1En dehors de l’ENS, je suis amené à donner des master classes en piano, en musique de chambre, en composition et en improvisation. Ma première master class s’est tenue à l’École nationale de musique (ENM) de Pau, en 2005 : pendant deux semaines, j’ai enseigné l’improvisation à des élèves des classes instrumentales et j’ai décortiqué mes propres compositions devant des élèves en classes d’écriture. En 2006, profitant de l’invitation dont m’avait fait bénéficier l’Institut français à donner un concert, un ciné-concert et une conférence sur la musique française, le Conservatoire Rimski-Korsakov de Saint-Pétersbourg m’a demandé d’assurer deux journées de master classes auprès d’élèves de composition.

2À Angoulême, pendant le festival Piano en Valois de 2007, la master class que m’a invité à donner le Conservatoire à rayonnement départemental (CRD) a consisté à faire travailler à des élèves pianistes de tous niveaux des œuvres du répertoire. D’autres master classes d’une journée ont été délivrées respectivement au Conservatoire national de musique de Tunis en 2007 – où j’ai traité des techniques d’improvisation sur divers instruments, occidentaux mais aussi orientaux –, à Dresde en 2012 (à l’intention d’élèves instrumentistes du lycée français et avec pour sujet l’improvisation), à l’ENM de Créteil en 2013 (pour des élèves pianistes, et sur mes propres compositions), à la Hochschule de Hambourg en 2013 (une master class sur l’improvisation devant un public d’élèves pianistes, une autre master class sur la composition en général devant des élèves des classes de composition).

3Par ailleurs, deux expériences sur un temps plus long remontent aux années où j’ai été compositeur en résidence auprès des Conservatoires à rayonnement régional (CRR) de Toulouse (pendant l’année 2007-2008) et de Marseille (pendant l’année 2008-2009). Il s’est agi là à chaque fois de sessions de cinq journées entières de master classes. Ces master classes s’adressaient à un public comprenant des étudiants des classes d’instruments, d’accompagnement au piano et de composition. À Marseille, une journée a été consacrée à l’improvisation. Parmi les élèves que l’on m’a confiés, certains n’avaient jamais essayé d’improviser. Ceux-là, il faut les décoincer, les rassurer, les convaincre qu’on peut jouer de la musique sans être tributaire d’une partition, lue ou mémorisée. D’autres ont déjà tenté l’expérience ; l’improvisation, chez eux, est spontanée. Il faut leur apprendre à la réguler sous peine de lasser l’auditoire, leur enseigner notamment l’importance du silence ou des arrêts, car, sans eux, le flux musical tournerait à la logorrhée. S’ils ont déjà acquis quelque aisance, il faut les inciter à improviser à plusieurs ; dans ce cas, je leur fais sentir la nécessité de l’écoute des autres dans une improvisation collective, par exemple modale. S’ils improvisent à deux, il est fréquent que l’un soit le meneur naturel et l’autre le suiveur ; là, je leur demande d’intervertir leurs rôles. Dans tous les cas, il faut leur apprendre à pratiquer une sorte de dissociation intérieure : une part d’eux-mêmes doit être dans la maîtrise, l’autre dans le lâcher-prise.

4 Dans ces deux conservatoires de Toulouse et de Marseille, j’ai aussi donné une master class sur mes pièces de musique de chambre. Je me suis rendu compte que les étudiants avaient un respect immodéré pour ce qui est écrit sur une partition et, me semble-t-il, plus encore quand le compositeur est vivant que quand il est mort. Ils veulent coller à ce qui est écrit, craignent plus que tout de trahir les indications notées et en oublient le plus important : chercher à déceler dans la partition les intentions du compositeur. Mon objectif a donc été de leur faire prendre conscience de la relativité d’un tempo ou d’une nuance, de la liberté dont jouit l’interprète et qu’il doit assumer. Il va de soi que liberté ne veut pas dire contre-sens. Mais, comme je le leur ai expliqué, bien que je joue moi-même certaines de mes pièces pianistiques, il m’est très agréable et utile de les entendre exécutées par d’autres pianistes, car leur façon de les interpréter m’ouvre des perspectives insoupçonnées.

