La cité des réseaux
|Chapitre 4. Les associations de l’Athènes classique, entre crédit privé et finances publiques
Crédit communautaire et structures financières associatives dans l’Athènes classique
Texte intégral
Les associations et le crédit entre particuliers
- 13 Voir principalement sur ce point R. Descat, « L’économie d’une cité grecque au ive siècle : l’exemp (...)
1Plusieurs travaux ont récemment mis en évidence la particularité de l’économie athénienne du ive siècle, au sein de laquelle les pratiques de crédit auraient pris une ampleur inédite13. Présentons tout d’abord les sources qui permettent d’évaluer le rôle que jouent les associations dans les pratiques du crédit dans la cité classique.
♦ Les horoi et le crédit hypothécaire
- 14 Sur la forme juridique de la procédure des horoi, voir E. Harris, « When is a Sale not a Sale ? The (...)
- 15 Finley, Studies in Land and Credit.
- 16 Il convient désormais de travailler sur la documentation rassemblée par K. Shipton, op. cit., Appen (...)
- 17 On identifie 3 dèmes (Sh 7, Sh 80, Sh 102), 5 phratries (Sh 47, Sh 47, Sh 135, Sh 137, Sh 138), une (...)
- 18 Ainsi des Glaukidai (Sh 47), des Epikleidai (Sh 47), des Géphyréens (Sh 165 ; ou des Dekadistai (Sh (...)
- 19 Les Lycomides : Sh 161.
- 20 Les thiasotes : Sh 50.
- 21 16 eranistai : Sh 32, Sh 33, Sh 35, Sh 36, Sh 46, Sh 48, Sh 51, Sh 83, Sh 84, Sh 96, Sh 139, Sh 139 (...)
2Les bornes hypothécaires que sont les horoi révèlent l’ampleur des actes de crédit gagés sur des propriétés foncières ou sur des biens immobiliers dans l’Athènes de la deuxième moitié du ive siècle et de la première moitié du iiie siècle14. Au sein de cette vaste documentation, qui avait constitué le point de départ de la réflexion de Finley sur le crédit dans la cité antique15, les associations occupent une place non négligeable. Parmi les 109 actes de crédit qu’attestent les horoi, on identifie en effet 29 communautés de créditeurs16. Des subdivisions civiques, comme les dèmes, les phratries ou les tribus17, des associations cultuelles dont le statut n’est pas clairement précisé18, des genê19, des thiasotes20 ou des groupes plus informels de coprêteurs eranistai à la tête desquels on identifie un plêrotês21, apparaissent ainsi comme des créanciers importants de l’Athènes classique.
- 22 Il faut noter par ailleurs le caractère exceptionnel de l’horos Sh 139 (= SEG 32. 236, l. 1-6), du (...)
- 23 Finley, Studies in Land and Credit, p. 70.
- 24 Finley, Studies in Land and Credit, p. 99, et P. Millett, op. cit., p. 177, qui va jusqu’à avancer (...)
3L’ampleur des créances est très variable selon la nature des associations. Alors que les dèmes, les phratries, les thiases ou des associations cultuelles, telles que les Dekadistai ou les Epikleidai, prêtent des sommes très modestes, les groupes d’eranistai sont engagés dans des opérations de crédit d’assez grande envergure. L’ensemble des créances attestées par les horoi ont pour niveau moyen la somme de 1 000 drachmes. Les prêts réalisés par les eranistai présentent en revanche une somme moyenne d’environ 2 900 drachmes22. Les associations formellement constituées (dèmes, phratries, thiases, orgéons, etc.) prêtent en moyenne 130 drachmes, ce qui a été interprété par M. Finley et, à sa suite, P. Millett comme la preuve de leur fragilité financière. Ne disposant pas de réserves financières importantes, les associations auraient surtout proposé des « prêts d’assistance » ne répondant à aucune finalité productive23. Cela témoignerait plus largement de l’imbrication des formes de crédit de l’époque classique dans les cadres communautaires traditionnels de la philia24.
- 25 P. V. Stanley, « The Purpose of Loans in Ancient Athens : a Reexamination », MBAH, 9.2, 1990, p. 57 (...)
- 26 Contra V. Ν. Andreyev, « Some Aspects of Agrarian Conditions in Attica in the Fifth to Third Centur (...)
- 27 Tel est le cas de Sh 47 (= IG II2 2723), qui atteste des prêts réalisés par deux phratries, et les (...)
- 28 C’est l’hypothèse développée notamment par K. Shipton, op. cit., p. 86-87, dans le cadre d’une étud (...)
4Une telle grille d’analyse présente plusieurs difficultés. En l’absence de toute autre documentation, il est en réalité impossible de déterminer précisément la finalité, « productive » ou « de consommation », des prêts – pour autant qu’une telle distinction soit pertinente25. De même, leur échelle de fonctionnement demeure très hypothétique : rien n’indique en effet explicitement que les débiteurs appartenaient aux communautés créancières26. Lorsque plusieurs groupes de nature semblable sont créanciers dans une même opération, une telle hypothèse apparaît d’ailleurs fort peu probable27. Rien n’empêche donc de penser que ce crédit communautaire pouvait s’inscrire dans des échelles de fonctionnement assez larges, susceptibles de mettre en relation des communautés et des individus d’origines géographiques éloignées28.
♦ La stèle des polètes
5Sous l’angle des procédures civiques visant la restitution des biens hypothéqués, la stèle des polètes, de 367/366, évoque plusieurs prêts d’origine associative. Suite à la saisie des biens d’un certain Théosébès, condamné pour pillage des biens sacrés, des communautés de phratères et d’orgéons réclament en effet les biens hypothéqués :
- 29 Rhodes-Osborne, no 36, l. 16-25 (trad. P. Brun légèrement modifiée).
Kychonidès fils de Diogeiton du dème de Gargettos et la communauté des phratères des Médontidai réclament à titre de créance hypothécaire due en son nom propre et en celui des phratères 100 drachmes sur la maison sise à Alopékè (Κιχωνί/δης Διογείτονος Γαρχήτ καὶ κοινὸν φρατέρων Με/δοντιδῶν ἐνεπησκήψατο ἐνοφείλεσθαι ἑαυτῶι κα/ὶ τοῖς φράτερσι ἐν τῆι οἰκίαι τῆι Ἀλωπεκῆσι Η δ/ραχμάς), dont Théomnestos a demandé la confiscation comme appartenant à Théosébès du dème de Xypétè, maison voisine au nord de la route du Daidaleion et du Daidaleion lui-même, au sud de la propriété de Philippos du dème d’Agrylè. Théophilos du dème de Xypétè, le père de Théosébès, a vendu (sous condition de rachat) cette maison à moi-même et aux phratères (ἀποδομένο ἐμο<ὶ> καὶ τοῖς φράτερσιν τὴ/ν οἰκίαν ταύτην)29.
- 30 Rhodes-Osborne, no 36, l. 30-34 (trad. R Brun modifiée).
Aischinès du dème de Mélitè et la communauté des orgéons réclament à titre de créance hypothécaire en leur nom propre pour la maison dont Theomnestos de Ionidai a réclamé la confiscation (Αἰσχίνης Μελιτε<ὺς> καὶ κοινὸν ὀ/ργεώνων ἐνεπεσκήψαντο ἐν τῆι οίκίαι ἣν ἀπέγραψ/εν Θεόμνηστος Ἰωνίδης ἐνοφείλεσθαι ἑαυτοῖς) la somme de 24 drachmes. Nous avons acheté cette maison avec option de rachat à Théophilos pour cette somme30.
6Si, comme dans le cas des horoi, les sommes engagées, de 100 et 24 drachmes, apparaissent très modestes, on perçoit bien, une fois encore, l’importance des associations dans les circuits du crédit dans la cité classique. Notons par ailleurs que Théosébès était membre de l’élite civique, ce qui suggère difficilement en l’occurrence un « prêt d’assistance ».
♦ Les décrets de dèmes
7Les décrets de dèmes indiquent par ailleurs explicitement le rôle que jouaient les prêts dans l’organisation des finances communautaires.
8Ainsi, dans un décret du dème de Myrrhinonte du troisième quart du ive siècle, il est précisé :
ἐὰν <δ>έ t[ινι δέ]/ει ἀργύριον, δανείζειν τοὺ(ς) ἱερέα[ς] ἀξιοχρείωι ἐπ[ὶ χωρίω]/ι ἢ οἰκίαι ἢ συνοικίαι καὶ ὅρον έ<φ>[ισ]τάναι, οὗ ὰν ἐι [θεοῦ πα]/ραγράφοντα ὅ[[υ]]του ἂν ἐι τὸ ἀργύριο[ν̣.
