La dissolution de la Constitution de Weimar
p. 223-246
Texte intégral
1La dissolution de la constitution de Weimar s’est faite par étapes. Au moment où commença à se préciser le risque de la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes avec Hitler comme chancelier, la république était depuis longtemps entrée en agonie. Pourtant la fin de la constitution de Weimar ne conduisait pas depuis le début inévitablement à l’État national-socialiste. Mais ce sont Hitler et son parti qui ont le mieux su profiter de la crise existante.
I. La fin : une constitution républicaine sans république
2Quelle que fût la date qui marqua la fin de la république, la constitution de Weimar (Weimarer Reichsverfassung) resta en apparence intacte. Certes, elle fut plusieurs fois violée, mais elle ne fut modifiée que rarement et seulement sur des points de détail. Les changements politiques dramatiques des années 1930-1933 eurent lieu en dehors de la constitution écrite2. Ce ne fut pas la constitution de Weimar qui disparut mais l’État qu’elle avait « constitué ». Les transformations ne concernaient pas le droit, mais son objet. À la fin, la constitution de Weimar n’était plus qu’un texte juridique sans substrat politique, une constitution républicaine sans république démocratique. Elle n’a jamais été formellement abolie. Mais la question de savoir quand elle a cessé d’être en vigueur était sans importance dans la pratique. Même si on considérait qu’elle était encore en vigueur après le 30 janvier 1933, elle n’était désormais plus qu’un simple texte : un texte inutile, parce que personne ne s’y conformait ; mais aussi et précisément pour cela un texte « inoffensif ».
3Pour l’historien du droit, ces constatations ont des conséquences sur le plan de la méthode comme sur celui du contenu. D’une part, on constate qu’il n’existe aucune terminologie juridique appropriée pour caractériser cette disparition de la république en dehors ou en dessous de la constitution écrite. Les concepts utilisés, comme « transformation » ou « dissolution », ne sont pas des termes techniques du domaine des sciences juridiques. La conséquence quant au fond se retrouve dans la discussion toujours en cours sur la question de savoir dans quelle mesure la prise de pouvoir national-socialiste a été « légale ». En dernière analyse, la question est : la constitution de Weimar permettait-elle un gouvernement du genre de celui d’Hitler ou non ; ou, en termes plus provocateurs, le gouvernement d’Hitler a-t-il été le dernier gouvernement démocratique et républicain ?
II. De l’apogée à la crise de la République
4La constitution de Weimar n’a pas été une constitution républicaine sans république depuis 1918. Au moins au temps de sa splendeur, la république a assez bien fonctionné. On appelle aujourd’hui les années 1924-1929 le temps de la « prospérité apparente »3 de Weimar. Celle-ci a en tout cas provoqué une certaine stabilisation de la démocratie. En voici brièvement les grandes lignes.
1. Normalité apparente
5Au début de l’année 1929, la république pouvait présenter à l’observateur un bilan faisant apparaître toute une série d’actifs. En politique intérieure, un président du Reich élu directement par le peuple conformément à la constitution de Weimar, était en fonction depuis 1925 : Paul von Hindenburg, une personnalité qui jouissait alors d’une grande estime publique. Aux élections législatives de 1928 les partis démocratiques avaient enregistré un certain succès. Pour la première fois, la coalition de Weimar approchait à nouveau de la majorité absolue. Il lui suffisait d’avoir le soutien d’un autre groupe, par exemple le BVP ou le DVP. Les partis extrémistes des deux côtés du spectre politique étaient en revanche sortis affaiblis du scrutin. C’est pourquoi, pour la première fois depuis longtemps, il y eut de nouveau un gouvernement disposant d’une majorité, dirigé par le chancelier H. Müller. Il ne se fondait certes pas sur un accord de coalition formel, mais réussit malgré cela à rassembler autour de son programme d’action de larges majorités parlementaires.
