même. En général le signataire de la préface est un invité convié par amitié ou prestige à cautionner l’ouvrage et à le situer dans un univers plus large.

2Dans ce Liber amicorum, la préface, dont le signataire s’apparente à un faux invité, se situe au bon endroit, en tête. Elle ouvre le livre que nous offrons au professeur François Luchaire en témoignage de reconnaissance, de gratitude et d’amitié.

3Le second objet de la préface vise à présenter le contenu du volume ainsi inauguré. Ici, il n’est même plus besoin d’avoir recours aux subtilités de l’exégèse juridique pour constater qu’il n’existe aucun modèle unique. Il suffit d’ailleurs de parcourir les préfaces de François Luchaire pour s’en convaincre. Celles rédigées par un fidèle ami de notre héros, le doyen Georges Vedel, mériteraient à elles seules une véritable étude.

4Toutes ces préfaces présentent néanmoins un point commun. Elles sont élogieuses. Elles mettent en valeur l’œuvre de l’auteur, soit en indiquant que la thèse d’un jeune docteur est riche de promesses, soit en soulignant que les actes d’un colloque constituent désormais un repère indispensable, soit que les œuvres rassemblées témoignent de l’exceptionnelle personnalité de l’auteur ou de celui à qui des Mélanges sont offerts.

5La présente préface ouvre un livre original. Sous le titre Un Républicain au service de la République, sont rassemblés des éléments originaux et divers dont le seul lien réside dans l’exceptionnelle personnalité du bénéficiaire, François Luchaire, tour à tour commissaire de la marine, agrégé de droit, membre de cabinets ministériels et collaborateur d’hommes politiques, président d’université, juge constitutionnel, militant politique, et... père de famille, en laissant de côté beaucoup d’autres qualités. Alors que la coutume, non revêtue ici de la force obligatoire, aurait voulu que les Mélanges François Luchaire soient, d’une part, publiés il y a déjà une dizaine d’années, et d’autre part, organisés autour d’un thème unique, l’ouvrage que le lecteur s’apprête à découvrir s’éloigne de ces deux exigences. Ceci mérite quelques explications.

6Bien que l’état civil nous fasse croire que l’âge d’une heureuse et paisible retraite ait sonnée pour François Luchaire au tournant de la décennie 1990, nul ne s’en est aperçu, ni l’intéressé ni les autres, à commencer par ses proches. Il n’y avait donc aucune urgence à célébrer une étape qui n’est pas encore en vue. Depuis qu’il est entré dans la vie active, à moins de vingt ans, François Luchaire ne l’a pas quittée. Sa biographie ne peut rendre compte de toutes ses activités, publiques ou autres. Résistant, enseignant, jurisconsulte, conseiller de ceux qui nous gouvernent, il n’a cessé de mettre le droit, à commencer par le droit constitutionnel, au service de justes causes : la République, la construction européenne, la paix, le développement et la justice. Homme de conviction, doté d’une inébranlable obstination pour obtenir l’accord des hommes de bonne volonté, il a toujours estimé, et estime encore, que la règle de droit, si elle est réfléchie et équitable, assure l’harmonie entre les hommes et les femmes, comme entre les nations. Le juriste est là pour trouver les solutions, pas pour les compliquer. D’autres s’en chargent fort bien.

7La bibliographie, qui compte près de trois cents références, reflète tout à la fois les périodes de forte activité intellectuelle de François Luchaire et l’évolution de ses centres d’intérêt. La Constitution, l’outre-mer, l’Europe, jalonnent ce parcours avec de temps à autre des échappées, géographiques vers l’Asie, historiques vers la Déclaration de 1789 ou contentieuses, qu’il s’agisse, dans un premier temps, de juridictions de premier degré comme les tribunaux d’instance de Douala ou de Casablanca, puis, ensuite, de juridictions suprêmes comme le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Plus récemment, le Conseil constitutionnel devient l’objet de nombreux articles. Sans jamais faire appel à ses souvenirs de membre de l’institution ou à son expérience de conseiller du président, il rédige des commentaires qui facilitent la compréhension des décisions du Conseil et explicitent les enjeux, voire annoncent des évolutions.

8 Cet inventaire ne ressemble pourtant pas à celui de Prévert. Il suffit de découvrir les titres des ouvrages, articles, chroniques, rapports, notes ou conférences, pour que se dégage une véritable unité, celle qui figure désormais en tête de ce volume, la République. François Luchaire a étudié la République. Ses études et ses choix personnels le prouvent. Il aime la République. Tous ses engagements et ses enseignements y conduisent. Il a voulu servir la République, conduire les peuples d’outre-mer vers ce même idéal et tenté de convaincre nos voisins européens de le partager.

9La structure même de ce livre reflète la singularité du président François Luchaire. Une première partie contient, comme cela est de règle, la biographie et la bibliographie de l’intéressé. Les parcourir prend du temps, tant celui qui en est le centre a consacré son activité à tous les domaines de la vie publique.

  • 1 Le statut constitutionnel de la Polynésie française (Economica, 2005), le plus récent des ouvrages (...)

