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L'Allemagne 1945-1955. De la capitulation à la division

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Gilbert Krebs
, 
Gérard Schneilin

Les changements de la politique d’occupation en Allemagne de 1945 à 1949

Horst Möller
Traduction de Hélène Miard-Delacroix

Texte intégral

1Les changements de la politique d’occupation en Allemagne après 1945 ont été le résultat de la modification des rapports entre les Alliés de la guerre. Confrontés à des divergences croissantes avec l’Union soviétique, la Grande-Bretagne, les États-Unis et la France durent reconnaître qu’il était impossible de mettre leur propre politique d’occupation en accord avec celle de l’Union soviétique. Plus rapidement que chez les Français, ce sentiment s’imposa chez les Britanniques et les Américains à partir du moment où ils comprirent dans toute son ampleur le caractère totalitaire et expansionniste de l’Union soviétique bolcheviste tel qu’il se manifestait dans l’avancée systématique en Europe centrale et orientale. Jusqu’alors la coalition anti-hitlérienne avait plus ou moins refusé de voir qu’il n’y avait en réalité pas de différence qualitative entre les dictatures expansionnistes d’Hitler et de Staline et que l’alliance tactique de ces derniers, scellée par le pacte du 23 août 1939, avait été la condition indispensable aux premiers succès militaires et, par là, aux conquêtes territoriales – y compris le découpage de la Pologne réalisé par l’Allemagne nazie et par l’Union soviétique communiste.

2Il avait été d’autant plus difficile d’évaluer de manière impartiale les objectifs poursuivis par Staline en Allemagne que les trois Alliés occidentaux, et plus particulièrement les États-Unis et la Grande-Bretagne, ne partageaient pas, au début de la période d’occupation, une conception commune et homogène de la politique qu’ils mèneraient en Allemagne ; cette conception commune ne se développa que dans la pratique de la politique d’occupation et à partir des désaccords et des différences entre les Alliés.

3L’Union soviétique, en revanche, poursuivit dès la fin du conflit une politique élaborée – si on la compare avec celle des autres Alliés – tant vis-à-vis de l’Allemagne, sur la question de l’occupation qu’au niveau mondial. A l’inverse, les Américains et les Britanniques commencèrent à partir du printemps 1945 par élaborer des conceptions différentes et concurrentes. En comparaison, la politique de la France à l’égard de l’Allemagne fut plus organisée, même si elle ne fut, elle non plus, jamais aussi conséquente que celle des Soviétiques et même si elle eut à long terme une importance politique bien moindre.

4Dans les faits, ce furent donc la politique soviétique à l’égard de l’Allemagne et la politique soviétique d’occupation qui contraignirent les Américains et les Britanniques d’abord, les Français ensuite, à réfléchir à leur propre politique, à élaborer des conceptions plus nettes et enfin à rendre plus homogènes les structures économiques et politiques des zones occidentales. Voilà pourquoi il faut considérer les changements de la politique d’occupation comme le résultat de la tension entre des expériences pratiques différentes dans la façon de traiter l’Allemagne ainsi que de l’évolution internationale depuis 1945. C’est la raison pour laquelle je commencerai par les coordonnées fondamentales avant de présenter leurs effets et les étapes de l’occupation.

5L’influence que l’Allemagne aurait pu avoir sur les projets concernant l’après-guerre et sur la politique d’occupation fut quasiment nulle. Cela, les conférences des Alliés sur l’Allemagne, organisées dès avant la fin de la guerre, l’avaient montré très clairement (Téhéran du 28 novembre au 1er décembre 1943, et Yalta du 4 au 11 février 1945). A Yalta, les Alliés ne réitérèrent pas seulement leur exigence d’une capitulation sans conditions (unconditional surrender) telle qu’elle avait été déjà formulée lors de la conférence de Casablanca (du 14 au 24 janvier 1943) ; ils prirent aussi la décision définitive de diviser l’Allemagne en zones d’occupation et de faire participer la France à l’occupation, à la condition cependant que la zone française soit prélevée sur les zones occidentales et non sur le territoire destiné à l’occupation soviétique. Ainsi, avant même la fin de la guerre, l’Allemagne était devenue l’objet de décisions prises au niveau mondial. Il lui était quasiment impossible de faire valoir un droit à l’autodétermination « parce que l’Allemagne elle-même n’en avait eu cure après ses victoires momentanées » et qu’elle « avait créé un précédent en organisant des transferts massifs de population », ainsi que l’avait constaté dès 1943 un groupe d’étude du Royal Institute of International Affairs de Londres.

6Sans pour autant préciser la nature, l’ampleur et la durée de la division de l’Allemagne, c’est cet objectif qui domina les plans des Alliés concernant l’après-guerre, malgré les différentes modifications apportées à chaque fois. Cependant, il manquait à tous ces projets visant à réorganiser l’Europe après la guerre une donnée devenue majeure depuis la fin des années 40 : le dualisme idéologique, politique et stratégique qui opposait d’un côté les États-Unis et leurs alliés et de l’autre l’Union soviétique et ses États satellites. Le 15 décembre 1943, la European Advisory Commission (EAC) commença à élaborer des plans de division de l’Allemagne en zones d’occupation, ce qui conduisit le 15 janvier 1944 à un premier projet et le 12 septembre 1944 au protocole de Londres. Ce dernier fut complété le 14 novembre 1944 par un accord sur la mise en place d’un système de contrôle en Allemagne.

7Division et antagonisme au niveau mondial, ces deux facteurs sont devenus, après 1945, les paramètres déterminants de toute politique concernant l’Allemagne. Le développement du dualisme Est-Ouest depuis la fin de la guerre rendit possible une autodétermination partielle des Allemands ; mais celle-ci ne pouvait se réaliser que dans la division, étant donné que c’était la seule idée commune qui restât à l’ancienne coalition anti-hitlérienne : à l’Est comme à l’Ouest, la division apparut comme le gage de la sécurité, comme le moyen de prévenir tout nationalisme allemand agressif.

