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Urbanisme et mobilité

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Xavier Desjardins

Partie 3. Aménager la dépendance ferroviaire : l’Île-de-France

Chapitre 5. Transport et crise du logement : un fonctionnement systémique

Texte intégral

1L’effet social des politiques en faveur des transports collectifs fait aujourd’hui l’objet de nombreux débats. Le renforcement des réseaux de transports collectifs ne conduirait-il pas à une forme d’inexorable embourgeoisement des centres-villes ? Telle est une des critiques majeures faites aux politiques menées depuis trente ans dans les villes de province en faveur du tramway, et plus généralement, des transports collectifs (Reigner et al., 2013). Le cas francilien nous permet d’analyser l’interaction entre les dynamiques de prix immobiliers, la composition sociale des quartiers et les politiques de transport. Cette région a, en quelque sorte, anticipé le regain d’intérêt pour les transports collectifs d’une vingtaine d’années et semble un laboratoire – à une échelle certes différente – des mutations que pourraient connaître les grandes métropoles françaises. Après avoir rappelé le lien entre prix fonciers et système d’accessibilité (5.1) ainsi que les caractéristiques de la crise du logement en Île-de-France (5.2), nous interrogerons les interactions entre politiques d’urbanisme et de transport et situation du logement (5.3). Cela met en évidence un désajustement croissant entre politique d’urbanisme et système de financement du logement (5.4).

5.1. Lien entre prix fonciers et systèmes d’accessibilité

2Le choix du mode de transport dominant dans une ville n’a pas d’incidence sur les prix fonciers moyens. Les prix fonciers sont, pour les économistes, liés à l’attractivité d’une ville, à la qualité et à la quantité de l’offre en logement, aux capacités d’investissements des ménages et des entreprises, mais également à la concurrence entre les placements financiers et à l’incertitude sur les revenus futurs, notamment les retraites (Geerolf, 2011). La question des transports intervient comme un des facteurs de la différenciation spatiale et temporelle des prix. Les modèles classiques de l’économie géographique expliquent la différence des prix dans les villes par les inégalités d’accès aux fonctions centrales.

3Dans une ville où l’automobile domine nettement, les différences d’accessibilité entre les quartiers sont faibles. À l’inverse, dans une ville basée sur les transports collectifs, la proximité au point d’entrée dans le réseau devient très discriminante : les valeurs foncières sont alors très sensibles à ces écarts d’accessibilité. Les valeurs des quartiers les mieux desservis – presque toujours les quartiers centraux pour des raisons géométriques de morphologie des réseaux – sont donc durablement stabilisées dans le haut de la hiérarchie des valeurs foncières. Dans une ville dominée par l’automobile, la variation temporelle des prix fonciers peut être plus rapide, car moins liée à un système d’accessibilité organisée par le temps long de la construction des réseaux de transport collectif. Les différences de prix du foncier entre quartiers sont alors principalement dépendantes de la qualité des paysages, des équipements publics ou encore des effets de mode (Giuliano, 1989).

5.2. Quelques caractéristiques et effets de la crise du logement en Île-de-France

4En Île-de-France, entre 1968 et 2007, le nombre de résidences principales a crû de près de 1,5 million d’unités, soit de près de 50 %. Cet effort, pour considérable qu’il puisse paraître, est inférieur à la moyenne nationale. Dans le même temps, le nombre de résidences principales a crû de 65 % pour la France entière. Le développement résidentiel en Île-de-France s’est fortement ralenti au cours des quarante dernières années. Le parc de résidences principales croît de presque 60000 unités par an entre 1968 et 1975, de près de 40000 entre 1975 et 1982, d’un peu plus de 30000 par an entre 1982 et 1999, pour remonter à environ 45000 par an entre 1999 et 2007. Depuis 2008, le nombre de logements construits est stable, autour de 40000. Le manque de logements est une particularité que l’Île-de-France partage avec quelques rares autres régions françaises, la côte d’Azur et le centre des plus grandes agglomérations (Driant, 2013).

5Quelles sont les conséquences de cette offre faible ? Certaines sont connues : les prix augmentent ; le mal-logement se développe ; le nombre de personnes par ménage diminue peu, au point qu’une inversion historique s’est produite au tournant des années 2000 puisque les Franciliens sont aujourd’hui plus nombreux par logement que les provinciaux. D’autres conséquences sont moins souvent évoquées : les étudiants et les jeunes actifs sont moins nombreux à juger pertinent de passer quelques années à Paris pour améliorer leurs chances d’insertion professionnelle. Enfin, certaines sont parfois oubliées, comme le déficit très accentué de retraités : environ 600000 plus de 65 ans manquent à l’appel pour que l’Île-de-France ait la même proportion de représentants de cette classe d’âge que la moyenne française ! Certains retraités sont victimes de la cherté des loyers, d’autres, propriétaires, sont surpris de pouvoir accéder à des biens confortables en province en échange de leurs petits logements franciliens. Cette pénurie de logements n’est pas sans effet sur l’économie résidentielle francilienne (Davezies, 2009).

