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La cité des réseaux

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Paulin Ismard

Introduction

Texte intégral

Αἱ δὲ κοινωνίαι πάσαι μορίοις ἐοίκασι τῆς πολιτικῆς· συμπορεύονται γὰρ ἐπί τινι συμφέροντι, καὶ ποριζόμενοί τι τῶν εις τον βίον· καὶ ἡ πολιτικ ὴ δε κοινωνία τοῦ συμφέροντος χάριν δοκεῖ καὶ ἐξ ἀρχῆς συνελθεΐν καὶ διαμένειν· τούτου γὰp καὶ οἱ νομοθέται στοχάζονται, καὶ δίκαιόν φασιν εἶναι τὸ κοινῇ συμφέρον. Αἱ μὲν οὖν ἄλλαι κοινωνίαι κατὰ μέρη τοῦ συμφέροντος έφίενται, οἷον πλωτῆρες μὲν τοῦ κατὰ τὸν πλοῦν πρὸς ἐργασίαν χρημάτων ἤ τι τοιοῦτον [...], ὁμοίως δὲ καὶ φυλέται καὶ δημόται. [ἔνιαι δέ τῶν κοινωνιῶν δι’ ἡδονὴν δοκοῦσι γίνεσθαι, θιασωτῶν καὶ ἐρανιστῶν [...]]. Πάσαι δ’ αὗται ὑπὸ τὴν πολιτικὴν ἐοίκασιν εἶναι· οὐ γὰp τοῦ παρόντος συμφέροντος ἡ πολιτικὴ ἐφίεται, άλλ’ εἰς ἅπαντα τὸν βίον.

  • 1 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1160 a (trad. R. Bodéüs).

D’autre part, toutes les associations se présentent comme des parcelles de l’association entre concitoyens. Si les gens font route ensemble, en effet, c’est qu’ils y ont quelque intérêt et peuvent se procurer quelque chose d’utile à l’existence. Or la communauté politique a, semble-t-il, elle aussi, pour motif l’intérêt, tant au départ lorsqu’elle se constitue, que plus tard lorsqu’elle se perpétue. C’est lui en effet que les législateurs ont en point de mire et ce qu’ils prétendent juste, c’est l’intérêt commun. Ainsi donc les autres associations, chacune pour sa part, ont en vue l’intérêt. Par exemple, les compagnies maritimes cherchent à tirer parti de la navigation, pour produire des richesses ou quelque chose de ce genre ; [...] et il en va encore de même des membres d’une tribu ou d’un dème. Par ailleurs, quelques-unes des associations semblent être motivées par le plaisir ; on pense aux thiasotes et aux éranistes. [...] Mais toutes ces associations ont bien l’air d’être subordonnées à la communauté politique. Car ce n’est pas l’intérêt du moment que vise la communauté politique ; au contraire, elle prend en considération toute l’existence1.

  • 2 Aristote, Ethique a Nicomaque, 1159 b : « Toute association semble en effet impliquer quelque chos (...)
  • 3 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1161 a.
  • 4 Aristote, Éthique à Eudème, 1242 a.

1De toute la littérature antique, le livre VIII de l’Éthique à Nicomaque offre sans doute la conception la plus explicite de ce que les Grecs entendaient sous le terme de koinônia. À en croire Aristote, toute koinônia suppose le partage d’une fin commune. Liés par une relation affective, la philia, et un « rapport de justice », to dikaion2, les membres d’une koinônia, dans la mesure où ils sont engagés dans des rapports de réciprocité, ne sauraient être que des hommes libres3. À cet égard, l’homme libre peut être défini aussi bien comme un politikon zôon que comme un koinônikon zôon – un être fait pour l’association4.

2En dépit de sa cohérence, la description aristotélicienne se révèle déconcertante a plus d’un titre pour tout historien de la société athénienne. Sous le concept de koinônia sont en effet rassemblées une multiplicité de communautés aux finalités très diverses. Davantage qu’une entité sociale spécifique susceptible d’être localisée au sein de la vie communautaire athénienne, le terme de koinônia désigne un principe associatif qui conduit de la famille à la cité, comprend aussi bien des regroupements temporaires dont l’activité est économique, des communautés cultuelles dites « privées » que des structures d’organisation de la vie civique (dèmes, tribus). Par ailleurs, si les koinôniai dans leur ensemble constituent des « parcelles » de la politikê koinônia qu’est la cité, la différence entre la totalité civique et l’ensemble des communautés infraciviques est plus de degré que de nature.

  • 5 G. F. Schömann, GriechischeAlterthümer, 2 vol., Berlin, 1871 (1er volume republié avec des correct (...)
  • 6 R. Bodéüs, Aristote. Éthique à Nicomaque, Paris, 2004 ; N. Jones, The Associations of Classical At (...)
  • 7 Voir R. A. Gauthier et J.-Y. Jolif, op. cit., p. 696-697 ; S. Broadie et C. Rowe, Aristotle. Nicom (...)
  • 8 Selon la proposition audacieuse de J. Ober, « The Polis as a Society. Aristotle, John Rawls and th (...)

3Transcendant les dichotomies traditionnelles qui opposent le privé au public, l’ordre de la parenté à celui du social, le concept de koinônia se présente finalement comme un objet insaisissable, sur la base duquel il apparaît bien téméraire de définir précisément les contours d’un espace social. La difficulté apparaît de façon récurrente pour qui souhaite traduire le terme dans les langues modernes : qu’on en fasse l’équivalent des notions de corporation5, d’association6, de communauté7 ou de société8, c’est toujours au prix d’une restriction importante de son sens. Dans leur usage le plus courant, ces différents termes définissent en effet un espace intermédiaire entre la sphère familiale et celle du public ou de l’État – ou, pour le dire en termes grecs, entre l’oikos et la polis, tous deux pourtant identifiés par Aristote comme des koinôniai.

  • 9 N. Jones, Public Organization in Ancient Greece. A Documentary Study, Philadelphie, 1987.
  • 10 F. Bourriot, Recherches sur la nature du genos. Étude d’histoire sociale athénienne, périodes arch (...)

4Néanmoins, l’embarras de l’historien confronté au texte aristotélicien trahit peut-être la carence des conceptions modernes qui président à l’étude de la vie communautaire dans les cités grecques. Par son extension, la notion de koinônia interroge en particulier la pertinence des principes classificatoires qui segmentent traditionnellement l’étude des communautés infraciviques. Aux côtés des oikoi et de la polis, c’est en effet pour l’essentiel selon une rigoureuse partition qu’est le plus souvent cartographiée la vie communautaire des cités grecques. Celle-ci distingue les « subdivisions civiques » (ou les « unités d’organisation publique9 ») que sont les tribus, les dèmes ou les phratries, des « associations cultuelles privées » que sont les orgéons, les thiases, les eranoi ou les synodes, comme des « congrégations religieuses » – ou genê –, en charge des grands sacerdoces civiques10. À ces différentes communautés, il convient d’ajouter les communautés informelles que sont les hétairies ou les groupes d’amis, ainsi que les groupes reposant sur les classes d’âge (éphèbes, neoi).

5Le sens d’une telle partition semble reposer en dernière instance sur deux couples d’opposition. Le privé et le public, la participation obligatoire ou volontaire constituent les quatre points cardinaux à partir desquels l’ensemble des communautés sont traditionnellement classifiées. Par l’étude de la riche historiographie consacrée au phénomène associatif, il convient de mettre en évidence la logique intellectuelle qui préside à un tel cloisonnement. La démarche permettra de faire apparaître par contraste l’apport que peut constituer un nouveau type de questionnement sur le phénomène associatif.

Positions du problème, problème des positions

6Par son influence sur la constitution des « sciences de l’Antiquité » comme discipline, l’historiographie allemande de la fin du xixe et du début du xxe siècle constitue une porte d’entrée pertinente pour analyser les orientations fondamentales qui organisent l’appréhension du fait associatif. En dépit des travaux précurseurs de G. Grote, N. Fustel de Coulanges et P. Foucart, c’est en effet dans le cadre de l’Altertumwissenschaft, au tournant des xixe et xxe siècles, que l’interrogation sur le phénomène associatif connut un premier développement conséquent. Organisée autour d’une rigoureuse bipartition, la configuration de phénomène associatif qui s’y dessine structure encore la majorité des études contemporaines sur la question.

7D’une part, un ensemble de recherches centrées sur l’époque archaïque et classique s’attachaient à éclairer le rôle que les différentes communautés athéniennes, auxquelles le terme de Genossenschaft est le plus souvent appliqué, ont joué dans la construction organique de la cité classique ; d’autre part, deux études fondatrices mettaient en évidence l’importance des associations qualifiées de libres (freie Vereine) dans les cités d’époque hellénistique.

♦ Les Genossenschaften au fondement de la cité archaïque et classique

  • 11 G. F. Schömann, op. cit. ; G. Gilbert, Handbuch der Griechischen Staatsalterthümer, Leipzig, 1881- (...)
  • 12 Voir en particulier G. Gilbert, t. 2, p. 301 ; U. von Wilamowitz-Moellendorf et B. Niese, op. cit. (...)
  • 13 U. von Wilamowitz-Moellendorf et B. Niese, op. cit., p. 41 ; E. Meyer, Histoire de l’Antiquité, t. (...)
  • 14 U. von Wilamowitz-Moellendorf et B. Niese, op. cit., p. 48.
  • 15 G. F. Schömann, op. cit., vol. 1, p. 413 (nous soulignons).
  • 16 G. F. Schömann, op. cit., vol. 1, p. 414, et vol. 2, p. 573 ; G. Gilbert, op. cit., p. 202 ; U. vo (...)
  • 17 E. Meyer, Histoire de l’Antiquité, t. 1, Introduction à l’étude des sociétés anciennes (évolution (...)

8À la fois groupes territoriaux et groupes de parenté, les communautés que sont les genê, les phratries ou les dèmes sont essentiellement appréhendées, dans les grandes synthèses de Schömann, Wilamowitz ou Gilbert11, sous l’angle de leur participation au développement de la cité depuis l’époque archaïque12. Selon une conception organiciste que semble autoriser le premier livre de La politique d’Aristote13, la cité elle-même peut dès lors être décrite comme une Gemeinschaft composée de plusieurs Genossenschaften, qui toutes participent à l’unité harmonieuse du corps civique14. G. F. Schömann écrit ainsi : « L’État n’est pas une juxtaposition d’individus isolés. Il se compose de corporations (Körperschaften) et d’associations (Verbindungen) grandes ou petites qui en elles-mêmes n’ont qu’une existence purement civile, mais qui, constituant l’organisation de la puissance publique, acquièrent par là une importance gouvernementale15 ». Sous le terme d’association ou de corporation, Schömann comprend ici une sphère associative bien plus large que celle des subdivisions administratives de la cité. La loi de Solon sur les associations constitue d’ailleurs la trace de la liberté précoce reconnue à toutes les communautés qui ont participé au développement de la cité à partir de l’époque archaïque16. Si Schömann, Wilamowitz ou Gilbert proposent une approche élargie du fait associatif, en réunissant sous le terme de Genossenschaft aussi bien les dèmes, les phratries que les genê, celle-ci est en réalité indissociable d’une conception organiciste de la cité classique. Il faudrait bien évidemment réserver une part de ce panorama historiographique à la démarche d’anthropologie politique d’E. Meyer, qui pose la primauté historique de l’État aux dépens de tous les groupes élémentaires dans la cité de l’époque archaïque17. Bien que Meyer inverse la perspective évolutionniste qui domine la plupart des travaux de son temps, sa conception est elle aussi de nature profondément organiciste.

  • 18 Ainsi J. Toepffer, Attische Genealogie, Berlin, 1889.
  • 19 Sur l’influence du pandectisme chez les romanistes et plus largement chez les historiens de l’Anti (...)
  • 20 U. von Wilamowitz-Moellendorf et B. Niese, op. cit., p. 42 et p. 47.
  • 21 Il n’est d’ailleurs pas anecdotique que, dans leur brève étude consacrée aux associations grecques (...)
  • 22 O. VON Gierke, Das deutsche Genossenschaftsrecht, en particulier t. 2, Geschichte des deutscher Kö (...)

