La société sans répit
| ,Préface
Texte intégral
1Qu’est-ce que la mobilité dans les sociétés contemporaines ?
2La liberté ? L’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme est explicite sur ce point, elle qui affirme que toute personne a le droit de circuler librement. Et l’imaginaire dominant de la mobilité dans nos sociétés contemporaines lui donne raison, lui qui considère plus ou moins explicitement l’accroissement de la mobilité spatiale est le reflet d’un processus de démocratisation de la « liberté » de déplacement, et par extension d’une forme de justice sociale méritocratique.
3Il est difficile dans ce contexte, de penser et d’agir contre la mobilité… Et pourtant, à y regarder de plus près, la mobilité est devenue à bien des égards une obligation contraignante qui s’impose aux personnes. Les rythmes de vie actuels très soutenus sont le reflet de la rencontre entre les potentiels de vitesse procurés par les infrastructures de transports rapides et les systèmes de communication à distance, et l’usage qui en est fait par les personnes. Ils se caractérisent par une forme d’injonction sociale à la mobilité dans le mode du travail. Se déplacer vite, loin et souvent devient un impératif pour qui prétend prouver qu’il est dynamique, motivé ou ambitieux. C’est ainsi par exemple et notamment, que la France compte 700000 travailleurs mobiles, qui sont sans cesse en déplacement pour leur travail. Savoir identifier et jouer avec les règles du jeu de cette injonction devient alors une compétence essentielle à l’insertion sociale et professionnelle en général et à la carrière ascendante en particulier.
4Ces rythmes de vie très soutenus, comme ceux des « grands mobiles » qui, par exemple, travaillent à Londres et résident à Paris ou Bruxelles, entraînent des formes d’épuisements. Les pratiquants des différentes formes de grandes mobilités se décrivent souvent comme épuisés. Parfois sujets au burn-out, ils peinent souvent à concilier leur vie professionnelle et leur vie privée, tout particulièrement chez les femmes. Les enquêtes longitudinales montrent à ce propos que ces tensions entraînent l’abandon de la grande mobilité et de la carrière professionnelle chez les femmes lors de l’arrivée d’un enfant et plus généralement une forte divortialité parmi les couples comprenant un grand mobile. Bref, d’une manière plus générale, les personnes qui se déplacent vite, loin, souvent, se décrivent comme très contraintes dans leurs mobilités.
5 L’accélération des rythmes de vie a eu pour effet de bouleverser les temporalités de la vie quotidienne. Nous sommes en train de passer de modes de vies où les activités et les rôles se succédaient dans le temps, et où cette succession impliquait généralement des déplacements, à des modes de vie aux temps « métissés », marqués par la rapidité des successions et leur multiplication par l’entremise de la communication à distance.
6Les travaux menés par le Forum vies mobiles montrent que ces rythmes de vie sont vécus comme fatigants par une large part de la population qui souhaite un ralentissement. À l’opposé des modes de vie actuels, le ralentissement des rythmes de vie constitue en effet une aspiration majeure pour de nombreuses personnes interrogées dans le cadre d’une enquête internationale menée sur le mode de vie idéal du futur. Cette aspiration au ralentissement concerne notamment la mobilité. Une part importante de la population souhaite en effet passer moins de temps à se déplacer pour le motif travail et à déployer ses programmes d’activités dans des espaces spatialement plus resserrés.
7Alors, finalement, la mobilité, qu’est-ce dans nos sociétés contemporaines ? On serait tenté de répondre : souvent une idéologie… Bonne lecture !
© Éditions de la Sorbonne, 2019