6La conséquence de l’évolution des prix est mise en évidence par de nombreuses études : la sociologie des quartiers centraux change très fortement. Étudiant le profil des acquéreurs et vendeurs pendant la période de hausse des prix immobiliers à Paris et à Marseille, Guilhem Boulay, Marianne Guérois et Renaud Le Goix (2011) ont montré une moindre présence des employés dans le centre et un repli de ces derniers dans le sud-ouest du Val-de-Marne ainsi qu’au nord de la Seine-Saint-Denis. Les acquéreurs ouvriers et employés s’éloignent constamment du centre : « On assiste bien à une polarisation accrue du marché immobilier, avec l’éviction des catégories les plus modestes du centre et la diffusion des catégories plus aisées dans le cœur de l’agglomération » (Boulay et al., 2011, p. 179). On retrouve le même effet, quoique de manière atténuée, pour les locataires du parc privé. Seul l’habitat social et des pratiques de suroccupation dans le parc privé, souvent dégradé, maintiennent quelques isolats, buttes-témoins du Paris populaire face à la montée des prix depuis le centre de l’agglomération parisienne.

5.3. Les interactions entre urbanisme, transports et logement

7La crise du logement n’est pas indépendante de l’évolution des politiques d’urbanisme et de transports.

8Tout d’abord, le maintien de valeurs centrales élevées et même l’accroissement des écarts de prix entre centre et périphérie sont un effet de la place majeure accordée aux réseaux de transport collectif radioconcentrique dans l’aménagement francilien. Cette politique d’accessibilité renforcée des centres, à une époque où l’automobile aurait pu, comme dans certaines villes des États-Unis, conduire à une forme d’uniformisation des conditions d’accessibilité et donc à un déclin des valeurs foncières du centre a permis le « maintien de fortes rentes foncières aux pôles » (Bieber, Orfeuil, Massot, 1993). Par ailleurs, cette politique de transport fait que « le rôle résidentiel de centres est rapidement réduit sous l’effet de l’élévation recherchée des rentes foncières, que les activités tertiaires peuvent mieux mettre à profit que les autres ».

9Cette élévation des valeurs foncières de la zone centrale est renforcée par la politique de densification. Une densification des tissus urbanisés dédiés à l’habitat a toujours existé. Les données du mode d’occupation des sols de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France montrent que le nombre moyen de logements par hectare dédié à l’habitat a crû de plus de 10 % entre 1982 et 2007, dans l’ensemble des couronnes situées à moins de 40 kilomètres de Paris (Babin, 2011). Toutefois, dans la zone centrale de l’agglomération, la densification résidentielle s’est accentuée au cours des deux dernières décennies. En première couronne, le recyclage de grands terrains abandonnés par l’industrie depuis les années 1970 a permis de grands projets de renouvellement urbain (par exemple à Issy-les-Moulineaux, Levallois, Montreuil, etc., voir Albecker, 2014). Le nombre de logements supplémentaires réalisé chaque année dans les communes incluses dans un périmètre de 10 kilomètres autour de Notre-Dame s’est donc accru fortement, passant de 7800 entre 1982 et 1990, à 8500 entre 1990 et 1999 et plus de 9800 entre 1999 et 2007. La désindustrialisation massive de nombreuses communes de la banlieue proche (Issy-les-Moulineaux, Saint-Denis, Levallois, Ivry-sur-Seine, etc.) a offert un foncier très souvent utilisé pour la construction de logements. Toutefois, cette politique peut favoriser une augmentation des prix immobiliers. Produire des logements en zone dense coûte cher, en raison des coûts plus élevés de construction, mais surtout parce que les prix fonciers sont plus élevés en zone déjà construite (Downs, 2004 ; Piron, 2007). « Comment accueillir alors la large base des classes moyennes dans un tissu densifié, même si peu que ce soit, si la densification produit son inévitable effet dans les conditions économiques en vigueur, c’est-à-dire la hausse du prix du sol là où l’on pourra s’installer ? La dimension économique et politique d’une alternative massive à la dispersion a-t-elle été reconnue à sa juste hauteur ? » feint de se demander Francis Beaucire (2007, p. 56).

10Dans ces conditions, comment loger les plus pauvres ? En excluant une partie des logements des logiques de marché. La politique de logement social a ainsi été renforcée. Les exigences sont passées de la réalisation de 20 % de logements sociaux dans toutes les communes en 2020 selon la loi Solidarité et renouvellement urbains de 2000 à 25 % depuis une loi de janvier 2013. Cette politique en faveur du logement social devient, par l’élévation des prix fonciers, plus coûteuse. Une grande partie de la classe moyenne se trouve exclue du dispositif. Le parc aidé est restreint puisque plus des trois quarts des logements sont dans le marché libre. De plus, le parc social tend à être réservé aux plus pauvres (Desjardins, 2008). Le parc locatif à loyer modéré des investisseurs institutionnels s’est très fortement réduit (Nappi-Choulet, 2012). Depuis quelques années, des efforts sont faits pour développer un parc intermédiaire à Paris et dans les communes limitrophes, mais ces tentatives sont encore très faibles. Une politique de densification implique un élargissement des publics aidés pour le logement, dans la mesure où elle conduit à une hausse des valeurs foncières par accroissement de la concurrence là où il est possible de construire. La France, en cette matière, a copié un modèle d’urbanisation compacte en « oubliant » d’importer les mécanismes de régulation foncière qui le rendent socialement acceptable dans les pays rhénans.