- 31 /GIF 1183 = Rhodes-Osborne, no 63, l. 27-30.
Si quelqu’un a besoin d’argent, que les prêtres lui en prêtent sur la garantie d’un domaine, d’une maison ou d’un immeuble égal à la valeur du prêt, et que l’on y place une borne avec le nom du dieu à qui appartient l’argent31.
- 32 Peut-on pour autant penser, comme le fait Parker, Polytheism and Society, p. 66, n. 61, que les prê (...)
9Nous identifions ici sans difficulté l’existence de créances reposant sur une garantie réelle, telles qu'elles sont attestées par les horoi. Bien que l’opération soit à l’initiative de la communauté des démotes, le prêtre, et non le démarque, en est responsable, et l’argent revient en dernière instance à la divinité. Cela implique que les sommes prêtées provenaient du trésor d’un sanctuaire local32.
10Dans un décret du ve siècle du petit dème de Plotheia, c’est le démarque, en revanche, qui est chargé d’organiser les prêts :
περὶ μεν ὅτο ἐστ[ὶ] / [ψ]ήφισμα δανεισμô ἣ τόκος τεταγ[μέ] /νος κατὰ τὸ ψήφισμα δανείζοντα[ςκ]/[α]ὶ ἐσπράττοντας, ὅσον δέ κατ’ἐν[ιαυ]/[τ] ὸν δανείζεται δανείζοντας ὅ[στι]/ς ἂν πλεῖστον τόκον διδώι, ὃς ἂν [πει] /[θ]ηι τὸς δανείζοντας ἄρχοντας τιμ]/ήματι ἢ ἐγγυητῆι.
- 33 IG I3 258, l. 15-22 (trad. P. Brun).
Concernant le prêt pour lequel un décret a été voté ou pour lequel un intérêt a été fixé par décret, que ces magistrats fassent un prêt ou fassent rentrer l’argent selon les termes du décret, et que toute somme prêtée dans une année le soit au plus haut intérêt possible à celui en qui les archontes auront confiance en raison de son timêma ou de son garant33.
- 34 Sur la faiblesse de la distinction entre caisse publique et caisses sacrées à l’échelle du dème, vo (...)
11On mesure que l’organisation de ce crédit communautaire était conçue comme une véritable opération financière par laquelle le dème, attentif à ce que l’emprunteur soit solvable et à la recherche de taux d’intérêt élevés, pouvait s’enrichir. Dans le cas présent, si le trésor du dème appartenait peut-être aux dieux, sa gestion en incombait à l’ensemble de la communauté des démotes34.
12Dans un décret de 345 du dème d’Aixonè qui accompagne le bail d’un terrain, on trouve la confirmation que les prêts constituaient de véritables placements financiers :
τοῦ δε / εὑρόντος ἀργυρίου λογισάμενοι ἐπὶ δραχμεῖ τὸν τό/κον τὸν ἥμυσυν ἀφελεῖν ἀπὸ τῆς μισθώσεως καὶ ἐνγ/ράψαι ἐν ταῖς στηλαις τοσούτωι ἐλάττω τὴν μίσθωσιν.
- 36 D. Rousset, art. cité (1998), p. 235.
- 37 Par ailleurs, un fragment de discours d’Isée atteste qu’une plainte avait été déposée à l’encontre (...)
13Le contexte du décret n’est guère aisé à déterminer. On comprend néanmoins que le dème a décidé le recépage d’une plantation d’oliviers en location, les oliviers coupés devant être vendus par le dème. Entraînant pour le locataire une charge d’entretien, celui-ci, en compensation, aura droit « non pas à une partie du produit de la vente du bois des arbres, ni même aux intérêts que rapportera le placement de cette somme, mais à une déduction sur leur loyer d’un montant égal à la moitié de ces intérêts36 ». L’argent devait donc très certainement être placé par le dème pour des prêts concédés à différents démotes37.
♦ Phratries, thiases, orgéons : un modèle d’entraide communautaire
- 38 Tel semble être aussi le cas des associations de la cité de Delphes au IVe siècle, si on en croit l (...)
14Il paraît ainsi évident que la pratique du crédit aux particuliers était très courante au sein des dèmes, même s’il est difficile d’évaluer le montant des créances engagées. Celle-ci pouvait par ailleurs être au centre de véritables stratégies financières de la part des communautés38. L’examen des décrets des autres structures associatives, comme les phratries, les thiases ou les orgéons, présente une organisation du crédit communautaire tout à fait différente. Il paraît en effet difficile d’identifier des caisses communautaires susceptibles de constituer de petites banques associatives fournissant à des particuliers des créances qui pourraient financer des activités extérieures à la vie associative. Un modèle d’entraide communautaire reposant sur la constitution de prêts ad hoc semble ainsi avoir prédominé.
- 39 Voir Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 110-113, et M.-F. Baslez, « Entraide et mutualisme dans les a (...)
15À l’époque hellénistique, l’existence de prêts eranoi au sein d’associations d’éranistes ou de thiasotes était, comme l’ont montré I. Arnaoutoglou et M.-F. Basiez, un phénomène courant39. Il faut sans doute imaginer des formes de tontines dont la constitution reposait sur la participation égale de chacun des membres de l’association. Évoquées dans le contexte de la vie associative, de telles tontines semblent avoir principalement pour vocation d’assurer le financement des activités associatives.
- 40 Lysias 8 : « Accusation contre des coassociés pour injures » (ΚΑΤΗΓΟΡΙΑ ΠΡΟΣ ΤΟΥΣ ΣΥΝΟΥΣΙΑΣΤΑΣ ΚΑΚΟ (...)
- 41 Agora, 16. 161, l. 5-8 : ἀναγράψαντας τοὺς ὀφείλοντά[ς τι εἰς τὴν κοι]/νωνίαν ἐν στήλει λιθίνει στῆ (...)
16Toutefois, deux sources de l’époque classique et du début de l’époque hellénistique permettent d’entrevoir les modalité d’organisation de pratiques de crédit qui auraient une finalité extracommunautaire. Dans un discours que la tradition attribue à Lysias, un certain Polyclès aurait emprunté douze mines au plaideur, en constituant un cheval malade en garantie hypothécaire ; l’association dans son ensemble apparaît engagée auprès du créancier40. Il est impossible de déterminer la finalité du prêt, dont le montant est toutefois important, mais celui-ci mettait en relation deux membres de l’association sans reposer sur une caisse communautaire constituée. Chez les orgéons d’Echelos, au début du iiie siècle, les membres de la communauté ont souscrit des emprunts à l’intérieur du groupe, sans qu’il soit possible de préciser si l’emprunt avait été réalisé auprès d’une caisse communautaire ou des autres membres de l’association41.
- 42 Ainsi, selon l’interprétation convaincante d’Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 149, en 212/211 chez (...)
- 43 Voir le chapitre 2, p. 164-167.
- 44 Dans un thiase inconnu en 272/271, un fonds de 1 170 drachmes est mentionné (IG II2 1278, l. 4). Da (...)
- 45 Voir les remarques d’Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 110-113 et p. 148.
- 46 Voir l’ensemble des cas cités par Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 111-113, et M.-F. Baslez, art. c (...)
17Dans le prolongement de l’examen des horoi, ces deux attestations laissent percevoir le rôle que les associations telles que les phratries, les thiases ou les genê ont joué pour alimenter le marché du crédit dans l’Athènes classique. Elles ne démentent pas néanmoins le caractère rudimentaire des structures financières associatives, puisque ces prêts ne semblent pas avoir reposé sur de véritables caisses associatives constituées. Outre la constitution d’eranoi, le financement des activités des associations reposait ainsi avant tout sur des formes de financement ad hoc – telles les epidoseis attestées à partir du iiie siècle42 – ou sur les revenus provenant de locations foncières43. Sous la responsabilité d’un tamias, les caisses associatives semblent en réalité dans la plupart des cas tout à fait modestes et leur principale fonction était de financer les activités communautaires44. On comprend dès lors que, dans les décrets associatifs, les tamiai mais aussi les grammateis45, tout comme certains membres non magistrats des associations, soient fréquemment honorés pour avoir eux-mêmes contribué au financement des activités associatives46.
- 47 Voir le chapitre 3, p. 272.