9Perceptible dans sa globalité dans les grandes synthèses de l’époque, une telle perspective inspire la plupart des premiers travaux érudits portant sur les phratries, les dèmes ou les genê de l’Attique archaïque et classique18. Reposant fondamentalement sur la parenté et le voisinage, ces communautés ne sont guère étudiées sous l’angle de leur dimension institutionnelle ou de leurs pratiques de sociabilité. À ce titre, qualifiées parfois de communautés « naturelles » ou de clans (Sippen), elles relèvent d’un tout autre ordre de réalité que celui des associations volontaires, ou libres (freie Vereine), dont l’existence ne remonterait pas au-delà de l’époque hellénistique. On peut sans doute relever dans une telle construction une influence pandectiste, en vertu de laquelle l’avènement de l’État, conçu comme une communauté naturelle, est pensé « comme le point d’aboutissement de l’évolution organique du Peuple19 ». La vitalité de l’ensemble de ces communautés à l’époque classique témoignerait d’ailleurs de la « dualité » de la cité, qui est à la fois institution et groupe ethnique (Stamm)20. L’intérêt pour la question associative fait par ailleurs écho aux réflexions contemporaines sur le rôle des corporations dans la Prusse de la fin du xixe siècle, et sert d’antidote au modèle républicain français qui présume l’absence de corps intermédiaires entre l’individu et la cité21. Développée dans le champ des études juridiques, la pensée d’Otto von Gierke, qui avait cru déceler dans le droit germanique des Genossenschaften la reconnaissance réelle de la personne collective, catégorie juridique par laquelle s’opérait l’harmonieuse fusion des principes de liberté et d’association22, constitue à ce titre, pour les historiens de l’Antiquité, un point de repère incontournable.

♦ Des Genossenschaften aux Vereine

  • 23 E. Ziebarth, Das griechische Vereinswesen, Leipzig, 1896 (désormais Ziebarth, Grieschiche Vereinsw (...)
  • 24 F. Poland, Geschichte des griechischen Vereinswesens, Leipzig, 1896 (désormais Poland, Geschichte (...)
  • 25 Soutenue en 1892 à Munich, sa dissertation s’intitulait De iure iurando in iure graeco quaestiones
  • 26 Ziebarth, Griechische Vereinswesen, p. 3. La comparaison est aussi établie par J. Oehler dans sa co (...)
  • 27 Voir la critique de Ziebarth par Poland, Geschichte Vereinswesens, p. 2-4.

10Conjointement et de façon distincte, la notion d’association (Vereine) a pu être mobilisée pour éclairer ce qui était pensé comme un champ d’étude tout à fait distinct : celui des associations volontaires privées. Reposant pour l’essentiel sur l’étude exhaustive de la documentation épigraphique disponible à la fin du xixe siècle, les deux ouvrages de E. Ziebarth23 et F. Poland24 constituent encore à ce jour les points de départ incontournables pour toute étude sur le phénomène associatif en Grèce ancienne. Pour les deux historiens, et en particulier Ziebarth, juriste de formation25, l’œuvre de Gierke et plus largement la référence aux corporations médiévales constituent l’horizon de toute réflexion sur la construction en droit du fait associatif26 Il s’agissait dès lors de montrer que l’existence des Genossenschaften remonte à l’Antiquité grecque, et que les associations antiques annoncent sous certains aspects les corporations médiévales. Les axes thématiques propres aux deux ouvrages présentent toutefois quelques différences. Alors que l’ouvrage de Ziebarth se caractérise par une nette orientation institutionnelle et juridique, les perspectives de Poland sont plus larges, visant à réinscrire le fait associatif dans les évolutions de la religion grecque et, plus largement, celle des mœurs (Sittlichkeit) à l’époque hellénistique27.

  • 28 Ziebarth, Griechische Vereinswesen, p. 4.
  • 29 Ziebarth, Griechische Vereinswesen, p. 3 et p. 6.
  • 30 G. Droysen, Histoire de l’hellénisme, Grenoble, 2005 (1re éd. allemande 1836-1843), et J. Kaerst, (...)
  • 31 Poland, Geschichte Vereinswesens, p. 516.
  • 32 Poland, Geschichte Vereinswesens, p. 516-517.
  • 33 Poland, Geschichte Vereinswesens, p. 514, qui ajoute p. 534 : Fraglich ist es, ob sich etwas von de (...)
  • 34 Ainsi J. H. Lipsius, Das Attische Recht und Rechtsverfahren unter Benutzung des Attischen Prozesse (...)
  • 35 Est particulièrement révélatrice à cet égard l’œuvre de R. von Pöhlmann, Geschichte der sozialen F (...)

11Il n’en demeure pas moins que les deux ouvrages reposent fondamentalement sur une même conception du phénomène associatif (Vereinswesen). Alors que Ziebarth s’inspire des écrits de Gierke pour distinguer les groupes professionnels (Wirtschaftsgenossenschaften), les associations à vocation non marchande (Vereine für ideale Zwecke) et les groupes familiaux (Familiengenossenschaften), terme sous lequel il convient d’entendre principalement les fondations funéraires28, Poland délimite son champ d’étude aux groupes qui reposent sur une adhésion volontaire, qui se distinguent des « communautés naturelles » (natürlichen Genossenschaften) fondées sur la parenté. Bien que Ziebarth reconnaisse que les phratries ou les genê pourraient être qualifiés d’associations29, pour les deux historiens, la dimension volontaire et privée sert à délimiter de facto leur champ d’étude. Envisagé sous cet angle, le développement du phénomène associatif se présenterait comme une caractéristique de l’époque hellénistique. Les deux œuvres s’inspirent à ce titre des recherches sur le monde hellénistique, à la suite des travaux de G. Droysen et de J. Kaerst30. Étranger à l’univers de la cité classique et annonçant son dépassement31, le phénomène associatif constituerait dès lors le cadre privilégié d’un processus d’émancipation de l’individu à l’égard des structures traditionnelles de la cité32. Sous la double dimension du volontariat et de la liberté, les associations grecques seraient même à l’origine des premières Églises chrétiennes33. Si les ouvrages de Ziebarth et Poland représentent les principales contributions à l’étude du phénomène associatif, leur réflexion irriguera en réalité des champs d’étude très divers dans la science allemande, depuis l’analyse du droit athénien de l’époque classique34 jusqu’à celle de l’économie civique35.

  • 36 On retrouve cette partition parfaitement exprimée dans la grande œuvre de G. Busolt, Griechische S (...)
  • 37 F. Tönnies, Gemeinschaft und Gesellschaft, Leipzig, 1887.
  • 38 Sur la très faible réception de la sociologie de Weber chez les historiens allemands, voir les rem (...)

12Ainsi, dans la science historique allemande de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle, à rebours même de l’emploi générique du terme koinônia chez Aristote, l’analyse des différentes communautés de la cité repose sur une partition rigide36. Les termes de Genossenschaften et de Vereine renvoient en effet à deux ordres de réalité incommensurables. Alors que les groupes naturels fondés sur la parenté connaîtraient un âge d’or aux périodes archaïque et classique avant de subsister à l’état fossile après Alexandre, les associations volontaires seraient des créations de l’époque hellénistique. Un tel cloisonnement épouse partiellement le cadre des spécialisations disciplinaires qui opposent les philologues spécialistes de la cité archaïque et classique aux épigraphistes, attentifs à restituer la complexité des sociétés de l’époque hellénistique à l’aide d’une documentation qu’on découvre progressivement abondante. Bien qu’on puisse sans doute reconnaître dans cette partition l’influence de la distinction canonique établie par Tönnies entre communauté (Gemeinschaft) et société (Gesellschaft)37, l’ensemble de ces travaux ne s’inspirent guère des acquis de la sociologie naissante. On y chercherait en vain le lieu de naissance du concept de sociabilité cher à G. Simmel ou, plus encore, de la sociologie wébérienne qui s’est pourtant voulue « science des associations38 ».

♦ Fustel de Coulanges et Paul Foucart : le primat du fait cultuel

  • 39 F. Hartog, Le xixe siècle et l’histoire. Le cas Fustel de Coulanges, Paris, 1988, p. 34.
  • 40 N. Fustel de Coulanges, La cité antique. Étude sur le culte, le droit, les institutions de la Grèc (...)
  • 41 F. Hartog, op. cit., p. 35.
  • 42 P. Foucart, Des associations religieuses chez les Grecs. Thiases, éranes, orgéons, Paris, 1873.
  • 43 P. Foucart, op. cit., p. 178-179. Voir en particulier E. Renan, Les apôtres. Depuis la mort de Jés (...)
  • 44 P. Foucart, op. cit., p. XIV.
  • 45 Ainsi, p. 186 : « La foule, c’est-à-dire les esprits faibles, les superstitieux, les gens animés d (...)

13Par l’ampleur de la documentation rassemblée et la richesse de ses différentes contributions, la science historique allemande est sans aucun doute à l’origine de la configuration moderne propre à l’examen de la « question associative » dans la cité grecque. Sous des formes variées, l’étude des associations cultuelles avait néanmoins suscité l’intérêt de l’historiographie française depuis les années 1860, à travers les œuvres de Fustel de Coulanges et de P. Foucart. Dans La cité antique, le premier avait insisté sur le rôle que les genê, les phratries ou les tribus, assimilés à des groupes de parenté, avaient joué dans la lente émergence d’une identité civique à l’époque archaïque. Fustel concevait l’ensemble de ces communautés avant tout comme des associations cultuelles, réunies autour du culte commun d’un ancêtre, véritable « opérateur de sociabilité39 » expliquant l’évolution qui conduit de la famille à la cité40. Un tel primat de la dimension proprement cultuelle des communautés (au sens où « la croyance est première par rapport à la famille41 ») se retrouve, selon des présupposés bien différents, dans l’ouvrage de P. Foucart consacré aux associations religieuses ignorées par la perspective généalogique de Fustel : les orgéons, les thiases et les eranoi42. S’appuyant pour l’essentiel sur l’épigraphie attique de l’époque hellénistique, Foucart interrogeait, dans une perspective très moralisante, le rôle que ces associations avaient pu jouer dans l’évolution qui conduit de la civilisation grecque au christianisme. Répondant à Renan, qui y voyait le terreau d’où devaient surgir les premières communautés chrétiennes au début de notre ère43, Foucart insistait en particulier sur le déclin moral qu’incarne la « religion des thiases44 », pour l’essentiel dévouée à des divinités étrangères, dans l’histoire générale de la civilisation grecque45.

14Bien que leurs objets d’étude soient très différents, les études de Foucart et de Fustel, plaçant au cœur de leur analyse la dimension proprement cultuelle du fait associatif, ignoraient délibérément les aspects sociaux et institutionnels qui lui sont attachés. Si le paradigme fustelien fut d’une importance considérable pour l’analyse de la cité des époques archaïque et classique, les deux travaux ne furent pas vraiment à l’origine d’études érudites sur le fait associatif dans l’historiographie française.

♦ Deux démarches singulières : William S. Ferguson et Louis Gernet

  • 46 W. S. Ferguson, The Hellenistic Athens. An Historical Essay, Londres, 1911.
  • 47 W. S. Ferguson, « The Athenian Phratries », CP, 5, 1910, p. 257-284.
  • 48 W. S. Ferguson, « The Salaminioi of Heptaphylai and Sounion », Hesperia, 7, 1938, p. 1-74.
  • 49 W. S. Ferguson, « The Attic Orgeones », HThR, 37, p. 61-140 (désormais FERGUSON, Attic Orgeones) ; (...)

15Dans la première moitié du xxe siècle, deux démarches singulières sont à l’origine du renouvellement des interrogations sur le phénomène associatif. À partir de son travail fondateur sur l’Athènes hellénistique46, W. S. Ferguson s’est intéressé dans une série d’articles aux multiples aspects de la vie communautaire athénienne. En analysant les liens qui unissent genê et phratries, Ferguson a le premier mis en évidence que ces deux groupes constituaient deux communautés de nature fondamentalement différente47. Par ailleurs, la publication et l’étude des inscriptions du genos des Salaminiens ont permis de remettre en question la dimension aristocratique des genê athéniens et de formuler plusieurs intuitions que devaient reprendre et développer D. Roussel et F. Bourriot dans les années 197048. Enfin, en étudiant les communautés d’orgéons de l’Athènes classique, Ferguson a montré la place ambiguë que de telles communautés pouvaient occuper dans la vie civique athénienne, à l’intersection des deux sphères du privé et du public49. Si, en l’absence d’une démarche exhaustive et systématique, les travaux de Ferguson n’ont guère modifié la bipartition traditionnelle que nous avons identifiée, plusieurs des intuitions qui s’y expriment permettaient un véritable renouvellement des cadres d’analyse construits par la science historique allemande.

