1La régulation politique des capitalismes urbains s’organise dans un processus dynamique d’évolution de configurations d’acteurs « public-privé », soumis à des transformations internes (du marché, des majorités politiques, des périmètres et compétences institutionnelles, etc.) et des contraintes extérieures (innovations technologiques, nouveaux acteurs, pressions sociales et financières, etc.). Le gouvernement des mobilités partagées à Paris illustre parfaitement ce processus dynamique. La gestion des mobilités partagées à Paris a profondément évolué en l’espace d’une dizaine d’années, notamment sous l’effet d’une structuration du gouvernement urbain en vue de mieux réguler les dispositifs dans la Capitale française. Outre l’arrêt d’Autolib’ en 2018 et l’arrivée des trottinettes électriques en free floating la même année, des changements plus profond ont concerné le dispositif Vélib’ et les vélos partagés de Paris.

2L’année 2017 a ainsi vu les premiers renouvellements de marchés de vélos en libre-service dans les villes européennes, à Lyon, Paris, Nantes, Stockholm ou encore Barcelone. Celui engagé par la ville de Paris en avril 2017 s’est d’abord distingué par des changements importants, d’échelle, de gouvernance et d’opérateur. Une nouvelle configuration d’acteurs « public-privé » s’est formalisée pour transformer le dispositif, confrontant les vélos en libre-service à une nouvelle régulation politique. Cette nouvelle configuration permet de comprendre les évolutions dans l’organisation et le fonctionnement de la deuxième génération de Vélib’. Mais le nouveau dispositif, géré par le Syndicat Mixte Vélib’ Autolib’ Métropole, en partenariat avec le consortium Smovengo, censé couvrir la totalité des communes du Grand Paris avec 20000 vélos et 1400 stations, a accumulé les retards et les dysfonctionnements tout au long de l’année 2018. L’analyse des difficultés rencontrées est nécessaire pour comprendre comment les changements dans l’organisation de Vélib’ ont opéré une rupture dans la gestion d’une infrastructure privée. Cette rupture a remis en cause le jeu des (inter) dépendances entre les institutions publiques parisiennes et l’opérateur JCDecaux. Dans le même temps, de nouveaux opérateurs privés ont fait leur apparition en proposant des flottes de vélos en free floating. Le gouvernement des mobilités partagées à Paris s’est ainsi retrouvé sous tension.

Vélib’ et le modèle JCDecaux, une première configuration d’acteurs « public-privé » (2007-2017)

Tableau 4. Le régime d’innovation de Vélib’ à Paris (2007-2017) [Huré, 2018].

3Le système Vélib’ installé en 2007 à Paris est d’abord une offre de service proposée « clés en main » par l’entreprise JCDecaux à la Mairie de Paris. Cette offre comprend la production du service et des infrastructures, leur implantation, le fonctionnement, l’entretien et la régulation du système ainsi que la gestion des usagers. Cela se traduit par l’adoption du modèle économique inventé par l’entreprise, à savoir un financement du système de vélos en libre-service assuré par les recettes de l’affichage publicitaire. Cela se traduit également par l’adoption d’une infrastructure et d’un système technique composés de stations et de vélos entièrement automatisés et équipés d’une technologie GPS permettant la collecte de données en temps réel par l’opérateur. Cette automatisation et son accès par carte bancaire ont rendu possible une utilisation du dispositif 24h/24h et 7j/7j. Vélib’ constituait donc une offre complémentaire aux transports collectifs puisque les vélos pouvaient être empruntés la nuit après l’arrêt du réseau de transport collectif. Parmi les innovations technologiques et économiques, la Mairie de Paris a notamment imposé des éléments de design des vélos et le nom du dispositif, Vélib’. Les acteurs publics ont également incité l’opérateur à participer à la communication locale et internationale du dispositif, une communication facilitée par le lien entre marché publicitaire et vélos en libre-service.

4Ce premier régime d’innovation fut globalement favorable à la Mairie de Paris puisque la capacité industrielle de JCDecaux permit d’implanter le dispositif en quelques semaines, avant les élections municipales de mars 2008, en développant une véritable stratégie de marketing urbain et de communication en faveur du vélo en ville. Symbole d’un succès annoncé, Vélib’ comptabilisait déjà plus de 10000 abonnés avant son lancement !1 Le chiffre des abonnés a atteint 300000 en 2016, sans compter les utilisateurs occasionnels, pour 108000 utilisations par jour en moyenne2. Le système a ainsi réellement permis de développer la pratique du vélo à Paris puisque l’utilisation de Vélib’ représentait en 2016 plus d’un tiers des déplacements à vélo de la Capitale. Ces dernières années, l’imaginaire parisien semblait définitivement intégrer le partage des mobilités et le développement du vélo en ville. De ce point de vue, Vélib’ a contribué à ces mutations de l’imaginaire, grâce à la création d’une communauté d’usagers, à une stratégie de distinction dans l’espace public, à une forte communication en faveur du vélo, à une acceptation paysagère du dispositif et de son infrastructure et à travers une incorporation de normes et de petits gestes quotidiens par les usagers.