5Enfin, des master classes de composition étaient au programme de ces sessions à Toulouse et à Marseille. À Marseille, on m’avait affecté en outre à la présidence du jury du concours de sortie de la classe de composition du CRR. Pendant ce type de concours, le jury est confronté à une pluralité de styles ; et il est essentiel de faire abstraction, autant que faire se peut, de cette question du style si l’on veut évaluer le plus impartialement possible la qualité du candidat46. En master class de composition, le nombre des élèves est restreint et il m’est loisible d’individualiser mon propos. J’essaie de les faire parler tour à tour. Les plus intuitifs sont souvent les moins bavards. Il faut les encourager à s’exprimer sur leur musique, à verbaliser leurs idées, à intellectualiser les procédés instinctifs qu’ils utilisent. À l’inverse, d’autres parlent spontanément, mais seulement de technique. Pour ne pas qu’ils s’égarent dans des détails qui masquent leur conception créatrice, il faut les amener à dévoiler leur projet esthétique. À chacun, et selon son tempérament, je suggère des compositeurs et des œuvres à écouter, à lire, à analyser. Une anecdote à cet égard. À Toulouse, j’ai rencontré dans le cadre de mes master classes un jeune compositeur espagnol, également organiste. Il était épris de la grande tradition française des compositeurs organistes, et sa musique s’inspirait de Tournemire, de Jehan Alain, de Duruflé. Son professeur de composition raillait son style, qui lui semblait sans doute une hérésie anachronique. Désireux sans doute de le guérir d’un langage qu’il jugeait passéiste, il lui avait imposé d’écrire une fugue dodécaphonique. Le jeune homme était perdu, complètement découragé. Quand j’ai su l’histoire, lui imposer la réalisation d’une fugue dodécaphonique m’a paru une très mauvaise idée. Ce professeur voyait en son style la marque d’un académisme passéiste, or il renforçait précisément par ce genre d’exercice ce prétendu académisme. Lui prescrire l’écriture d’une fugue, c’était se tromper de problème en mettant en doute son artisanat, et les travaux contrapuntiques auxquels on le contraignait, loin de le sortir d’une supposée sclérose conformiste, allaient l’enfoncer encore plus dans l’ornière. De plus, vouloir que cette fugue soit dodécaphonique, c’était brimer la nature du jeune compositeur en l’obligeant à forcer son style vers une direction qu’il n’avait pas du tout envie de prendre. J’ai essayé de lui redonner courage et l’ai incité à consulter les œuvres de Messiaen, de Florentz et d’Escaich qui tous s’inscrivent à des degrés divers dans la lignée de musique française qu’il appréciait. Il me semblait plus judicieux de l’accompagner dans une évolution qui lui serait naturelle que de le rebuter par des vexations inutiles.

6À Toulouse toujours, mais cette fois dans le cadre de la résidence de compositeur que l’Orchestre national du Capitole m’avait accordée, pour les années 2006 à 2009, j’ai été amené à collaborer aux activités pédagogiques que mène l’orchestre en direction du public. Elles comportent des présentations de la répétition générale donnée le matin qui éclairent l’une des œuvres programmées pour le concert du soir. J’ai ainsi commenté, en dehors d’œuvres du répertoire comme le Concerto « L’Empereur », le Concerto pour violon de Brahms ou encore le Concerto pour orchestre de Bartók, des œuvres plus rares – Suite de Turandot de Busoni, Les Pins de Rome de Respighi, le Concerto pour la main gauche de Hindemith, interprété par Leon Fleisher –, ainsi que mes propres créations de compositeur en résidence : Paradis artificiels (2007)47, Concerto pour violon (2008) avec Renaud Capuçon, Concerto pour piano (2009) avec Boris Berezovsky. Cet exercice de diffusion et de vulgarisation de la musique classique s’adressait à un public large, allant des enfants du primaire aux étudiants en licence de lettres et sciences humaines. Un piano était mis à ma disposition pour illustrer mon propos, et des solistes de l’orchestre, notamment les bois, se prêtaient aussi au jeu et interprétaient à ma demande les exemples musicaux. À la même époque, l’université Paul Sabatier m’a invité à donner une conférence sur le métier de compositeur à l’intention de ses étudiants des départements de sciences et techniques.