8Avant même la tenue de la dernière conférence au sommet réunissant à Potsdam du 17 juillet au 2 août 1945 les trois grandes puissances de la coalition anti-hitlérienne (États-Unis, Grande-Bretagne et Union soviétique), les futures dissensions avaient commencé à se dessiner. Ainsi le Premier ministre britannique Winston Churchill évoquait-il, dans un télégramme du 12 mai 1945 adressé au Président américain Truman, la menace que représentait l’Union soviétique ainsi que la division en cours de l’Europe :

« J’ai personnellement toujours œuvré en faveur de l’amitié avec les Russes, mais je me fais, exactement comme vous, beaucoup de souci en raison de leur interprétation erronée de la décision de Yalta, de leur attitude à l’égard de la Pologne, de leur influence immense dans la région des Balkans (à l’exception de la Grèce) ... et à cause des liens noués entre la puissance russe et les territoires soumis à son pouvoir ou à son occupation, d’autant plus qu’ils s’ajoutent à la technique communiste appliquée dans de nombreux autres pays. Enfin et surtout, je suis soucieux face à la possibilité dont ils disposent de maintenir aussi longtemps sur le champ de bataille des armées aussi importantes. Quelle sera la situation dans deux ou trois ans, lorsque les armées américaine et britannique seront réduites et que l’armée française ne sera pas encore constituée à grande échelle ? Un rideau de fer est tombé le long du front russe. Il ne me semble pas y avoir de doute que tous les territoires situés à l’Est de la ligne Lübeck-Trieste-Corfou se trouveront bientôt entièrement entre leurs mains. »

9Selon Churchill, il était décisif et presque vital de parvenir à un règlement avec les Russes avant que la force armée de l’Ouest ait diminué.

10Deux semaines plus tard, Hopkins, le chargé d’affaires spécial des États-Unis, rencontra Staline à Moscou du 26 au 28 mai 1945, sur l’ordre du Président Truman, afin de discuter des rapports fondamentaux entre les deux grandes puissances. Au cours de cet entretien, Staline renforça les dissensions qui existaient déjà entre les États-Unis et la Grande-Bretagne au sujet de l’Europe de l’Est. Tandis que pour l’Angleterre la situation géographique de la Pologne, située entre l’Union soviétique et l’Allemagne, et qui avait d’ailleurs été en 1939 une raison majeure de l’entrée en guerre de l’Angleterre contre l’Allemagne hitlérienne, demeurait un problème essentiel, les États-Unis s’en souciaient fort peu. Ainsi Hopkins déclara-t-il à Staline que les États-Unis saluaient « une Pologne disposée à des relations amicales avec l’Union soviétique » et qu’ils souhaitaient « voir, tout au long de la frontière soviétique, des États dans les mêmes dispositions ». Cette naïveté évidente provoqua une réponse joviale de Staline : « s’il en était ainsi, il serait facile de tomber d’accord au sujet de la Pologne ». Certes Hopkins et Staline ne comprenaient sûrement pas la même chose sous le terme de « disposée à des relations amicales » ; en tous cas, Staline, lui, entendait bien des États satellites dépendants qui formeraient une ceinture tendue jusqu’au milieu de l’Europe.

11Au cours de cet entretien avec Staline, l’envoyé spécial Hopkins aborda aussi les désaccords concernant les conséquences, tirées de part et d’autre, de la conférence de Yalta. En effet, le dictateur soviétique avait déclaré à la fin de la guerre qu’il s’opposait à tout démembrement de l’Allemagne et c’était bien ce qui ressortait des accords de Yalta qui n’envisageaient une telle solution que comme moyen de pression sur l’Allemagne au cas où celle-ci ferait preuve d’insubordination. D’après ce que déclara Hopkins, le Président Truman penchait quant à lui pour le démembrement et approuvait dans tous les cas la mise sous contrôle international de la Sarre, de la Ruhr et de la rive gauche du Rhin. La Grande-Bretagne, elle, refusait un démembrement, tout en étant d’accord avec la cession de la partie occidentale de l’Allemagne. Aucun accord ne put être trouvé au cours de cette conversation américano-soviétique ; néanmoins les participants convinrent que la cession de certains territoires allemands ne signifiait pas un démembrement et que ce terme devait être réservé à la création d’États allemands séparés. C’est sur la base de cette divergence de vues que les Alliés décidèrent de remettre la question de l’Allemagne à l’ordre du jour de la prochaine conférence au sommet.

12Un an avant la fin de la guerre, le 16 mai 1944, le chef d’état-major américain n’excluait déjà pas un conflit anglo-soviétique dans le cas où

« l’un de ces deux États essaierait d’augmenter sa puissance en cherchant à lier à lui des parties de l’Europe et à ainsi mettre son ennemi potentiel en position désavantageuse. »

13Au début du printemps 1945, les Britanniques élaborèrent des plans visant à opposer à l’expansion soviétique un bloc ouest-européen composé de la France, de la Belgique, de la Hollande, de la Norvège et du Danemark. Certes, pour des raisons tactiques, les Britanniques affirmèrent que ce plan n’était absolument pas dirigé contre l’Union soviétique, mais contre l’Allemagne. Il n’empêche que dès l’été 1945, le gouvernement britannique avait une appréciation plus objective que les Américains de l’évolution en Europe de l’Est.