5Ces innovations, conjuguées à l’échelle importante du dispositif, ont donné lieu à la mise en place d’une période d’expérimentation pendant les premières années du contrat afin d’améliorer progressivement l’offre de service et d’apporter des réponses aux difficultés non anticipées. Par exemple, la régulation des stations, parfois pleines de vélos, parfois vides, a occasionné un apprentissage continu de la part de JCDecaux. De même, la dégradation importante des vélos ou encore la gestion des vols (estimés à 8000 vélos par an) a été au cœur des réflexions menées par les différents acteurs, comme en témoignent les propos du directeur général de la stratégie de JCDecaux :

« Pour répondre à votre question, nous étions très satisfaits du contrat, même si nous avons souffert, à un niveau inattendu, du vol et du vandalisme à Paris. Aucune autre ville dans le monde n’a accusé ce niveau de vandalisme, proportionnellement. À Dublin, on nous vole moins de dix vélos par an. À Paris, les chiffres sont vertigineux.
Nous avons décidé avec la Ville qu’au-delà d’un certain nombre de vélos volés, la mairie contribuerait en partie à leur renouvellement. La Cour des comptes a considéré que cet accord représentait un coût pour la Ville. Nous nous étions engagés sur 4 % de vélos par an. Au départ, la Ville contribuait à hauteur de 400 € par vélo. Je rappelle quand même qu’un Vélib’ coûte 650 €. »3

6Cette phase d’apprentissage et d’ajustement dans le régime d’innovation des vélos partagés a donné lieu à des échanges réguliers entre l’opérateur et la Mairie de Paris. Le service administratif dédié au vélo au sein de la municipalité parisienne s’est étoffé progressivement pour pouvoir assurer le suivi quotidien avec l’entreprise JCDecaux. Cinq agents à temps plein, spécifiquement dédiés à Vélib’, ont ainsi été recrutés entre 2007 et 2008, en plus des agents mobilisés dans le service de la voirie, dans les services juridiques et financiers et au sein des cabinets politiques4. Si les données d’exploitation furent transmises de manière hebdomadaire aux agents de la Mairie de Paris, les données économiques sont devenues progressivement un enjeu politique et conflictuel dans les relations entre les partenaires.

7Dans la gestion du système Vélib’ à Paris, le modèle économique proposé par l’opérateur a, en partie, déterminé le mode de régulation politique et l’organisation des relations « public-privé ». Pour ce service, la municipalité a opté pour une délégation de service public (DSP) avec des objectifs à atteindre et des critères d’évaluation précis sur la qualité de service. Cependant, les données furent collectées par JCDecaux avant d’être transmises à la Mairie de Paris, ce qui constituait une première limite dans le suivi du dispositif. La seconde limite portait sur le modèle économique en lui-même. Les données économiques concernant le coût du dispositif ne pouvaient être communiquées dans les détails aux acteurs publics car elles constituaient des données internes au marché du mobilier urbain et de l’affichage publicitaire, dans lequel était adossé le contrat Vélib’. Une estimation du bilan financier du dispositif a néanmoins été reconstruite, montrant la complexité des négociations sur le volet économique5.

8Pour vérifier les données transmises par l’opérateur et assurer un suivi quotidien du contrat et du déploiement du service, de nombreux agents, répartis dans plusieurs services administratifs de la ville de Paris, ont participé aux réunions de travail avec l’opérateur. Cet investissement s’est traduit par une montée en puissance progressive de l’expertise publique autour des vélos partagés.

9Cette montée en puissance de l’expertise publique s’est réalisée à plusieurs niveaux. L’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) a par exemple proposé son expertise pour préparer l’implantation du dispositif en 2007 en définissant les principaux critères de réussite de Vélib’ (illustration 15). La « mission Vélib’ », créée spécifiquement pour le suivi du dispositif au sein du service de la voirie, et les services juridiques furent mobilisés dans la régulation opérationnelle du système avec l’opérateur. Enfin, la régulation politique fut directement assurée par les élus et leur cabinet, notamment dans le cadre des négociations contractuelles qui se sont engagées au cours de l’exercice du contrat. Ces différents niveaux de régulation ne partagent pas toujours les mêmes rationalités, ni les mêmes objectifs, ce qui a parfois pu se traduire par des conflits internes, entre services.