18Une telle distinction entre les dèmes et les autres structures associatives s’explique certainement par le contrôle exercé par les différentes communautés sur les sanctuaires locaux. Le contrôle institutionnel exercé par les dèmes sur une grande partie des sanctuaires de l’Attique depuis le début du ve siècle explique sans doute l’importance des prêts dont les décrets se font l’écho. On ne peut exclure à ce titre que certaines associations autres que des dèmes aient dû gérer des caisses communautaires importantes lorsqu’elles étaient en charge de grands sanctuaires. Ainsi en était-il peut-être des orgéons thraces qui avaient la charge du sanctuaire de Bendis, et peut-être de son trésor, au Pirée47, ou de l’amphictionie d’Athéna Pallènis, dont le financement du culte semble reposer en grande partie sur les archontes des quatre dèmes d’Acharnes, Gargettos, Pallène et Paiania. L’analyse des structures financières des dèmes permettra de replacer dans une perspective plus générale le rôle de ces caisses communautaires dans la circulation du crédit dans la cité.
♦ L’eranos prêt et l’eranos association
- 48 Voir en particulier Homère, Odyssée, 1, v. 127, et 11, v. 414-415, Hésiode, Les travaux et les jour (...)
- 49 Aristote, Magna Moralia, 1192b, et Xénophon, Cyropédie, VII, 1, 12.
- 50 Sans qu’on y voie nécessairement la marque d’une éthique de type philanthropique dans les formes de (...)
- 51 Antiphon, Première Tétralogie, A, 9, et 12.
- 52 La première association d’éranistes clairement attestée, de façon très révélatrice, dédie son culte (...)
19Nous avons jusqu’à présent délaissé l’examen d’une réalité associative liée plus que toute autre aux pratiques du crédit dans la cité classique, celle qui est attachée au terme d’eranos et aux groupes d’eranistai. Le terme même d’eranos a une histoire complexe. Ses premières mentions dans les poèmes homériques et hésiodiques, ainsi que chez Pindare, en font une forme de banquet collectif reposant sur la contribution égalitaire de ses participants48.’Έρανος désigne dans ce contexte à la fois le banquet et, comme par extension, la contribution de chacun de ses participants. Bien que ce sens persiste dans le corpus aristotélicien ou chez Xénophon49, à partir de l’époque classique, le terme en vient principalement à désigner deux réalités différentes : une forme de regroupement amical par lequel est constitué un prêt collectif qu’on devine sans intérêt50, d’une part, une association cultuelle célébrant une divinité, d’autre part. Alors que le prêt eranos est mentionné chez les orateurs dès le ve siècle51, ce n’est qu’à partir de 324 qu’on peut identifier avec certitude une association d’eranistai dans la cité athénienne52.
20Deux séries documentaires méritent dans ce contexte d’être éclairées :
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les horoi qui mentionnent l’existence de nombreux eranistai, comme nous l’avons vu ;
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- 53 On distingue des eranoi, parfois sous les formes abrégées de koinon erani, koinon eranis ou koi era (...)
les dédicaces d’affranchis de la décennie 320 qui, sortis victorieux d’une procédure de dikè apostasiou, offrent à Athéna une phiale d’argent. Parmi les 160 dédicaces, on voit en effet intervenir 17 fois un groupe d’eranistai qui auraient aidé l’affranchi à réunir la somme adéquate53.
- 54 En faveur des eranistai membres d’associations cultuelles : M. Clerc, Les métèques athéniens. Étude (...)
- 55 Aristote, Athenaion Politeia, 52. 2. Pour notre hypothèse concernant les dikai eranikai, voir chapi (...)
21L’examen de ces deux séries d’inscriptions a donné lieu à deux types d’interprétation, selon que l’on considère que les eranistai constituaient les membres d’une association qui avait assisté ou prêté de l’argent à un affranchi, ou qu’on identifie à chaque fois un groupe de coprêteurs54. L’existence des dikai eranikai dans la cité du ive siècle, mentionnée par Aristote, ne permet guère de dénouer l’ensemble de ces hypothèses, le tribunal pouvant être interprété là encore selon les deux hypothèses55.
- 56 Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 73-75. On peut reconnaître avec Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 7 (...)
- 57 Pour Maier, Eranos, p. 100, l’apparition du terme d’eranos à la fin du iie siècle (IG II2 1335, l. (...)
22Ilias Arnaoutoglou a récemment proposé une réinterprétation de l’ensemble de la documentation à partir d’une distinction lexicale fondamentale56. Jusqu’au iie siècle, le terme d’eranistai ne concernerait que les associations cultuelles, la notion d’eranos étant réservée aux prêts collectifs. Sur la base de cette distinction, I. Arnaoutoglou inscrit son analyse dans la filiation de celles de Ziebarth et de Vondeling : les horoi attesteraient de prêts hypothécaires effectués par des communautés cultuelles ; les affranchis seraient liés d’une manière ou d’une autre à ces communautés qui les assistaient dans leur dédicace de phiale. Il est vrai que, dans le contexte athénien, la distinction linguistique mise au jour par Arnaoutoglou est marquante, le terme d’eranos n’apparaissant dans un cadre associatif que tardivement57. Encore convient-il d’admettre qu’aucun terme précis ne désigne les contributeurs aux prêts eranos dans les plaidoyers athéniens, et que rien n’interdit explicitement de penser qu’ils étaient désignés par le terme d’eranistai.
- 58 La difficulté avait été notée par Maier, Eranos, qui penchait en faveur d’un tribunal réservé à tou (...)
- 59 [Démosthène] 59. 31.
- 60 Ainsi à Delphes : SGDI, 1754, 1772, 1791, 1804, 1878, 1909, 2317 (: CID, V, 351, 229, 228, 217, 344 (...)
23En réalité, l’hypothèse d’Arnaoutoglou ne permet guère d’éclairer de façon satisfaisante l’ensemble de la documentation. Rappelons tout d’abord la spécificité des prêts réalisés par les eranistai mentionnées par les horoi. D’une ampleur considérable, ils ne ressemblent guère à ceux engagés par les autres groupes, alors même que les formes de ces organisations étaient tout à fait similaires. Par ailleurs, on comprend mal pourquoi aurait été instituée une procédure réservée aux affaires des eranistai et dont seraient exclues les autres associations58. L’argument décisif, nous semble-t-il, provient toutefois de l’examen des actes d’affranchissement. Constatons d’emblée que l’importance de koina d’eranistai dans la procédure semble tout à fait étrange : à quel titre en effet des communautés d’éranistes pourraient être de la sorte impliquées dans un acte d’affranchissement ? Lorsque la prosopographie des communautés d’éranistes peut être conduite à l’époque hellénistique, les affranchis ne semblent y occuper aucune place spécifique. Par ailleurs, un extrait du Contre Néera d’Apollodore offre un modèle clair de la procédure : on y apprend en effet que les amants de la courtisane auraient à son initiative rassemblé un eranos pour quelle puisse être affranchie59. Plus encore, la distinction linguistique identifiée par Arnaoutoglou perd toute sa pertinence une fois franchies les frontières de l’Attique classique. À Delphes, ou à Thespies, dans des actes d’affranchissement du iie siècle, apparaissent à plusieurs reprises des prêts qualifiés d’eranos que l’esclave doit rembourser à son ancien maître pour concrétiser son affranchissement60. Il est tout à fait improbable que la procédure athénienne soit différente : l’affranchi était redevable à une communauté de coprêteurs eranistai qui l’avaient aidé par un prêt collectif à acheter son affranchissement.
- 61 Voir par exemple L. Gernet, « Eranos » (traduction, introduction et commentaire par A. Taddei), Dik (...)
24Nous ne trouvons dès lors guère d’autre explication à la distinction lexicale relevée par Arnaoutoglou que l’habitus épigraphique qui veut qu’on désigne une association non par son nom générique mais par celui de ses membres. Il n’en demeure pas moins que la filiation qui conduit des prêts eranoi aux associations d’éranistes – les deux réalités pouvant se superposer dans de nombreux cas à l’époque hellénistique – est riche de significations. Elle éclaire notamment la solidarité entre le fait associatif et l’essor du crédit dans l’Athènes du ive siècle, qui avait autorisé L. Gernet à construire une véritable théorie de l’émergence du contrat en Grèce ancienne61.
25Nous avons vu que les associations jouaient un rôle prépondérant dans les circuits du crédit dans l’Athènes classique. Il est apparu néanmoins que, parmi l’ensemble des structures associatives athéniennes, seuls les dèmes semblent avoir connu une organisation financière sophistiquée, susceptible de reposer sur une thésaurisation importante et d’élaborer de véritables stratégies financières, probablement en raison de la gestion des sanctuaires locaux qui leur incombait. Il convient désormais d’examiner les structures financières des dèmes de l’Athènes classique.