  • 50 Voir principalement L. Gernet, « Frairies antiques », [Anthropologie de la Grèce antique, Paris, 1 (...)
  • 51 Nous empruntons l’expression à P. Chanial, Justice, don et association. La délicate essence de la (...)

16La réflexion conduite de façon ininterrompue jusqu’en 1962 par L. Gernet autour de la « question associative » a, de même, posé les fondations d’un puissant renouvellement de la tradition fustélienne. À travers l’étude des associations de l’époque classique, l’historien mettait en valeur l’enracinement des cadres de la cité classique dans une vie communautaire précivique aux fonctions très diverses. Structures qui auraient vu l’émergence des individus et de la notion de contrat, les thiases et les eranoi auraient été les lieux d’invention d’une certaine modernité au sein des sociétés archaïques50. Au regard des perspectives de Fustel et de Glotz, la réflexion de Gernet opérait une forme de renversement : les associations « volontaires », qui constituent un élément essentiel des sociétés de l’époque archaïque, auraient été au cœur du processus de démocratisation donnant naissance à la cité classique. On pourrait sans doute reconnaître chez le directeur de L’Année sociologique un héritage de la critique durkheimienne de l’atomisme libéral et sa valorisation de l’« associationisme civique51 ».

  • 52 H. Jeanmaire, Couroi et courètes. Essai sur l’éducation Spartiate et sur les rites d’adolescence d (...)
  • 53 D. Whitehead, The Demes of Attica, 508-7-ca 250 BC, Princeton, 1986 (désormais Whitehead, Demes) ; (...)

17Des premiers travaux de W. S. Ferguson jusqu’au milieu des années 1980, la question des associations ne semble avoir suscité qu’un intérêt assez marginal. Si on compte plusieurs travaux importants prêtant attention aux cercles de collectivité de la cité antique, sous la forme des classes d’âge, ou du compagnonnage politique52, l’étude des structures associatives, au sein du cadre théorique construit par Ziebarth, Poland ou Wilamowitz, apparaît délaissée. Depuis le milieu des années 1970 toutefois, l’étude du fait associatif s’est imposée, principalement au sein du monde anglophone, comme une composante majeure de la réflexion sur le fonctionnement de la cité classique. Plusieurs travaux importants, conduits par D. Whitehead, S. D. Lambert ou R. Osborne, ont notamment éclairé d’un nouveau jour le rôle des subdivisions civiques dans le fonctionnement de la vie démocratique athénienne53. Pour déterminer les cadres théoriques qui orientent la plupart de ces travaux, l’examen du parcours intellectuel de Μ. I. Finley constitue sans doute une porte d’entrée intéressante.

♦ Démocratie et structures infraciviques de participation

  • 54 Μ. I. Finley, Studies in Land and Credit in Ancient Athens 500-200 BC, New York, 1951 (désormais F (...)
  • 55 Μ. I. Finley, Démocratie antique et démocratie moderne, Paris, 1976 (1re éd. 1973), p. 54. Pour un (...)
  • 56 Voir M. Tschirner, Moses I. Finley, Studien zu Leben, Werk und Rezeption, Marbourg, 1994, p. 127, (...)
  • 57 Μ. I. Finley, op. cit. (1976), p. 71 : « Rien ne pouvait être plus éloigné de la situation actuell (...)
  • 58 Μ. I. Finley, op. cit. (1976), p. 85.
  • 59 Μ. I. Finley, L’invention de la politique, Paris, 1985 (1re éd. 1983), p. 126-127 : « Athènes n’ét (...)

18Dès 1951, en étudiant le fonctionnement du crédit dans la cité classique, Μ. I. Finley avait mis en évidence l’importance du phénomène associatif dans la vie sociale athénienne54. C’est toutefois dans le cadre d’une réflexion comparatiste, menée dans Démocratie ancienne et moderne, publié en 1973, que Finley devait conduire la réflexion la plus aboutie sur le phénomène associatif. En s’en prenant aux « théories élitistes de la démocratie55 » soutenues par une partie de la science politique, Finley, dans ce qui était loin de constituer un livre de circonstances56, défendait l’apport que l’étude du fonctionnement politique et institutionnel de la démocratie athénienne pouvait fournir pour penser les évolutions des démocraties contemporaines. Au regard de la crise de la participation politique qui affligeait les démocraties libérales, les associations athéniennes de l’époque classique, envisagées avant tout comme des structures de participation, expliqueraient en grande partie la stabilité de la démocratie athénienne57. À l’apathie du citoyen des démocraties contemporaines, Finley opposait la familiarité naturelle que le citoyen grec entretenait à de multiples échelles avec les institutions civiques, dans le cadre d’une société de face-à-face58. L’hypothèse devait être encore approfondie dans L’invention de la politique, où les associations pouvaient être décrites comme le lieu essentiel où se réalisait l'« incessante éducation politique du citoyen grec59 ».

  • 60 Pour une présentation générale de la question des associations dans la philosophie pragmatiste et (...)
  • 61 J. Dewey, Le public et ses problèmes, Paris, 2003 (1re éd. 1927), p. 156, qui ajoute, p. 158, que (...)

19Sous de multiples aspects, la réflexion de Finley s’inscrit dans l’ensemble d’une tradition intellectuelle issue du pragmatisme américain et qui trouve des prolongements dans la philosophie politique communautarienne60. Au libéralisme politique traditionnel et à l'utilitarisme moral, qui seraient impuissants à enrayer la segmentation croissante et l’atomisation des sociétés industrialisées, celle-ci oppose une conception coopérative du lien social. C’est dans le cadre de l’ensemble de la vie associative que serait dépassée l’opposition entre l’universalisme abstrait du citoyen et le particularisme de l’homme privé. La démocratie est précisément conçue comme le cadre naturel d’exercice de cette vie associative. J. Dewey peut ainsi écrire : « La démocratie n’est pas une alternative à d’autres principes de vie associée. Elle est l’idée même de vie communautaire61. »

♦ L’étude des subdivisions civiques

  • 62 Osborne, Demos, p. 188.
  • 63 Osborne, Demos, p. 92.
  • 64 R. Osborne, « Le demos et ses subdivisions dans l’Athènes classique », dans O. Murray et S. Price (...)
  • 65 Lambert, Phratries, p. 25-141.

20Bien que le lien soit rarement établi de façon explicite, on peut penser que cette réflexion constitue l’arrière-plan théorique d’un ensemble d’études consacrées aux subdivisions civiques athéniennes de l’époque classique, conçues à la fois comme structures de participation politique et comme cadres d’organisation de la puissance publique. Au cours d’une vaste réflexion sur l’organisation du peuplement et la distribution des ressources sur l’ensemble du territoire de l’Attique classique, R. Osborne a particulièrement examiné la façon dont les contraintes locales pouvaient conditionner le fonctionnement de la vie politique. Les dèmes auraient constitué la structure dans laquelle s’exprimerait l’idéal participatif propre à la démocratie athénienne62. Plus encore, l’espace politique que constitue chaque dème aurait contribué à résoudre les difficultés propres à une démocratie directe de grande dimension, qui comportait en réalité des éléments de représentation63. Dans un article synthétique portant sur les subdivisions civiques athéniennes, R. Osborne en est par ailleurs venu à formuler l’hypothèse d’un corps civique « uni par ses subdivisions » ; la stabilité politique de l’Athènes classique y trouverait son origine64. Élève de Μ. I. Finley, D. Whitehead, à travers une étude exhaustive du matériel documentaire provenant des dèmes attiques, a par ailleurs conduit une ample analyse de nature institutionnelle, politique et sociale des dèmes attiques. Celle-ci a particulièrement mis en valeur le « système imbriqué » (interlocking system) qui associe les dèmes et les instances civiques, tout en démontrant que chaque dème constituait bien une forme de microsociété en Attique, réunie autour de ses propres cultes, et traversée par de fortes disparités sociales. S. D. Lambert, de son côté, en étudiant les phratries athéniennes, a établi de manière définitive leur rôle déterminant dans la définition de la citoyenneté à l’époque classique. Loin de constituer des clans familiaux, les phratries sont bien des subdivisions civiques fondamentales dans le fonctionnement de la cité classique65.

  • 66 Whitehead, Demes, p. 57, dresse une opposition intéressante entre les conceptions hérodotéenne et a (...)

21Ces differents travaux ont représenté un apport inestimable à notre connaissance des dèmes et des phratries athéniens. Envisagés de façon générique, dèmes et phratries y apparaissent néanmoins souvent comme déconnectés de leur ancrage local sur le territoire de l’Attique. D. Whitehead et S. D. Lambert nous en apprennent sans doute davantage sur le dème et la phratrie à Athènes que sur les configurations concrètes dans lesquelles telle ou telle phratrie, tel ou tel dème pouvaient déployer leur activité66. Par ailleurs, réunis par R. Osborne sous la qualification de « subdivisions civiques », dèmes ou phratries apparaissent, pour ainsi dire, comme seconds dans l’ordre des raisons, au regard d’instances civiques dont ils constitueraient avant tout des réductions miniatures. Aussi complets et suggestifs que soient les travaux de Whitehead et Lambert, leur analyse des dèmes et des phratries a finalement accentué la segmentation du fait associatif athénien, en contribuant à distinguer rigoureusement les associations publiques que sont les dèmes et les phratries des autres associations qui relèveraient de la sphère privée.

♦ Les associations, une réponse à la démocratie ?

  • 67 Jones, The Associations of Classical Athens, p. 45-48.

22Dans un ouvrage récent, N. Jones a précisément proposé de relativiser les distinctions traditionnelles entre les catégories du volontaire et de l’obligatoire, du public et du privé, pour étudier le fait associatif à Athènes dans sa globalité. S’inscrivant dans le sillon ouvert par R. Osborne en 1985, qui souhaitait interroger le fonctionnement global de la cité athénienne, mais en élargissant l’objet d’étude, Jones insiste en particulier sur la disjonction entre la sphère des instances civiques et celle des associations. Publiques ou privées, les associations permettraient de combler l’absence de représentation propre à la démocratie athénienne67. La relation entre les instances civiques et les associations est ainsi fondamentalement appréhendée sur le modèle du dialogue contradictoire.

  • 68 N. Jones a notamment insisté sur la double dimension propre à chaque dème athénien, à la fois stru (...)
  • 69 Au sujet des genê, N. Jones se contente d’une discussion très générale (p. 242-249). À l’exception (...)

23Bien qu’il prétende aborder l’ensemble des associations athéniennes, l’apport principal de l’étude de Jones, quoique discutable sous de nombreux aspects, concerne les dèmes, les tribus et les phratries68. En ce sens, bien qu’il en conteste les conclusions, le travail de Jones s’inscrit pleinement dans le cadre théorique posé par R. Osborne, qui privilégie l’étude des structures de participation politique que sont les subdivisions civiques. Les genê, les « associations régionales » (Tétrapole de Marathon, Tetrakômoi, etc.), ou, dans une moindre mesure, les communautés d’orgéons ne sont traités que de manière très superficielle69. Dans l’organisation de sa démonstration, Jones reconduit en réalité tacitement une opposition entre associations publiques et associations privées. Plus largement, revendiquée en ouverture de la recherche, la démarche holistique n’est pas vraiment tenue : en abordant chacune des associations de façon isolée, Jones échoue à restituer la complexité du tissu social athénien. Les relations qu’étaient susceptibles de nouer entre elles différentes associations ne sont pas explorées. On peut enfin contester la perspective d’ensemble qui guide la démonstration. Si on peut douter que les associations aient constitué des « cités en miniature », peut-on pour autant y voir des structures qui se seraient constituées en réponse à l’installation progressive de la démocratie ? Ne conviendrait-il pas plutôt de mettre en valeur les formes de circulation ou de transfert susceptibles d’associer dans des contextes variés les instances civiques et les associations ? Cela implique sans doute de réfléchir davantage aux échelles de fonctionnement de la société civique athénienne. Sous de nombreux aspects, l’entreprise de N. Jones ne propose pas véritablement un renouvellement de la cartographie conceptuelle du phénomène associatif.

24À l’évidence, depuis les études pionnières du xixe siècle, le phénomène associatif athénien constitue un champ d’étude bien balisé. Il apparaît toutefois que, à l’exception de l’étude de N. Jones, celui-ci est organisé pour l’essentiel autour de deux couples d’opposition : d’une part, celui du privé et du public, d’autre part, celui de la participation volontaire ou obligatoire. En outre, l’ensemble des études restent fondamentalement structurées par les grandes scansions traditionnelles qui distinguent les époques archaïque, classique et hellénistique. À l’intérieur de chacune de ces périodes, chaque type d’association est étudié le plus souvent de manière synchronique, mais l’examen des évolutions propres à la vie communautaire athénienne est négligé. Les genê de l’époque hellénistique ou les « associations volontaires » de l’époque archaïque constituent pour ainsi dire des angles morts de l’historiographie.