11La politique de densification devient plus complexe à mettre en œuvre et conduit aujourd’hui à rendre plus délicate une relance quantitative de la construction. Les « grands morceaux » à recycler se font plus rares (Bouvelot, 2013). La politique de densification rencontre une très difficile acceptabilité sociale et politique. La densification s’opère aujourd’hui par recyclage de petites entités autrefois industrielles ou artisanales. Ces petits projets sont, paradoxalement, souvent plus perturbants pour le voisinage, en transformant le paysage déjà constitué des quartiers. Surtout, cette difficile acceptation s’explique par le retard pris dans la réalisation des infrastructures de transport, qui étaient pourtant censées être, selon le SDRIF de 1994, le corollaire indispensable de la densification de la première couronne. De nombreux élus soulignent la difficulté d’augmenter le nombre d’habitants avec une telle insuffisance d’équipements et une si forte congestion du réseau de transport public.

12Par ailleurs, la « soupape » qu’a constitué le périurbain se soulève de moins en moins souvent. Depuis les années 1970, les espaces périurbains ont été le principal lieu d’accession à la propriété des classes moyennes (Jaillet, 2004). La volonté d’ouvrir de larges espaces à l’urbanisation dans les périphéries urbaines était pensée comme le moyen de compléter une réorientation des politiques du logement en faveur des aides à la personne. Le principe des aides à la personne est ainsi explicité : « Le plus grand mérite de l’aide personnelle est de marier l’effort de solidarité sociale et le respect de la liberté des individus. Ceux-ci reçoivent de la collectivité un concours fondé sur l’idée que l’inégalité des revenus ne doit pas empêcher l’accès à un habitat correct. Mais l’État se garde d’utiliser l’aide pour classer les citoyens et assigner chacun d’eux à une résidence définie en fonction de son revenu. Aussi, l’aide à la personne suppose-t-elle dans l’offre de logements une abondance suffisante pour que les ménages exercent effectivement leur liberté de choix » (Barre, 1976). Cette abondance de choix sera notamment permise par la réalisation d’un programme routier, qui, en ouvrant de vastes surfaces accessibles à l’urbanisation, produit une offre foncière peu chère, car abondante et concurrentielle. Ce projet est ainsi clairement exprimé par Christian Gérondeau (1969, p. 126) : « En ouvrant de vastes superficies à l’urbanisation, l’automobile peut ainsi seule mettre fin à la crise foncière que connaissent depuis longtemps de nombreuses villes françaises, et qui est paradoxale dans un pays aux faibles densités globales. L’expérience de pays étrangers montre qu’il est possible sans efforts excessifs pour les finances nationales de lui procurer, en dehors de quelques zones très denses, une infrastructure appropriée, qu’elle est capable, et au-delà, de financer. »

13Depuis quelques années, le périurbain se ferme peu à peu. Le nombre de logements construits en grande couronne a décru au cours de la dernière décennie. Si l’on décompose le nombre de logements construits depuis 2006, on note une baisse importante du nombre de logements individuels, notamment en secteur diffus, c’est-à-dire hors de toute opération d’aménagement groupé. Cela est, bien sûr, lié aux difficultés économiques depuis 2008 et à la difficulté à accéder au crédit bancaire, mais cela est également un indice des effets d’une volonté affirmée depuis plus d’une dizaine d’années de limiter l’étalement urbain.

5.4. Planification et financement de l’urbanisation : le désajustement et ses effets

14Ces différents éléments montrent une inadéquation temporelle entre la politique d’urbanisme, les investissements dans les transports et les mécanismes financiers de la politique du logement :

  • les mécanismes financiers de la politique du logement ne permettent pas d’aider fortement le logement des classes moyennes. Le parc social destiné aux classes moyennes tend à se réduire, les investisseurs institutionnels se sont désengagés du parc immobilier. On a récemment pris conscience, et de manière encore timide, de la nécessité de réinventer une politique du logement pour les classes moyennes ;
  • la densification a été commencée depuis une vingtaine d’années. La relance importante des investissements dans les transports publics arrive avec un retard d’environ deux décennies. La relance est aujourd’hui manifeste. Alors que, selon le Direction régionale et interdépartementale de l’aménagement et de l’environnement, 48000 logements ont été commencés en 2012, on en compte 56300 en 2014 et 64190 en 2015 ;
  • la « fermeture » progressive de la soupape périurbaine est arrivée trop tôt au regard de la capacité de la zone dense à produire un nombre suffisant de logements à des prix adaptés aux classes moyennes.

15Ce désajustement temporel entre un changement d’horizon des politiques d’urbanisme et les modalités de financement des réseaux de transport et des logements constitue un des éléments souvent occulté d’une crise du logement fréquemment présentée comme le seul résultat d’un « égoïsme » des communes soluble dans une réorganisation administrative d’ampleur.

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