6En politique extérieure aussi, on enregistrait des succès. La république avait presque retrouvé l’égalité des droits avec les anciennes puissances victorieuses. Elle était membre du Conseil permanent de la Société des Nations. Pour ce qui était la question sans doute primordiale en politique extérieure, c’est-à-dire savoir comment venir à bout des conséquences de la guerre mondiale, la politique révisionniste enregistra également des succès : les vainqueurs avaient reconnu de facto que le montant des réparations à payer ne devait plus être proportionné à la dette de guerre, mais à la capacité de production économique de l’Allemagne. Et les ajustements continuels accordés d’abord par le plan Dawes, puis par le plan Young n’avaient certes pas encore tracé la voie qui conduira à Lausanne, mais ils l’avaient quand même ouverte4.
2. Faiblesses internes
7Autant la situation semblait normalisée en surface, autant il restait d’énormes faiblesses en profondeur. Elles constituaient souvent le prix à payer ou l’envers des succès décrits.
8a) Parmi ces faiblesses, il fallait compter d’abord les défauts notoires de l’État lui-même. La démocratisation n’avait eu qu’un succès relatif. Elle s’est limitée presque exclusivement au président du Reich et aux parlements. En revanche, elle n’avait presque pas joué pour l’exécutif et la justice. Ceux qui assumaient une fonction sous la monarchie étaient restés en place. Tout au plus avait-on changé parfois au moins une partie du personnel dirigeant5. Mais la vie quotidienne était marquée par les fonctionnaires de l’ordre ancien. Et avec les personnes survivait aussi l’ancien style. En un mot : même dix ans après la révolution, il n’y avait presque pas de traces d’une démocratisation du deuxième et du troisième pouvoir, donc des organes avec lesquels les citoyens avaient à faire directement6.
9b) De leur côté, le parlement et les partis n’étaient nullement exempts non plus de ce genre de survivances du passé. Ce qui frappait d’abord, c’est que la république n’ait pas réussi à produire ses propres personnalités politiques. Presque toutes les positions clés étaient occupées par des hommes dont les carrières avaient déjà commencé sous la monarchie7. Seuls les nouveaux partis extrémistes de gauche et de droite faisaient exception : leurs dirigeants étaient des hommes nouveaux et plus jeunes8. Ne serait-ce que pour cette raison, la république apparaissait aux yeux de beaucoup comme une affaire du passé et de gens du passé qui prétendaient maîtriser l’avenir avec les moyens du passé.
10À cela s’ajoutait la longue liste de dirigeants politiques que la jeune république avait perdus. De nombreux dirigeants décédèrent ou furent assassinés dans les premiers temps. Les morts de F. Ebert (1871-1925), M. Erzberger (1875-1921), H. Müller (1876-1931), W. Rathenau (1867-1922), G. Stresemann (1878-1929)9 et de bien d’autres constituaient des pertes qui ne purent jamais être réparées. La médiocrité et l’ennui dominaient la scène politique. On manquait de tous côtés d’hommes d’État charismatiques capables de rassembler des suffrages et d’obtenir des succès. Ce n’était donc pas un hasard que le président Hindenburg ait été quasiment le seul à pouvoir donner à l’État un semblant d’éclat. Mais cet éclat était celui de la monarchie et de l’armée, non celui de la république civile.