♦ Repenser la cartographie communautaire athénienne

25Une telle segmentation des études sur le phénomène associatif semble aujourd’hui insatisfaisante, d’une part, du fait même de la déconstruction des catégories (privé/public, volontaire/contraint) qui l’organisent, d’autre part, en raison des nouvelles perspectives ouvertes à propos des sociétés des périodes archaïque et hellénistique. Celles-ci invitent à complexifier la cartographie traditionnelle des structures communautaires de la société athénienne et ouvrent de nouvelles perspectives en vue d’une étude générale du phénomène associatif.

  • 70 Le mouvement est évidemment indissociable de la révision critique de ces mêmes catégories au sein (...)
  • 71 Bourriot, Génos ; D. Roussel, Tribu et cité. Étude sur les groupes sociaux dans les cités grecques (...)
  • 72 Pour un aggiornamento sur la question, voir J. K. Davies, « Strutture e suddivisioni delle “poleis (...)

26Depuis le milieu des années 1970, l’historiographie des sociétés de l’époque archaïque s’est engagée dans une vaste révision des cadres généraux d’analyse issus de l’anthropologie du xixe siècle70. Les sociétés de l’époque archaïque ne peuvent désormais plus être pensées comme des entités statiques, organisées autour du seul principe de la parenté. Celles-ci apparaissent comme des structures vivantes et complexes, caractérisées par une grande diversité des formes de vie communautaire, rétives à toute taxinomie rigide et dont un modèle strictement institutionnaliste peine à rendre compte. L’œuvre de déconstruction engagée par F. Bourriot et D. Roussel à propos des genê athéniens, phratries et tribus de l’époque archaïque constitue à cet égard un jalon incontournable71. Par deux démarches parallèles, Bourriot et Roussel ont mis en évidence l’inadéquation de la catégorie générique de la parenté pour analyser ces différentes communautés. Genos, phratrie et tribu peuvent être considérés à ce titre comme des « groupements artificiels ». Ils ont par ailleurs réfuté l’hypothèse selon laquelle ces communautés auraient été les cadres d’expression de la domination aristocratique dans la cité archaïque72.

  • 73 En guise de synthèse, voir P. Gauthier, « Les cités hellénistiques », dans Μ. H. Hansen éd., The A (...)
  • 74 Voir par exemple A. J. Festugière, « Le fait religieux à l’époque hellénistique » [Études de relig (...)

27Parallèlement, il est désormais admis que l’époque hellénistique ne marque nullement la disparition de la cité73. Complexes, florissantes dans certains cas, les cités du monde grec sont des organismes bien vivants de la mort d’Alexandre jusqu’à la fin du Ier siècle avant notre ère. Or, l’idée d’un déclin des structures civiques était indissociable du processus d’individualisation que Poland, Ziebarth ou, à leur suite, Festugière74 croyaient pouvoir attribuer aux associations cultuelles privées. En réalité, rien ne permet plus de faire remonter l’existence des thiases ou des eranoi à l’époque hellénistique ni de les associer à une improbable dissolution des structures civiques. Sans doute d’ailleurs, comme nous le verrons, l’analyse nécessite une périodisation beaucoup plus fine de l’évolution des sociétés civiques au sein même de la période hellénistique.

  • 75 Voir en particulier F. de Polignac et P. Schmitt Pantel éd., Public et privé en Grèce ancienne : l (...)
  • 76 O. van Nijf, The Civic World of Professional Associations in the Roman East, Amsterdam, 1997.
  • 77 M. C. Taylor, Salamis and the Salaminoi. The History of an Unofficial Athenian Demos, Amsterdam, 1 (...)

28Plusieurs études récentes ont, en outre, conduit à relativiser les oppositions structurelles qui organisaient pour l’essentiel la réflexion sur le phénomène associatif. Aussi la dichotomie entre sphères publique et privée ne peut-elle plus être formulée avec l’évidence qu'elle avait pour Poland ou Ziebarth. Il s’agit moins désormais de nier une distinction que les Grecs, sous les termes d’idion et de koinon, avaient en partie formulée que d’interroger les articulations mouvantes et les processus de circulation susceptibles d’associer les deux domaines75. Une telle démarche a déjà rencontré des échos au sein de plusieurs études portant sur le phénomène associatif. Dans un ouvrage consacré au monde associatif des cités grecques d’Orient à l’époque impériale, O. van Nijf a mis en évidence le rôle que les associations dites privées étaient susceptibles de jouer dans une grande partie des activités publiques des cités romaines d’époque impériale76. Dans le cadre de l’Athènes classique, M. Taylor a révélé l’existence à l’époque classique d’une communauté implantée à Salamine, qui disposerait de toutes les caractéristiques des dèmes athéniens, sans en être toutefois, puisque tous ses membres appartiennent à d’autres dèmes de l’intérieur des terres. Ce dème « non officiel » était pourtant totalement reconnu par la cité qui lui conférait même certains droits sur la terre dans l'île de Salamine. Le travail de M. Taylor invite ainsi à découvrir ce qu'elle appelle la « carte clandestine » (the unofficial map) de l’Attique classique, celle de l’ensemble des lieux recueillant en marge des structures civiques des formes d’expression communautaire que l’on peut qualifier de publiques77.

  • 78 Voir le chapitre 2, p. 179-185.

29Certes, dans l’Athènes classique, tous les citoyens n’étaient pas membres d’un genos, d’un groupe d’orgéons ou de thiasotes ; en ce sens, ces communautés ne constituaient pas des subdivisions civiques comme les dèmes, les phratries ou les tribus. Néanmoins, comme nous le verrons, genê ou orgéons pouvaient jouer un rôle primordial dans l’organisation de cultes publics. Plus encore, dans la mesure où ces communautés étaient composées de citoyens, leur mode de reconnaissance juridique ne différait guère de celui des dèmes ou des phratries. Kômai, thiases, genê ou orgéons étaient par exemple susceptibles de posséder des terres qui avaient un statut « public78 ». À l’inverse, le terme de « subdivision civique » ne rend pas pleinement compte du caractère polyvalent des activités propres aux dèmes et aux phratries de l’époque classique, dont on peut dire qu'elles relevaient, selon les contextes, tantôt d’un versant public, tantôt d’un versant privé. Ainsi, lorsqu’elle est postulée pour classer a priori les différentes formes associatives, l’opposition entre privé et public n’est guère opératoire. Elle empêche en particulier d’interroger les articulations complexes qui associent la sphère associative et les instances civiques. Nous verrons que leur étude autorise un nouvel examen de ce qu’il convient de nommer le « public » dans la cité classique.

  • 79 Voir déjà P. Schmitt Pantel, « Les pratiques collectives et le politique dans la cité grecque », F (...)
  • 80 M. Weber, Économie et société. Les catégories de la sociologie, Paris, 1995 (1re éd. 1922), p. 94. (...)
  • 81 Voir par exemple Isée, 2. 14, à propos de l’intégration dans une communauté d’orgéons selon une pr (...)

30La dichotomie qui opposerait deux formes d’adhésion, contrainte ou volontaire, à une communauté n’a jamais été formulée, ni chez les auteurs anciens ni dans les inscriptions79. Celle-ci est pourtant au fondement de la conception moderne de l’association, définie par Max Weber comme un « groupement formé par entente dont les règlements statutaires ne revendiquent de validité que pour ceux qui y entrent librement de leur chef80 ». Si l’appartenance à un genos, un dème ou une phratrie était de toute évidence héréditaire, il est bien difficile de déterminer ce qu’il en était pour les communautés de thiasotes, d’orgéons ou d’eranistai. Il paraît en réalité impossible, sur la simple foi du nom des groupes, de déterminer une loi intangible concernant leur mode d’affiliation. Dans de nombreux contextes, l’affiliation à un groupe d’orgéons ou de thiases était manifestement de type héréditaire et ne différait guère de celle propre à une phratrie81. Les modes d’affiliation étaient en outre susceptibles d’évolutions assez importantes. Nous verrons par exemple que l’appartenance à un genos, sans devenir libre, a probablement cessé d’être exclusive de toute appartenance à un autre genos, probablement à la basse époque hellénistique. En définitive, l’usage de la catégorie du volontaire ne s’avère guère pertinente pour dresser une opposition rigoureuse entre différentes structures associatives.

Principe des définitions, définition des principes

♦ Qu’est-ce qu’une association ?

  • 82 C’est le terme sous l’égide duquel s’était réuni le colloque de Rouen en novembre 1983 : F. Thélam (...)
  • 83 Ainsi des Ithuphalloi ou des Triballoi mentionnés par Démosthène, 54. 14-16 et 39. Sur les hétairi (...)

31Si les principes classificatoires traditionnels du phénomène associatif se révèlent en grande partie insuffisants, il est certain que la conception aristotélicienne de la koinônia, en dissolvant exagérément la notion, la rend inadéquate pour examiner le fonctionnement concret de la société athénienne. Il est possible néanmoins de délimiter de façon rigoureuse un objet d’étude – les « associations athéniennes » – en s’appuyant en premier lieu sur les structures d’organisation de la vie communautaire. Parler d’association supposerait dès lors qu’en son sein soient désignés des magistrats, instituées des lois ou votés des décrets, que des biens collectifs puissent être possédés mais aussi que des pratiques cultuelles, enregistrées dans des calendriers rituels, soient accomplies à dates régulières. Envisagé sous cet angle, le terme d’association semble préférable à celui de « structures de sociabilité », susceptible de s’appliquer à des groupements plus informels82. Une telle définition minimaliste nous conduit à exclure d’emblée de notre champ d’étude bien évidemment les oikoi mais aussi les hétairies, ou les groupes amicaux connus essentiellement par les sources littéraires et pour lesquels aucune structure d’organisation collective n’est attestée83. Nous verrons que, dans cette perspective, la qualité d’association des écoles philosophiques mérite d’être interrogée.

  • 84 Voir, au sujet de la tribu Aiantis, les remarques de F. de Polignac, « Ajax l’Athénien. Communauté (...)
  • 85 Jones, The Associations of Classical Athens, p. 169-172.

32Toutefois, ce premier critère n’est sans doute pas entièrement satisfaisant. Pour parler d’association, il convient en effet que puisse être mesuré un certain sentiment de solidarité entre les membres d’un groupe. La difficulté se pose avec une particulière acuité concernant les tribus athéniennes. Les phylai se réunissaient à date régulière, élisaient des magistrats et possédaient des terres. Certaines d’entre elles disposaient d’une véritable identité cultuelle84. N. Jones a pourtant bien montré qu’il était souvent difficile de mesurer un quelconque sentiment de solidarité entre les membres d’une même tribu athénienne85. Sous cette double dimension, les contours du phénomène associatif dans la présente étude se dessinent selon une perspective quelque peu différente de celle proposée dans les deux contributions récentes de N. Jones et I. Arnaoutoglou. Elle est en effet à la fois plus large que celle construite au sujet de l’Athènes hellénistique par I. Arnaoutoglou, qui, dans la lignée du travail de P. Foucart, comprend presque exclusivement les eranoi, les thiases et les orgéons, et plus étroite que celle de N. Jones, qui y intègre à la fois les hétairies et les tribus. Genê, dèmes, phratries, « associations régionales », orgéons, thiases, eranoi et synodes en sont les principaux acteurs.

33Selon le principe de segmentation que nous avons relevé, chacune de ces communautés a le plus souvent déjà été étudiée isolément sous l’angle de son organisation interne. Si elle s’inscrivait dans cette perspective, la présente étude se contenterait de synthétiser ce que les études de Ziebarth, Poland, Whitehead, Lambert, ou Arnaoutoglou ont déjà largement contribué à éclairer. Notre définition minimaliste du phénomène associatif n’aurait guère de sens si elle visait à analyser de façon séparée chacune des structures associatives, conçues comme fermées sur elles-mêmes. Sa vertu heuristique tient, croyons-nous, à ce qu'elle délimite une certaine échelle d’activité de la vie communautaire au sein de la société civique athénienne.

