Regards croisés sur les constitutions tunisienne et française à l’occasion de leur quarantenaire
| ,L’évolution des forces politiques sous la Ve République
Texte intégral
1Ce qui caractérise la vie politique en France sous la Ve République, c’est la contradiction fondamentale entre, d’une part, des institutions qui poussent à la bipolarisation, et qui même idéalement nécessiteraient le bipartisme pour fonctionner honnêtement, et d’autre part le caractère du peuple français qui, César l’observait déjà il a deux mille ans, est profondément divisé sur lui-même, chaque citoyen recherchant toujours chez son voisin ce qui l’oppose à lui et non ce qui l’en rapproche.
2Cette contradiction entre les institutions et l’esprit du peuple conduit à une situation étrange : nous avons la bipolarisation puisque les institutions l’imposent ; mais à l’intérieur des deux camps, notre instinct de division permet à des individus ambitieux de conduire des stratégies particulières pour accéder au pouvoir et s’y maintenir.
3Lors des élections de janvier 1956, sept formations principales étaient en lice et recueillaient réciproquement : le PCF 26 % des voix ; la SFIO 15 % ; les Radicaux, le RGR et l’UDSR ensemble 15 % ; le MRP 11 % ; les Modérés 15 % ; les Républicains-Sociaux ex-RPF 4 % ; les Poujadistes 12 % ; l’extrême droite 1 %.
4En 1958, la Ve République hérite de cet émiettement des forces politiques, on le tient alors pour une fatalité liée à l’histoire de la France, et au caractère des Français. Seul Michel Debré croit qu’on peut y remédier. Pour lui, le bipartisme tel qu’il existe en Grande-Bretagne est lié au mode de scrutin : au scrutin à la pluralité des voix. Dans son ouvrage Ces princes qui nous gouvernent, paru en 1957, il écrit que la RP, alors en vigueur, est pire que la bombe atomique pour détruire un Etat et que le scrutin majoritaire à deux tours, cher à la IIe République, est une invention du Second Empire contre la République. Il préconise donc l’instauration du scrutin majoritaire à un tour, et même du scrutin majoritaire de liste dans le cadre départemental.
5Le général de Gaulle ne le suit pas. Le scrutin de liste amènerait, certes, une éclatante victoire de ses partisans. Mais de Gaulle ne veut pas de cette victoire prématurée : non seulement elle lui aliénerait définitivement les partis de la IVe qui ont encore une influence dans l’opinion, mais elle risquerait aussi de le constituer prisonnier d’une majorité « Algérie française ». Il entend dans l’immédiat rester au-dessus des partis et interdit même à ses partisans d’utiliser son nom pendant la campagne, « même sous la forme d’un adjectif ». À la demande de Guy Mollet et des radicaux, c’est le scrutin majoritaire uninominal à deux tours qu’il adopte. Et, bien qu’il suffise d’une loi ordinaire pour le changer, ce mode de scrutin, unique en Europe occidentale, va s’intégrer aux institutions de la Ve République dont l’évolution vers le présidentialisme s’explique en grande partie par son maintien.
6Il n’est pas sûr que les socialistes et les radicaux aient eu raison de réclamer le scrutin majoritaire à deux tours : il va leur coûter cher lors des élections législatives de novembre 1958 ; bien qu’ils retrouvent leurs scores de 1956 dans l’électorat, ils perdent un peu plus de la moitié de leurs députés.
7Mais les grands perdants de ces élections de novembre 1958, ce sont les communistes : non seulement leur opposition à la Ve République leur fait perdre près de 30 % de leur électorat, mais elle leur vaut d’être isolés au second tour, de telle sorte que leur représentation parlementaire se trouve ramenée de 50 à 10 députés. Les grands vainqueurs en novembre 1958 seront les gaullistes qui, avec 18 % des voix, obtiennent 36 % de sièges.
8L’amertume est grande chez les socialistes et les radicaux : ils prennent conscience que c’est l’isolement du PC qui leur a valu à tous cette défaite. La SFIO entre dans l’opposition à de Gaulle. Déjà la bipolarisation est en marche.
