La prédilection des femmes pour la philosophie de la nature : les facteurs socio-historiques
p. 25
Texte intégral
1C’est sans doute dans les années 1630-1640 que Robert Filmer rédige Patriarcha, Or The Natural Power of Kings, traité qui plaide avec force pour la monarchie héréditaire de droit divin. Filmer y démontre le pouvoir patriarcal d’Adam, seigneur de ses enfants par décret de Dieu. Selon cette doctrine, le pouvoir absolu du premier homme est transmis à ses héritiers, les princes de ce monde. En outre, Ève est assujettie à Adam, qui possède sur elle un pouvoir monarchique absolu, de même que chaque homme sur son épouse1. Il s’ensuit que les femmes sont maintenues dans une condition de soumission qui ne les autorise pas à participer à la vie intellectuelle et encore moins à l’exercice du pouvoir, prérogatives masculines par excellence. Si le texte de Filmer n’est publié qu’en 1680, puis en 1685, pour servir d’argumentaire en faveur de l’exclusion du duc d’York de la succession au trône, on peut dire que la doctrine qu’il incarne correspond néanmoins « aux présupposés de l’anthropologie politique commune du temps2 ».
2C’est pourtant dans ce contexte patriarcal, si peu favorable à l’intervention des femmes dans les débats intellectuels, que Margaret Cavendish et Anne Conway se consacrent à l’écriture de traités philosophiques. Cavendish ne fait d’ailleurs aucun mystère de ses réflexions scientifiques, qu’elle publie dans une dizaine d’ouvrages entre 1653 et 1668. Si, à l’inverse, Conway semble rester plus discrète sur ses activités philosophiques, il n’en demeure pas moins qu’elle participe pleinement aux débats qui conduisent à l’avènement de la science moderne, par ses échanges épistolaires d’une part, mais aussi par l’écriture de son traité, publié de manière posthume en 1690. Que les deux femmes nourrissent des réflexions philosophiques pendant presque vingt ans est surprenant à plus d’un titre : la société patriarcale dissuade de telles entreprises et voit d’un mauvais œil les activités intellectuelles de femmes ; de plus, les femmes reçoivent, même dans les milieux aisés, une éducation qui se contente de leur enseigner l’art des activités domestiques dont elles sont ensuite chargées. Elles ne sont pas admises à l’Université, lieu de la transmission du savoir philosophique depuis le Moyen Âge. Puisque l’institution enseignante leur est fermée, à qui s’adressent-elles et quels sont les outils de leur accès au savoir ? En définitive, qu’est-ce qui dans le contexte politique, intellectuel et institutionnel de l’Angleterre du milieu du xviie siècle donne les moyens à Cavendish et à Conway de se faire philosophes en dépit de leur sexe ?
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