  • 86 Pour un bilan de l’apport des études conduites dans le cadre de la microhistoire, voir J. Revel éd (...)
  • 87 Voir en particulier les remarques de J. Revel, « Micro-analyse et construction du social », dans J (...)
  • 88 J. Revel, « Présentation », dans J. Revel, op. cit., p. 13.
  • 89 Voir sur ce point les problèmes posés par B. Lepetit, « Architecture, géographie, histoire : usage (...)

34L’étude peut s’inspirer à cet égard des réflexions nées depuis les années 1980 à la fois dans le cadre de la microhistoire et autour de l’analyse des « réseaux sociaux86 ». En étudiant les processus d’agrégation sociale à des échelles fines, la microhistoire s’est particulièrement attachée à remettre en question l’inertie des principes de classification des entités sociales87. Par le choix, à chaque fois spécifique, d’une échelle d’observation des phénomènes sociaux, plusieurs de ses analyses ont conduit à mettre en lumière les formes de discontinuité qui caractériseraient le fonctionnement des sociétés – ce que J. Revel nomme la « structure feuilletée du social88 ». Dès lors, les différentes échelles d’analyse ne pourraient plus être sans précaution rapportées les unes aux autres. Ainsi l’échelle macroscopique ne constitue-t-elle pas l’arrière-plan organisant les évolutions observables à une échelle méso- ou microscopique ; l’avènement de l’État moderne ne peut être conçu comme le cadre efficient duquel procéderait sous forme de conséquence l’histoire des sociétés urbaines des xviie et xviiie siècles. La démarche a progressivement conduit à déplacer l’analyse et à examiner les formes de connexion ou de médiation par lesquels les différentes échelles sont susceptibles de s’articuler89.

  • 90 Voir en particulier l’étude de S. Cerutti, La ville et les métiers. Naissance d’un langage corpora (...)
  • 91 Cette démarche rencontre des échos d’une certaine façon dans l’hypothèse programmatique formulée p (...)

35L’historiographie des corporations a constitué un terrain privilégié d’enquête de la microhistoire, renouvelant puissamment la conception traditionnellement organiciste qui la sous-tendait90. Nous suggérons que, de façon analogue, l’étude des associations athéniennes pourrait dissiper une certaine conception holistique qui fait de la cité, identifiée aux instances civiques et assimilée à une instance polarisante, facteur essentiel des mutations de la société athénienne. Qu’on fasse des associations athéniennes des réponses à l’installation progressive de la démocratie ou qu’on y voie des « cités en réduction », c’est en effet toujours la cité qui est postulée à l’initiative de l’évolution de la vie communautaire athénienne. Il s’agira d’adopter une démarche alternative en s’attachant à observer la société athénienne non pas de « haut en bas », mais depuis une échelle médiane, celle des associations. Loin d’être appréhendées comme des entités fermées sur elles-mêmes, celles-ci doivent avant tout constituer un point d’observation à partir duquel le fonctionnement de la société civique athénienne dans son ensemble peut être interrogé91. Il conviendra à cet égard de mettre en lumière non seulement les faisceaux de relations susceptibles de réunir les différentes communautés entre elles, mais aussi, et surtout, d’examiner les modes d’articulation qui associent les instances civiques et les différentes communautés infraciviques.

♦ La polis : cité-État, cité-société, ou autre chose ?

  • 92 F. de Polignac, « Repenser la “cité” ? Rituels et société en Grèce archaïque », dans Μ. H. Hansen (...)
  • 93 Voir, selon une démarche assez similaire, l’essai historiographique de K. Vlassopoulos, Unthinking (...)
  • 94 Voir, en guise de synthèse, Μ. H. Hansen, Polis et cité-État. Un concept antique et son équivalent (...)
  • 95 M. Berent, « Anthropology and the Classics : War, Violence, and the Stateless Polis », CQ, 50, 200 (...)
  • 96 Sur ces deux traditions d’étude, nous nous permettons de renvoyer à V. Azoulay et P. Ismard, « Les (...)
  • 97 F. Wolff, « Polis », dans B. Cassin éd., Vocabulaire européen des philosophies, Paris, 2004, p. 96 (...)
  • 98 Voir notamment, dans le champ des études africanistes, les réflexions menées dans « Cité-État et s (...)
  • 99 Voir J. K. Davies, art. cité, p. 62-65.

36F. de Polignac avait suggéré, à propos des communautés grecques de la fin de l’époque géométrique, d’« oublier la cité pour penser la société92 ». Nous reprendrions volontiers la formule à propos de la société athénienne des époques archaïque, classique et hellénistique, constatant que l’invocation générale de la « cité » ou de l’« identité civique » empêche trop souvent l’analyse précise des structures d’appartenance variées qui caractérisent la société athénienne93. Celle-ci doit néanmoins se concevoir comme un détour nécessaire mais provisoire pour reprendre sous un nouveau jour une interrogation sur ce que les Grecs appelaient polis. Notre démarche souhaite à ce titre s’inscrire dans les débats récents autour de la définition de la cité classique. Ceux-ci sont pour l’essentiel structurés en deux pôles autour d’une question : la cité classique était-elle un État ? Alors que, dans le sillage de Μ. H. Hansen, certains pensent pouvoir identifier dans la cité antique l’opposition entre État et société civile94, d’autres, tel récemment M. Berent, défendent une approche holistique qui réfute l’existence d’un quelconque appareil d’État dans la cité classique95. Ces deux positions se présentent en grande partie comme l’actualisation de deux traditions d’étude sur la cité grecque, et leurs insuffisances respectives ont déjà été relevées96. Il paraît très délicat d’isoler, comme le voudrait Μ. H. Hansen, une sphère proprement « étatique » dans la cité, au sens du moins où les structures essentielles de la cité classique reposaient sur une « identité de la sphère du pouvoir (qui pour nous relève de l’“État”) et de la sphère de la communauté (qui pour nous s’organise en “société”)97 ». Réciproquement, une approche de type wébérienne, qui fait porter la réflexion sur l’absence d’institutions détenant le « monopole de la violence légitime », s’avère sans doute peu fructueuse. Plus largement, invoquer le paradigme de l’État ou de son absence, formulé au moment même où certaines branches de l’anthropologie l’abandonnent pour se tourner vers la notion de cité98, n’est peut-être pas le plus pertinent pour penser la polis. Comme l’a souligné J. K. Davies, une réflexion portant sur les canaux de circulation de l’autorité politique ou sur les échelles d’expression de l’appartenance sociale pourrait éclairer d’un regard neuf le débat 99 L’étude des associations athéniennes y a sans doute toute sa place.

♦ Un champ d’étude : Athènes, de Solon à Auguste

  • 100 A. Bresson, op. cit., p. 246.

37À plusieurs égards, choisir Athènes, cité en tout point exceptionnelle, comme cadre d’étude pour mener une réflexion sur la polis peut sembler paradoxal. Mais le cantonnement de l’étude au cadre de l’Attique n’est pas seulement une nécessité au regard des limites naturelles inhérentes à la conduite de toute enquête. Au risque d’une certaine trivialité, rappelons que seule Athènes offre sur une large période une documentation épigraphique constamment renouvelée grâce à laquelle il est possible de restituer avec quelque vraisemblance la complexité des échelles de fonctionnement d’une société civique. Encore convient-il de préciser les contours chronologiques de l’étude. Nous avons noté à quel point l’étude du phénomène associatif athénien faisait l’objet d’une segmentation chronologique rigoureuse. Or, selon la perspective qui est la nôtre, seule une focale large permet de mesurer les évolutions qui caractérisent le rapport entre les associations et les instances civiques, et, plus largement, comme y invite A. Bresson100, de pouvoir historiciser une réflexion sur la polis. L’enquête prendra ainsi pour point de départ les premières attestations avérées du phénomène associatif, dans le cadre de la loi de Solon dite « sur les associations ». Elle nous conduira jusqu’à la fin de l’époque hellénistique, qui voit incontestablement la disparition de l’architecture communautaire bâtie à l’orée de l’époque classique. Cet arc chronologique particulièrement large permettra de mettre en évidence plusieurs inflexions sensibles de la vie associative athénienne (ainsi au milieu du ive siècle ou au iie siècle), traditionnellement minorées par l’historiographie.

38Les sources épigraphiques provenant de l’ensemble des associations athéniennes – décrets, calendriers, comptes, catalogues mais aussi horoi – constituent à l’évidence le matériau primordial de l’enquête. Elles ne peuvent toutefois délimiter un corpus à proprement parler : selon la perspective qui oriente notre étude, l’ensemble de l’épigraphie civique mais aussi, bien entendu, les sources littéraires (historiens, philosophes ou orateurs du ive siècle) et, dans une moindre mesure, les sources archéologiques pourront être mobilisées pour éclairer le rôle du phénomène associatif dans l’histoire de la cité.

39Les dèmes, les phratries, les genê, les orgéons ou les eranoi pouvaient tous être définis comme des associations cultuelles, au sens où la célébration rituelle des divinités communautaires était une composante majeure de leur sociabilité. Ces différents groupes formaient par ailleurs de véritables espaces financiers essentiels au fonctionnement du crédit entre particuliers. Parce qu’ils désignaient des magistrats ou votaient des décrets, chacun d’entre eux constituait, en outre, une entité proprement politique. En somme, les associations de l’Athènes classique étaient des organisations polyvalentes. Aussi, restituer l’ampleur et la portée du phénomène associatif dans l’histoire de la cité athénienne implique de pouvoir multiplier les angles d’approche et d’aborder tout aussi bien ce qui relève traditionnellement de l’histoire institutionnelle ou économique, de l’histoire religieuse ou sociale.

40Il conviendra dans un premier temps d’étudier le rôle joué par les associations dans la construction et l’affirmation de la citoyenneté aux époques archaïque et classique. On s’intéressera tout particulièrement à l’évolution des articulations qui associent les instances civiques et les différentes communautés de l’Attique dans les processus de définition et d’attestation de la citoyenneté. L’étude nous conduira à identifier trois périodes décisives. À l’époque archaïque, l’affiliation à un ensemble de communautés (phratries, genê, orgéons et peut-être dèmes) définit une citoyenneté élémentaire – ou incomplète – dans le cadre d’une cité encore faiblement intégrée. Dans la réforme clisthénienne, il convient sans doute d’identifier moins un acte de centralisation de la communauté civique que la reconnaissance d’une vie communautaire aux multiples facettes, la hiérarchisation et l’articulation des différentes associations au sein d’une architecture civique renouvelée. La première moitié du ive siècle voit s’affirmer une relation d’un type nouveau entre les instances civiques et les associations athéniennes. Des procédures de contrôle des instances civiques à l’égard des associations apparaissent, derrière lesquelles semblent poindre les prémices de ce qu’on pourrait nommer une « conception organiciste » de la communauté civique (chapitre 1).

  • 101 S. D. Lambert, Rationes Centesimarum. Sales of Public Land in Lykourgan Athens, Amsterdam, 1997 (d (...)
  • 102 Y. Thomas, « L’institution civile de la cité », Le Débat, 74, 1993, p. 23-44.

41Dans un deuxième temps, nous étudierons les modes de reconnaissance juridique des associations dans le droit athénien de l’époque classique. L’examen suppose de porter une attention particulière à la place occupée par les groupes dans le cadre des diverses procédures athéniennes. Il conviendra évidemment de mesurer la pertinence du paradigme de la personne légale, lorsqu’il est employé pour affirmer ou réfuter l’existence juridique des associations comme sujet collectif. La question « classique » de la reconnaissance juridique des écoles philosophiques comme association méritera d’être reprise dans ce cadre. Nous nous intéresserons en outre au mode de formulation juridique qui caractérise la propriété associative. Une analyse précise des stèles des hekatostai, republiée récemment par S. D. Lambert101, permettra d’ouvrir des perspectives nouvelles sur la question. Une telle démarche nous conduira progressivement à interroger la formulation juridique du public et de la cité elle-même – ce que Y. Thomas, dans le contexte du droit romain, a nommé l'« institution civile de la cité102 ». La portée juridique de la notion de dêmosion réclamera en particulier un examen attentif (chapitre 2).