Les structures financières des dèmes de l’Athènes classique
26Nous disposons de trois inscriptions exceptionnelles qui permettent d'étudier les finances des dèmes au ve siècle.
♦ Les comptes d’Ikarion
- 62 IG I3 253. Ces six années ne correspondent probablement pas à six années consécutives. A. K. Makres (...)
27Une inscription fragmentaire datée traditionnellement entre 450 et 425 présente sur six années non consécutives les comptes du petit dème d’Ikarion62. Les finances du dème sont décomposées en trois caisses distinctes, toutes trois sous la responsabilité du démarque. L’inscription est trop fragmentaire pour que nous puissions évaluer les montants de chaque caisse pour une même année. Il est possible toutefois de deviner leur poids respectif. Ces trois caisses sont :
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- 63 W. R. Biers et T. D. Boyd, « Ikarion in Attica : 1888-1981 », Hesperia, 51.1, 1981, p. 1-18.
- 64 En raison du caractère lacunaire de l’inscription, nous ne disposons que de la l. 23 pour évaluer l (...)
Le trésor de Dionysos (ἀργυρίο Διονύσο), qui doit correspondre au sanctuaire bien connu de Dionysos à Ikarion63, dont le capital s’élève à plus de 3 000 drachmes (l. 23)64.
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- 65 La ligne 3 indique 2152 drachmes, la ligne 6, 2 200 drachmes, la ligne 9, plus de 2 270 drachmes.
Le trésor d’Ikarios (Ἰκαρίο), de plus de 2150 drachmes65. Celui-ci devait correspondre à un sanctuaire d’Ikarios, héros éponyme du dème.
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- 66 Samons, Empire of the Owl, p. 325-329.
- 67 Ligne 7, le montant ne peut être que restitué grâce aux lignes qui suivent. La ligne 10 indique une (...)
Enfin il est question d’un trésor hosios (hοσίο)66, dont le montant avoisine 26 000 drachmes (1. 10, l. 14, l. 18, l. 22)67. Ce trésor ne constitue en aucun cas la somme des deux autres fonds, puisqu’il leur est très largement supérieur.
- 68 Comme le suggère Humphreys, Strangeness, p. 149-150, il y a de fortes chances que l’argent ne soit (...)
- 69 Scholiaste d’Eschine, Contre Timocrate, 23 : ὁσίων] ὅσια καλεῖ τὰ δημόσια.
- 70 Ptolémée : ὅσιον καὶ ἱερὸν διαφέρει, ὅσια μὲν γὰρ λέγουσιν τὰ ἰδιωτικὰ ὧν ἐφίεται προσάψασθαι. ἱερὰ (...)
- 71 Voir W. Burkert, Greek Religion, Harvard, 1985, p. 269-271, J. Rudhardt, Notions fondamentales de l (...)
- 72 Le dème d’Ikarion n’envoyait que cinq de ses membres à la Boulè au ive siècle.
28Qualifiées à chaque fois par le terme d’ἀργυρίο, les sommes en jeu constituaient le produit d’une thésaurisation monétaire accomplie au sein des différents sanctuaires. On ne peut exclure par ailleurs que d’autres entités, tels des collèges de prêtres de Dionysos ou d’Ikarios, soient impliquées sous l’égide du démarque dans une telle organisation financière68. La difficulté principale d’interprétation de l’inscription repose toutefois sur le sens à attribuer au terme d’hosios qui désigne le trésor le plus important du dème. Chez les lexicographes, le terme peut s’apparenter à la notion de dêmosion69, ou, de façon tout à fait contradictoire, à celle d’idiotikon70. Dans d’autres contextes, c’est bien sûr selon son opposition au domaine des hiera qu’il convient de l’analyser, sans le réduire pourtant à la sphère du profane71. Peuvent être qualifiés, en effet, d’hosion des biens destinés à un usage cultuel. On peut penser, à la suite de Burkert, que le domaine de l’hosion est surtout marqué d’une détermination négative au regard de ce qui demeure hieron : est hosion ce dont les hommes peuvent disposer librement. Dans le cas d’Ikarion, on peut concevoir que l’argent hosion pouvait provenir de sanctuaires locaux mais que sa particularité tenait à ce que les démotes étaient libres de son usage. Peut-être cette somme pouvait-elle être remise en circulation dans le cadre de prêts locaux alors que les trésors de Dionysos et d’Ikarios représentaient des capitaux fixes qu’il était impossible d’entamer, si ce n’était pour assurer le fonctionnement régulier des deux cultes. En ce sens, les comptes d’Ikarion présenteraient une structure assez analogue à celle de l’inventaire des trésors du sanctuaire de Némésis à Rhamnonte qui distingue un fonds de réserve d’un fonds destiné à produire des créances de 200 ou 300 drachmes. Si on additionne les trois caisses, les finances de ce dème de taille moyenne72 s’élevaient sans doute à plus de 5 talents et 2 000 drachmes.
♦ Le décret de Plotheia
29Un décret du dernier quart du ve siècle provenant du dème de Plotheia énumère les différentes dépenses annuelles pour les fêtes qui sont sous la responsabilité du démarque et des trésoriers du dème :
Total au démarque, 1 000 drachmes ; aux deux trésoriers, pour les sacrifices de l’année, 5 000 drachmes ; pour l’Herakleion, 7 000 drachmes ; pour les Aphrodisia, 1 200 drachmes ; pour les Anakia, 1 200 drachmes ; pour l’exemption de taxes (atélie), 5 000 drachmes. Pour les Apollonia, 1 100 drachmes ; pour les Pandia, 600 drachmes. (Recettes des) locations : 134 drachmes 2 oboles et demie.
30Le décret précise ensuite :
- 73 IG I3 258, l. 1-17 (traduction P. Brun).
Il a plu aux Plothéens, Aristotimos a proposé. Que l’on tire au sort à la fève des magistrats (archontes) responsables de l’argent dont chaque magistrature dispose, qui veilleront à bien conserver les fonds appartenant aux Plothéens. Concernant le prêt pour lequel un décret a été voté ou pour lequel un intérêt a été fixé par décret, que ces magistrats fassent un prêt ou fassent rentrer l’argent selon les termes du décret [...]73.
- 74 Voir Whitehead, Demes, p. 166-169.
31L’ensemble des fonds semblent s’élever à 3 talents et 4100 drachmes. D. Whitehead a avancé de manière convaincante que la somme ne correspondait probablement ni aux revenus annuels du dème, ni même à la somme finalement dépensée par le démarque, mais qu’elle devait représenter un capital sur la base duquel était prélevé à chaque fois une somme pour l’organisation de telle ou telle festivité – ou pour la réfection d’un sanctuaire dans le cas de l’Hérakleion74. La somme pouvait aussi être investie dans des prêts. Son ampleur contraste fortement avec la faiblesse des revenus locatifs mentionnés dans le décret, ce qui indique l’importance de la thésaurisation réalisée dans ce petit dème, dont on peut penser qu'elle reposait avant tout sur un ensemble de sanctuaires locaux. Le décret montre bien par ailleurs à quel point était systématisée la distinction entre le capital fixe entre les mains des magistrats du dème et l’argent susceptible d’être mis en circulation sous la forme de prêts.
♦ Les comptes du sanctuaire de Némésis à Rhamnonte
- 75 Voir Institut Fernand Courby, Nouveaux choix d’inscriptions grecques, Paris, 1971, p. 112, et White (...)
- 76 IG I3 248. Voir les commentaires de J. Pouilloux, La forteresse de Rhamnonte. Étude de topographie (...)
32Une inscription de Rhamnonte de la décennie 440 présente enfin, sous la responsabilité de hiéropes désignés probablement au sein du dème75, les comptes du sanctuaire de Némésis sur cinq années, introduites à chaque fois par la mention du démarque en exercice76. Ceux-ci se décomposent en trois fonds. On identifie tout d’abord une réserve dont le montant évolue. De 12729 drachmes et 3 oboles dans le premier inventaire (1. 12-14), elle passe à 11723 drachmes et 2 oboles lors du troisième inventaire (1. 25-26), puis à 5206 drachmes et 4 oboles dans le cinquième (1. 33). Parallèlement, on identifie une somme investie dans des prêts sous formes de tranches de 200 ou 300 drachmes : elle s’élève à 37 000 drachmes lors des premier, troisième et cinquième inventaires (1. 9, l. 24 et l. 36). La somme de ces deux premiers fonds constitue ce que le deuxième inventaire présente comme la somme totale du hieron argurion (1. 17-18), de 51397 drachmes et 5 oboles. Par ailleurs, dans les quatrième et cinquième inventaires, a été constitué un nouveau fonds destiné à produire des créances de 300 drachmes. Ce fonds, qui s’élève dans les deux inventaires à 13 500 drachmes (1. 30) puis à 14400 drachmes (1. 35), a sans doute été créé, d’une part, grâce à l’argent de la réserve, ce qui explique qu’elle ait diminué dans le cinquième inventaire, d’autre part, grâce aux revenus des prêts.