10Le régime d’innovation de Vélib’ s’est donc d’abord traduit par un apprentissage des acteurs publics et privés dans la manière de réguler et de suivre le déploiement du dispositif, puis par une transformation importante de l’expertise et de l’organisation des services de la Mairie de Paris. La réussite de l’implantation et du fonctionnement de Vélib’ fut ainsi dépendante de ce jeu d’acteurs. Dans ce contexte, deux phases de négociation ont été déterminantes dans l’évolution des relations entre les acteurs publics et privés : le choix des emplacements des stations au début du contrat (entre 2007 et 2009) et les négociations concernant des avenants au contrat (trois avenants sur toute la durée du contrat). Dans chaque phase, les décisions importantes ont toujours été prises par le maire de Paris et ses adjoints.

Illustration 15. Maillage des stations principales proposé par l’Atelier parisien d’urbanisme, en partenariat avec les Architectes des Bâtiments de France et les mairies d’arrondissements

11Mais la gouvernance de Vélib’ et le modèle économique proposé par l’opérateur ont subi de nombreuses critiques, ouvrant la voie à une remise en cause de la position de JCDecaux dans la gestion de Vélib’ à Paris. Outre les critiques sur le financement du dispositif par la publicité ou encore sur le manque de transparence des coûts des vélos en libre-service, l’implantation de Vélib’ s’est accompagnée d’un développement des inégalités d’accès au service, en termes de couverture spatiale. En effet, malgré une évolution contractuelle adoptée en 2008 permettant d’étendre Vélib’ à 30 communes périphériques6, le dispositif s’est principalement développé dans le centre de Paris, dans le cadre d’un marché entre la Mairie de Paris et l’opérateur. Ces critiques ont conduit les décideurs à commander des évaluations. Ces dernières ont été réalisées par la cour des comptes de la Chambre régionale à travers un audit (2012), par l’Apur (2015) et l’Inspection générale de la Mairie de Paris (2016) également sous la forme d’un audit. Si les deux audits ont insisté sur les effets négatifs du modèle économique, l’évaluation de l’Apur a démontré l’incohérence d’un système de vélos en libre-service restreint au centre de l’agglomération, en plaidant pour un Vélib’ étendu à l’échelle de la métropole du Grand Paris.

12Les résultats des évaluations ont cristallisé les tensions entre JCDecaux et les décideurs parisiens et ont conduit les élus à répondre aux critiques dans le cadre de la préparation du nouvel appel d’offres prévu en 2017 pour renouveler le service. Parmi les mesures engagées en prévision de l’attribution d’un nouveau marché figure l’intégration des agents de la « mission Vélib’ » au sein d’un syndicat mixte, créé en 2009 pour administrer le service d’autopartage Autolib’ et étendu en 2017 au service Vélib’. Ce transfert de compétence devait concrétiser la montée en puissance d’une expertise publique autonome pour préparer l’appel d’offres. En outre, l’intégration de Vélib’ dans ce syndicat mixte était pleinement justifiée par la volonté d’étendre le dispositif à l’ensemble des communes du Grand Paris. Par ailleurs, il fut décidé de dégrouper le marché des vélos en libre-service de celui du mobilier urbain et de l’affichage publicitaire dans le nouvel appel d’offres. Toutes ces mesures visaient à améliorer la régulation politique du dispositif face à l’opérateur historique JCDecaux.

La mise en place d’une nouvelle configuration « public-privé » (2017-2018)

Tableau 5. Vélib’ 2 et le modèle Smovengo à Paris.

13Le renouvellement du marché parisien des vélos en libre-service en 2017 a permis de transformer en profondeur le système Vélib’. Plusieurs changements ont été introduits dans l’appel d’offres pour améliorer la qualité de service du dispositif : des améliorations technologiques, notamment l’incorporation d’une flotte de vélos électriques, un nouveau système antivol et des stations permettant d’absorber le surplus de vélos ; et un changement d’échelle puisque le dispositif est censé couvrir l’ensemble du territoire du Grand Paris.

14Pour piloter ce nouveau projet, des transformations dans la gouvernance du dispositif avaient été engagées en amont afin de préparer l’appel d’offres et de repenser l’organisation des relations « public-privé » : intégration de Vélib’ dans le syndicat mixte Autolib’ Métropole ; séparation du marché des vélos en libre-service de celui de l’affichage publicitaire, en finançant le dispositif par des subventions publiques ; extension de la gouvernance du dispositif et de la décision à l’ensemble des représentants des communes souhaitant installer Vélib’ sur leur territoire.