14Les transformations du rapport des forces en Europe touchaient au cœur la politique étrangère traditionnelle des Britanniques. Dans un rapport américain consacré aux projets de bloc ouest-européen, élaborés par les Anglais depuis 1944, on pouvait lire:

« L’objectif de la politique européenne de la Grande-Bretagne a toujours été d’empêcher qu’un quelconque État domine le continent européen. La faiblesse de la situation géographique de la Grande-Bretagne a toujours été le danger que, sous la direction d’un seul État, les pays d’Europe se liguent contre l’Empire insulaire. Pour lutter contre ce danger, la Grande-Bretagne a parfois soutenu tel pays, parfois tel autre, et a ainsi conservé l’équilibre des forces nécessaire à ses intérêts. Il y a toujours eu jusqu’alors plusieurs puissances européennes remplissant les conditions de cette politique. Depuis la fin de la guerre en revanche, cette situation a complètement changé dans la mesure où l’Union soviétique est demeurée la seule grande puissance sur le continent européen, une position unique dans l’histoire moderne. »

15Au même moment, les Américains commencèrent à comprendre que la politique d’expansion menée par l’Union soviétique en Europe de l’Est contrevenait aux accords de Yalta qui prévoyaient que les Alliés agiraient en concertation. En effet, l’Union soviétique avait étendu sa sphère d’influence jusqu’en Europe Centrale sans aucun accord de ses Alliés et sans tenir compte d’eux.

16Dès la conférence de Potsdam des trois Grands en juillet/août 1945, à laquelle la France ne fut pas conviée, se dessina l’essentiel des positions ultérieures. Ainsi Churchill commença par tenir aux frontières allemandes de 1937, tandis que Staline prit comme point de départ la réalité géographique de l’Allemagne à l’été 1945. De même, aucun accord définitif ne put être trouvé sur la question de la frontière orientale de l’Allemagne et l’on se contenta de la solution de compromis consistant à considérer la ligne Oder-Neisse comme frontière occidentale provisoire du territoire placé sous administration polonaise. La ville de Königsberg et la partie environnante de Prusse orientale furent – « sous réserve du traitement définitif des questions territoriales au cours de la conférence de paix » – confiées à l’Union soviétique.

17Le communiqué final de Potsdam règle un nombre important de questions concernant la politique d’occupation alliée. Je ne les résumerai pas ici et me contenterai de quelques indications.

18La transformation de la vie politique en Allemagne sur des bases démocratiques fut présentée comme la condition d’une participation pacifique ultérieure de l’Allemagne à la vie internationale et comme l’objectif de tous les participants. L’expulsion des minorités allemandes de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Hongrie devait se faire « en bon ordre et de façon humaine ». La question du démembrement de l’Allemagne ne fut plus discutée. Les Alliés déclarèrent explicitement que leur intention n’était pas de détruire le peuple allemand ou de le réduire en esclavage. Jusqu’à nouvel ordre ne devait être installé aucun gouvernement central allemand, mais on envisagea la création de secrétariats d’État pour l’ensemble de l’Allemagne. Le pouvoir gouvernemental suprême en Allemagne serait

« assuré par les commandants en chef des forces armées des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni, de l’Union des Républiques socialistes soviétiques et de la République française, selon les ordres donnés par leur gouvernement respectif, et cela chacun dans sa zone d’occupation, ainsi qu’en commun en leur qualité de membres du Conseil de contrôle pour les questions concernant l’Allemagne dans son ensemble.»

19Le règlement définitif était suspendu jusqu’à la réunion d’une conférence de paix qui devait se tenir à court terme et jusqu’à la signature d’un traité de paix qui devait être le résultat des travaux de la conférence. (Celui-ci fut en fait reporté jusqu’à l’année 1990 lorsque le traité de paix fut remplacé par les “accords 4 + 2”.) De cette absence de règlement immédiat découlèrent deux conséquences :

  1. En droit international, la question allemande resta ouverte jusqu’à la signature d’un traité de paix ; donc le Reich allemand continuait à exister en droit, même si ce n’était pas le cas dans les faits.

  2. Pour une période transitoire, il n’existait en Allemagne pas de gouvernement allemand qui concernât l’Allemagne entière, ni même de gouvernements de zone.

20Le 4 août 1945, le gouvernement provisoire de la France accepta aussi, dans leurs grands traits, les accords conclus à Potsdam ; il considérait cependant la constitution de partis politiques dans toute l’Allemagne, telle qu’elle avait été envisagée à Potsdam, comme tout aussi prématurée que l’installation d’autorités administratives centrales (les secrétariats d’État). Le fait que la France ait été exclue de la conférence de Potsdam facilita en réalité le rôle particulier qu’allait jouer la politique d’occupation française en Allemagne et compliqua la coordination des vainqueurs de la guerre, tout en correspondant aussi aux objectifs français immédiatement après la guerre : à l’époque, le besoin de sécurité ne pouvait apparemment être satisfait que par la conservation de la nouvelle situation. Ainsi le général de Gaulle avait-il déclaré en mai 1945 devant l’assemblée consultative de la France qu’étant donné que la guerre avait été, selon la volonté de l’Allemagne, une guerre totale, la victoire devait être aussi une victoire totale.

« Le Reich allemand est, en tant qu’État, que puissance et que doctrine, totalement détruit. »

21C’est à partir de cette constellation des forces au niveau européen et au niveau mondial, telle que je l’ai rapidement esquissée, qu’il faut toujours juger la politique d’occupation de l’Allemagne après 1945.

22Après la signature de la capitulation totale de l’Allemagne le 7 mai 1945 à Reims et, séparément avec l’Union soviétique le 9 mai à Berlin-Karlshorst, il n’existait donc plus de gouvernement allemand pour un temps. Dans la mesure où devaient être prises des décisions concernant toutes les zones, les compétences gouvernementales furent transférées au Conseil de contrôle allié des quatre puissances, dont le siège était à Berlin. Mais, dans la réalité, cette commission de contrôle composée des quatre commandants en chef (le général Eisenhower, le maréchal Schukow, le maréchal Montgomery et le général de Lattre de Tassigny) qui se réunirent pour la première fois à Berlin le 5 juin 1945 et qui proclamèrent le transfert du pouvoir suprême aux quatre puissances, ne fut pas en mesure de remplir ses fonctions. Elle ne put les remplir, parce que les divergences entre les Alliés étaient trop importantes et que ce transfert de fonctions à une multitude de commissions (il y en avait 175 dès l’hiver 1945/46 !) s’avéra impraticable.