- 77 Voir J. Pouilloux, op. cit., p. 149. Ce système de tranches existait aussi dans le cas de prêts pri (...)
- 78 Voir R. Bogaert, op. cit., p. 93.
33Précisons d’emblée qu’un même individu pouvait très certainement emprunter une somme importante sous la forme de plusieurs tranches de prêt de 200 ou 300 drachmes, ce qui exclut d’identifier a priori ces actes de crédit comme des prêts d’assistance77. Les sommes engagées dans les prêts, clairement distinguées de la réserve du sanctuaire, représentent, selon les années, entre 75 et 90 % de l’ensemble des fonds de la divinité, qui dépassent 50 000 drachmes78. Si on admet que la somme qualifiée d’hosio argurio dans les comptes d’Ikarion représentait elle aussi un fonds susceptible d’être mobilisé dans le cadre de multiples créances, on observe que le rapport entre le fonds de réserve et les sommes engagées sous forme de créances était assez similaire, puisque l’hosio argurio représente environ 85 % de l’ensemble des fonds de la communauté, qui dépassent 30 000 drachmes. On peut penser que, à Rhamnonte comme à Ikarion, les sanctuaires étaient à l’origine de créances considérables qui dépassaient très largement un horizon strictement local. Seul un fond de roulement très modeste était conservé. Il convient en outre de remarquer que, à Rhamnonte, au cours des cinq inventaires, le système de créances du sanctuaire s’est amplifié, puisque, dans le quatrième inventaire, les démotes ont investi une partie de l’argent de la réserve dans de nouvelles créances. Cela témoigne sans aucun doute du dynamisme du crédit autour du sanctuaire et suggère que les prêts étaient conçus comme des investissements rentables pour la communauté, puisque ces nouvelles créances ont partiellement été constituées des intérêts produits par les premières créances.
- 79 Sur le temple, voir M. Miles, The Temple of Nemesis at Rhamnous, Princeton, 1982.
- 80 Voir chapitre 3, p. 234-235.
34Le trésor du sanctuaire, bien qu’appartenant formellement à la divinité, était sous le contrôle de la communauté des démotes qui en était la gestionnaire. En ce sens, tout en étant autonome, il constituait une part décisive des finances communautaires. Notons par ailleurs qu’une telle gestion à l’échelle du dème n’était en rien exclusive d’une intervention de la cité elle-même dans le cadre du sanctuaire et du culte. Les comptes du sanctuaires sont en effet contemporains de l’érection du temple de Némésis, certainement à l’initiative de la cité elle-même79. Autour de la gestion du sanctuaire et de ses biens se superposaient ainsi les tutelles de communautés d’échelles différentes de l’Atrique classique, selon une configuration assez analogue à celle que nous avons pu mettre en évidence autour du sanctuaire d’Apollon à Zôster80.
- 81 Contra R. Bogaert, op. cit., p. 294.
- 82 Les réserves du sanctuaire de Némésis, qui dépassent 50000 drachmes, ne constituent probablement qu (...)
- 83 R. Bogaert, op. cit., p. 88-89 et p. 404, en s’appuyant sur les comptes d’Éleusis, a fait l’hypothè (...)
- 84 Sur les prêts aux particuliers accordés par les banques publiques, voir R. Bogaert, op. cit., p. 40 (...)
35Il apparaît clairement que le paradigme de la philia ne rend pas pleinement compte de l’ampleur des pratiques du crédit associatif. Rien ne permet d’affirmer que le crédit communautaire avait une vocation « plus sociale qu’économique81 ». À Rhamnonte, autour du sanctuaire de Némésis, à Ikarion, où les sanctuaires de Dionysos et d’Ikarios jouaient un rôle prépondérant, comme à Plothéia, les structures financières des dèmes reposaient en grande partie sur les trésors de sanctuaires qui étaient sous leur autorité. Les sommes thésaurisées étaient considérables – particulièrement à Plotheia ou Ikarion qui sont des dèmes modestes – et leur mise en circulation sous la forme de créances, comme le révèlent les comptes du sanctuaire de Némésis, était manifestement de grande ampleur82. On peut se demander à ce titre si la naissance d’une banque publique à Athènes à l’époque hellénistique, qui prêtait de l’argent à des particuliers83, n’eut pas d’ailleurs partiellement pour vocation de concurrencer ou de suppléer les caisses communautaires locales qui avaient disparu dans le contexte général de déclin des dèmes à partir de la deuxième moitié du iiie siècle84, les instances civiques ayant réalisé que de tels prêts pouvaient constituer un investissement rentable.
- 85 Voir les réflexions récentes de V. Chankowski, art. cité (2005), p. 69-93, ici p. 77. Il n’est pas (...)
- 86 V. Chankowski, art. cité (2007), p. 105.
- 87 Le fragment du Peri Homonoias d’Antiphon (Stobée, Florilège, III, 16, 30 : 87 B 54 Diels-Kranz) cél (...)
36Plus globalement, l’analyse de la structure financière des dèmes permet de mesurer la richesse et la complexité d’une vie financière d’échelle locale sous le contrôle des dèmes, autonomes à l’égard des instances financières de la cité. Ceux-ci sont d’ailleurs très certainement à l’origine d’un modèle de gestion rationalisée qui distingue la préservation d’un capital fixe d’une somme destinée à un véritable investissement sous la forme de prêts à intérêts. À Plotheia, il est précisé que les créances seront accordées en recherchant le taux le plus avantageux pour la communauté, ce qui semble indiquer une demande importante de crédit et révèle que celles-ci étaient conçues comme de véritables investissements de la part du dème. En ce sens, comme l’a suggéré V. Chankowski, les dèmes ont certainement constitué au ve siècle des « laboratoires d’expériences financières », donnant naissance à une technê oikonomikê exportée ensuite par la cité elle-même dans d’autres contextes, comme celui de Délos85, ou aux capitaux de fondation de l’époque hellénistique86. Le phénomène s’inscrit sans doute plus largement dans l’avènement d’une rationalité propre à une nouvelle oikonomia attikê dans les dernières décennies du ve siècle, au sein de laquelle la réflexion sur le crédit occupe une place centrale87.
- 88 J. Andreau, « Absence de la dette publique dans le monde gréco-romain », Atti della Accademia Pelor (...)
37Il nous faut désormais interroger l’articulation éventuelle entre ces structures locales et le fonctionnement financier de la cité elle-même : dans quelle mesure les structures financières locales ont pu participer, structurellement ou occasionnellement, à ce qu’on nomme les « finances civiques » athéniennes ? J. Andreau a récemment montré que l’absence de dette publique dans les cités antiques témoignait d’une extension de la notion de « finances publiques » dans l’ensemble de la communauté civique de la cité classique88. Le rôle joué par des subdivisions publiques dans les finances de certaines cités classiques est bien connu à Locres ou à Argos. Il nous faut conduire l’interrogation au sein d’une cité aux articulations beaucoup plus complexes, Athènes, et prendre pour point de départ l’organisation financière de la cité archaïque.
Notes
13 Voir principalement sur ce point R. Descat, « L’économie d’une cité grecque au ive siècle : l’exemple d’Athènes », REA, 89, 1987, p. 239-254, selon lequel l’essor du crédit serait particulièrement sensible à partir de la décennie 370, et la baisse sensible des taux d’intérêt (p. 250), et K. Shipton, Leasing and Lending. The Cash Economy in Fourth-Century Athens, Londres, 2000, p. 55-62, qui emploie l’expression de cash-based economy pour caractériser l’économie athénienne du ive siècle.
14 Sur la forme juridique de la procédure des horoi, voir E. Harris, « When is a Sale not a Sale ? The Riddle of Athenian Terminology for Real Security Revisited » [Democracy and the Rule of Law in Classical Athens. Essays on Law, Society and Politics, Cambridge, 2006 (1re éd. 1988), p. 163-206], et S. C. Todd, The Shape of the Athenian Law, Oxford, 1993, p. 250-257.