15Si ces changements ont été pensés pour répondre aux critiques adressées envers la gestion du premier dispositif en partenariat avec JCDecaux, ils sont également le résultat de nouveaux équilibres politiques mis en place suite aux élections municipales de 2014 et aux élections régionales de 2015. Trois éléments de contexte politique sont ainsi à prendre en compte : d’une part, si le Parti socialiste a de nouveau remporté la Mairie de Paris grâce à Anne Hidalgo (2014-2020), le parti écologiste EELV et le Front de Gauche ont renforcé leur position à Paris. Le candidat écologiste, Christophe Najdovski, a d’ailleurs hérité du portefeuille d’adjoint aux transports de la ville de Paris. Cette évolution est importante car les écologistes ont toujours été critiques vis-à-vis de la gestion de Vélib’ par JCDecaux, notamment sur le fait de relier les vélos au marché publicitaire. D’autre part, en 2015, la région Île-de-France a basculé à droite avec l’élection de Valérie Pécresse à la tête de la région. Depuis ce changement de majorité régionale, la maire de Paris et la présidente de région se livrent une bataille de leadership sur la scène parisienne autour du Grand Paris, notamment à travers les dossiers relatifs aux transports et à la mobilité. Dans cette perspective, la maire de Paris a joué la carte de la construction de la métropole du Grand Paris contre le pouvoir régional. Enfin, l’extension de Vélib’ aux communes du Grand Paris fut aussi un moyen pour la maire de Paris de renforcer les liens avec les maires des communes de banlieue ayant fait la demande de disposer du service Vélib’ sur leur territoire.

16Dans ce contexte, la Mairie de Paris a opté pour un changement de gouvernance autour du service Vélib’, en s’appuyant sur une structure ad hoc - en apparence dépolitisée : un syndicat mixte métropolitain.

17Malgré ce changement de gouvernance dans l’organisation des mobilités partagées, la ville de Paris a conservé son pouvoir de décision et son emprise sur la régulation politique du nouveau système, comme l’indique un chargé de mission du syndicat mixte Autolib’ Vélib’ Métropole :

18« Les villes ont souhaité bénéficier d’un périmètre pertinent pour le service. Pour pouvoir porter ce projet, il y avait une nécessité d’une structure juridique et administrative qui y soit dédié. Le contrat Vélib’ 1 devait initialement s’arrêter en juillet 2017 mais un avenant a été signé afin de le prolonger jusqu’à la fin de l’année. En parallèle, Vélib’ 2 est à l’étude depuis un an. C’est un projet porté par la ville (de Paris) jusqu’à son attribution. Elle s’est occupée de la rédaction du cahier des charges en concertation avec les communes concernées par l’extension du système et avec le Syndicat. »7

19La ville de Paris a donc conservé la main lors de la rédaction du cahier des charges de l’appel d’offres qui a introduit les changements technologiques et économiques du dispositif. Par ailleurs la ville de Paris est majoritaire dans les décisions prises par le syndicat mixte8, ce qui confirme le maintien d’une régulation politique essentiellement assurée par les décideurs de la ville centre.

20Si le changement de gouvernance a modifié à la marge l’organisation de la régulation politique du dispositif, cette mutation a en revanche conduit à structurer une nouvelle configuration d’acteurs « public-privé ». Le financement direct du dispositif par des subventions publiques et le pilotage du suivi par le syndicat mixte ont ouvert le jeu de la concurrence lors de l’appel d’offres. D’autres opérateurs que les grands groupes spécialisés dans le mobilier urbain et la publicité ont ainsi présenté une offre. Si JCDecaux a proposé une offre en partenariat avec les groupes SNCF et RATP - acceptant au passage de transformer son modèle économique -, c’est le consortium Smovengo qui a remporté l’appel d’offres en avril 2017. Le changement d’opérateur a alors représenté un bouleversement important dans le paysage des mobilités partagées parisiennes (illustration 16).

Illustration 16. Station Vélib’ 2 avec un vélo à assistance électrique en bleu (M. Huré, 2018).

La rupture d’une infrastructure

21La véritable rupture dans le renouvellement de Vélib’ concerne le changement d’opérateur, dans un marché où l’infrastructure et l’expertise sont détenues, dans une large mesure, par les prestataires privés. Aussi, la remise en cause du contrat avec JCDecaux dépasse largement la question du vélo en libre-service et met en jeu l’ensemble des relations stabilisées entre la ville de Paris et l’entreprise JCDecaux, implantée dans la capitale depuis 1971.

22Dans ce contexte, JCDecaux a, dans un premier temps, conservé son mobilier publicitaire par le biais d’un contrat séparé en 2017. Mais l’entreprise a dû démonter l’ensemble des stations Vélib’ pour permettre au nouveau prestataire d’implanter son dispositif. La perspective de ces travaux, occasionnant de nombreux chantiers, dissuade souvent les élus de changer d’opérateur et explique dans une certaine mesure le faible nombre de municipalités ayant remis en cause la position de JCDecaux en France.

23Par ailleurs, ce type de changement implique toujours une rupture, à tout le moins temporaire, dans l’offre de service proposée aux usagers et plus largement dans les pratiques de mobilités des citadins. Les 300000 abonnés Vélib’ ont vu le dispositif passer de 10000 vélos en octobre 2017 à 600 en janvier 2018. En conséquence, le nombre de trajets réalisé par jour en Vélib’ a chuté à 60009. C’est toute la stratégie vélo de la ville de Paris, fondée sur l’augmentation de sa part modale (de 4 % aujourd’hui) à 15 % en 2020, qui fut momentanément compromise.

