Contre le désenchantement de la nature : la réponse de Cavendish et de Conway aux « nouvelles philosophies »
p. 209-210
Texte intégral
1Sans doute Conway avait-elle connaissance des textes de Cavendish, auxquels Henry More fait allusion dans ses lettres, mais il est peu probable que « Mad Madge » ait constitué pour elle un modèle. Pourtant, comme Stephen Clucas et Sarah Hutton l’ont montré dans leurs articles consacrés à la comparaison des philosophies des deux femmes, Cavendish et Conway proposent toutes deux des doctrines monistes, qui réfutent l’idée d’une matière inerte. Elles opposeraient aux mécanistes des philosophies de nature vitaliste, selon lesquelles la nature vivante est animée d’un principe vital interne. Clucas et Hutton concluent que la seule différence entre les doctrines des deux femmes réside dans la nature de l’unique substance qui compose toutes choses : alors que la nature de Conway est entièrement spirituelle, Cavendish proposerait à l’inverse une explication purement matérialiste. Ces analyses simplifient quelque peu les philosophies en présence, qu’il convient de réévaluer à la lumière d’une étude précise des termes auxquels elles recourent. Toutefois, la similarité que les analyses de Hutton et de Clucas révèlent entre les philosophies de Cavendish et de Conway semble quant à elle tout à fait pertinente : comment alors expliquer cette ressemblance entre les philosophies des deux femmes ?
2Afin de rendre compte d’évidentes similitudes entre les doctrines de deux femmes qui ne se sont jamais rencontrées, plusieurs hypothèses doivent être envisagées : tout d’abord, le choix de philosophies vitalistes par Cavendish et par Conway est-il à nouveau la conséquence des modalités de leur accès au savoir ? L’autodidaxie les conduirait à des choix spécifiques ; le vitalisme qu’elles adoptent pourrait ainsi être perçu comme une doctrine plus accessible que le mécanisme par exemple. La deuxième hypothèse doit conduire à réévaluer la place du vitalisme dans le débat philosophique du milieu du xviie siècle : les philosophies de Cavendish et de Conway sont-elles tout simplement les réponses les plus fréquentes des détracteurs des « nouvelles philosophies » ? L’élaboration de doctrines vitalistes et -monistes serait alors la réaction la plus évidente au dualisme des théories mécanistes. La similarité entre les textes de Cavendish et de Conway pourrait ainsi s’expliquer par leur inscription dans un courant critique caractéristique d’une réaction aux « nouvelles philosophies ». Enfin, la troisième hypothèse situerait l’origine de cette ressemblance dans le genre : Cavendish et Conway proposent-elles des philosophies similaires parce qu’elles sont des femmes ? Deux approches sont alors possibles : l’une essentialiste, selon laquelle il existerait un lien entre la nature et les femmes qui conduirait celles-ci à des choix vitalistes ; l’autre culturaliste, selon laquelle la place des femmes dans la culture à un moment donné pourrait les conduire à préférer certaines philosophies. Cette explication par le genre suppose la reconnaissance d’un mode de pensée proprement « féminin », qui s’incarnerait dans le vitalisme en Angleterre à l’époque moderne. Selon l’approche essentialiste, c’est pour défendre une nature dont elles se sentent proches que les femmes se tournent en priorité vers des doctrines de nature vitaliste. Si cette approche ne constitue pas une hypothèse valide selon nous, certains arguments de l’explication « culturaliste » doivent en revanche être étudiés, lorsqu’ils ont été appliqués au cas de Cavendish et de Conway en particulier.
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