15 Finley, Studies in Land and Credit.
16 Il convient désormais de travailler sur la documentation rassemblée par K. Shipton, op. cit., Appendice 3, p. 117-128 (chaque horos sera désormais présenté par « Sh » suivi du numéro de référence dans la liste de Shipton), à laquelle il faut ajouter S. D. Lambert et J. Ellis-Jones, « Two Sec. Horoi from a Ore-washery at Agrileza Southern Attica », ZPE, 125, 1999, p. 131-136. Contrairement à K. Shipton, nous excluons délibérément les horoi présentant plusieurs créditeurs sans qu’aucune forme associative qui les rassemble soit mentionnée (7 cas).
17 On identifie 3 dèmes (Sh 7, Sh 80, Sh 102), 5 phratries (Sh 47, Sh 47, Sh 135, Sh 137, Sh 138), une tribu (Sh 161).
18 Ainsi des Glaukidai (Sh 47), des Epikleidai (Sh 47), des Géphyréens (Sh 165 ; ou des Dekadistai (Sh 36).
19 Les Lycomides : Sh 161.
20 Les thiasotes : Sh 50.
21 16 eranistai : Sh 32, Sh 33, Sh 35, Sh 36, Sh 46, Sh 48, Sh 51, Sh 83, Sh 84, Sh 96, Sh 139, Sh 139, auxquels il convient d’ajouter SEG 41. 127, SEG 48. 173, et S. D. Lambert et J. Ellis-Jones, art. cité, p. 134.
22 Il faut noter par ailleurs le caractère exceptionnel de l’horos Sh 139 (= SEG 32. 236, l. 1-6), du milieu du ive siècle, qui atteste l’existence de deux prêts réalisés par deux groupes d’eranistai, de 1 110 et 6 000 drachmes, gagés sur un ergasterion avec des esclaves et un atelier de forge.
23 Finley, Studies in Land and Credit, p. 70.
24 Finley, Studies in Land and Credit, p. 99, et P. Millett, op. cit., p. 177, qui va jusqu’à avancer que les associations avaient en permanence des problèmes de liquidités. La vocation de ces prêts serait de renforcer le lien entre les membres. Voir sur ce point les réserves déjà formulées par Whitehead, Demes, p. 159-160.
25 P. V. Stanley, « The Purpose of Loans in Ancient Athens : a Reexamination », MBAH, 9.2, 1990, p. 57-74, a voulu montrer, contre l’orthodoxie finleyenne, que la plupart des prêts dont nous connaissions la finalité avaient une vocation productive. Sur les réserves toutefois à l’égard d’une telle distinction, voir E. Cohen, op. cit. (1992), p. 34-35, et R. Descat, « L’économie antique et la cité grecque. Un modèle en question », Annales ESC, 50, 1995.5, p. 961-989, ici p. 980-982.
26 Contra V. Ν. Andreyev, « Some Aspects of Agrarian Conditions in Attica in the Fifth to Third Centuries BC », Eirene, 12, 1974, p. 5-46, ici p. 21-22, P. Millett, op. cit., p. 173-177, et Lambert, Phratries, p. 78-79 et 197-198
27 Tel est le cas de Sh 47 (= IG II2 2723), qui atteste des prêts réalisés par deux phratries, et les deux groupes des Epikleidai et des Glaukidai : ὅρος χωρίου/πεπραμένου ἐπὶ λύσει Κηφι/σοδώρωι Λευκον / Χ καὶ φράτερ/σι τοῖς μετὰ Ἐρα/τοστράτο Ἀνα/φλυ HH καὶ Γλ[α]/υκίδαις
H / κ[αὶ] Ἐπικλείδαις / H
καὶ φράτερ/σι τοῖς μετὰ Νί[κ]/ωνος Ἀναφλ Η. On ne peut déterminer s’il s’agit de groupes réalisant ensemble une seule créance ou si le horos enregistre plusieurs créances successives de groupes différents, comme le suggère K. Shipton, op. cit., p. 56, n. 21 et 22. Il paraît néanmoins hautement improbable que ces différentes communautés constituent des sous-groupes les unes des autres (contra Lambert, Phratries, p. 78-79).
28 C’est l’hypothèse développée notamment par K. Shipton, op. cit., p. 86-87, dans le cadre d’une étude qui dépasse largement le cadre des horoi et des associations, trop étroit pour qu’on puisse valider l’hypothèse.
29 Rhodes-Osborne, no 36, l. 16-25 (trad. P. Brun légèrement modifiée).
30 Rhodes-Osborne, no 36, l. 30-34 (trad. R Brun modifiée).
31 /GIF 1183 = Rhodes-Osborne, no 63, l. 27-30.
32 Peut-on pour autant penser, comme le fait Parker, Polytheism and Society, p. 66, n. 61, que les prêts sont réalisés en vue de l’organisation d’une fête ?
33 IG I3 258, l. 15-22 (trad. P. Brun).
34 Sur la faiblesse de la distinction entre caisse publique et caisses sacrées à l’échelle du dème, voir FINLEY, Studies in Land and Credit, p. 95 et, plus largement, L. Migeotte, art. cité, 2006, p. 233-246, ici p. 233-234 et p. 236-237.
35 IG II2 2492, l. 36-39 (trad. D. Rousset). Sur l’interprétation de l’inscription, voir Behrend, Attische Pachturkunden, p. 80-82, et M. Brunet, G. Rougemont et D. Rousset, « Les contrats agraires dans la Grèce antique. Bilan historiographique illustré par quatre exemples », Histoire et Sociétés rurales, 9, 1998, p. 211-245, ici p. 231-236 [D. Rousset].
36 D. Rousset, art. cité (1998), p. 235.
37 Par ailleurs, un fragment de discours d’Isée atteste qu’une plainte avait été déposée à l’encontre d’un dème en vue de la restitution d’un bien, sans doute une terre, qui avait été hypothéquée. Denys d’Halicarnasse, Isée, 10 : ὁ δὲ Ἰσαῖος ἐν ἀμφισβητήσει χωρίου τοῦ ὑπὸ τῶν δημοτῶν κατεσχημένου, οἷς τὸ χωρίον ὑπέκειτο, ταύτῃ χρώμενον εἰσάγει τῇ άρχῇ : « Quant à Isée, dans un litige concernant un domaine retenu par les gens du dème qui avaient reçu le fonds en gage, il introduit un plaideur qui débute ainsi » (trad. G. Aujac).
38 Tel semble être aussi le cas des associations de la cité de Delphes au IVe siècle, si on en croit la loi de Kadys, qui précise l. 6-13 : « À partir du mois Théoxenios, personne ne prendra un intérêt de plus de trois oboles à la mine pour chaque mois, par artifice ou expédient, ni sous aucun prétexte, qui que ce soit, patrie, société d’héroiastes, thiase ou toute autre association ni au particulier, homme ou femme, garçon ou fille, esclave ou servante, métèque ou étranger à Delphes » (T. Homolle, « La loi de Cadys sur le prêt à intérêt. Une crise sociale et politique à Delphes au ive siècle », BCH, 50, 1926, p. 3-106).
39 Voir Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 110-113, et M.-F. Baslez, « Entraide et mutualisme dans les associations des cités grecques à l’époque hellénistique », dans M. Molin éd., Les régulations sociales dans l'Antiquité, Rennes, 2006, p. 157-168, ici p. 164-165. L’usage de contributions eranoi au sein des associations est attesté dans un thiase en 248/247 (IG II2 1298, l. 20), chez les orgéons de la Mère des dieux dans le premier quart du iie siècle (IG II2 1327, l. 13-14).
40 Lysias 8 : « Accusation contre des coassociés pour injures » (ΚΑΤΗΓΟΡΙΑ ΠΡΟΣ ΤΟΥΣ ΣΥΝΟΥΣΙΑΣΤΑΣ ΚΑΚΟΛΟΓΙΩΝ), 10 : πρῶτον μὲν ἅπαντα δι’ ὑμῶν πράξαντά με περὶ τῆς θέσεως τοῦ ἵππου πρὸς Ἡγέμαχον, κάμνοντα τὸν ἵππον ἀνάγειν με βουλόμενον Διόδωρος οὗτος ἀποτρέπειν ἐπειράτο, φάσκων οὐδεν ἀντιλέξειν περὶ τῶν δώδεκα μνῶν Πολυκλέα, ἀλλ’ ἀποδώσειν. τότε λέγων ταῦτα, μετὰ τὸν θάνατον τοῦ ἵππου κατέστη τελευτῶν ἀντίδικος μετὰ τούτων, λέγων ὡς οὐ δίκαιόν με εἴη κομίσασθαι τὸ ἀρχύριον : « D’abord, dans une affaire qui s’étaient conclue entièrement par votre intermédiaire, celle où j’avais traité avec Hégémachos pour le fameux cheval donné en gage, je voulais intenter l’action rédhibitoire, car le cheval était atteint d’un vice ; Diodoros, ici présent, fit tout pour m’en dissuader : “Les douze mines, Polyclès les payerait sans barguigner” – tel était son langage à ce moment ; mais quand le cheval fut mort, il se mit finalement du côté de mes adversaires, prétendant que je n’avais aucun droit à rentrer dans mon argent » (trad. L. Gernet et M. Bizos).