24Pour assurer une meilleure régulation politique du système, la ville de Paris a souhaité séparer le marché des vélos de celui de l’affichage publicitaire, à l’instar par exemple de Barcelone10. La gestion des coûts du service Vélib’ 2 - la presse évoque environ 600 millions d’euros sur quinze ans11 - représente donc un défi totalement nouveau pour les pouvoirs publics. Ainsi, à Barcelone, le budget alloué au dispositif de vélos partagés a été l’un des enjeux majeurs des élections municipales de 2007, 2011 et 2015, les coûts étant jugés trop importants par l’opposition12. Or, pour les opérateurs de mobilités partagées, la rentabilité est difficile à atteindre, sauf si les entreprises réalisent d’autres bénéfices indirects - la publicité pour JCDecaux, les batteries et les bornes de recharge électriques pour Bolloré (dans le cas d’Autolib’), des applications mobiles ou des logiciels pour les flottes de vélos en free floating. Au contraire, Smovengo prévoit de tirer ses recettes exclusivement de l’utilisation du système. Nul ne sait qui assumera les coûts des retards et des dysfonctionnements du nouveau Vélib’ - et encore moins quelles seront les évolutions apportées au service en cas de pertes importantes pour Smovengo.

25Par ailleurs, au sein des configurations d’acteurs « public-privé », des interdépendances se nouent sur les emplois créés sur les territoires, dont il faut assurer ensuite la continuité en cas de changement d’opérateur. Cette transition n’a pas été aisée entre les salariés de JCDecaux et ceux de Smovengo13. Cet aspect est fondamental pour des raisons sociales et politiques, mais aussi parce qu’il permet d’assurer une continuité dans l’expertise technique et urbaine.

26À Paris, la montée en puissance de l’expertise publique en matière de mobilités partagées au cours des dernières années, visible à travers notamment le syndicat mixte Vélib’ Autolib’ Métropole, a probablement permis une forme d’émancipation des institutions publiques par rapport à l’expertise privée de JCDecaux. Cependant, le changement d’opérateur a mis en lumière la dépendance à l’expertise de l’entreprise : d’une part, l’infrastructure et la maîtrise de sa technologie étaient détenues par JCDecaux ; d’autre part, l’implantation des infrastructures pour Vélib’ en 2007, en complément du mobilier urbain installé dans l’espace public parisien depuis 1971, a conféré à l’entreprise des savoirs techniques singuliers sur le fonctionnement de la voirie parisienne, notamment concernant les branchements électriques, que l’opérateur Smovengo affirme avoir découvert seulement au moment de déployer son dispositif14 ; Enfin, tout au long des dix années de gestion du dispositif Vélib’, JCDecaux a accumulé des données concernant les usagers et les usages des vélos en libre-service. Ces données pourront-elles être utilisées ? Ainsi, en tant que ressource de pouvoir pour les acteurs, l’expertise de la gestion des infrastructures, au croisement entre le matériel et le numérique15, est au cœur des préoccupations des gouvernements urbains et des enjeux dans le changement de politique publique.

27Les difficultés rencontrées par les pouvoirs publics parisiens s’expliquent principalement par le changement de configuration d’acteurs « public-privé » dans la gestion de Vélib’, qui s’est opéré sur une période relativement courte, entre 2017 et 2018. Ce changement de configuration s’est traduit par une rupture importante dans la gestion d’une infrastructure privée, dont les effets n’avaient pas été anticipés par les acteurs publics. Les difficultés rencontrées dans l’implantation du service Vélib’ 2 coïncident également avec l’arrivée de nouvelles offres de vélos partagés dans l’espace public parisien : les flottes de vélos en free floating.

Les mobilités en free floating : nouvel enjeu de régulation politique

28Avec le renouvellement du contrat Vélib’, les pouvoirs publics parisiens se sont davantage investis dans la régulation politique des mobilités partagées. Mais, paradoxalement, alors que les villes prennent conscience de l’importance d’une régulation plus poussée des services de mobilités partagées, elles vont voir se développer des offres en dehors de toute régulation politique : les flottes de vélos et de trottinettes en free floating. Cette double dynamique interroge sur l’avenir des systèmes de vélos en libre-service organisés autour d’une infrastructure et questionne la cohérence des services de mobilité urbaine.

Tableau 6. Le régime d’innovation des vélos en free floating.