42Nous tenterons par la suite d’analyser les multiples pratiques rituelles associatives se déployant sur l’ensemble du territoire de l’Attique. Il s’agira de restituer l’épaisseur de la vie rituelle athénienne en étudiant les pratiques communautaires d’échelles variées qui composent le paysage cultuel de la société athénienne. Une étude détaillée des « associations régionales » s’avérera à cet égard indispensable. Nous tâcherons de mettre en lumière la façon dont, autour de pratiques rituelles associant différentes communautés, pouvaient se constituer de véritables réseaux cultuels d’échelle locale ou régionale. Une attention spécifique sera portée aux « systèmes cultuels » de deux organisations : le genos des Salaminiens et la Tétrapole de Marathon. Encore une fois, dans la mesure où elle aboutit à mettre en lumière la coexistence de différentes échelles d’expression du koinon et la faiblesse de toute polarisation civique, la démarche conduit à déconstruire ce qu’on appelle traditionnellement la « religion civique » athénienne. Aussi l’enquête conduira à analyser tout particulièrement les configurations communautaires propres au culte des deux grandes divinités intégrées à la « religion civique » athénienne au cours de l’époque classique, Asklépios et Bendis (chapitre 3).

43L’analyse des pratiques financières associatives constituera le cœur de notre quatrième chapitre. Une part importante du crédit entre particuliers reposait sur les caisses associatives à l’époque classique. Le crédit communautaire pouvait d’ailleurs faire l’objet de véritables stratégies d’investissement de la part des communautés et s’insérer dans des réseaux qui semblent dépasser un horizon strictement local. Or, ces « richesses » associatives n’étaient pas sans rapport avec les finances civiques : selon une conception ample et diffuse de la sphère du public dans la cité classique, les structures financières des associations et de la cité apparaissent dans certains contextes comme articulées. C’est ce que révèle l’étude des naucraries de l’époque archaïque, tout comme celle de la constitution du Trésor des Autres Dieux au ve siècle. Une analyse de l’économie cultuelle de l’époque classique semble, de même, attester des formes de circulation financière par lesquelles un ensemble d’associations (dèmes, genê, orgéons) pouvaient participer au financement d’activités de dimension civique (chapitre 4).

44Dans une dernière partie, nous nous attacherons tout particulièrement à suivre l’évolution de la vie communautaire athénienne à l’époque hellénistique. Celle-ci apparaîtra comme le révélateur d’un vaste mouvement de recomposition de la société athénienne dans le courant du iie siècle. Les structures de participation aux instances civiques qu’étaient les dèmes ne semblent alors plus jouer un rôle déterminant au sein de lapoliteia. Une partie de la sociabilité qui se déroulait au sein des dèmes ou des phratries à l’époque classique pourrait même, dans certains cas, avoir dorénavant pour cadre de vastes associations cultuelles. Par ailleurs, alors que le statut civique cesse sensiblement d’orienter une partie des pratiques de sociabilité associative, l’appartenance à un genos devient une marque de distinction sociale dans un contexte de concurrence accrue entre les différentes composantes de l’élite civique. Nous serons ainsi amenés à suggérer que les genê ont constitué un véritable ordo dans la politeia du début de l’époque impériale (chapitre 5).

Notes

1 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1160 a (trad. R. Bodéüs).

2 Aristote, Ethique a Nicomaque, 1159 b : « Toute association semble en effet impliquer quelque chose de juste, mais aussi de l’amitié (ἐν ἁπάση γὰρ κοινωνίᾳ δοκεῖ τι δίκαιον εἶναι, καὶ φιλία δέ) » (trad. R. Bodéüs). Dans l’abondante littérature sur la conception aristotélicienne de la koinônia, voir en particulier les remarques de R. A. Gauthier et J.-Y. Jolif, L’« Éthique à Nicomaque ». Introduction, traduction et commentaire, Louvain/Paris, 1970, t. 2, p. 696-697, et Μ. I. Finley, « Aristote et l’analyse économique » [Économie et société en Grèce ancienne, Paris, 1984, p. 269 (1re éd. 1970)].

3 Aristote, Éthique à Nicomaque, 1161 a.

4 Aristote, Éthique à Eudème, 1242 a.

5 G. F. Schömann, GriechischeAlterthümer, 2 vol., Berlin, 1871 (1er volume republié avec des corrections par J. H. Lipsius en 1896, le second par E. Bischoff en 1902), p. 413.

6 R. Bodéüs, Aristote. Éthique à Nicomaque, Paris, 2004 ; N. Jones, The Associations of Classical Athens. A Response to Democracy, New York, 1999 (désormais Jones, The Associations of Classical Athens).

7 Voir R. A. Gauthier et J.-Y. Jolif, op. cit., p. 696-697 ; S. Broadie et C. Rowe, Aristotle. Nicomachean Ethics. Translation, Introduction and Commentary, Oxford, 2002, p. 218-219.

8 Selon la proposition audacieuse de J. Ober, « The Polis as a Society. Aristotle, John Rawls and the Athenian Social Contract », dans M. H. Hansen éd., The Ancient Greek City-State, Copenhague 1993, p. 129-160, ici p. 132.

9 N. Jones, Public Organization in Ancient Greece. A Documentary Study, Philadelphie, 1987.

10 F. Bourriot, Recherches sur la nature du genos. Étude d’histoire sociale athénienne, périodes archaïque et classique, Paris, 1976 (désormais Bourriot, Génos), a bien montré le caractère polysémique du terme de genos dans l’Athènes archaïque et classique. Les grandes congrégations religieuses que constituent les Étéoboutades, les Eumolpides, les Kérykes ou les Salaminiens se distinguent à ce titre radicalement des grands clans aristocratiques que sont dans l’Athènes classique les Alcméonides ou les Cimonides (sur l’analyse des genê comme associations, voir notre chapitre 1, I. A. 1).

11 G. F. Schömann, op. cit. ; G. Gilbert, Handbuch der Griechischen Staatsalterthümer, Leipzig, 1881-1885 ; U. von Wilamowitz-Moellendorf et B. Niese, Staat und Gesellschaft der Griechen und Römer, Berlin, 1910.

12 Voir en particulier G. Gilbert, t. 2, p. 301 ; U. von Wilamowitz-Moellendorf et B. Niese, op. cit., p. 43-44 et p. 47.

13 U. von Wilamowitz-Moellendorf et B. Niese, op. cit., p. 41 ; E. Meyer, Histoire de l’Antiquité, t. 1, Introduction à l’étude des sociétés anciennes (évolution des groupements humains), Paris, 1912 (1re éd. allemande 1907-1909), p. 10.

14 U. von Wilamowitz-Moellendorf et B. Niese, op. cit., p. 48.

15 G. F. Schömann, op. cit., vol. 1, p. 413 (nous soulignons).

16 G. F. Schömann, op. cit., vol. 1, p. 414, et vol. 2, p. 573 ; G. Gilbert, op. cit., p. 202 ; U. von Wilamowitz-Moellendorf et B. Niese, op. cit., p. 50-51.

17 E. Meyer, Histoire de l’Antiquité, t. 1, Introduction à l’étude des sociétés anciennes (évolution des groupements humains), Paris, 1912 (1re éd. allemande 1907-1909). Sur l’anthropologie de Meyer et le rôle qu’y joue la notion d’État, voir W. Nippel, « Prolegomena zu Eduard Meyers Anthropologie », dans W. H. Calder III et A. Demandt éd., E. Meyer. Leben und Leistung eines Universalhistorikers, Cologne, 1990, p. 311-328, en particulier p. 318. B. Näf, Von Perikles zu Hitler ? Die athenische Demokratie und die deutsche Althistorie bis 1945, Berne, 1986, p. 63-68, et H. Bruhns, « Grecs, Romains et Germains au xixe siècle : quelle Antiquité pour l’État national allemand ? », Anabases, 1, 2005, p. 17-44, ont montré par ailleurs à quel point la valorisation de l’État dans la pensée de Meyer, qui a exercé une influence considérable dans le monde historique allemand du premier quart du xxe siècle, était liée au contexte impérial de son temps.

18 Ainsi J. Toepffer, Attische Genealogie, Berlin, 1889.

19 Sur l’influence du pandectisme chez les romanistes et plus largement chez les historiens de l’Antiquité, voir les remarques de Y. Thomas, Mommsen et l’« Isolierung » du droit. Rome, l’Allemagne, l’État, Paris, 1984, p. 11-19, qui précise p. 26 : « Organisme social, conscience du peuple et histoire produisent naturellement les arbitrages, les hiérarchies et les pouvoirs nécessaires. [...] L’État fait corps avec le Peuple, il est inclus dans sa croissance historique. » Il apparaît clairement de ce point de vue, contrairement à ce qu’on affirme parfois, que la rupture épistémologique mommsenienne, émancipant le droit public de son rapport à l’histoire, n’a jamais vraiment eu lieu chez les historiens allemands du monde grec.

20 U. von Wilamowitz-Moellendorf et B. Niese, op. cit., p. 42 et p. 47.

21 Il n’est d’ailleurs pas anecdotique que, dans leur brève étude consacrée aux associations grecques et romaines, A. Rehm et C. Hosius, « Aus dem Vereinsleben der Griechen und Römer », Werbeschriften des Landesverbandes der Vereinigungen des humanistischen Gymnasiums in Bayern, 6, 1925, p. 1-15, établissent une comparaison avec la vie associative des universités allemandes (p. 11-15). L’intérêt pour la question associative et la question de l’organicité de la construction étatique dépasse toutefois largement le cadre de l’histoire antique. Voir les remarques de U. Altern, « Geschichte und Bürgertum. Droysen – Sybel – Treitschke », Historische Zeitschrift, 259, 1994, p. 59-107, en particulier p. 61-62. Sur les enjeux de la réflexion sur l’unité politique dans l’historiographie allemande de la fin du xixe siècle, voir H. Bruhns, art. cité, et P. Funke, « Das Antike Griechenland : eine gescheiterte Nation ? Zur Rezeption und Deutung der antiken griechischen Geschichte in der deutschen Historiographie des 19. Jahrhunderts », dans H. D. Blume et C. Lienau éd., Annäherung an Griechenland. Festschrift für Anastasios Katsanakis zum 65. Geburstag, Münster, 2002, p. 81-101, ici p. 91-92.

22 O. VON Gierke, Das deutsche Genossenschaftsrecht, en particulier t. 2, Geschichte des deutscher Körperschaftsbegriffs, Berlin, 1873. Pour une présentation synthétique de Louvre de Gierke, voir O. G. Oexle, « Otto von Gierkes “Rechtsgeschichte der deutschen Genossenschaft”. Ein Versuch wissenschaftsgeschichtlicher Rekapitulation », dans N. Hammerstein éd., Deutsche Geschichtswissenschaft um 1900, Stuttgart, 1988, p. 193-217. Chez Gierke, le Genossenschaftsrecht, conçu comme un processus d’autocréation de la société, permet de dépasser l’opposition entre droit privé et droit public. Dans Die Staats- und Korporationslehre des Altertums und des Mittelalters, Berlin, 1881, Gierke en vient à définir cinq périodes dans l’histoire générale des Genossenschaften, selon le principe d’un conflit entre le principe d’unité et le principe de liberté. L’Antiquité, sans ignorer le principe associatif, aurait été incapable de parvenir au stade organique que le droit allemand médiéval seul aurait connu (p. 3).

23 E. Ziebarth, Das griechische Vereinswesen, Leipzig, 1896 (désormais Ziebarth, Grieschiche Vereinswesen). L’intérêt de Ziebarth pour la question des associations dans l’Antiquité dépasse toutefois largement le cadre de cet ouvrage, puisque celui-ci s’est aussi intéressé aux écoles philosophiques, conçues, à la suite de Wilamowitz, comme des thiases et aux groupes de sociabilité liés au gymnase (voir E. Ziebarth, Aus dem griechischen Schulwesen. Eudemos von Milet und Verwandtes, Leipzig, 1914, p. 89-99), ou à ce qui constituait à ses yeux des associations professionnelles de marins (E. Ziebarth, Beiträge zur Geschichte des Seeraubs und Seehandels im alten Griechenland, Hambourg, 1929, p. 90-99).

24 F. Poland, Geschichte des griechischen Vereinswesens, Leipzig, 1896 (désormais Poland, Geschichte Vereinswesens). Comme pour Ziebarth, l’intérêt de Poland pour la question associative a donné lieu à plusieurs travaux en dehors même de l’ouvrage de 1909. F. Poland avait ainsi soutenu sa dissertation sur les technites dionysiaques : De collegiis artificum Dionysiacorum, Dresde, 1895, avant de reprendre sous un angle quelque peu différent la question en 1926 : F. Poland, « Griechische Sangervereinigungen im Altertum », Sonderdruck aus der wissenschaftlichen Festschrift zur 700-Jahr-Feier der Kreuzschule zu Dresden, 1926, p. 46-56.

