La carte avant les cartographes
|Carte et géographie
Carte et géographie
Texte intégral
1Connaître précisément la chronologie de la diffusion de la carte nécessiterait de passer par une enquête exhaustive de la production et de l’usage des cartes, tant imprimées que manuscrites, au moins dans l’Europe des xvie, xviie et xviiie siècles ; tâche qui excède très largement les objectifs de ce livre. Nous en sommes donc réduit à un hypothèse qui pose que la diffusion de la carte, telle que l’étude sur les livres et celle sur le Mercure l’ont données à voir, serait représentative de la diffusion réelle de la carte en dehors de ces médias. Hypothèse forte car les lieux où la carte a été observée jusqu’ici ont été choisis a priori comme étant ceux dans lesquels il y avait peu de chances d’en trouver. Les trois dossiers qui vont suivre montreront cependant que par bien des aspects les rythmes de la diffusion de la carte, dans ce lieu a priori plus évident qu’est la Géographie, sont aisément rapprochables de ceux qui ont été évoqués jusqu’ici.
2Cependant, la première partie de cet ouvrage a jusqu’ici laissé deux aspects de côté, en ne se consacrant qu’au résultat, soit le phénomène de diffusion. Bien sûr, nous avons insisté sur les freins à ce mouvement, qu’ils soient matériels – comme pour l’intégration d’une carte à un livre – ou sociaux – comme dans le cas d’une revue à destination mondaine. Mais une diffusion n’a pas lieu sur un terrain vierge : la description du monde n’attend pas la carte pour apparaître. Il existe en effet d’autres formes de description, tant sous la forme de textes que sous celle de figurations. Celles-ci dominaient avant la diffusion de la carte, laquelle amène, au pire leur déclassement, au mieux leur intégration à un spectre élargi de possibilités. Prendre cette idée au sérieux consiste alors à lire le parcours de diffusion de la carte comme celui d’un outsider dont le succès était a priori imprévisible. À ce premier aspect doit en être ajouté un second, qui pose la question des porteurs de cette innovation. Cela incite à déterminer qui ils sont, et quels sont les enjeux qui les poussent à mettre en place une innovation contre des formes de description du monde déjà acceptées ? Autrement dit, à l’approche classique qui propose de lire l’histoire de la cartographie comme une marche vers le progrès, ponctuée par des inventions remarquables, nous proposons ici une construction peut-être plus prosaïque, mais que nous croyons plus réaliste, de concurrence et d’enjeux.
3Le protocole de recherche retenu ici consiste en une interrogation d’abord centrée sur la géographie : on prêtera une attention particulière aux différentes modalités d’un discours qui concurrence la carte et qui ne se rattache pas nécessairement aux pôles des savoirs sur les territoires ; pour ne passer qu’ensuite aux pratiques de domiciliation de la carte au cœur de la géographie.
© Éditions de la Sorbonne, 2015