29Les premières entreprises proposant des offres de vélos en free floating se sont développées en Chine au milieu des années 2010, pays dans lequel ont été implantées et testées des innovations dans de nombreuses grandes villes. Il s’agissait alors de répondre à la congestion automobile et aux problèmes de pollution atmosphérique dans les villes chinoises en proposant des offres permettant aux usagers de s’approprier librement les vélos, à l’aide d’un smartphone pour déverrouiller les bicyclettes. Des flottes de plusieurs milliers de vélos ont ainsi été installées en Chine. Dans sa philosophie, le vélo en free floating correspond au concept du premier dispositif de vélos en libre-service inventé à Amsterdam en 1965 puis à celui des « vélos municipaux » de La Rochelle en 197616, avec l’outil numérique en plus. Par ailleurs, le free floating s’inspire également du système Call a bike, implanté dans quelques villes allemandes, dont Berlin, à partir de 2004, un service de vélos partagés pouvant être empruntés grâce à un appel téléphonique réalisé par l’usager avec son téléphone portable pour déverrouiller les vélos.

30L’originalité des dispositifs de vélos en free floating, dont la diffusion en France est assurée depuis 2017, est que leur implantation initiale échappe à toute forme de régulation politique puisqu’il s’agit d’offres strictement privées et déployées sans implantation d’infrastructure. Les vélos sont déposés dans l’espace public, sans demande d’autorisation auprès des autorités publiques, puis laissés à la libre appropriation des usagers. Ce modèle a inspiré les opérateurs de trottinettes électriques en free floating, ayant mis en service leurs dispositifs au cours de l’année 2018 à Paris. Ces dispositifs ont ainsi renouvelé les tensions autour du partage de l’espace public dans les grandes villes.

31À Paris, quatre opérateurs de vélos en free floating ont installé leur dispositif dans l’espace public en l’espace de six mois, entre octobre 2017 et mars 2018. Mais deux entreprises ont stoppé leur activité au premier semestre 2018, Gobeebike et Obike, pour des raisons de rentabilité jugée trop faible, notamment au regard du coût engendré par les nombreuses dégradations subies sur les bicyclettes. Si certains opérateurs ont équipé leur flotte avec des bicyclettes relativement robustes, d’autres ont privilégié des offres low cost avec des vélos sans vitesse et plus fragiles. ÀParis, seuls Ofo et Mobike, les deux géants mondiaux, ont essayé de maintenir leur offre. Mais, au second semestre 2018, Ofo a également stoppé son activité, tandis que Mobike réduisait son offre, en attendant de voir l’évolution du marché. En 2019, l’entreprise Über lançait également une offre. Enfin, un autre opérateur français, Indigo, est implanté dans quelques villes françaises avec son dispositif Indigo Weel, en proposant des places de stationnement dans ses parkings pour ses flottes de vélos17.

32La grande différence du free floating avec les offres de vélos en libre-service proposées par les grandes entreprises de l’affichage publicitaire est que ce type de dispositifs ne dispose pas d’infrastructure en propre, ce qui diminue très nettement les coûts d’investissement et d’exploitation. Son atout réside dans la grande souplesse d’utilisation proposée aux usagers. Il s’agit également de services pouvant être installés de manière extrêmement rapide. En corollaire, ces offres peuvent être enlevées de l’espace public tout aussi rapidement par les opérateurs en cas d’arrêt du dispositif, sans tenir compte des usagers, comme ce fut le cas pour Gobeebike, le premier dispositif implanté à Paris en octobre 2017 et arrêté en avril 2018. Ainsi, les entreprises maîtrisent entièrement l’offre et son organisation, y compris le périmètre dans lequel elles souhaitent implanter leur flotte de vélos. Par exemple dans la Capitale française, les sociétés Ofo et Mobike ont restreint l’utilisation de leurs vélos dans le centre de Paris, en sanctionnant financièrement les usagers sortant du périmètre, à l’aide d’un traçage GPS des vélos en temps réel. Dans ces conditions, les entreprises du free floating ne se préoccupent guère des objectifs d’accessibilité des politiques publiques, contrairement au dispositif Vélib’, présenté comme un service public par les élus et le syndicat mixte Autolib’Vélib’Métropole. Pour des questions de rentabilité, il est même envisageable de voir émerger des offres de vélos en free floating restreintes à certains arrondissements, donc réservées à certaines populations18.

33Mais le modèle économique de ces dispositifs reste extrêmement fragile dans les villes européennes et leur développement est suspendu à la régulation politique urbaine. En effet, de nombreuses villes, dont Paris, réfléchissent à la meilleure manière d’encadrer et de réguler les offres de vélos en free floating pour éviter des débordements dans l’espace public et atténuer une potentielle concurrence avec les services de vélos en libre-service mis en œuvre par les institutions publiques. De manière générale, l’émergence des systèmes de free floating pose des questions aux décideurs urbains sur la manière de concevoir et d’organiser l’espace public. Elle pose également des problématiques d’ordre politique, concernant les acteurs légitimes pour gouverner et produire la ville.