11Non seulement la plupart des politiciens étaient issus de l’époque de la monarchie, mais beaucoup d’entre eux pensaient aussi selon les catégories de la monarchie et de sa constitution, du constitutionnalisme. Les partis politiques restaient des représentants d’intérêts clairement définis et délimités. C’est pourquoi ils n’étaient pas en mesure de réagir de manière appropriée au rapide changement social10. Parce qu’ils étaient étroitement liés aux intérêts qu’ils représentaient, ils pouvaient difficilement coopérer entre eux. On peut le constater facilement par les difficultés rencontrées chaque fois qu’on chercha à constituer une coalition. L’idéal politique était dans beaucoup de cas un parti qui défendrait ses objectifs et ses intérêts sans aucune compromission, attitude qui n’est guère possible dans une coalition mais presque uniquement dans l’opposition. Le compromis comme forme d’action démocratique était quasiment honni. Ce comportement pouvait aller si loin que les groupes parlementaires abandonnaient les membres du gouvernement issus de leurs rangs et qu’ils leur ordonnaient de voter au parlement contre des décisions dont ils étaient co-responsables en tant que membres du gouvernement11. Comme au temps du constitutionnalisme, le parlement, les partis et l’opposition étaient des notions presque inséparables dans la conscience de beaucoup d’hommes politiques. D’une certaine manière, cela correspondait au comportement de nombreux électeurs : la participation au gouvernement et les succès de celle-ci n’ont pas toujours été récompensés par les électeurs12. Au contraire, la participation au gouvernement constituait généralement un handicap, tandis que l’opposition bénéficiait d’un bonus. Cela était peut-être normal dans une république qui devait assumer à l’extérieur les conséquences de la guerre perdue, et gérer à l’intérieur surtout des situations de pénurie et qui, de ce fait, n’avait pas grand chose à offrir aux citoyens. Il n’en reste pas moins que toutes ces circonstances ne favorisaient guère la naissance d’une nouvelle conscience politique spécifiquement démocratique. Au contraire : la tendance à penser en termes de constitutionnalisme restait dominante, non seulement dans les partis, mais aussi dans l’esprit des électeurs.
12c) Mais cela tenait aussi à des faiblesses institutionnelles. Depuis la fin de la phase de stabilisation, le Reich avait toujours été gouverné par des cabinets minoritaires. La situation normale dans une démocratie parlementaire, le face-à-face d’une majorité gouvernementale et d’une opposition minoritaire, ne s’était guère développée. Une majorité qui applique son programme dans sa politique gouvernementale et qui, ensuite, répond devant les électeurs de ses succès ou, le cas échéant, de ses échecs, était pratiquement inconnue. Ce qui dominait était, au contraire, un style de gouvernement du type de la monarchie constitutionnelle : un cabinet minoritaire institué par le président, tout au plus toléré par le Reichstag, et qui, pour chacune des mesures qu’il voulait prendre, devait d’abord chercher sa majorité parlementaire. La dichotomie du gouvernement et du parlement, qui avait existé au temps de la monarchie, perdurait donc sous la république.
13Mais le parallèle avec la monarchie allait encore plus loin : les gouvernements se conduisaient comme des serviteurs de princes. S’ils ne se sentaient pas à la hauteur d’une tâche ou d’une responsabilité, ils démissionnaient et rentraient simplement à la maison. Ils remettaient la responsabilité dans les mains de celui qui la leur avait confiée. Sous la monarchie, cela aurait été le monarque. Mais qui était-ce dans la république ? Les instances compétentes dans un système parlementaire normal, le parlement et les partis qui y étaient représentés, n’étaient plus responsables depuis 1919, du fait même qu’il y avait un gouvernement13. Pratiquement, la responsabilité est très vite revenue de nouveau à l’exécutif, à savoir au président du Reich. Déjà en 1921, F. Ebert dut utiliser la menace de sa démission, pour qu’un gouvernement soit enfin constitué14. C’est ainsi que naquit très vite l’image d’un président du Reich qui nommait le gouvernement et d’un Reichstag qui le renversait à nouveau.