41 Agora, 16. 161, l. 5-8 : ἀναγράψαντας τοὺς ὀφείλοντά[ς τι εἰς τὴν κοι]/νωνίαν ἐν στήλει λιθίνει στῆσαι παρὰ τ[ὸν βωμὸν]/ ἐν τῶι ἱερῶι τά τε κεφάλαια καὶ τὸν τόκο[ν ὁπόσου] / ἂν ἔχει έκαστος : « Que l’on grave le nom de ceux qui sont débiteurs à l’égard de la communauté et qu on place la stèle de marbre près de l’autel dans le sanctuaire en indiquant le montant de l’ensemble des sommes et des intérêts que chacun a empruntés. »
42 Ainsi, selon l’interprétation convaincante d’Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 149, en 212/211 chez des thiasotes : [. αὐ]τὸς δὲ ἐπηγγείλα[το ἐκ τῶν]/ [ἰδ]ίων εἰς ἅπαντα τὰ [προσή]/[κ]οντα τῶι κοινῶι μερ[ιεῖν] (IG II2 1318, l. 3-5) : « Il a promis qu’il contribuerait pour sa part avec ses propres revenus à tout ce qu’il convient pour la communauté » et chez les orgéons de la Mère des dieux, dans le premier quart du iie siècle (IG II2 1329, l. 10).
43 Voir le chapitre 2, p. 164-167.
44 Dans un thiase inconnu en 272/271, un fonds de 1 170 drachmes est mentionné (IG II2 1278, l. 4). Dans le sens d’un tel bilan, voir Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 110-113, M.-F. Baslez, art. cité (2006), p. 164-165, et, dans le cas des phratries, Lambert, Phratries, p. 199-201.
45 Voir les remarques d’Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 110-113 et p. 148.
46 Voir l’ensemble des cas cités par Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 111-113, et M.-F. Baslez, art. cité (2006), p. 165, n. 56.
47 Voir le chapitre 3, p. 272.
48 Voir en particulier Homère, Odyssée, 1, v. 127, et 11, v. 414-415, Hésiode, Les travaux et les jours, v. 722, et Pindare, Pythiques, 5. 58, 5. 77, et Olympiques, l. 38.
49 Aristote, Magna Moralia, 1192b, et Xénophon, Cyropédie, VII, 1, 12.
50 Sans qu’on y voie nécessairement la marque d’une éthique de type philanthropique dans les formes de crédit dans la cité classique (comme Finley, Studies in Land and Credit, p. 102, et Maier, Eranos, p. 112-116), les eranoi pouvant souvent être associés, dans des opérations financières complexes, aux formes de crédit les plus modernes de l’Athènes du ive siècle, il est certainement excessif de refuser, comme le fait E. Cohen, op. cit. (1992), p. 207-215, la dimension « gratuite » de l’opération.
51 Antiphon, Première Tétralogie, A, 9, et 12.
52 La première association d’éranistes clairement attestée, de façon très révélatrice, dédie son culte à Zeus Philios en 324/323 (IG II2 2935). Sur la stèle et sa dédicace, voir E. Vikela, « Attische Weihreliefs und die Kulttopographie Attikas », MDAI, 112, 1997, p. 167-246, p. 187-189. Il est possible que la première mention épigraphique du terme d’eranistai soit un peu antérieure (Agora, 19. P 14 face B., col. III 384-385 et 395 de 350), mais l’inscription est trop fragmentaire pour qu’on puisse en saisir la signification.
53 On distingue des eranoi, parfois sous les formes abrégées de koinon erani, koinon eranis ou koi erani en : IG II2 1553, l. 7-10, l. 20-23 ; IG II2 1556, face B, l. 27-29 ; IG II2 1557, face B, l. 105-107 ; IG II2 1558, face A, l. 39-43 ; IG II2 1559, face A col. II, l. 26-31 ; IG II2 1566, face A, l. 27-29 ; IG II2 1568, face B, l. 18-23 ; IG II2 1569, face A col. III, l. 18-21 ; IG II2 1570, l. 24-26, 57-62, 82-84 ; IG II2 1571, l. 8-13 ; 1572, l. 8-11, D. M. Lewis, « Attic Manumissions », Hesperia, 28, 1959, p. 208-238, face A, l. 141-142 et 566-567, face B, l. 2 et 153, D. M. Lewis, « Dedications of Phialai at Athens », Hesperia, 37, 1968, p. 368-380, p. 368, n° 49, l. 5-8. Par la dédicace s’officialise d’une certaine façon la victoire de l’affranchi aux dépens de son ancien maître suite à une procédure de dikê apostasiou. Sur la procédure, voir S. C. Todd, The Shape of the Athenian Law, Oxford, 1993, p. 190-192 et p. 362. Il est possible que la procédure soit ici en partie fictive. On peut penser que l’homme qui réunit l'eranos joue pour l’affranchi un rôle légal nécessaire à l’affranchissement ou que les éranistes jouent un rôle de garants semblable à celui des témoins dans les actes d’affranchissement delphiques. E. Cohen y voit un argument en faveur de la liberté des esclaves capables de regrouper autour d’eux des eranoi parfois assez fortunés : Cohen, Athenian Nation, p. 153-154.
54 En faveur des eranistai membres d’associations cultuelles : M. Clerc, Les métèques athéniens. Étude sur la condition légale, la situation morale et le rôle économique et social des étrangers domiciliés à Athènes, Paris, 1893, p. 288, Ziebarth, Griechische Vereinswesen, p. 159, M. San Nicolo, Ägyptisches Vereinswesen zur Zeit der Ptolemäer und Romer, t. 2, Munich, 1913-1915, p. 155, J. Vondeling, Eranos, Groningen, 1961, p. 126-133, Maier, Eranos, p. 89, Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 73-75. Au contraire, à la suite de Poland, Geschichte Vereinswesens, p. 29, Finley, Studies in Land and Credit, p. 104-105, a voulu établir que les eranistai étaient des groupes de créditeurs. Cette interprétation a été reprise sans aucune discussion par P. Millett, op. cit. (1991), E. Cohen, op. cit. (1992), et K. Shipton, op. cit. (2000).
55 Aristote, Athenaion Politeia, 52. 2. Pour notre hypothèse concernant les dikai eranikai, voir chapitre 2, p. 146-149.
56 Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 73-75. On peut reconnaître avec Arnaoutoglou, Thusias heneka, p. 76, que l’argument chronologique employé par Finley, Studies in Land and Credit, p. 101, n’est guère satisfaisant.
57 Pour Maier, Eranos, p. 100, l’apparition du terme d’eranos à la fin du iie siècle (IG II2 1335, l. 4-6) marquerait la naissance de la personnalité légale attribuée à des associations : Dieser Verein müsste natürlich dann als selbständiges, begrifflich von der Mitgliedergesamtheit als losgelöst verstandenes Gebilde eine eigene Rechtspersönlichkeit besitzen. Hierin könnten also die Anfänge einer juristischen Person stecken. Voir le chapitre 2, p. 157-162 sur la question de la personnalité juridique des associations et le chapitre 5, p. 346-348 au sujet des modifications du vocabulaire associatif à la basse époque hellénistique.
58 La difficulté avait été notée par Maier, Eranos, qui penchait en faveur d’un tribunal réservé à toutes les associations.
59 [Démosthène] 59. 31.
60 Ainsi à Delphes : SGDI, 1754, 1772, 1791, 1804, 1878, 1909, 2317 (: CID, V, 351, 229, 228, 217, 344, 158, 915, à paraître). À chaque fois, il est précisé que l’esclave doit rembourser l’eranos à son ancien maître. L’emprunt constitue d’une certaine façon le prix de l’affranchissement. Ailleurs en Béotie : voir L. Darmezin, Les affranchissements par consécration en Béotie et dans le monde hellénistique, Nancy, 1999, par exemple no 78 (à Chéronée au iie siècle). Sur la procédure, voir K.-D. Albrecht, Rechtsprobleme in den Freilassungen der Bootier, Phoker, Dorier, Ost-und Westlokrer, Paderborn, 1978, p. 176-179.
