Dépoldériser en Europe occidentale
|Conclusion générale
Postface
La dépoldérisation en Europe, une « création continue » ?
Texte intégral
- 1 Artelia, Atelier de l’île, Étude de faisabilité : dépoldérisation partielle et éventuelle des Bas- (...)
- 2 Shepard C. C, Crain C. M, Beck M. W„ « The Protective Rôle of Coastal Marshes : A Systematic Revie (...)
1En référence au constat que L. Papy dressait de la poldérisation en 1941, on peut se demander si la dépoldérisation ne serait pas, elle aussi, « une création continue ». En l’occurrence, depuis la fin de ces recherches, conduites jusqu’en 2008, la dépoldérisation n’a cessé de s’étendre en Europe occidentale, en dépit de facteurs nouveaux évoqués en conclusion et permettant d’envisager un certain repli du processus. En effet, la surface dépoldérisée en Europe occidentale a presque doublé depuis 2007, atteignant environ 11 000 hectares en 20121. Si cette étendue ne représente toujours que moins de 1 % des terres initialement endiguées dans cette région, cette progression persistante est notable et conti nue de placer la Grande-Bretagne en tête du mouvement. Les orientations progressivement prises dans la décennie 2000 se renforcent : les sites rendus à la mer sont de plus en plus vastes ; les quatre objectifs recensés se maintien nent et s’imbriquent, selon les préconisations de la GIZC. À l’échelle de la zone tempérée, de plus en plus d’importance est conférée aux milieux naturels comme infrastructures de défense contre la mer et d’adaptation au changement climatique. En Amérique du Nord comme en Europe, une attention accrue est portée aux schorres, dont on étudie le rôle défensif en montrant que leurs largeur et densité sont positivement corrélées à l’atténuation de l’énergie de la houle et de la hauteur des vagues, de même qu’à la stabilisation du trait de côte2. De nouveaux objectifs sont également assignés à la dépoldérisation : les ornithologues danois s’intéressent au devenir de certaines Bernaches, dont les habitats se réduisent parallèlement à l’élévation du niveau marin. En conserver suffisamment pour conserver l’espèce conduit à envisager des dépoldérisations écologiques. Il ne s’agirait plus de recréer des écosystèmes en réaction aux aménagements, passés ou actuels, mais en prévision de pertes d’habitats dues au changement climatique.
- 3 Étude BARCASUB, programme Liteau, MEDDTL
- 4 Goeldner-Gianella L, Bertrand F, Pratlong F, Gaultier-Gaillard S., « Submersion marine et dépoldér (...)
- 5 Goeldner-Gianella L, Bertrand F, Harmonisation des pratiques territoriales et des regards portés s (...)
2La France est le pays d’Europe où le plus grand tournant vient d’être pris face à la dépoldérisation. Nous évoquerons deux régions concernées par cette évolution : le bassin d’Arcachon, qui fait l’objet d’une étude scientifique sur les liens entre dépoldérisation et risque de submersion3, et les Bas-Champs du Vimeu au sud de Cayeux-sur-Mer, où l’étude de faisabilité d’une « dépoldérisation partielle et éventuelle » devant se substituer au renforcement continu et coûteux d’un cordon de galets, est en cours. Dans les deux sites, des enquêtes ont mis en évidence une forte opposition locale aux projets et un soutien affirmé aux modes de défense traditionnels, à savoir le renforcement ou le rehaussement des digues. Si la concertation sociale mise en œuvre met en évidence cette opposition, elle permet aussi, au même titre que les études socio-économiques conduites4, d’en comprendre les raisons. La peur des submersion ne paraît pas être, en France, un argument systématique : si elle existe dans les Bas-Champs, inondés en 1990, elle est très atténuée dans le bassin d’Arcachon, où les mentalités et le bâti traduisent une forte confiance face à la mer. Les pratiques représentent a contrario la pierre d’achoppement des deux projets : la promenade et la chasse à la tonne, par le poids social et/ou politique et financier qu’elles représentent, freinent ou orientent fortement les choix de gestion du trait de côte actuellement en discussion. Plus encore qu’un attachement à la terre et à l’agriculture, c’est ici un attachement au territoire qu’on défend – un territoire de marais et de polders fortement approprié par ses habitants, qu’on oppose aux « zones humides » et à la vision des gestionnaires5. Une troisième raison du refus de la dépoldérisation tient au fait que ce mode de gestion commence seulement à être intégré à la politique nationale. En effet, si la stratégie d’adaptation au changement climatique et les propositions du Grenelle de la mer contenaient les premières recommandations relatives au repli stratégique, celles-ci restaient associées à des sites pilotes. L’ouvrage du ministère de l’Écologie consacré à la gestion du trait de côte en France (2010) n’évoquait pas davantage la dépoldérisation dans les méthodes souples de défense préconisées face à la mer, et le Plan submersions rapides de 2011 a consisté, tout au contraire, en des financements pour des renforcements d’ouvrages. Ce n’est que tout récemment qu’un intérêt pour la dépoldérisation s’est indirectement manifesté dans la « Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte : vers la relocalisation des activités et des biens » (2012). Celle-ci expose, en effet, que « le trait de côte ne peut pas et ne doit pas être fixé partout » et recommande de « recourir à des techniques souples de gestion [...] pour les secteurs à densité moyenne ou à dominante agricole » et de « restaurer les écosystèmes côtiers [...] qui constituent des espaces de dissipation de l’énergie marine ». L’appropriation sociale de ces préconisations novatrices paraît possible en France, mais sans doute sur un temps long, sous l’influence de tempêtes répétées et dans des espaces où l’attachement au territoire restera pris en considération face à des enjeux plus globaux d’ordre environnemental. Ainsi, la géographie du littoral ne pourra échapper à l’analyse intégrée, tant physique que socioculturelle, qui la caractérise désormais.
Notes
1 Artelia, Atelier de l’île, Étude de faisabilité : dépoldérisation partielle et éventuelle des Bas-Champs du Vimeu. La recherche d’un avenir sur un territoire pérenne, atelier 2, Cayeux-sur-Mer, 14 janvier 2013, consulter : http://www.baiedesomme.org/magazine/contenus/2013-01-14publication_4882013-01-16.pdf
2 Shepard C. C, Crain C. M, Beck M. W„ « The Protective Rôle of Coastal Marshes : A Systematic Review and Meta-analysis », PLoS ONE, 6 (11) : e27374.
3 Étude BARCASUB, programme Liteau, MEDDTL
4 Goeldner-Gianella L, Bertrand F, Pratlong F, Gaultier-Gaillard S., « Submersion marine et dépoldérisation : le poids des représentations sociales et des pratiques locales dans la gestion du risque littoral », Espaces-populations-sociétés, no 3, à paraître (2013).
5 Goeldner-Gianella L, Bertrand F, Harmonisation des pratiques territoriales et des regards portés sur le risque de submersion marine dans le Bassin d’Arcachon, colloque international « Environnement et territoires : des représentations à l’action », Tours, 8 et 9 décembre 2011.
© Éditions de la Sorbonne, 2013