23Dans la célèbre directive JCS 1067 du 26 avril 1945 qui, après plusieurs versions, fut publiée le 17 octobre 1945 mais ne resta en vigueur que quelques semaines, se trouvait le passage suivant :

“L’Allemagne n’est pas occupée dans le but de la libérer mais en tant qu’État ennemi vaincu. Leur but (c’est-à-dire celui des Alliés) n’est pas d’opprimer mais d’occuper l’Allemagne afin de permettre la réalisation d’un certain nombre d’objectifs des Alliés... Le but principal des Alliés est d’empêcher l’Allemagne de jamais redevenir une menace pour la paix du monde. Ils considèrent les décisions suivantes comme décisives pour atteindre leur objectif : l’élimination du nazisme et du militarisme sous toutes ses formes, l’arrestation immédiate des criminels de guerre dans le but de les punir, le démantèlement de l’industrie et le désarmement de l’Allemagne accompagné d’un contrôle à long terme du potentiel militaire allemand, et enfin la préparation d’une reconstruction ultérieure de la vie politique allemande sur des bases démocratiques.”

24Les principaux points de conflit apparurent d’abord à l’automne 1945, lorsque la France refusa définitivement la création d’administrations centrales allemandes. Au printemps 1946, un nouveau conflit se développa au sujet des échanges commerciaux entre zones, entre les États-Unis et la Grande-Bretagne d’un côté et l’Union soviétique de l’autre. Lorsque le Gouverneur militaire américain, Lucius D. Clay, ordonna le 3 mai 1946 l’arrêt des prélèvements au titre des réparations et que les Britanniques et les Français se rallièrent à cette décision, un nouveau désaccord apparut au sujet de la politique d’occupation de l’Union soviétique, qui continuait à revendiquer le paiement de réparations. Enfin, lorsque les trois zones occidentales d’occupation furent intégrées en 1947 au nombre des bénéficiaires du plan d’aide américain, le plan Marshall, et que les Gouverneurs militaires occidentaux refusèrent de communiquer à leur homologue soviétique des détails concernant les décisions de Londres, le Conseil de contrôle allié avait définitivement échoué.

25Même si le Conseil de contrôle a pris des décisions spectaculaires, comme – le 25 février 1947 – l’élimination définitive de la Prusse, le plus grand État allemand par le passé, mais qui ne disposait déjà plus d’aucune autonomie politique depuis le 20 juillet 1932, cela ne change rien au jugement général : le Conseil de contrôle allié n’exerça que dans une mesure infime les fonctions gouvernementales concernant l’Allemagne entière ; le pouvoir réel se trouvait entre les mains des quatre gouvernements militaires alliés, chacun dans sa zone.

26Les quatre zones d’occupation étaient nées de manière artificielle, ne correspondant pas aux unités administratives traditionnelles, depuis les communes et les villes jusqu’aux Länder en passant par les arrondissements et les provinces. Ainsi les frontières des zones coupaient-elles en partie des structures fédérales existant jusqu’alors. A elle seule déjà la division de la Prusse, qui s’étendait de la Prusse orientale, désormais occupée par les Soviétiques, jusqu’aux zones soviétique, britannique, américaine et française à l’Ouest, contraignit à réorganiser les structures territoriales. Étant donné que la mise au pas des Länder par les nazis avait, dès 1933/34, mis un terme à la tradition fédérale de l’Allemagne, les Alliés ne purent pas plus que les Allemands retrouver partout les anciennes structures territoriales des Länder d’autrefois.

27Ce n’est donc qu’au niveau communal qu’il fut au début possible de faire participer les Allemands à la politique d’occupation. En outre l’administration alliée des zones était obligée de reprendre les autorités administratives allemandes qui continuaient à exister sans direction politique.

28Il est significatif que les Américains aient, en premier, donné le feu vert à une participation politique véritable en organisant l’élection des conseils municipaux de leur zone du 20 au 27 janvier 1946. Certes l’Administration militaire soviétique en Allemagne (SMAD) avait déjà de l’avance sur des questions fondamentales : dès le 10 juin 1945 elle avait autorisé la formation de partis politiques dans la zone d’occupation soviétique ; le 30 avril 1945 elle avait déjà conduit jusqu’à sa zone le “groupe Ulbricht” – c’est-à-dire la direction du parti communiste refondé – qui, conformément aux directives soviétiques, s’attela immédiatement à la tâche de reconstruire la vie politique à la façon dont l’entendent les communistes. Ce ne fut donc pas un hasard si dès le 11 juin 1945 fut proclamée la création du Parti communiste et deux jours plus tard, pour la zone soviétique, celle de la “fédération syndicale allemande libre” (FDGB) contrôlée par les communistes. La création par la SMAD, le 27 juillet 1945, de onze “administrations allemandes” compétentes pour l’ensemble de la zone et sous le contrôle des Soviétiques, fut un nouvel indice de la détermination et de l’organisation de la politique soviétique d’occupation.

29En vertu de ses prérogatives de commandement militaire, la SMAD était en mesure d’imposer ses décisions tant dans le domaine civil que militaire. Elle mit en place un réseau vaste et dense d’information et de dépendances diverses. Elle comptait au début plusieurs dizaines de milliers de collaborateurs, dont il restait encore près de 10.000 en 1949. Une preuve de l’étroitesse du maillage de son réseau de communication est le nombre de communications téléphoniques et de courriers : en 1949, le nombre mensuel de communications téléphoniques de la SMAD s’élevait en moyenne à 63.000 et le nombre quotidien des courriers à environ 1300. En comparaison, les gouvernements militaires occidentaux (l’Office of Military Government for Germany –US (OMGUS) et le Control Council Group/British Element) disposaient d’un personnel beaucoup moins important en nombre : 26 000 Britanniques (c’est-à-dire environ 10 fonctionnaires pour 10 000 habitants), 11 000 Français (18 pour 10 000 habitants) et 7 600 Américains (3 pour 10.000 habitants).