10La seconde partie regroupe, sous le titre de « Variétés constitutionnelles », trois études dédiées spécifiquement à François Luchaire. Le doyen Georges Vedel nous avait confié en 2001 son texte sur la curieuse loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Comme nous aurions aimé, et François Luchaire avec nous, que Georges Vedel soit là pour relire les épreuves ! Plus de trois ans après sa disparition, redécouvrir son style si limpide et si précis constitue un vrai bonheur. Le texte de Yadh Ben Achour sur « Islam et Droits de l’homme » témoigne non seulement des très fortes qualités juridiques et intellectuelles de l’auteur, mais aussi de l’attachement de François Luchaire pour la Tunisie. Il fut le premier président de l’Académie internationale de droit constitutionnel fondée à Tunis en 1984 et demeure un des fidèles soutiens de cette grande institution constitutionnelle et francophone. Il a souvent prolongé ses studieux séjours tunisiens par des séjours familiaux. L’article d’Alain Moyrand et Antonino Troianiello met l’accent sur le rôle du Conseil d’État dans l’interprétation de l’article 74 de la Constitution. Il s’inscrit dans l’intérêt, jamais démenti, de François Luchaire pour le droit ultramarin, c’est-à-dire celui qui s’applique en dehors de la métropole1.

11La troisième partie, la plus importante en volume, regroupe des contributions sur le rôle de François Luchaire dans la vie publique. Ainsi, avec Gérard Conac, nous découvrons François Luchaire le décolonisateur et François Luchaire le fondateur de l’université Paris I (Panthéon-Sorbonne) ; avec Edmond Jouve, le serviteur de l’outre-mer ; avec Marie-France Christophe Tchakaloff, l’Européen ; avec Jeannette Bougrab son rôle dans l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 ; avec Jacques Robert, sa participation à l’œuvre du Conseil constitutionnel ; avec Yves Luchaire, sa pensée en faveur de la décentralisation ; avec Alain Tinayre, son rôle en tant que délégué interministériel aux professions libérales et avec Isidre Bartumeu-Martinez sa contribution au développement constitutionnel de la principauté d’Andorre. Enfin, le préfet Paul Camous, avec qui François Luchaire est lié d’amitié depuis plus d’un demi-siècle, nous présente un témoignage personnel que lui seul, grâce à des destins croisés, pouvait nous offrir. Qui ne sera pas ému, comme je l’ai été, en lisant l’épisode du retour à Tinchebray, en Normandie, un soir de l’été 1944 ? C’est aussi cela le livre d’une vie et le livre des amis.

12Tous ces apports, si divers, rédigés par ceux qui ont rencontré ou connu François Luchaire à différentes étapes de son parcours donneront lieu au minimum à une double lecture. La première évidemment concerne le point commun, François Luchaire. Chacun découvrira ainsi des facettes ignorées de celui qu’il pensait connaître. En même temps, tous ces textes nous éclairent sur l’environnement politique, administratif et universitaire des cinquante dernières années du xxe siècle. À travers François Luchaire, ce sont ainsi des pages de notre histoire qui défilent devant nous. Espérons que d’autres historiens sauront les utiliser comme il convient.

13La quatrième partie regroupe, à la demande de François Luchaire, un certain nombre de ses textes. Ils s’échelonnent tout au long de ces cinq décennies déjà évoquées et nous permettent en raccourci de connaître la pensée constitutionnelle de celui qui, de l’orée de la Seconde Guerre mondiale à l’aube du xxie siècle, n’a cessé d’observer et de réfléchir, d’agir et d’enseigner, avec toujours une même obsession, la République.

14Tenter de présenter une synthèse, c’est-à-dire une interprétation ordonnée de tout ce que le lecteur va découvrir, relève de l’impossible. Convenons donc d’appliquer l’adage « A l’impossible nul n’est tenu ». Contentons-nous de souligner combien François Luchaire a su créer de liens d’amitié et d’affection qui, en dehors de tous les cercles familiaux et politiques, le rattachent désormais à de multiples tribus. En même temps, il n’apparaît jamais comme un mandarin. A aucun moment il n’a cherché à être l’inspirateur d’une école doctrinale. Il se méfie d’ailleurs des a priori. En même temps, il sait, et ses étudiants et lecteurs le savent encore mieux que lui, que son œuvre est inséparable de l’évolution constitutionnelle du deuxième vingtième siècle. Nul ne pourra en faire abstraction. Lorsque d’autres regrouperont en une véritable collection tout ce que François Luchaire a écrit – ce que nous souhaitons –, nous aurons en face de nous une œuvre qui deviendra rapidement un classique de notre discipline. Le présent ouvrage n’en sera alors que la préface.

Notes

1 Le statut constitutionnel de la Polynésie française (Economica, 2005), le plus récent des ouvrages de François Luchaire, s’inscrit dans cette lignée.
P. S. : Ce livre n’aurait jamais vu le jour sans l’enthousiasme et la ténacité de Jeannette Bougrab, maître de conférences à l’université Paris I. Nous lui devons tout. Qu’elle en soit remerciée ! Il n’aurait pu être réalisé sans le concours de l’université Paris I. Il est légitime que le livre préparé en l’honneur du président fondateur de cette université soit publié aux Publications de la Sorbonne. Que les uns et les autres trouvent ici l’expression de notre gratitude.

© Éditions de la Sorbonne, 2005

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