1« Sans Lyon, Decaux n’existerait pas », confie le président de la société JCDecaux quelques jours après l’inauguration de Vélo’v, le 19 mai 20051, témoignant ainsi d’une forme de dépendance qu’entretient l’entreprise avec le territoire lyonnais. Si Jean-Claude Decaux fait référence à son premier contrat remporté à Lyon en 1965, cette phrase illustre une évolution majeure du capitalisme contemporain. L’accroissement des liens entre les firmes et les villes est un indicateur de la montée en puissance des capitalismes urbains2. Entendu comme les structures des relations « public-privé » stabilisées sur le long terme dans les politiques urbaines d’un territoire, le capitalisme urbain représente une clé de compréhension des évolutions de la ville contemporaine. Analysées dans leurs variétés financière et institutionnelle, ces structures « public-privé » interagissent à l’échelle transnationale, dans les échanges mondialisés. Cette double évolution, renforcement des liens « public-privé » au niveau des villes et changement d’échelle transnationale dans l’économie politique des villes, se trouve au cœur de la mise en œuvre des services de mobilités partagées et de leur généralisation dans les grandes villes mondiales.

2Parler de capitalisme urbain aide à comprendre à la fois l’émergence des acteurs du marché3 dans la gestion des infrastructures et des réseaux urbains, et les processus de circulation de ces services à l’échelle transnationale. Comment les dispositifs de mobilités partagées se sont-ils imposés dans la majorité des grandes villes mondiales ? Et quelles sont les transformations induites par les grandes firmes gérant ces dispositifs dans la fabrique de la ville ?

3La deuxième partie de l’ouvrage questionne ainsi les effets de ces nouvelles mobilités gérées par des grandes firmes sur l’organisation politique, institutionnelle et sociale des métropoles. Pour bien comprendre les transformations induites par les dispositifs de mobilités partagées, il faut d’abord s’intéresser aux grandes firmes de services et à leur histoire. Considérant le poids croissant des entreprises privées dans l’organisation des villes, il s’agit de comprendre qui sont ces acteurs transnationaux, comment ces firmes se sont développées, quelles sont leurs offres et de quelle manière elles se positionnent dans leur environnement concurrentiel et dans les différentes échelles politiques, locale, nationale et internationale.

4Les firmes font, de surcroît, la promotion d’une forme de standardisation urbaine, mais peuvent également s’adapter aux besoins de différenciation et de marketing des élus locaux souhaitant intégrer leur ville dans la compétition internationale entre les grandes métropoles. Nous verrons ainsi que les entreprises apportent de nombreuses ressources aux élus urbains (chapitre 4). Il s’agit ensuite de s’interroger sur les effets de la gestion privée des mobilités partagées sur la ville, en s’intéressant aux organisations spatiales et aux institutions urbaines. La présence des firmes dans de nombreux processus de production de la ville peut illustrer une nouvelle forme de privatisation silencieuse de l’action publique urbaine4. Cette privatisation s’exprime par une présence accrue des acteurs privés dans le travail institutionnel et politique des villes, par une occupation importante de l’espace public et par un nouveau rôle dans la gestion des usagers des nouvelles mobilités partagées (chapitre 5). Enfin, les deux derniers chapitres de cette partie souhaitent s’interroger sur les principaux défis des prochaines décennies pour les villes soumises au pouvoir des firmes, et notamment la mise en œuvre d’instruments de régulation politique pour contrôler et encadrer l’activité des sociétés privées. En matière de régulation, les villes ne sont pas les seuls acteurs à s’investir. Le rôle des États et de l’Union européenne est central. L’analyse des implications citoyennes et du nouveau rôle joué par les usagers/consommateurs dans la régulation de ces services urbains permet de proposer un développement sur, d’une part, la prise en compte des citoyens dans cette action urbaine « public-privé », d’autre part, sur le développement d’alternatives en matière de vélo, de système automobile et de mobilité urbaine (chapitre 6). Au milieu des années 2010, la problématique de la régulation politique des mobilités partagées est devenue plus prégnante avec l’arrivée des dispositifs en free floating et de nouveaux acteurs privés. L’exemple de la régulation des innovations dans les mobilités partagées à Paris vient clôturer le développement sur la transformation des gouvernements urbains pour réguler les différentes formes de capitalisme dans les métropoles mobiles5.