25 Soutenue en 1892 à Munich, sa dissertation s’intitulait De iure iurando in iure graeco quaestiones.

26 Ziebarth, Griechische Vereinswesen, p. 3. La comparaison est aussi établie par J. Oehler dans sa courte étude : J. Oehler, « Zum griechischen Vereinswesen », Jahres-Bericht des k.k. Maximilians-Gymnasiums, Vienne, 1905, p. 3-30, p. 4. L’article de Oehler se présente avant tout comme un récapitulatif des sources sur la question, qui insiste en particulier sur les documents négligés par Ziebarth. On y trouve toutefois la notion intéressante de « thiase d’État » à propos des groupes associés au gymnase à l’époque hellénistique (p. 4).

27 Voir la critique de Ziebarth par Poland, Geschichte Vereinswesens, p. 2-4.

28 Ziebarth, Griechische Vereinswesen, p. 4.

29 Ziebarth, Griechische Vereinswesen, p. 3 et p. 6.

30 G. Droysen, Histoire de l’hellénisme, Grenoble, 2005 (1re éd. allemande 1836-1843), et J. Kaerst, Geschichte des hellenistischen Zeitalters, Leipzig, 1901-1909, 2 vol. Voir en particulier G. Droysen, op. cit., p. 1197 : « Alors commence cette profonde transformation ; la sophistique et la démocratie des derniers temps opposent au droit du citoyen celui de l’homme, à l’intérêt de l’État celui de l’individu ; l’État n’a plus le pouvoir d’appeler entièrement et pleinement siens des hommes qui acceptent simplement ses honneurs et ses devoirs » (trad. A. Bouché-Leclercq).

31 Poland, Geschichte Vereinswesens, p. 516.

32 Poland, Geschichte Vereinswesens, p. 516-517.

33 Poland, Geschichte Vereinswesens, p. 514, qui ajoute p. 534 : Fraglich ist es, ob sich etwas von der ersteren Bewegung bis in der mittelalterichen Staat hinein erhalten bat.

34 Ainsi J. H. Lipsius, Das Attische Recht und Rechtsverfahren unter Benutzung des Attischen Prozesses, Leipzig, 1912 (1re éd. 1905), p. 768-769, après avoir défendu l’authenticité de la loi de Solon sur les associations, qualifiait les nauclères et emporoi du Pirée de Handelsgilde, ou défendait l’idée d’une capacité juridique des associations (p. 799-800).

35 Est particulièrement révélatrice à cet égard l’œuvre de R. von Pöhlmann, Geschichte der sozialen Frage und der Sozialismus in der Antiken Welt, Munich, 1925 (1re éd. 1893), lorsqu’elle identifie un développement des corporations à la fin de l’époque classique. Pour Pöhlmann, qui était socialiste et défendait une conception moderniste de l’économie antique, l’essor du phénomène associatif à la fin du ive siècle s’inscrirait dans une première phase de globalisation du capitalisme. Les associations, par leur forme très égalitaire, auraient même pu constituer le terreau d’une première phase de socialisation de l’économie (p. 222, p. 246-247).

36 On retrouve cette partition parfaitement exprimée dans la grande œuvre de G. Busolt, Griechische Staatskunde, Munich, 1920-1926, vol. 1, p. 252-253 et p. 525-526.

37 F. Tönnies, Gemeinschaft und Gesellschaft, Leipzig, 1887.

38 Sur la très faible réception de la sociologie de Weber chez les historiens allemands, voir les remarques de A. Demandt, « Alte Geschichte an der Berliner Universität 1810-1960 », dans W. Arenhövel et C. Schreiber éd., Berlin unddie Antike. Aufsätze, Berlin, 1979, p. 69-99.

39 F. Hartog, Le xixe siècle et l’histoire. Le cas Fustel de Coulanges, Paris, 1988, p. 34.

40 N. Fustel de Coulanges, La cité antique. Étude sur le culte, le droit, les institutions de la Grèce et de Rome, Paris, 1864, en particulier livre II, chapitre 10, livre III, chapitre 1. Sur l’œuvre de Fustel de Coulanges, A. Momigliano, « La cité antique de Fustel de Coulanges », Problèmes d’historiographie ancienne et moderne, Paris, 1983, p. 402-423, et F. Hartog, op. cit.

41 F. Hartog, op. cit., p. 35.

42 P. Foucart, Des associations religieuses chez les Grecs. Thiases, éranes, orgéons, Paris, 1873.

43 P. Foucart, op. cit., p. 178-179. Voir en particulier E. Renan, Les apôtres. Depuis la mort de Jésus jusqu’aux grandes missions de saint Paul (33-45) [Œuvres complètes, t. 4, Paris, 1969 (1re éd. 1866)], p. 682-690, ici p. 683, à propos des thiases et des eranoi : « S’il restait encore dans le monde grec un peu d’amour, de piété, de morale religieuse, c’était grâce à la liberté de pareils cultes privés. »

44 P. Foucart, op. cit., p. XIV.

45 Ainsi, p. 186 : « La foule, c’est-à-dire les esprits faibles, les superstitieux, les gens animés de passions basses ou mauvaises, trouvaient bien plus d’attraits dans les cérémonies désordonnées des thiases que dans le culte réglé de l’État ; les divinités plus grossières, plus sensuelles de l’Orient, promettaient à leurs adeptes des jouissances bien autrement vives que les dieux, jusqu’à un certain point spiritualistes, de la Grèce. »

46 W. S. Ferguson, The Hellenistic Athens. An Historical Essay, Londres, 1911.

47 W. S. Ferguson, « The Athenian Phratries », CP, 5, 1910, p. 257-284.

48 W. S. Ferguson, « The Salaminioi of Heptaphylai and Sounion », Hesperia, 7, 1938, p. 1-74.

49 W. S. Ferguson, « The Attic Orgeones », HThR, 37, p. 61-140 (désormais FERGUSON, Attic Orgeones) ; W. S. Ferguson, « Orgeonika », Commemorative Studies in Honor of Theodore Leslie Shear. Hesperia, suppl. 8, Princeton, 1949, p. 130-163.

50 Voir principalement L. Gernet, « Frairies antiques », [Anthropologie de la Grèce antique, Paris, 1982 (1re éd. 1928), p. 63-66] ; L. Gernet et A. Boulanger, Le génie grec dans la religion, Paris, 1970 (1re éd. 1932), p. 106-107 ; L. Gernet, « Droit et prédroit en Grèce ancienne » [Droit et institutions en Grèce antique, Paris, 1982 (1re éd. 1951), p. 128-132] ; L. Gernet, « Eranos (a cura di Andrea Taddei) », Dike, 2, 1999, p. 5-6l. Une telle lecture sera reprise par J.-P. Vernant, dans L’individu, l’amour, la mort, Paris, 1996 (1re éd. 1989), p. 220.

51 Nous empruntons l’expression à P. Chanial, Justice, don et association. La délicate essence de la démocratie, Paris, 2001, p. 215. On peut rappeler les mots de Durkheim à propos de l’association en ouverture de De la division du travail social. Étude sur l’organisation des sociétés supérieures, Paris, 1991 (1re éd. 1893) : « Source de vie sui generis », elle « dégage une chaleur qui échauffe ou ranime les cœurs, qui les ouvre à la sympathie, qui fait fondre les égoïsmes » (p. XXX).

52 H. Jeanmaire, Couroi et courètes. Essai sur l’éducation Spartiate et sur les rites d’adolescence dans l’Antiquité hellénique, Paris, 1939 ; A. Brelich, Paides e Parthenoi, Rome, 1969 ; G. M. Calhoun, Athenian Clubs in Politics and Litigation, Austin, 1913 ; F. Sartori, L’etairie nella vita politica ateniense del VIe e Ve secolo a.C., Rome, 1957, et O. Aurenche, Les groupes d’Alcibiade, de Léogoras et de Teucros. Remarques sur la vie politique athénienne en 415 av. J.-C., Paris, 1974.

53 D. Whitehead, The Demes of Attica, 508-7-ca 250 BC, Princeton, 1986 (désormais Whitehead, Demes) ; R. Osborne, Demos. The Discovery of Classical Attika, Cambridge, 1985 (désormais Osborne, Demos) ; S. D. Lambert, The Phratries of Attica, Ann Arbor, 1993 (désormais Lambert, Phratries).

54 Μ. I. Finley, Studies in Land and Credit in Ancient Athens 500-200 BC, New York, 1951 (désormais Finley, Studies in Land and Credit).

55 Μ. I. Finley, Démocratie antique et démocratie moderne, Paris, 1976 (1re éd. 1973), p. 54. Pour une introduction à ces théories élitistes, dont R. Dahl et S. M. Lipset sont les représentants les plus éminents, voir P. Birnbaum, La fin de la politique, Paris, 1995 (1re éd. 1975), notamment p. 97 et p. 231. On en trouve l’expression la plus claire chez H. McClosky : « Ce qui sauve la démocratie est que ceux qui y voient le moins clair dans les idées démocratiques soient aussi, selon toute probabilité, ceux qui sont les plus apathiques politiquement et dont l’influence est insignifiante » (« Consensus et idéologie dans la politique américaine », dans P. Birnbaum et F. Chazel, Sociologie politique, Paris, 1971, t. 2, p. 230).

56 Voir M. Tschirner, Moses I. Finley, Studien zu Leben, Werk und Rezeption, Marbourg, 1994, p. 127, qui montre que l’ouvrage, issu d’une série de conférences prononcées en 1972, n’est pas un livre de circonstances, une partie des questions abordées par Finley ayant fait l’objet de brefs articles dès les années 1950.

57 Μ. I. Finley, op. cit. (1976), p. 71 : « Rien ne pouvait être plus éloigné de la situation actuelle, où le citoyen isolé, de loin en loin, en même temps que des millions d’autres, et non pas quelques milliers de voisins, pose l’acte impersonnel de choisir un bulletin de vote ou de manipuler les leviers d’une machine à voter. »

58 Μ. I. Finley, op. cit. (1976), p. 85.

59 Μ. I. Finley, L’invention de la politique, Paris, 1985 (1re éd. 1983), p. 126-127 : « Athènes n’était pas seulement une société de face-à-face ; c’était encore une société méditerranéenne : les gens se rassemblaient dehors, les jours de marché, pour les fêtes, qui étaient nombreuses, et toute l’année au port et sur la place principale. Les citoyens étaient membres de divers groupes officiels, ou non – famille et maisonnée –, voisinage et village, unités militaires et navales, groupes professionnels (paysans à l’époque des moissons ; artisans qui, en ville, tendaient à se grouper dans certaines rues), clubs pour les gens de la bonne société, innombrables associations cultuelles privées. Tous ces groupements fournissaient des occasions d’échanges de nouvelles et de bavardages, de discussions et de débats, et contribuaient à cette incessante éducation politique sur laquelle j’ai déjà insisté. Ce n’était d’ailleurs pas un phénomène exclusivement urbain. »

60 Pour une présentation générale de la question des associations dans la philosophie pragmatiste et communautarienne américaine, voir P. Chanial, op. cit., p. 225-290.Il n’est guère étonnant à cet égard de voir Μ. I. Finley se référer à l’œuvre, alors encore confidentielle en 1983, de Michael Walzer (Μ. I. Finley, op. cit. (1985), p. 57). Sur l’influence considérable du premier livre de la Politique d’Aristote sur les penseurs communautariens, voir les remarques de B. YACK, The Problems of a Political Animal. Community, Justice, and Conflict in Aristotelian Political Thought, Berkeley, 1993, p. 43-50.

61 J. Dewey, Le public et ses problèmes, Paris, 2003 (1re éd. 1927), p. 156, qui ajoute, p. 158, que le processus par lequel s’est développé l’État de droit, et avec lui la démocratie moderne, est bien davantage un « mouvement vers la multiplication de toutes sortes et variétés d’associations : partis politiques, corporations industrielles, organisations scientifiques, syndicats, Églises, écoles, clubs et sociétés sans nombre, pour l’encouragement de chaque intérêt concevable que les hommes ont en commun. »

62 Osborne, Demos, p. 188.

63 Osborne, Demos, p. 92.

64 R. Osborne, « Le demos et ses subdivisions dans l’Athènes classique », dans O. Murray et S. Price éd., La cité grecque d’Homère à Alexandre, Paris, 1992 (1re éd. 1990), p. 304-334, ici p. 306 : « Je me propose ici de répondre à la question de la solidarité athénienne en étudiant l’anatomie de la société athénienne, et en avançant que le corps civique était uni par ses subdivisions. »

65 Lambert, Phratries, p. 25-141.

66 Whitehead, Demes, p. 57, dresse une opposition intéressante entre les conceptions hérodotéenne et aristotélicienne du dème. Alors que, pour la première, chaque dème aurait une identité singulière, pour la seconde, les dèmes se présenteraient schématiquement avant tout comme des subdivisions civiques interchangeables. Bien qu’il se réclame d’une via media entre ces deux positions, sa perspective est par la force des choses plutôt aristotélicienne.