30Tandis que les Soviétiques pilotèrent d’en haut la reformation des partis, tentant avec succès de mettre en place un front commun “antifasciste” dirigé par les communistes, c’est d’abord sur la base d’initiatives locales allemandes que les alliés occidentaux autorisèrent la fondation de partis. Les Américains furent les premiers, autorisant les partis au niveau des arrondissements (Kreise) le 13 août 1945 et étendant, au mois de novembre, cette autorisation aux Länder nouvellement créés.

31Dans la zone britannique, la formation de partis fut autorisée le 15 septembre. Les Français furent les derniers à prendre cette décision dans leur zone après une vive discussion interne où domina la critique de l’avance prise par les Soviétiques. C’est le 7 novembre 1945 que le gouvernement français donna son accord à l’initiative du général Kœnig, Gouverneur militaire de la zone française, d’autoriser la formation de partis. En raison notamment de la vision particulariste de la politique française à l’égard de l’Allemagne, les partis furent autorisés en zone française dans une perspective strictement fédérale, à l’opposé de l’approche soviétique, conçue, elle, dans une perspective centraliste englobant toute l’Allemagne, ainsi qu’en avait témoigné notamment la décision d’autoriser la réorganisation de partis allemands après 1945 d’abord à Berlin.

32La création de Länder fut un pas décisif vers la réorganisation d’une activité gouvernementale allemande. Dans la logique de cette décision, les différents Alliés mirent en place des ministres-présidents ainsi que d’autres personnes exerçant des charges diverses, en se servant de “listes blanches” de personnalités sans passé politique douteux. Une fois de plus, ce furent le Américains qui prirent l’initiative en proclamant, le 19 septembre 1945, la création des Länder de Bavière, Grande Hesse et Wurtemberg-Bade. La mise en place du conseil des Länder de la zone américaine, le 17 octobre, témoigna de leur souhait de coordonner les gouvernements des différents Länder de leur zone.

33Dans les autres zones il y eut tout d’abord un mélange d’improvisation dans la fixation des frontières des Länder conformément aux anciennes frontières, et de réorganisation délibérée. Ainsi les Soviétiques nommèrent-ils en juillet 1945 des fonctionnaires de Länder et de provinces. Les Britanniques, après avoir, en avril 1945, installé dans leurs fonctions des chefs de gouvernement dans d’anciens Länder (le Brunswick par exemple) et dans d’anciennes provinces prussiennes (le Hanovre par exemple), constituèrent finalement, entre juillet 1946 et février 1947, les nouveaux Länder de Rhénanie du Nord-Westphalie, Basse-Saxe et Schleswig-Holstein (formés essentiellement à partir de provinces prussiennes) ainsi que la ville hanséatique de Hambourg.

34Dans la même période, des Länder furent créés dans la zone française, la Rhénanie-Palatinat notamment, en août 1946. A part les villes hanséatiques de Hambourg et de Brême, disposant désormais du statut de Land, seule la Bavière, amputée de ses régions rhénanes et palatines, renaissait sur la base d’une tradition vieille de plusieurs siècles. Si l’on excepte les États du sud-ouest (Bade, Wurtemberg-Bade et Wurtemberg-Hohenzollern) qui, le 25 avril 1952, formèrent un seul Land à la suite d’un référendum, tous les Länder créés à l’Ouest pendant la période d’occupation continuèrent d’exister sous cette forme après 1949.

35Les cinq Länder de la zone d’occupation soviétique (Brandebourg, Saxe, Thuringe, Mecklembourg-Poméranie antérieure et Saxe-Anhalt) continuèrent à exister formellement jusqu’en 1952 mais n’eurent dès le départ aucune importance politique. Tout comme la décision de créer des partis libéraux en zone soviétique, celle de recréer des Länder et de leur donner en 1946 des constitutions inscrites dans la tradition du libéralisme de 1848/49 était en réalité un élément d’une tactique consistant à mettre les forces bourgeoises et libérales au service de l’objectif stratégique à long terme des communistes : il s’agissait de commencer par établir la domination communiste dans une partie de l’Allemagne, tandis que la formation d’un front unitaire “antifasciste” fondé sur la collaboration apparente des “forces bourgeoises progressistes” permettrait d’avoir une action déstabilisatrice à l’Ouest.

36Cependant, à l’Ouest aussi, la marge de manœuvre des forces politiques allemandes était extrêmement limitée. Non seulement les ministres-présidents avaient été nommés par les autorités d’occupation, mais ils pouvaient tout aussi bien être démis de leurs fonctions par ces mêmes autorités. C’est ce qui arriva le 28 février 1946 au ministre-président bavarois Fritz Schäffer. Les assemblées parlementaires des Länder n’étaient pour le moment pas encore élues, mais nommées ; en outre les fondements constitutionnels étaient bien étroits, car il ne s’agissait encore que de règlements promulgués par les puissances d’occupation. En règle générale, les chefs de gouvernement des Länder n’étaient pas contrôlés par les parlements ; ils avaient un accès direct aux autorités d’occupation, ce qui leur permit d’ailleurs d’être en position de force par rapport à d’autres personnalités politiques.

37Ce n’est qu’à la suite de la tenue d’élections démocratiques et de l’adoption de constitutions par les Landtage démocratiquement élus que les choses changèrent quelque peu. Ce processus commença en 1946, mais dans les Länder de la zone britannique les constitutions n’entrèrent en vigueur qu’après l’adoption de la Loi Fondamentale de la République fédérale d’Allemagne.