Réguler le marché et les espaces publics

34Les vélos partagés constituent un cas typique des problématiques de régulation que rencontrent les pouvoirs publics dans les villes face aux opérateurs développant des offres dans l’espace public. Depuis 2017, les nouveaux systèmes de vélos en free floating - sans infrastructure - côtoient les vélos en libre-service organisés autour d’infrastructures - comme Vélib’ à Paris. Si la question de la cohabitation/concurrence entre ces deux types de dispositif s’est posée, les vélos en free floating ont surtout soulevé des problématiques de régulation de l’utilisation des vélos dans l’espace public.

35De manière générale, la spécificité des mobilités partagées est qu’elles se déploient dans des espaces publics ouverts, donc en interaction avec de multiples usages, ce qui n’est pas toujours le cas des transports collectifs disposant d’infrastructures dédiées. Par ailleurs, dans les villes européennes, elles évoluent dans les espaces relativement restreints des centres-villes, ce qui pose la question du partage de ces espaces entre les différents usages.

Tableau 7. Synthèse des principales caractéristiques des services de vélos partagés avec et sans infrastructure.

36L’implantation des offres de vélos en free floating à Paris s’est réalisée durant la période de transition entre les deux opérateurs de Vélib’. Cet élément de contexte a eu des conséquences sur l’utilisation et les représentations des vélos en free floating. D’une part, les vélos en free floating ont été perçus comme des offres fonctionnant en dehors de tout contrôle et occasionnant des incivilités dans l’espace public. D’autre part, les difficultés rencontrées par l’implantation de Vélib’ et la rigidité de ses infrastructures ont légitimé la pertinence du free floating et sa souplesse d’utilisation. Ces deux visions antagonistes ont finalement guidé la manière de réguler les systèmes de free floating à Paris. Les élus ont d’abord insisté sur la nécessité d’une régulation ferme. Mais ils ont ensuite adopté des instruments de régulation souple pour encadrer les opérateurs et leurs clients à travers une charte de bonne conduite, sans contrainte réglementaire. Ensuite, à quelques mois des élections municipales de 2020 et au fur et à mesure du déploiement de Vélib’, une régulation réglementaire, plus stricte, a été adoptée par la ville de Paris.

37Pour les pouvoirs publics, la régulation des dispositifs de vélos en free floating vise à résoudre deux principaux problèmes : le stationnement des bicyclettes qui, pour des raisons de sécurité et d’image, notamment dans les lieux touristiques, doit être strictement encadré autour des parcs publics de stationnement vélo (illustration 17) ; les bicyclettes dégradées qui ne doivent pas être abandonnées dans l’espace public. Les mécontentements se cristallisent ainsi sur l’encombrement des trottoirs par des vélos stationnés ou abandonnés. Il est ainsi courant d’observer des vélos en free floating (mais aussi des scooters et des trottinettes) stationnant sans précaution sur les trottoirs, comme l’illustre cette photographie :

Illustration 17. Photographie d’un vélo Gobeebike stationné sur un trottoir près d’une station Vélib’ (Flonneau, nov. 2017).

38Si les problèmes visibles de stationnement et de gestion des bicyclettes endommagées ont particulièrement attiré l’attention de la presse et des décideurs, d’autres problèmes, moins visibles, se sont posés pour les pouvoirs publics. Premièrement, les entreprises proposant des offres en free floating utilisent les infrastructures publiques (voirie, parcs de stationnement) pour développer leur activité lucrative, sans participer à leur financement. Il s’agit là d’un problème récurrent se posant pour de nombreuses activités liées à l’économie du partage, comme pour les plateformes de covoiturage. D’autre part, une utilisation massive des vélos en free floating pourrait remettre en cause la pérennité financière du système Vélib’ car la concurrence entre les deux services s’exerce de deux manières : sur la philosophie d’usage, entre souplesse du free floating et rigidité du système Vélib’ et de son infrastructure ; sur les tarifs car le free floating est particulièrement attractif pour des offres sans abonnement. La souplesse d’utilisation et les tarifs compétitifs pourraient séduire d’anciens usagers de Vélib’. Cette concurrence semble réelle, d’après les chiffres énoncés par le directeur France d’Ofo :

« Pendant notre étude, nous avons interrogé mille de nos clients. J’ai constaté que 50 % d’entre eux n’avaient jamais été abonnés à Vélib’, 25 % l’ont été et le sont encore et 10 % utilisent de manière régulière plusieurs systèmes de free floating. Il y a une diversité d’usages. Des gens ne faisaient pas de vélo, d’autres ne connaissaient pas Vélib’ ou utilisent les deux services »19

39Le choix d’une régulation souple (charte de bonne conduite) à Paris semble lié au contexte de transition difficile de l’implantation de Vélib’. Cette régulation s’est ensuite durcie au fur et à mesure de la montée en puissance du dispositif Vélib’ 2 au cours de l’année 2019, notamment à travers l’introduction d’une licence payante pour les opérateurs sur chaque vélo déposé et mis en service dans l’espace public. Cette licence vise à organiser le marché des vélos partagés en autorisant un nombre restreint d’opérateurs sur le territoire parisien. Un système similaire a été adopté pour les trottinettes électriques en free floating. Pour ces dernières, la mairie de Paris a également pris des arrêtés pour réguler les usages sur les trottoirs et la voirie20.