9Ce qui va accélérer cette bipolarisation, c’est la révision d’octobre 1962 instaurant l’élection directe du chef de l’État par le peuple. Lors du référendum qui approuve cette révision et des élections qui suivent, se constitue le « cartel des non ». Les électeurs doivent choisir entre de Gaulle et ses adversaires. 62 % d’entre eux choisissent de Gaulle, et pour la première fois depuis 1906, on assiste à l’Assemblée nationale à l’avènement d’une majorité cohérente et disciplinée disposée à soutenir, quoi qu’il advienne, le gouvernement nommé par le Général. C’est la seconde naissance de la Ve République, désormais caractérisée à partir de ce moment par la bipolarisation de l’électorat et le parlementarisme majoritaire.
10Désormais, au second tour de l’élection présidentielle se constituent deux blocs ; et le clivage qui s’opère alors dans l’opinion va commander toutes les élections suivantes, législatives, mais aussi régionales et départementales, voire municipales. Mais cette bipolarisation revêt, selon les périodes, des formes différentes. De ce point de vue, on peut distinguer deux phases dans l’histoire de la Ve République : de 1962 à 1981 d’abord, où l’on assiste à une concentration des forces au sein des deux camps ; de 1981 à nos jours ensuite, où l’on assiste au contraire à leur émiettement.
I. La concentration des forces partisanes à l’intérieur des deux camps de 1962 à 1981
11Au cours de cette première période, la bipolarisation a été voulue et organisée par le pouvoir en place qui a délibérément joué la carte du Parti communiste, de Gaulle et Pompidou d’abord contre le Centre, Giscard d’Estaing ensuite contre les gaullistes.
12Dès lors que l’élection du Président de la République se faisait à deux tours, et que seuls restaient en lice au second tour les deux candidats arrivés en tête au premier, la bipolarisation de l’opinion était inévitable à terme. Mais les gouvernants décident d’en accélérer la réalisation : de manière à contraindre les électeurs à se regrouper autour des grandes formations, la loi du 17 juin 1964 étend le scrutin majoritaire à deux tours à l’ensemble des élections municipales ; et la loi du 29 décembre 1966 porte de 5 % des votants à 10 % des électeurs inscrits le nombre des suffrages qui doivent avoir été recueillis au premier tour des législatives pour pouvoir se présenter au second. Giscard renforcera encore cette condition en la faisant porter par la loi du 16 juillet 1976 à 12,5 % des inscrits. 12,5 % des inscrits, avec un taux d’abstention moyen de 21 %, cela signifie concrètement 16 % des votants. Si l’on se reporte aux chiffres de 1956, cela signifie aussi qu’aucun des partis d’alors ne pouvait survivre à cette évolution de la législation électorale. Aucun sauf le Parti communiste. Et précisément, c’est ce qu’on espérait. La bipolarisation tend à renforcer la place du PC sur l’échiquier politique français. À le renforcer, non pas pour qu’il prenne le pouvoir – on sait que c’est exclu en raison de la nature totalitaire de ce parti – mais pour qu’il oblige le reste de l’électorat à se rassembler autour du pouvoir en place pour lui faire pièce.
13Les premiers à conduire ce jeu, ce sont les gaullistes entre 1963 et 1974. Ils le font contre les partis du Centre. Le Parti communiste prend alors le statut d’opposition officielle. Dans un Congrès du RPF en 1947, Malraux avait lancé la formule : « Demain en France entre les communistes et nous, il n’y aura rien ». La formule est reprise et mise au présent. La télévision, qui est alors un monopole d’Etat et qui est très étroitement contrôlée par le gouvernement, ne parle de l’opposition que par une périphrase : « Le Parti communiste et ses alliés ».
14Il appartenait aux partis du Centre – SFIO, Radicaux et MRP – de contrer cette opération en réalisant leur unité. C’est ce que tente en 1964 Gaston Defferre, avec son idée d’une « Grande fédération » et le lancement par L’Express de sa candidature à l’élection présidentielle de décembre 1965. Mais le problème, c’est que sous la Ve, il n’y a qu’une place au sommet, et que ni Guy Mollet, ni Augustin Laurent, ni Pierre Pflimlin, ni Lecanuet, ni aucun des autres leaders des partis du Centre n’acceptent de lui faire la courte échelle pour accéder à la présidence et les laisser au pied du mur. Ils feront échouer l’opération de regroupement et verront à partir de là leurs formations respectives s’effilocher au fil des ans.