38Il n’empêche qu’avec le comité consultatif de zone créé le 15 février 1946, les Britanniques avaient mis en place une instance que l’on pouvait assimiler à une représentation parlementaire (y compris après son remaniement du 10 juin 1947). Des personnalités politiques issues des différents partis pouvaient en effet prendre part, avec les administrations et les associations allemandes représentées, aux travaux de ce comité consultatif.

39La décision d’intégrer les trois zones occidentales au bloc dirigé par les États-Unis fut prise, dans son principe, avant même la création de la République fédérale. Le contexte dans lequel cette décision fut prise est marqué par l’idée du “containment”, élaborée par le diplomate américain George F. Kennan et imposée ensuite en janvier 1947 par le secrétaire d’État américain Marshall. Cette décision marqua le début d’une politique américaine conséquente à l’égard de l’Allemagne.

40À plusieurs points de vue, l’année 1947 fut le tournant de la politique d’occupation des alliés occidentaux. Ce tournant intervint après l’annonce de la modification radicale de la politique étrangère des États-Unis et de leur politique à l’égard de l’Allemagne, telle que la formula le secrétaire d’État américain Byrnes dans son discours de Stuttgart du 6 septembre 1946. Byrnes commença par faire un bilan des accords de Potsdam et par critiquer le fait que nombre d’entre eux n’aient pas été mis en pratique. En conséquence, il formula plusieurs propositions américaines, ressenties à juste titre en Allemagne comme le début d’une politique d’occupation constructive. Le général Lucius D. Clay déclara qu’il s’agissait là de la “première note constructive” de la part des puissances d’occupation occidentales. Byrnes plaida entre autres pour “l’unification économique de l’Allemagne”, pour “la création d’une autorité administrative centrale allemande chargée de l’industrie et du commerce extérieur” et enfin pour “la création prochaine d’un gouvernement provisoire allemand”.

41Byrnes indiqua en outre que “des progrès avaient été réalisés dans la zone américaine dans le sens d’une plus grande autonomie administrative locale et des Länder”, soulignant que cela était d’ailleurs possible dans toutes les zones. Il proposa dans le même temps de réintégrer progressivement une Allemagne devenue démocratique dans la communauté des Nations et déclara :

“Le gouvernement américain considère qu’il faudrait maintenant, avec des garanties appropriées, donner au peuple allemand dans toute l’Allemagne la responsabilité de la gestion de ses propres affaires.”

42Afin de garantir l’évolution de l’Allemagne vers la démocratie, le secrétaire d’État américain proposa la création d’un conseil national allemand et l’élaboration d’une constitution fédérale.

43Du reste, les Américains ne se bornèrent pas à ces propositions qui devaient nécessairement conduire à l’arrêt de l’exercice du pouvoir par des puissances étrangères en Allemagne. Ces propositions étaient extraordinairement constructives si l’on prend en compte l’attitude très restrictive des autres puissances d’occupation (surtout l’Union soviétique, mais aussi la France). Les Américains passèrent même aux actes : la première étape décisive dans la formation d’une unité économique des trois zones occidentales, fut la création quelques mois plus tard, le 1er janvier 1947, de la bizone (le territoire économique unifié des zones américaine et britannique), conformément à ce qu’avait annoncé Byrnes. Mais seule la France répondit finalement à l’invitation de Byrnes proposant aux deux autres zones (française et soviétique) d’adhérer à cette unité économique. En prenant cette décision, la France continuait à élaborer divers projets de division ou de morcellement de l’Allemagne, toujours dans le but d’assurer la sécurité de la France face au renforcement tant redouté d’une Allemagne unie.

44Ce furent encore les Américains qui posèrent les prémisses de la future autodétermination démocratique des Allemands, dans la mesure où, dès octobre 1946, ils firent procéder à des élections de parlements de Land (Landtage) dans les Länder de leur zone (tout comme cela fut le cas à Berlin et dans la zone soviétique). Les Britanniques et les Français suivirent cet exemple en avril/mai 1947. En 1947 donc, tous les parlements de Land disposaient de la légitimation démocratique conférée par des élections libres.

45C’est la même année, du 5 au 8 juin 1947, que se tint, hélas sans résultat, la conférence des ministres-présidents des Länder des quatre zones. L’échec de cette conférence s’explique par le conflit Est-Ouest devenu indéniable et réduisant considérablement la marge de manœuvre des chefs de gouvernement des Länder est-allemands. Mais les ministres-présidents de la zone française arrivèrent eux aussi munis de directives très strictes de la puissance d’occupation française, excluant d’emblée toute solution concernant l’Allemagne entière. Cette unique conférence des ministres-présidents ayant rassemblé des représentants venus de toute l’Allemagne fait, elle aussi, de l’année 1947 un tournant, car la vanité de toute tentative d’unification de toute l’Allemagne fut alors éclatante.

46Si, à l’Ouest, la création de la Bizone entraîna la mise en place d’un parlement économique (le conseil économique de Francfort), la zone soviétique n’était pas en reste en la matière. Cependant les activités similaires déployées dans la zone soviétique n’avaient un caractère ni parlementaire, ni fédéral. La “commission économique allemande” (Deutsche Wirtschaftskommission – DWK), mise en place le 14 juin, devint la plus haute autorité administrative centrale de la zone soviétique, certes toujours soumise à la SMAD et au parti SED.

47En tous cas il était clair à ce moment-là qu’une unité économique rassemblant plusieurs zones ne pouvait concerner que les trois zones occidentales. En même temps, cela contribuait, en matière de politique économique, à approfondir encore le fossé séparant les trois zones occidentales de la zone soviétique. Ce fossé apparut très vite comme une frontière ne divisant pas seulement l’Allemagne, mais l’Europe entière lorsque seuls les États occidentaux acceptèrent l’aide économique annoncée le 5 juin 1947 par le nouveau secrétaire d’État américain Marshall. Tandis que les États occidentaux appliquèrent dans leurs zones ce “European Recovery Program” (Plan Marshall), l’Union soviétique contraignit les États d’Europe de l’Est comme la Tchécoslovaquie ou la Hongrie à refuser cette aide américaine. C’est là que commença l’évolution divergente des politiques économiques à l’Est et à l’Ouest qui conduisit à cet écart extrême de prospérité qui perdure encore aujourd’hui.

