1C’est le 23 mai 1949 que fut promulguée la Loi fondamentale et qu’était ainsi créée la République fédérale d’Allemagne. Cette Loi fondamentale présentait un certain nombre de particularités qui devait en faire le succès : elle mettait en place une nouvelle forme de régime parlementaire, un régime fondé explicitement sur les partis ; elle inventait un nouveau fédéralisme bien différent du modèle américain et du modèle suisse ; elle mettait en place un contrôle de constitutionnalité qui semblait être la synthèse du système américain, du système suisse et du système autrichien de justice constitutionnelle.

2Pourtant cette constitution ne semblait pas être née sous les meilleurs auspices. Alors que l’Allemagne était coupée en deux et que l’Union soviétique se montrait menaçante, ce texte avait été élaboré selon une procédure assez peu conforme aux canons de la démocratie : le texte avait été élaboré sous l’étroit contrôle des puissances alliées par les délégués des Parlements des Länder, entités étatiques que les autorités allées d’occupation de l’ouest avaient suscitées de façon assez artificielle. Il n’avait fait l’objet d’aucune approbation explicite de la part du peuple allemand. Si l’on considère également le contenu de ce texte, il semblait avoir été conçu plus pour empêcher tout retour en arrière que pour servir de base de départ vers un avenir alors très incertain.

3Or cette constitution permit l’édification et le développement d’un État allemand qui se révéla une extraordinaire réussite tant sur le plan des faits que sur celui du droit. Sur le plan des faits, en raison de la relative perméabilité de la frontière intraallemande durant les premières années, la République fédérale d’Allemagne parvint à regrouper à elle seule les trois quarts de la population allemande et à devenir la plus grande puissance économique de l’Europe. Sur le plan du droit, la réussite fut encore plus grande : la démocratie fit preuve de beaucoup de stabilité et de transparence ; à cet égard, le droit des partis reste aujourd’hui encore un modèle pour de nombreux pays ; le fédéralisme s’est révélé également un remarquable instrument de séparation verticale des pouvoirs, sachant concilier la proximité de la population et le respect des différences régionales avec les exigences d’une assez grande uniformité et d’une nécessaire solidarité. La justice constitutionnelle est devenue un instrument indispensable de promotion des idées démocratiques et de droits de l’homme exigeants. La consécration de ce succès a été apportée par la réunification de l’Allemagne : n’a-t-elle pas consisté à étendre purement et simplement le champ d’application de la Loi fondamentale aux territoires et aux populations de l’ancienne République démocratique allemande ?

4Le Centre de recherche de droit constitutionnel de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne a voulu marquer le cinquantième anniversaire de la Loi fondamentale et de la République fédérale qui en est issue en organisant cette journée d’étude sous le double patronage de l’École doctorale de droit public de l’Université et de l’Association française de droit constitutionnel. Il le fait non seulement par amitié pour le grand État voisin, mais aussi par curiosité juridique, soit que les juristes français souhaitent mieux connaître des institutions qui souvent les étonnent, soit que les enseignements de l’expérience allemande soient susceptibles de nourrir les réflexions sur le système constitutionnel français.

5Dans le cadre d’une seule journée, il ne pouvait être question de passer en revue tout le droit constitutionnel allemand. Les deux grands traités actuels de droit constitutionnel allemand ne contiennent-ils pas, l’un 9 tomes de 1000 à 1500 pages chacun et l’autre, encore inachevé, de 5 tomes de 1000 à 2000 pages chacun ? C’est pourquoi mon excellent collègue, le professeur Pfersmann, et moi-même avons proposé de retenir seulement cinq thèmes empruntés aux quatre grands principes qui dominent le droit constitutionnel allemand, à savoir la démocratie, le parlementarisme, le fédéralisme et la suprématie de la constitution.

6Pour illustrer le principe démocratique, il nous a semblé que la grande originalité du système allemand était le statut des partis politiques : en droit constitutionnel allemand, la démocratie est toute entière dominée par les partis politiques qui bénéficient d’une forte position en droit et en fait. Quant au parlementarisme allemand, il est caractérisé à la fois par un Bundestag apparemment tout puissant et un Bundesrat dont la composition n’est pas sans rappeler celle du Conseil de l’Union européenne et dont le rôle législatif et administratif est fort important, spécialement lorsque la majorité n’est pas la même dans les Länder et au niveau de la Fédération. Le fédéralisme allemand, quant à lui, est souvent qualifié de fédéralisme administratif, car l’essentiel du poids politique des Länder réside dans le quasi monopole que détiennent les Länder pour l’exécution des lois fédérales et le partage par moitié des ressources financières publiques. A une époque où l’Union européenne confie également aux seuls Etats membres le soin de mettre en oeuvre la législation communautaire, la connaissance du système allemand est particulièrement instructive.

7Enfin, pour illustrer l’extraordinaire développement de la justice constitutionnelle en Allemagne, évolution qui n’a pas été sans influence sur le droit constitutionnel de la plupart des pays d’Europe, deux thèmes ont été retenus. L’un est exclusivement tourné vers les relations entre la Constitution nationale et ce vaste ensemble en cours de construction qui est l’Europe unie : comment concilier démocratie nationale et suprématie de la Constitution, d’une part, pouvoirs supranationaux et suprématie du droit européen, d’autre part. L’autre thème est plus tourné vers l’intérieur encore qu’il ne soit pas sans prolongement européen : c’est le principe de la confiance légitime, ce qui soulève la question des limites du pouvoir législatif (et parfois administratif) de bouleverser le droit rétroactivement.

8Pour réaliser l’étude de ces thèmes, il a semblé utile d’adopter une méthode fondée sur le dialogue entre la doctrine allemande et la doctrine française. C’est pourquoi chacun des thèmes retenus fait l’objet de deux interventions, l’une faite par un professeur allemand et ayant pour objet de faire le point de la situation actuelle et, l’autre faite par un professeur français, plus courte et ayant pour objet de donner la réplique, c’est-à-dire d’exprimer les réflexions qu’inspire à un observateur français l’expérience allemande. De telles lectures croisées permettent d’acquérir une connaissance plus approfondie des institutions allemandes et d’enrichir le débat scientifique entre les deux pays.

9Les organisateurs de la réunion remercient chaleureusement les professeurs qui sont venus d’Allemagne pour nous instruire : les professeurs Armin Dittmann, Christoph Gusy, Matthias Herdegen, Martin Morlok et Christian Tomuschat. Sans leur science et aussi sans leur francophonie, cette journée n’aurait pas été possible. Ils remercient également ceux qui ont contribué à l’organisation de cette journée, en premier lieu, celui qui nous offre si généreusement l’hospitalité, Monsieur Paslecq, directeur de la Maison de l’Europe, mais aussi le professeur Etienne Picard, directeur de l’École doctorale de droit public de cette Université, qui a fourni le secrétariat, et enfin deux professeurs du Centre de recherches en droit constitutionnel, Jean Gicquel qui a suscité cette manifestation et Otto Pfersmann qui a participé à sa conception de façon décisive.