15Le Parti communiste au contraire, joue le jeu de la bipolarisation. Sous la direction de Waldeck Rochet, il se modernise, prend du champ par rapport à l’URSS et essaie de présenter une alternative crédible au gaullisme. Il sait que ce sera long, mais confiant dans la doctrine marxiste, il pense inéluctable à terme la victoire du prolétariat qu’il incarne. La politique gaullo-pompidolienne de concentration du capital sert ses intérêts. Et également la politique étrangère du Général, hostile à l’hégémonie des Américains. L’alliance informelle qu’il a passée avec le gouvernement a une telle force qu’il n’hésite pas un instant – après avoir sauvé la mise de Pompidou lors des évènements de mai 1968, en invitant les grévistes à reprendre le travail – à le faire élire à la présidence contre Poher en 1969. Et cette politique paie : le PC qui réunit environ 21 % des électeurs est en position hégémonique face à un centre éclaté entre d’innombrables formations : SFIO, PSU, Convention des institutions républicaines. Présence socialiste, Objectif 72, Vie nouvelle, Radicaux de gauche, Radicaux valoisiens, Centre démocrate, Centre progrès et démocratie...
16La signature du Programme commun de la gauche en mai 1972 s’opère dans ce contexte et, avec son extravagant programme de nationalisation de toutes les banques et des neuf plus grosses entreprises industrielles, consacre en apparence cette hégémonie communiste.
17Mais en apparence seulement. Car un homme va émerger : François Mitterrand qui, ayant joué depuis 1965 la carte de l’alliance avec le PC, va devenir le leader de l’ensemble de la Gauche, mais aussi, au sein de la Gauche, l’homme qui s’oppose à l’hégémonie du PC.
18Lors de l’élection présidentielle de 1974, il est battu d’une courte tête, et c’est Giscard d’Estaing qui devient Président. Giscard va poursuivre et même aggraver la politique de bipolarisation, mais en la réorientant contre les Gaullistes.
19Giscard n’est certes pas un centriste, mais il s’en donne l’air. Depuis que, s’étant rallié à de Gaulle en 1962, il a refusé d’intégrer l’UNR et constitué à la droite de celle-ci son propre parti – celui des « Républicains indépendants »– brisant ainsi l’unité de la majorité, il est détesté des gaullistes. Pour se faire élire contre Chaban-Delmas, il a eu besoin des leaders du Centre droit démocrate-chrétien que Pompidou avait vainement cherché à rallier à la cause ; et pour ce faire, il a obligé son propre parti à se repositionner au centre en repoussant le parti gaulliste vers la droite.
20Il va poursuivre la politique de bipolarisation : son but est même de dépasser la bipolarisation pour parvenir au bipartisme et unifier toute la droite en un vaste parti dont il serait le chef. Sa première opération consistera à regrouper autour d’une formation unique les républicains indépendants et les partis démocrates-chrétiens et radical valoisien. Ce sera laborieux, mais la loi de 1976 qui oblige à recueillir 16 % des votants au premier tour pour se maintenir au second ne leur laisse pas d’autre choix que de se rassembler sous une bannière commune. L’UDF naîtra donc en février 1978 à la veille des élections législatives de mars. Il restait à Giscard à soumettre le parti gaulliste ; mais c’était beaucoup plus difficile, vu l’ancienneté du contentieux qui les opposait et vu la personnalité de Jacques Chirac qui, après l’avoir servi comme Premier ministre, avait su restructurer le mouvement et le soumettre à une forte discipline. Giscard s’y emploie néanmoins, il donne des portefeuilles à ceux qui, au RPR, refusent l’autoritarisme chiraquien, Peyrefitte, Galley, Papon... et il puise l’inspiration de sa politique législative dans les propositions de loi déposées par les gaullistes de manière à séduire leur électorat.
21Ce qui est étonnant, c’est que Giscard, pendant cette période où on assiste à une spectaculaire montée du chômage, se soit si peu préoccupé d’une victoire possible de la gauche aux élections législatives de 1978 d’abord, à l’élection présidentielle de 1981 ensuite. Au début de son septennat, il était inquiet. Cela l’a conduit à faire adopter des réformes de nature à lui rallier le centre-gauche (majorité à 18 ans, gratuité de la justice, droit à l’avortement, élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel, instauration des « questions au gouvernement »...). Mais ensuite, il a compris que le PC avait changé. Moscou ne voulait pas en France d’un gouvernement de gauche qui, leur présentant un autre modèle de socialisme, aurait pu déstabiliser les pays d’Europe de l’Est ; c’était contre sa volonté que Waldeck Rochet avait signé le Programme commun. Or Georges Marchais a succédé à Rochet et ne dispose pas de la même liberté que lui face au Kremlin. Effectivement, à l’automne 1977, le Parti communiste dénonce le Programme commun ; l’union de la gauche vole en éclats et la droite remporte tranquillement les élections législatives de mars 1978. Giscard ancre le PC dans cette attitude en soutenant l’URSS sur la scène internationale dans l’affaire afghane. Et le Parti désormais ne cesse d’attaquer F. Mitterrand de manière à empêcher le report des voix communistes sur sa candidature à l’élection présidentielle de 1981.