48Certes l’aide américaine ne fut-elle pas la seule donnée décisive. Elle vint surtout s’appliquer à un ordre économique libéral en plein développement, l’économie sociale de marché qui avait été conçue dès les années de guerre par les ordo-libéraux de Fribourg mais aussi par des fonctionnaires du ministère de l’Économie du Reich. C’est surtout le Conseil économique de Francfort qui, le premier, la mit en place dans l’Allemagne d’après-guerre, sous la direction de Ludwig Erhard qui devait devenir, quelques années plus tard, ministre de l’Économie. Alfred Müller-Armack, qui sera le secrétaire d’État d’Erhard, joua aussi un rôle décisif dans la mise en place de cette politique. Dans la zone soviétique en revanche, la Commission économique DKW devint le centre de l’économie centralisée dont l’un des objectifs et des moyens fut très vite la socialisation de l’appareil économique.

49Certaines des politiques adoptées en 1947 furent poursuivies en 1948, d’autres interrompues après avoir atteint leurs premiers objectifs :

  • l’aide américaine apparut clairement comme l’instrument décisif de la reconstruction ;

  • conformément aux projets américains, la Bizone s’élargit (si ce n’est encore en droit, du moins déjà dans les faits) pour devenir la Trizone le 21 juin 1948, date où fut appliquée dans les zones occidentales la réforme monétaire qui devint elle-même le moteur de la libéralisation et du développement économiques futurs. De son côté, l’occupant soviétique considéra la réforme monétaire comme une provocation et réagit par le blocus de Berlin qui dura du 24 juin 1948 au 12 mai 1949. Non seulement la division économique était dès lors irréversible, mais la guerre froide devenait une réalité politique qui allait durer plusieurs décennies. Le pont aérien organisé par les Américains ne fut pas seulement le moyen vital d’approvisionner les trois secteurs occidentaux de Berlin, encerclés par le blocus ; il devint aussi et pour longtemps le symbole du combat mené désormais par les puissances occidentales pour sauver la liberté des Allemands de l’Ouest et des Berlinois de l’Ouest.

50Lors de la deuxième conférence des ministres des Affaires étrangères qui se tint à Paris du 25 avril au 12 juillet 1946, le gouvernement américain avait réclamé en vain la fusion des quatre zones d’occupation ; seule la Grande-Bretagne s’était montrée prête à soutenir cette proposition américaine. La cinquième conférence, celle de Londres en décembre 1947, échoua à son tour. A partir de ce moment là, les Américains empruntèrent d’un pas décidé la voie qui mènerait à la création d’un État en Allemagne de l’Ouest. C’est au cours d’une conférence des Six (États-Unis, Grande-Bretagne, France et les trois États du Benelux, de février à juin 1948 à Londres) que les participants acceptèrent de faire du projet américain, axé notamment sur le renforcement économique des zones occidentales ainsi que de l’ensemble de l’Europe de l’Ouest, la base de leur politique commune à l’égard de l’Allemagne. Le 17 mars 1948, la création d’une union des cinq États ouest-européens révélait clairement quelle était la situation nouvelle, totalement différente de celle de 1945 : c’était maintenant l’expansionnisme soviétique qui représentait, pour les gouvernements, la menace à venir de l’Europe de l’Ouest.

51L’Union soviétique répliqua aux décisions de Londres de février et mars 1948 en faisant éclater le conseil de contrôle allié de Berlin, peu de temps avant que, dans les zones occidentales, la mise en place de l’unité économique et la réforme monétaire du 21 juin ne scellent le caractère commun de la politique d’occupation des alliés occidentaux.

52Ce n’est qu’en réaction à cette évolution et après la publication des décisions de Londres le 3 juin 1948 que la division réelle de l’occupation alliée en Allemagne devint l’objet de délibérations entre les Alliés occidentaux et les instances allemandes.

53Le 1er juillet 1948, les trois gouvernements militaires occidentaux remirent officiellement aux chefs de gouvernement ouest-allemands le document intitulé Frankfurter Dokumente qui prévoyait, sur la base des décisions de Londres, l’élaboration d’une constitution commune aux zones occidentales et ouvrait ainsi la voie à la formation d’un État séparé ouest-allemand. Lorsque les chefs de gouvernement ouest-allemands se réunirent pour discuter de ce document, aucun d’eux ne pouvait douter encore des conséquences qu’aurait un tel pas pour l’avenir de l’Allemagne. Ainsi, au cours de la conférence des ministres-présidents ouest-allemands, qui se tint du 8 au 10 juillet 1948 à l’hôtel Rittersturz de Coblence, le chef de gouvernement du Wurtemberg-Hohenzollern, Lorenz Bock, déclara que l’élaboration d’une constitution pour les trois zones occidentales signifiait la création d’un Etat à l’Ouest, ce à quoi les Russes réagiraient immédiatement par la création d’un État à l’Est et “ainsi serait scellé en droit ce qui était déjà arrivé : la division de l’Allemagne”, c’est-à-dire ce qu’il fallait, d’un point de vue allemand, absolument éviter.

54Dans la réponse qu’ils adressèrent aux gouvernements militaires le 10 juillet 1948, les ministres-présidents ouest-allemands soulignèrent la nécessité, dans la situation présente qui rendait impossible tout accord entre les quatre puissances d’occupation, d’éviter tout ce qui pourrait approfondir la division entre l’Est et l’Ouest. Lors de la discussion commune du 14 juillet, la réponse du général Clay aux hésitations des ministres-présidents fut rude, on l’imagine, ce qui amena les chefs de gouvernement à reprendre leurs délibérations, tant entre eux qu’en compagnie des gouverneurs militaires.

