1Cette première partie a permis de revenir sur l’histoire des mobilités partagées depuis leur fondement utopique dans les années 1960-1970 jusqu’à leur gestion contemporaine par des grandes firmes privées. Tandis que les diverses associations et entreprises de l’économie sociale et solidaire ont formalisé les concepts et anticipé certains changements sociétaux, les entreprises ont industrialisé le développement de ces nouveaux services de mobilité et accompagné des transformations politiques dans la manière de gouverner les grandes villes. Ce passage d’une utopie associative à une gestion privée des mobilités partagées ne s’est pas fait sans heurts. Les controverses actuelles et les conflits récurrents dans le monde des transports urbains en témoignent.

2Dans cette évolution historique, le politique peut parfois paraître en retrait. Pourtant, c’est bien dans la sphère politique que les premiers dispositifs de vélos en libre-service trouvent un écho, dans le cadre de la montée en puissance des partis écologistes. C’est aussi le politique qui autorise la création de nouveaux marchés urbains, que ce soit dans les années 1960 pour le mobilier urbain, ou dans les années 1990 pour les systèmes de vélos en libre-service et les dispositifs d’autopartage. Les élus locaux sont donc à l’initiative des transformations urbaines en matière de mobilité. Les changements touchent autant l’organisation économique de la ville que la structure sociale du tissu urbain. L’injonction à la mobilité, couplée à celle du développement durable, permet à ces services de mobilité de légitimer l’action politique en répondant à des aspirations sociales et à des normes capitalistiques de la finance globale et des échanges mondialisés. Il est ainsi frappant de constater la facilité d’appropriation, voire de détournement des idéaux écologistes par les élus et les firmes. L’écologie représente aujourd’hui la problématique centrale de l’action urbaine en matière de transport. Mais les représentations de l’écologie à travers les services de mobilités partagées ne sont pas stabilisées. Du développement durable à la question climatique1 ou à celle de la lutte contre la pollution, d’autres paradigmes pourraient s’imposer dans l’action urbaine. Les concepts de mobilité solidaire, de gratuité des transports, de décroissance de la mobilité, aujourd’hui défendus en marge par des collectifs et des associations, ne pourraient-ils pas un jour être le moteur de l’action « public-privé » des grandes métropoles mondiales ?

3Cette lecture linéaire de l’évolution métropolitaine vers le tout-marchand peut cependant être discutée, notamment au regard des risques encourus par une action politique qui serait essentiellement orientée vers le partenariat avec les firmes de services urbains. Si les entreprises apportent de nombreuses ressources financières, d’internationalisation, voire électorale aux élus, nombreux sont les risques de cette action « public-privé » pour les gouvernants et les systèmes urbains : aggravation des inégalités sociales et spatiales, développement des inégalités entre les villes et les territoires, accroissement du rôle des villes dans le capitalisme et de la compétition interurbaine mondiale, privatisation des espaces publics et de la fabrique de la ville, etc. Face à ces évolutions possibles, l’enjeu pour les décideurs politiques est de réussir à davantage réguler les relations entre les institutions publiques et les entreprises privées. Il peut aussi travailler à accompagner le développement d’alternatives aux modèles marchands des villes. Ces orientations, toujours mouvantes, sont à prendre au sérieux car les élus, tout comme les firmes, doivent composer avec un certain nombre d’acteurs qui influent et transforment l’action urbaine, notamment l’État, l’Union européenne et les multiples collectifs associatifs et mouvements citoyens. Dès lors, l’économie du partage et notamment les mobilités partagées s’imposent de manière incontournable comme un des enjeux majeurs du capitalisme et de ses régulations à l’échelle urbaine.