II. L’éclatement des forces partisanes au sein des deux camps depuis 1981
22Mitterrand fut-il un génie de la politique politicienne ? Il peut passer pour tel. Mais ce n’est pas en 1981 qu’il le montre. Il n’a rien fait alors qui soit vraiment génial pour parvenir au pouvoir suprême. Il y a été porté par les erreurs et les trahisons des autres. Lui s’est contenté de tenir le cap fixé en 1972 lors de la signature du Programme commun. Mais le PC, en dénonçant ce Programme commun porteur des espoirs de la gauche, et en combattant avec hargne le leader socialiste, a ouvert les yeux de son électorat qui ne supporte plus son inféodation au Moscou et se détourne soudain de lui : au premier tour de la présidentielle, il perd d’un coup un quart de ses électeurs. C’est pour lui un électrochoc : démasqué. Marchais tente de se rattraper en appelant « sans restriction ni réserve » à voter Mitterrand au second tour. Pour Mitterrand cependant, la partie n’est pas encore jouée : la gauche toute entière unie n’a obtenu que 47 % des voix ; la droite : 49 %. Mais intervient Chirac. Conscient que si Giscard obtient un second mandat, il parviendra à achever la destruction du RPR, il refuse de se désister pour lui. Ses partisans comprennent à mi-mot. Sur les cinq millions d’électeurs du RPR, 500 000 s’abstiendront et 800 000 voteront pour Mitterrand. Et celui-ci sera élu.
23C’est lui qui va reprendre le projet de Giscard et le réaliser mieux que lui. Giscard avait voulu réaliser l’unité de la droite à son profit. Mitterrand va réaliser l’unité de la gauche au sien. Le Parti communiste ne peut pas se remettre de sa trahison parce qu’elle n’est pas équivoque et que la vraie nature et la faiblesse du pouvoir soviétique sont enfin apparues clairement avec l’invasion de l’Afghanistan. Il sollicite pitoyablement des portefeuilles dans le gouvernement Mauroy et s’en voit octroyer quatre – sur un effectif total de 34. Il critique la politique de ce gouvernement, mais n’ose pas le quitter alors même qu’il est devenu franchement impopulaire. Aux élections législatives de 1986, il tombe et pratiquement de manière définitive en dessous de la barre des 10 % alors que le PS, se maintenant à 32 %, se situe désormais en position hégémonique.
24Le génie tacticien de François Mitterrand, qui va alors se manifester, c’est de savoir exploiter les rivalités qui existent entre ses concurrents. Et de savoir éventuellement en créer lorsque c’est possible. C’est grâce à la division de la droite – à la rivalité entre Giscard et Chirac – qu’il est arrivé au pouvoir en 1981. Cette division, il va la creuser encore en lançant l’extrême droite dans l’arène. Par ses discours, plus encore que par son action, il s’emploie à susciter chez les Français moyens une aspiration sécuritaire qui va devenir le fonds de commerce du Front national. Avant chaque élection il revient sur la nécessité – qu’il sait contraire à la Constitution donc impossible à satisfaire – de donner le droit de vote aux immigrés, moyen très sûr d’augmenter l’électorat du FN. Quand il arrive au pouvoir en 1981, l’extrême droite recueille 0,5 % des suffrages exprimés. Quand il le quitte en 1995, le Pen est à 15 %.
25Et lorsque, du fait de leur âge, Giscard d’Estaing et Raymond Barre auront renoncé à se présenter en challengers contre Chirac, et qu’en conséquence la tension s’apaise entre le RPR et l’UDF, il suscitera à ce dernier un nouveau compétiteur en la personne de Balladur qu’il aurait pu au contraire détruire pendant la seconde cohabitation comme il l’avait de Chirac pendant la première.