61 Voir par exemple L. Gernet, « Eranos » (traduction, introduction et commentaire par A. Taddei), Dike, 2, 1999, p. 1-65. Une telle solidarité pourrait être encore approfondie concernant les écoles philosophiques, tels les Stoïciens ou les Cyniques, et leur rapport ambigu avec le monde des trapezitai au ive siècle.
62 IG I3 253. Ces six années ne correspondent probablement pas à six années consécutives. A. K. Makres, en effet, a montré que les trois premières années (l. 1-10) rédigées en alphabet ionien ont été ajoutées postérieurement à la série de trois années (l. 11-24) qui conclut l’inscription, gravée en alphabet attique : voir A. K. Makres, « The Rediscovery of IG I3 253-254 », ATTIKAI ΕΠΙΓΡΑΦΑΙ. Πρακτικά συμποσίου εις μνηίμην Adolf Wilhelm (1864-1950), Athènes, 2004, p. 123-140, ici p. 130-131.
63 W. R. Biers et T. D. Boyd, « Ikarion in Attica : 1888-1981 », Hesperia, 51.1, 1981, p. 1-18.
64 En raison du caractère lacunaire de l’inscription, nous ne disposons que de la l. 23 pour évaluer le montant du trésor. Les montants indiqués l. 2 (3000 drachmes ?), l. 6 (3 600 drachmes ?), l. 13 (3 000 drachmes ?) et I. 17 (3 000 drachmes ?) ne peuvent être que restitués, avec une marge non négligeable d’incertitude.
65 La ligne 3 indique 2152 drachmes, la ligne 6, 2 200 drachmes, la ligne 9, plus de 2 270 drachmes.
66 Samons, Empire of the Owl, p. 325-329.
67 Ligne 7, le montant ne peut être que restitué grâce aux lignes qui suivent. La ligne 10 indique une somme de 4 talents et 1 122 drachmes, la ligne 14, 4 talents et 2 288, 5 drachmes, la ligne 18, 4 talents et 2 396 drachmes, la ligne 22, 4 talents et 2 000 drachmes.
68 Comme le suggère Humphreys, Strangeness, p. 149-150, il y a de fortes chances que l’argent ne soit pas géré directement par le dème mais par d’autres associations cultuelles, participant ainsi aux finances du dème.
69 Scholiaste d’Eschine, Contre Timocrate, 23 : ὁσίων] ὅσια καλεῖ τὰ δημόσια.
70 Ptolémée : ὅσιον καὶ ἱερὸν διαφέρει, ὅσια μὲν γὰρ λέγουσιν τὰ ἰδιωτικὰ ὧν ἐφίεται προσάψασθαι. ἱερὰ δὲ τὰ τῶν θεῶν ὧν οὐκέτι ἔξεστιν προσάψασθαι.
71 Voir W. Burkert, Greek Religion, Harvard, 1985, p. 269-271, J. Rudhardt, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique, Paris, 1992, p. 30-36, Samons, Empire of the Owl, p. 325-329. J. Rudhardt précise : « Il semble donc bien que les hommes exercent sur les hosia un droit de propriété dont ils se sont, en ce qui concerne les hiera, dépouillés au profit des dieux » (p. 35). L. J. Samons met en évidence de son côté qu’en matière financière il n’existait pas de différence fonctionnelle claire entre les deux domaines (p. 325).
72 Le dème d’Ikarion n’envoyait que cinq de ses membres à la Boulè au ive siècle.
73 IG I3 258, l. 1-17 (traduction P. Brun).
74 Voir Whitehead, Demes, p. 166-169.
75 Voir Institut Fernand Courby, Nouveaux choix d’inscriptions grecques, Paris, 1971, p. 112, et Whitehead, Demes, p. 142-146.
76 IG I3 248. Voir les commentaires de J. Pouilloux, La forteresse de Rhamnonte. Étude de topographie et d’histoire, Paris, 1954, no 35, p. 147-150, R. Bogaert, Banques et banquiers dans les cités grecques, Leyde, 1968, p. 92-95, et Whitehead, Demes, p. 160.
77 Voir J. Pouilloux, op. cit., p. 149. Ce système de tranches existait aussi dans le cas de prêts privés (voir R. Bogaert, op. cit., p. 93-94). Il est repris par les Amphictyons à Délos en 374/373 sous la forme de tranches probablement de 150 et 300 drachmes (ID 98, l. 78-95, dans la publication de C. Prêtre et al., Nouveaux choix d'inscriptions de Délos. Lois, comptes et inventaires, Athènes, 2002, p. 29-37, avec les commentaires de V. Chankowski, « Techniques financières, influences, performances dans les activités bancaires des sanctuaires grecs », Topoi, 12-13, 2005, p. 69-93, ici p. 78).
78 Voir R. Bogaert, op. cit., p. 93.
79 Sur le temple, voir M. Miles, The Temple of Nemesis at Rhamnous, Princeton, 1982.
80 Voir chapitre 3, p. 234-235.
81 Contra R. Bogaert, op. cit., p. 294.
82 Les réserves du sanctuaire de Némésis, qui dépassent 50000 drachmes, ne constituent probablement qu’un des trésors sous le contrôle des démotes. Il n’y a par ailleurs aucune raison de faire du sanctuaire de Némésis à Rhamnonte un cas exceptionnel (contra P. Millett, op. cit. (1991), p. 176).
83 R. Bogaert, op. cit., p. 88-89 et p. 404, en s’appuyant sur les comptes d’Éleusis, a fait l’hypothèse que la banque publique athénienne existait depuis l’époque de Lycurgue. L’hypothèse est très fragile, puisque rien ne permet d’affirmer que le trapezitès mentionné dans les comptes d’Éleusis était un « banquier public ». L’absence de toute référence à l’institution dans l’Athenaiôn Politeia, en outre, n’est pas la moindre des difficultés. L’hypothèse a été rejetée dans l’historiographie récente : voir par exemple E. Cohen, op. cit. (1992), p. 42. La première attestation certaine d’une banque publique à Athènes n’est pas antérieure à la fin du iie siècle : IG II2 1013, l. 4 et l. 28-29. Sur les banques publiques dans les cités hellénistiques, voir désormais V. Gabrielsen, « The Public Banks of Hellenistic Cities », dans K. Verboven, K. Vvndorpe et V. Chankowski éd., Pistoi dia tèn technèn. Bankers, Loans and Archives in the Ancient World. Studies in Honour of Raymond Bogaert. Studia hellenistica, 44, Louvain, 2008, p. 115-130.
84 Sur les prêts aux particuliers accordés par les banques publiques, voir R. Bogaert, op. cit., p. 404. Sur le déclin des dèmes à partir de la deuxième moitié du iiie siècle, voir le chapitre 5, p. 331-343.
85 Voir les réflexions récentes de V. Chankowski, art. cité (2005), p. 69-93, ici p. 77. Il n’est pas certain toutefois que leur objet soit uniquement le fonctionnement de la vie religieuse.
86 V. Chankowski, art. cité (2007), p. 105.
87 Le fragment du Peri Homonoias d’Antiphon (Stobée, Florilège, III, 16, 30 : 87 B 54 Diels-Kranz) célébrant le crédit constitue sans doute à cet égard un document essentiel. Sur l’avènement d’une nouvelle oikonomia attikê dans la seconde moitié du ve siècle, voir les remarques de R. Descat, art. cité (1995), p. 968-969, qui l’identifie particulièrement dans le cadre des patrimoines privés sur la base de Plutarque, La vie de Périclès, 16. 3-5.
88 J. Andreau, « Absence de la dette publique dans le monde gréco-romain », Atti della Accademia Peloritana dei Peloricanti, 73, 1997, p. 49-59. L. Migeotte, « L’endettement des cités grecques dans l’Antiquité », dans J. Andreau, G. Béaur et J.-Y. Grenier éd., La dette publique dans l’histoire, Paris, 2006, p. 115-128, parvient à des conclusions similaires : « Pour permettre à l’emprunt de devenir un moyen d’investissement à long terme et d’aboutir à l’institution d’une dette publique au sens propre, il aurait fallu, je pense, que les cités se développent comme des entités abstraites, à la manière des États modernes » (p. 128).
© Éditions de la Sorbonne, 2010