55Le maire de Berlin, Ernst Reuter déclara lors de la conférence des 21 et 22 juillet 1948 : “La conquête de la souveraineté est un processus historique” nécessitant une préparation politique et ne pouvant être parcouru d’un seul coup. Il ajouta :

“Nous pensons que la consolidation politique et économique de l’Ouest est la condition indispensable de notre rétablissement à nous aussi (c’est-à-dire des Berlinois) et du retour de l’Est dans le sein de notre mère patrie commune.”

56Social-démocrate lui aussi, Carlo Schmid, se fit l’avocat de l’opinion inverse. Selon lui la création d’un État à l’Ouest ensevelirait à tout jamais la “petite chance” d’une “entente des quatre puissances d’occupation sur la création d’une Allemagne unie.” Il ajouta qu’il était difficile de dire qui avait raison, mais qu’il fallait quand même se décider pour l’une ou l’autre des conceptions, en pleine connaissance des risques.

57L’accord que trouvèrent enfin le 26 juillet 1948 les ministres-présidents et les gouvernements militaires ouvrit la voie à la réalisation de la conception misant sur un État à l’Ouest. Il fut aussi le point de départ de délibérations en vue de l’élaboration d’une constitution, qui eurent lieu dans l’assemblée constituante de Herrenchiemsee. Les ministres-présidents chargèrent des délégués des Länder et des experts d’élaborer un projet de constitution. Ceux-ci se réunirent du 10 au 23 août 1948. Accompagné de propositions alternatives (sur la base d’opinions divergentes, majoritaires ou minoritaires), le projet élaboré en quinze jours devint le document central présenté au Conseil parlementaire dont les 65 membres avaient été élus par les parlements des Länder ; en outre, trois membres venus de Berlin s’y associèrent, avec le statut d’invités. Le Conseil parlementaire se composait de 27 députés de la CDU-CSU, 27 du SPD, 5 du FDP (LDP/DVP) et respectivement 2 pour le DP, le KPD et le parti du Centre. Il se réunit pour la première fois le 1er septembre 1948 à Bonn. Il y eut des controverses et les plus importantes opposèrent des conceptions différentes quant à la forme fédérale à donner au nouvel État, à l’organisation des finances et au droit parental dans la question des écoles confessionnelles.

58La Loi fondamentale fut votée le 8 mai 1949 par 53 voix contre 12 et proclamée le 23 mai 1949 après sa ratification par tous les Länder à l’exception de la Bavière. Les gouvernements militaires avaient fait connaître leur accord le 25 avril 1949. Malgré les minimes interventions des Alliés, cette constitution est le document fondateur de la future autodétermination (ouest-)allemande, remplaçant l’exercice du pouvoir par les puissances étrangères, même si les Alliés mirent leur veto à l’incorporation de Berlin et même s’il restait encore de nombreuses étapes à parcourir jusqu’à l’accès définitif à la souveraineté en 1955. Les ministres-présidents soulignèrent particulièrement le caractère provisoire de ce nouvel État. En outre, il était à l’époque déjà décidé que cette future constitution porterait le nom de Loi fondamentale. Néanmoins, tout cela ne changea rien au fait que, pour plus de quatre décennies, deux États allaient exister en Allemagne.

Bibliographie

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Sélection d’études particulières importantes : (Bibliographies complémentaires en particulier chez Birke und Morsey)

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Josef Jurt (Hg.), Von der Besatzungszeit zur deutsch-französischen Kooperation, Freiburg i. Br. 1993 ;

Martina Kessel, Westeuropa und die deutsche Teilung. Englische und französische Deutschlandpolitik auf den Außenministerkonferenzen von 1945 bis 1947, München 1989 ;

Lothar Kettenacker, Krieg zur Friedenssicherung. Die Deutschlandplanung der britischen Regierung während des Zweiten Weltkriegs, Göttingen 1989 ;

• Elisabeth Kraus, Ministerien für das ganze Deutschland ? Der Alliierte Kontrollrat und die Frage gesamtdeutscher Zentralverwaltungen (Studien zur Zeitgeschichte, hg. vom Institut für Zeitgeschichte, Bd. 37), München 1990 ;

• Stefan Martens (Hg.), Vom “Erbfeind” zum “Erneuerer”. Aspekte und Motive der französischen Deutschlandpolitik nach dem Zweiten Weltkrieg (“Beihefte der Francia”, Bd. 27), Sigmaringen 1983 ;

OMGUS-Handbuch. Die amerikanische Militärregierung in Deutschland 1945-1949. Hg. von Christoph Weisz (Quellen und Darstellungen zur Zeitgeschichte. Hg. vom Institut für Zeitgeschichte, Bd. 35), München 1994 ;

H.J. Rupieper, Die Wurzeln der westdeutschen Nachkriegsdemokratie. Der amerikanische Beitrag 1945-1952, Opladen 1993 ;

C. Scharf/H.J. Schröder (Hg.), Die Deutschlandpolitik Frankreichs und die französische Zone 1945-1949, Wiesbaden 1983 ;

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Hans-Peter Schwarz, Vom Reich zur Bundesrepublik. Deutschland im Widerstreit der außenpolitischen Konzeptionen in den Jahren der Besatzungsherrschaft 1945-1949, 2. Aufl., Stuttgart 1980 ;

Edgar Wolfrum, Französische Besatzungspolitik und deutsche Sozialdemokratie. Politische Neuansätze in der “vergessenen Zone” bis zur Bildung des Südweststaates 1945-1952 (Beiträge zur Geschichte des Parlamentarismus und der politischen Parteien, Bd. 95), Düsseldorf 1991 ;

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