26Mais François Mitterrand ne se contente pas de diviser la droite, il s’applique aussi à susciter des tensions dans son propre parti pour en rester l’unique fédérateur possible. Il joue à merveille des oppositions entre Mauroy et Joxe, entre Jospin et Fabius, entre Emmanuelli et Rocard. Pour aviver ces tensions, il sabote délibérément la victoire attendue du PS lors de la dissolution qui suit sa réélection en 1988. Et quand, de ce fait, le Parti s’éloigne de lui, il lui prépare à sa façon, en mars 1990, un Congrès de Rennes qui montre à tous qu’ils ne sont rien sans lui, et qui déjà annonce sa déroute aux législatives de 1993 où sa représentation parlementaire sera réduite à 57 sièges.
27Mais c’est de façon posthume que le génie de Mitterrand se révélera dans toute sa dimension. Lorsque se termine son mandat, il a ramené le mouvement socialiste en l’état où il en avait pris la direction en 1971, aussi faible et aussi divisé qu’alors.
28Mais il a aussi cassé la droite, très durablement. Certes, dans l’immédiat, elle apparaît en bonne santé puisqu’elle détient 82 % des sièges à l’Assemblée nationale, et que Chirac vient enfin d’être élu Président de la République. Mais Mitterrand a mis en place sur sa route des bombes à retardement qui vont provoquer sa destruction. La rivalité qu’il a créée entre Chirac et Balladur a ranimé la rivalité entre l’UDF et le RPR, avec cette particularité que Balladur, champion de l’UDF, appartient théoriquement au RPR, situation qui amènera les autres leaders de cette formation à vouloir se substituer à lui, et conduira finalement à l’éclatement du mouvement centriste.
29De plus, la conclusion du traité de Maastricht, même si elle n’a pas été uniquement voulue dans cette intention, a placé au cœur même du RPR un baril de poudre qui ne demandait qu’à exploser : l’idéologie de base du mouvement gaulliste, c’était la défense de la souveraineté nationale. Et ce traité remettait gravement en cause cette souveraineté. S’il voulait éviter les foudres des centristes, Chirac était obligé de conseiller sa ratification ; mais il se séparait, de ce fait, de la base de son propre mouvement. Séguin le dira sans oser en tirer la conclusion. C’est Pasqua qui, en 1999, dégagera celle-ci en présentant aux élections européennes une liste dissidente qui obtiendra un meilleur score que le RPR, et en fondant dans la foulée un nouveau parti gaulliste, le RPF.
30La chance du Parti socialiste, menacé dans son existence à la disparition de F. Mitterrand qui en était le fédérateur, c’est qu’il a su au bon moment trouver au Président défunt un substitut dans sa fonction d’arbitre des rivalités internes : ce substitut, ce fut le suffrage des militants, qui, appelés à désigner sans tapage médiatique un candidat à l’élection présidentielle, préférèrent Jospin à Emmanuelli. La base ayant tranché, et son choix s’étant trouvé ratifié par le bon score de Jospin lors de la présidentielle de 1995, son unité se refera sur cette base. Même si la gauche demeure « plurielle » et si le PS n’a pas obtenu aux législatives de 1997 la majorité suffisante pour gouverner seul, le risque d’un éclatement semble exclu jusqu’à la prochaine présidentielle.
31La malchance de la droite au contraire, c’est qu’elle n’a plus à choisir son chef. Elle en a un, qui lui a été donné en 1995 par le suffrage universel. mais qui du fait de ses impardonnables maladresses – le choix d’un énarque glacé comme Premier ministre et la dissolution de mars 1997 – a perdu sa légitimité aux yeux de ses pairs et d’une grande partie de ses militants, et dont la présence à l’Élysée est devenue un facteur de divisions plus que de rassemblement. Même l’éclatement miraculeux du Front national en 1998 et son effondrement corrélatif lors des européennes qui ont suivi n’ont pas suffi à lui rendre l’espoir. Dans l’état de désunion où elle se trouve, des miracles comme celui-là, il en faudrait beaucoup pour la sauver, d’autant que Lionel Jospin, du fait de l’embellie économique et de l’affadissement idéologique des partis socialistes européens, peut continuer de satisfaire la gauche par son discours, sans nuire sérieusement aux intérêts de la droite par sa pratique.
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