Éthique de la nature ordinaire
|Deuxième partie. Les friches et la nature ordinaire
Introduction
Texte intégral
1À la recherche d’un moment historique de rupture avec la nature ordinaire, nous allons dans cette deuxième partie retracer l’itinéraire d’espaces qui nous semblent faire route commune avec cette forme de nature : les friches. Analysant l’évolution des rapports de la société à ces dernières, tant du point de vue de leur insertion pratique dans les espaces ruraux que concernant les représentations dont elles font l’objet, nous défendrons, dans un premier chapitre, l’idée que leur dévalorisation et leur éviction des campagnes, consécutives aux transformations que connaît l’agriculture à partir du xviiie siècle, préparent la rupture avec la nature ordinaire. L’étude des discours des agronomes, des physiocrates et des forestiers nous permettra de souligner l’importance donnée à cette critique des friches, portée comme une condamnation morale à l’endroit des sociétés ou des individus indolents, qui laissent prospérer l’inculte, l’improductif, le négligé au détriment de la véritable création de richesses qui résultent des activités productives. Nous observerons comment les discours et les pratiques de rationalisation de l’organisation spatiale du territoire vont peu à peu assigner à résidence la nature dans les lieux qui lui sont propres et chercher à proscrire les incursions spontanées de cette dernière dans les sociétés humaines, en soutenant qu’au désordre de la nature répond le désordre social. La critique des friches apparaîtra ainsi comme un discours de légitimation de la réduction progressive de la diversité de nos rapports à la nature ordinaire au seul rapport instrumental.
2Nous nous intéresserons, dans un deuxième chapitre, à ce qui constitue pour nous l’autre moment important de cette histoire des friches, c’est-à-dire la seconde moitié du xxe siècle. Nous montrerons, en effet, que c’est au sein même d’une deuxième vague de critiques visant les friches et les phénomènes d’enfrichement que nous pouvons trouver des éléments de réponse quant à la possibilité de renouer ou d’inventer de nouvelles manières d’agir avec la nature ordinaire.
© Éditions de la Sorbonne, 2017