67 Jones, The Associations of Classical Athens, p. 45-48.

68 N. Jones a notamment insisté sur la double dimension propre à chaque dème athénien, à la fois structure de participation politique de citoyens réunis par le même démotique et groupe territorial susceptible de ménager une place à des résidents enregistrés pourtant dans d’autres dèmes. Par ailleurs, son étude des phylai athéniennes reste à ce jour la plus complète.

69 Au sujet des genê, N. Jones se contente d’une discussion très générale (p. 242-249). À l’exception de la ligue d’Athéna Pallênis, les « associations régionales » ne sont présentées que sous l’angle d’un catalogue sommaire (p. 234-242). Les orgéons ne sont pas abordés de manière systématique mais sous la forme de discussions ponctuelles souvent très précises sur telle ou telle communauté (p. 249-267).

70 Le mouvement est évidemment indissociable de la révision critique de ces mêmes catégories au sein de l’anthropologie. Ainsi, à propos de la notion de tribu, voir M. Godelier, « Le concept de tribu », Diogène, 1, 1973, p. 3-28, qui met en évidence la façon dont l’effondrement des théories évolutionnistes a conduit à la crise la notion de tribu.

71 Bourriot, Génos ; D. Roussel, Tribu et cité. Étude sur les groupes sociaux dans les cités grecques aux époques archaïque et classique, Paris, 1976 (désormais Roussel, Tribu et cité).

72 Pour un aggiornamento sur la question, voir J. K. Davies, « Strutture e suddivisioni delle “poleis” archaiche. Le ripartizioni minori », dans S. Settis éd., I Greci. Storia, Cultura, Arte, Societa, t. 2, Turin, 1996, p. 599-652. Sur les problèmes de définition du genos de l’époque archaïque et classique, voir ici même chapitre 1, p. 58-61.

73 En guise de synthèse, voir P. Gauthier, « Les cités hellénistiques », dans Μ. H. Hansen éd., The Ancient Greek City-State, Copenhague, 1993, p. 211-231.

74 Voir par exemple A. J. Festugière, « Le fait religieux à l’époque hellénistique » [Études de religion grecque et hellénistique. Paris, 1972 (1re éd. 1945), p. 124-125].

75 Voir en particulier F. de Polignac et P. Schmitt Pantel éd., Public et privé en Grèce ancienne : lieux, conduites, pratiques. Ktèma, 23, 1998 ; V. Dasen et M. Piérart éd., « ’Ιδίᾳ καὶ δημοσία. Les cadres “privés” et “publics” de la religion grecque antique », Kernos, suppl. 15.

76 O. van Nijf, The Civic World of Professional Associations in the Roman East, Amsterdam, 1997.

77 M. C. Taylor, Salamis and the Salaminoi. The History of an Unofficial Athenian Demos, Amsterdam, 1997.

78 Voir le chapitre 2, p. 179-185.

79 Voir déjà P. Schmitt Pantel, « Les pratiques collectives et le politique dans la cité grecque », F. Thélamon éd., Sociabilité, pouvoirs et société. Actes du colloque de Rouen, novembre 1983, Rouen, 1987, p. 279-288, ici p. 283. Récemment, P. A. Harland, Associations, Synagogues and Congregations. Claiming a Place in Ancient Mediterranean Society, Minneapolis, 2003, p. 28-53, et J. S. Kloppenborg, « Collegia and Thiasoi. Issues in Function, Taxonomy and Membership », dans J. S. Kloppenborg et S. G. Wilson éd., Voluntary Associations in the Graeco-Roman World, Londres, 1996, p. 16-30, p. 23-26, ont voulu dresser une typologie fondée sur la nature du lien unissant les membres d’une communauté. P. A. Harland distingue à ce titre ce qui relèverait des household, ethnic or geographic, neighborhood, occupational, ou des cult or temple connections. Dans le contexte de la cité athénienne de l’époque classique, une telle distinction n’est guère opératoire, ces différentes catégories étant généralement imbriquées dans une même communauté.

80 M. Weber, Économie et société. Les catégories de la sociologie, Paris, 1995 (1re éd. 1922), p. 94. Pour une critique de l’usage trop extensif de la notion en anthropologie, voir D. E. Brown, « Voluntary Association : A Further Comment », American Anthropologist, 75, 1973, p. 307-308.

81 Voir par exemple Isée, 2. 14, à propos de l’intégration dans une communauté d’orgéons selon une procédure analogue à celle d’une phratrie, et Isée, 9. 30, dans le cadre d’un thiase.

82 C’est le terme sous l’égide duquel s’était réuni le colloque de Rouen en novembre 1983 : F. Thélamon éd., Sociabilité, pouvoirs et société. Actes du colloque de Rouen, 24/26novembre 1983, Rouen, 1987. Il était défini de la façon suivante : « Un groupe permanent ou temporaire, quel que soit son degré d’institutionnalisation, auquel on choisit de participer. »

83 Ainsi des Ithuphalloi ou des Triballoi mentionnés par Démosthène, 54. 14-16 et 39. Sur les hétairies, voir F. Sartori, op. cit., et O. Aurenche, op. cit.

84 Voir, au sujet de la tribu Aiantis, les remarques de F. de Polignac, « Ajax l’Athénien. Communautés cultuelles, représentations de l’espace et logique institutionnelle dans une tribu clisthénienne, dans P. Schmitt Pantel et F. de Polignac éd., Athènes et le politique. Dans le sillage de Claude Mossé, Paris, 2007, p. 111-132.

85 Jones, The Associations of Classical Athens, p. 169-172.

86 Pour un bilan de l’apport des études conduites dans le cadre de la microhistoire, voir J. Revel éd., Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, 1996. Sur l’analyse en termes de réseaux sociaux, voir, pour une présentation générale, J. Scott, Social Network Analysis, Londres, 1991, M. Gribaudi éd., Espaces, temporalités, stratifications. Exercices sur les réseaux sociaux, Paris, 1998, p. 5-40, et V. Lemieux et M. Ouimet, L’analyse structurale des réseaux sociaux, Bruxelles, 2004. Assurément, la référence à la notion de réseaux sociaux se retrouve désormais dans des champs d’étude très divers. On peut sommairement distinguer deux types de démarches, selon quelles centrent l’analyse sur les réseaux individuels (ou « égocentrés »), ou sur les structures de réseaux. Pour J. Scott, qui défend une conception structuraliste, son principal intérêt serait précisément de pouvoir identifier un ensemble de structures se situant à une échelle mésoscopique (p. 2). Dans le cadre des études classiques, il convient de noter l’usage de la notion dans l’ouvrage très déconcertant de P. B. Manville et J. Ober, The Company of Citizens. What the World’s First Democracy Teaches Leaders About Creating Great Organizations, Harvard, 2003, qui, comme son titre l’indique, dresse une analogie entre l’univers de la cité classique et les nouvelles méthodes de gouvernance d’entreprise.

87 Voir en particulier les remarques de J. Revel, « Micro-analyse et construction du social », dans J. Revel, op. cit., p. 15-36, ici p. 22-23.

88 J. Revel, « Présentation », dans J. Revel, op. cit., p. 13.

89 Voir sur ce point les problèmes posés par B. Lepetit, « Architecture, géographie, histoire : usages de l’échelle », Genèses, 13, 1993, p. 118-138. Pour une orientation similaire dans la sociologie contemporaine, voir B. Latour, Changer de société. Refaire de la sociologie, Paris (1re éd. Oxford, 2005).

90 Voir en particulier l’étude de S. Cerutti, La ville et les métiers. Naissance d’un langage corporatif, Turin, xviie- xviiie siècles, Paris, 1990. Pour une démarche analogue et récente prenant pour point de départ un groupe de parenté, voir J. Morsel, La noblesse contre le prince. L’espace social des Thüngen à la fin du Moyen Âge (Franconie, v. 1250-1525), Stuttgart, 2000.

91 Cette démarche rencontre des échos d’une certaine façon dans l’hypothèse programmatique formulée par V. Gabrielsen à propos des associations de la Rhodes hellénistique : V. Gabrielsen, « The Rhodian Associations and Economie Activity », dans Z. H. Archibald, J. K. Davies, V. Gabrielsen et G. J. Oliver éd., Hellenistic Économies, Londres, 2001, p. 215-244, ici p. 218.

92 F. de Polignac, « Repenser la “cité” ? Rituels et société en Grèce archaïque », dans Μ. H. Hansen et K. Raaflaub éd., Studies in the Ancient Greek Polis, Stuttgart, 1995, p. 7-19, ici p. 9.

93 Voir, selon une démarche assez similaire, l’essai historiographique de K. Vlassopoulos, Unthinking the Greek Polis. Ancient Greek History beyond Eurocentrism, Cambridge, 2007.

94 Voir, en guise de synthèse, Μ. H. Hansen, Polis et cité-État. Un concept antique et son équivalent moderne, Paris, 2001 (1re éd. danoise 1998), et W. Schuller, « Die Polis als Staat », dans Μ. H. Hansen éd., The Ancient Greek City-State, Copenhague, 1993, ρ. 106-128. Sur l’historiographie (très partielle) de cette approche, voir W. Gawantka, Die Sogennante Polis. Entstehung, Geschichte und Kritik der modernen althistorischen Grundbegriffe der griechische Staat, die griechische Staatsidee, die Polis, Stuttgart, 1985, p. 53-78.

95 M. Berent, « Anthropology and the Classics : War, Violence, and the Stateless Polis », CQ, 50, 2000, p. 257-289.

96 Sur ces deux traditions d’étude, nous nous permettons de renvoyer à V. Azoulay et P. Ismard, « Les lieux du politique dans l’Athènes classique : entre structures institutionnelles, pratiques sociales et idéologie civique », dans F. de Polignac et P. Schmitt Pantel éd., Athènes et le politique. Dans le sillage de Claude Mossé, Paris, 2007, p. 271-309, ici p. 273-283. Pour des critiques récentes de ces deux démarches, voir G. Camassa, « Le istituzioni politiche greche e il nostro tempo storico », QS, 37, 1993, p. 29-41 ; J. K. Davies, « On the Non-Usability of the Concept of “Sovereignty” in an Ancient Greek Context », dans L. Aigner Foresti, A. Barzano, C. Bearzot, L. Prandi et G. Zecchini éd., Federazioni e federalism nell'Europa antica. Bergamo, 21-25 settembre 1992, Milan, 1994, p. 51-65 ; J. OBER, « The Polis as a Society : Aristotle, John Rawls, and the Athenian Social Contract » [The Athenian Revolution. Essays on Ancient Greek Democracy and Political Theory, Princeton, 1996, p. 161-187] ; F. de Polignac, « Anthropologie du politique en Grèce ancienne (note critique) », Annales HSS, 1997.1, p. 31-39 ; M. Faraguna, « Individuo, Stato e Comunità. Studi recenti sulla polis », Dike, 3, 2000, p. 217-229 ; A. Bresson, La cité marchande, Bordeaux, 2000, p. 245-261.

97 F. Wolff, « Polis », dans B. Cassin éd., Vocabulaire européen des philosophies, Paris, 2004, p. 961-963, ici p. 963.

98 Voir notamment, dans le champ des études africanistes, les réflexions menées dans « Cité-État et statut politique de la ville en Afrique et ailleurs », Journal des africanistes, 74, 2004, ainsi que G. Holder, « De la cité-État en Afrique noire. L’espace et le politique chez les Saman du pays Dogon (Mali) », Cahiers d’études africaines 166, 2002, p. 257-283.

99 Voir J. K. Davies, art. cité, p. 62-65.

100 A. Bresson, op. cit., p. 246.

101 S. D. Lambert, Rationes Centesimarum. Sales of Public Land in Lykourgan Athens, Amsterdam, 1997 (désormais Lambert, Rationes Centesimarum).

102 Y. Thomas, « L’institution civile de la cité », Le Débat, 74, 1993, p. 23-44.

© Éditions de la Sorbonne, 2010

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