1Cela fait maintenant plus de quinze ans que j’enseigne la musique et la musicologie. Mes débuts datent de ma dernière année à l’ENS. Comme beaucoup de normaliens, j’ai été chargé de cours à l’université – en l’occurence à Paris 4, au département de Musicologie. J’en garde un bon souvenir, même si la première matière que j’y ai enseignée, la formation auditive, est généralement jugée rébarbative, car trop technique, par les étudiants. Les contacts amicaux que j’ai eus avec eux, facilités sans doute par notre faible différence d’âge, et l’ambiance sympathique qui régnait dans les salles de classe ont changé mes a priori sur l’enseignement. Mon point de vue était assez négatif jusqu’alors, peut-être par réaction – je suis fils d’universitaires. Dans le même temps, Jean-François Zygel m’avait confié la charge de deux élèves de conservatoire pour que je les prépare au concours d’entrée au CNSMDP en classe d’écriture, qu’ils ont d’ailleurs intégrée. Les quatre années suivantes, inscrit en thèse, j’ai continué d’enseigner à Paris 4 en tant que moniteur ou Ater. Mes cours se sont élargis au déchiffrage piano, à l’écriture musicale et à l’harmonisation au clavier et, la dernière année, j’ai préparé des agrégatifs à l’épreuve de commentaire d’écoute du concours.

2 Dans tous ces cours, j’ai compris que l’enseignant était confronté à une double difficulté. D’une part, à cause de l’extrême hétérogénéité de niveau de ses élèves : certains viennent de filières menant à des bacs généralistes et n’ont parfois jamais touché de piano, d’autres ont en revanche plusieurs années de conservatoire derrière eux, ainsi qu’une longue pratique de l’instrument et même, dans quelques cas, des techniques d’accompagnement. D’autre part, du fait qu’il s’agit de cours collectifs, alors que le rapport entre l’enseignant et l’étudiant pour les matières enseignées devrait plutôt relever de l’individuel. La gageure pédagogique était donc de rendre le cours vivant et attractif pour ne pas rebuter ou lasser l’auditoire et de permettre à chaque étudiant, quel que soit son niveau de départ, de progresser dans l’apprentissage des techniques requises. Ainsi, en écriture musicale, le programme préconise d’ouvrir les étudiants à une certaine variété de styles (basses données dans le style baroque, chants donnés dans les styles classique et romantique), mais la disparité des niveaux m’a convaincu de la nécessité d’effectuer au préalable un travail de consolidation des bases mêmes de l’écriture (connaissance des accords et de leurs enchaînements, entraînement de l’oreille intérieure). En formation auditive, j’ai travaillé à partir d’extraits d’œuvres du répertoire en m’efforçant de ne pas focaliser l’attention des étudiants sur la seule reconnaissance des hauteurs, mais de les habituer à percevoir rythmes et accords afin de les aider à développer leur oreille harmonique et leur sens de la métrique et des carrures. Et, en déchiffrage chanté, qui s’effectue également sur des œuvres du répertoire, j’avais toujours le souci d’insister sur le travail de l’intonation sans négliger pour autant le phrasé et la musicalité.

3Parallèlement, à partir de 2001, j’ai été sollicité par plusieurs conservatoires pour y assurer des enseignements : celui du 18^e arrondissement de Paris pour le cours d’orchestration et de composition, celui du 6^e arrondissement de Paris pour un remplacement du professeur de culture musicale, celui du CNR d’Angers pour le remplacement du professeur d’écriture musicale. C’est à cette époque que, pour la première fois, j’ai commencé à suivre les travaux de recherches d’étudiants. L’École nationale de musique d’Évry m’a demandé d’être le tuteur d’une étudiante qui préparait le D.E.M. de violon et dont le sujet de mémoire était « Schoenberg et la peinture » (2002-2003).

4Tous ces étudiants se destinaient à des carrières ayant peu ou prou rapport avec la musique. Il m’a été donné ensuite d’avoir une toute autre expérience quand j’ai été recruté en 2003 par le département Humanités et Sciences sociales de l’École polytechnique pour un poste de maître de conférences à temps partiel intitulé « Musique et Culture ». Pendant cinq ans, j’ai assuré deux séminaires. L’un retraçait l’évolution de la musique occidentale à travers les compositeurs et, par l’analyse des styles des plus célèbres représentants des diverses périodes abordées, touchait à des questions d’ordre général. Quels sont les grands courants de la musique occidentale savante ? Comment passe-t-on du baroque au classicisme, du romantisme à la musique moderne et contemporaine ? Comment ces courants s’inscrivent-ils dans le cadre historico-culturel de leur époque ? Ces cours ne s’adressaient pas à un public spécialisé, même si certains élèves avaient un niveau musical exceptionnel : j’ai été impressionné et même légèrement inquiet quand j’ai vu, à mon tout premier cours, que figurait dans la liste des élèves ayant choisi mon séminaire le pianiste concertiste Jonathan Gilad, qui avait enregistré un CD chez EMI dès l’âge de seize ans. L’autre séminaire, qui traitait de thèmes transversaux particuliers, abordait les musiques populaires, les musiques extra-européennes ou encore les musiques d’accompagnement (danse, théâtre, films), et dépassait donc le cadre de la seule tradition musicale occidentale savante. J’y exposais aussi d’autres sujets, tels que l’évolution du clavier (facture des instruments, spécificité de l’écriture) ou encore la notion controversée de « musique française », et j’y esquissais un tableau de la musique contemporaine pour livrer quelques repères à ces étudiants mélomanes un peu perdus dans le pullulement des chapelles et des cénacles. Dans le cadre de cet enseignement à l’École polytechnique, j’ai, là aussi, assuré un encadrement de recherche : d’une part, la direction et le suivi de travaux d’un groupe d’élèves qui s’essayaient à la transcription pour piano et violon de La Valse de Ravel ; d’autre part, la codirection d’un projet scientifique collectif, associant le département de Biologie et le département d’Humanités et Sciences sociales de l’École, sur le thème « Ecstasy et Techno ».