40En parallèle, la ville de Paris a mobilisé d’autres réseaux, nationaux, pour accompagner la construction d’une régulation des flottes de vélos en free floating. Si les assises de la mobilité en France ont constitué une « fenêtre d’opportunité » pour mobiliser les services de l’État et les parlementaires, la ville de Paris s’est aussi appuyée sur le réseau du Club des Villes et Territoires Cyclables qui suit ce dossier avec attention pour répondre aux interrogations de ses adhérents21. Dans cette perspective, la ville de Paris a indirectement participé à la préparation de la loi d’Orientation des Mobilités (LOM) voté en 2019 pour combler le vide juridique qui entoure la régulation de ces dispositifs dans l’espace public. Il s’agit notamment pour les acteurs publics de pouvoir mettre en place une redevance d’occupation de l’espace public visant à restreindre le nombre de vélos ou le nombre d’opérateurs sur leur territoire et de sanctionner les comportements des usagers jugés inappropriés dans l’espace public.

41La ville de Paris est le territoire français le plus concerné par la régulation des dispositifs de free floating. D’autres villes européennes ont actionné différents leviers pour encadrer l’utilisation de ces bicyclettes. Si la plupart des acteurs publics optent pour une régulation souple et incitative, type charte de bonne conduite, ou pour une régulation financière (redevance ou sanction financière), d’autres ont choisi la voie réglementaire pour interdire le déploiement de ces offres sur leur territoire. C’est notamment le cas de la ville d’Amsterdam, de Nantes ou encore celui de la ville de Lyon qui souhaite restreindre leur utilisation sur la Presqu’île, soit dans les arrondissements les plus denses et les plus intéressants pour les opérateurs du free floating.

42Face à cette régulation, une consolidation du marché des vélos en free floating a été observée dans les villes françaises. À Paris, après l’arrêt du système Ofo et la diminution programmée de l’offre de Mobike, l’aventure des vélos en free floating semblait prendre fin, même si le groupe Über a décidé d’implanter sa propre flotte de vélos en free floating.

Illustration 18. Fourrière municipale embarquant des scooters en libre-service (Cityscoot) à Paris dans le secteur de Montmartre (Huré, avril 2019).

Conclusion

43L’analyse de la régulation politique des vélos en free floating à Paris met en lumière l’enjeu pour les pouvoirs publics de conserver la maîtrise de l’espace public pour des raisons d’ordre public, d’image et de fonctionnement des réseaux de transport. ÀParis, la cohabitation de plusieurs dispositifs semble accentuer le clivage entre des services organisés autour d’une infrastructure et ceux implantés librement sur le réseau existant, c’est-à-dire entre des services de mobilités partagées régulés par les pouvoirs publics et des services privés implantés en dehors de tout contrôle politique. L’intervention politique est alors pensée comme un moyen de réguler la concurrence à laquelle se livrent les acteurs économiques dans l’espace public, dans un marché des vélos partagés que les pouvoirs publics souhaitent organiser. Il ne s’agit pas pour autant d’exclure de l’espace public certains acteurs du marché. L’objectif est de contraindre et de normaliser le comportement de ces acteurs. Autrement dit, il s’agit de gouverner les conduites des usagers et des acteurs du marché22 et d’affirmer une domination politique sur la gestion des espaces publics.

44Aujourd’hui, le développement des systèmes de mobilités partagées est suspendu aux différents modes de régulation politique des villes. Si certaines villes interdisent par exemple l’implantation des flottes de vélos en free floating, d’autres ne prendront aucune mesure pour encadrer ces dispositifs afin de développer la pratique du vélo sur leur territoire. On s’achemine donc vers un paysage de la mobilité urbaine et des espaces publics différencié, en fonction des régulations politiques locales.

45La variété des régulations politiques de l’espace public s’exprime à tous les niveaux, de l’usage à l’expertise, en passant par le choix des opérateurs, des outils de contrôle, des réglementations, de la gestion des données numériques ou encore dans l’idéologie même de la manière de concevoir l’espace public. On observe ainsi une différenciation de la conception des mobilités partagées et des espaces publics en fonction de la régulation politique urbaine23. Cette variété des régulations politiques est aussi le résultat et, parfois la conséquence, d’une différenciation des ressources financières et d’expertise entre les villes pour assurer cette régulation.