14Circonstance plus grave encore : la faible base parlementaire des partis républicains. La coalition de Weimar, qui avait soutenu la constitution, avait dès 1920 perdu pour toujours sa majorité. Il n’y avait donc plus qu’une possibilité au Reichstag pour constituer une majorité républicaine : la Grande coalition entre SPD, DDP, Zentrum et DVP. Pour manifester son désaccord avec la politique de ces partis, il n’y avait pas d’alternative démocratique : il n’y avait pas d’autres partis favorables à la république. Utiliser son bulletin de vote pour refuser la ligne suivie par le gouvernement revenait à voter pour un parti qui, non seulement, contestait la politique du gouvernement, mais aussi le système politique dans son ensemble. Cela signifiait que la situation normale, l’alternative démocratique entre les partis de la majorité et de la minorité, y compris la possibilité d’une alternance au gouvernement, n’existait pas dans la république. En l’absence d’alternative, les opposants à la politique gouvernementale étaient nécessairement réduits à s’opposer à la république. Cette situation favorisait une « politique du moindre mal »: celui qui ne voulait pas voter pour des partis antirépublicains devait nolens volens voter pour un parti soutenant la majorité. Mais même le démocrate le plus loyal n’aurait un tel comportement que tant qu’il pouvait espérer que son attitude électorale permettrait une quelconque amélioration. Si ce n’était plus le cas, il resterait chez lui le jour des élections – ou bien alors il voterait malgré tout pour un parti d’opposition extrémiste.
15Mais la situation se présentait exactement de la même façon pour les partis au Reichstag15. Si, par exemple, le DVP ou le BVP ne pouvaient ou ne voulaient pas réaliser leur programme en compagnie du SPD, ils n’avaient plus qu’une solution : rechercher le soutien du DNVP, parti antirépublicain. Ils devaient donc accepter au besoin des compromis, au détriment non seulement de la politique du gouvernement, mais aussi de la république dans son ensemble. À gauche, la situation était tout à fait semblable : sans les partis bourgeois, le SPD ne pouvait faire aboutir ses propres objectifs qu’avec le soutien du KPD. Mais pour cela il eût été obligé, pour pouvoir réaliser son propre programme, de donner des gages à la stratégie ouvertement antirépublicaine du KPD. Qui voulait conserver la république – et c’est ce que désiraient aussi bien Stresemann que le SPD –, était réduit à une sorte de minimalisme gouvernemental. Chacun ne pouvait réaliser de son propre programme que ce que l’adversaire tolérait. Une telle politique, réduite au plus petit intérêt commun, ne pouvait en fin de compte que décevoir les adhérents et les électeurs des deux côtés. Et il était exclu qu’elle puisse attirer de nouveaux électeurs. Mais même telle quelle cette situation ne pouvait durer qu’aussi longtemps que les électeurs étaient prêts, en dépit de leurs déceptions, à rester fidèles à la république. Par conséquent, il n’était pas possible de poursuivre longtemps une politique aussi difficile à supporter pour les électeurs. Mais quelle pouvait être l’alternative ?
16d) Cela nous conduit au souverain démocratique, c’est-à-dire aux électeurs. Au moment de l’apogée de la république, ils avaient eu pour la première fois des raisons de ne pas être mécontents de la situation. La sécurité intérieure était rétablie dans la phase de stabilisation après la fin des luttes intérieures en 1924. La situation économique et sociale s’était améliorée, les revenus avaient dépassé le niveau de 1913, le chômage avait reculé. Pourtant, il demeurait à un taux relativement élevé et recommença à augmenter en 192816.
17Mais les aspects structurels étaient plus importants que cette situation momentanée. À l’arrière-plan, régnait une ambiance faite de déception et de méfiance. Elle reposait sur les expériences des années 1918/19 et 1923. Chez certains, qui se souvenaient de l’époque de la fondation de la république, on sentait la déception quant aux progrès insuffisants de la démocratisation de l’État. Elle visait en particulier le manque général de conscience démocratique et la persistance de l’ancien appareil d’État. Elle condamnait surtout les nombreux compromis qui avaient été conclus avec les représentants de l’ordre ancien. Des idéalistes de toutes tendances rejetaient non seulement le contenu de ces compromis, mais leur principe même. Mais, comme les majorités de coalition étaient condamnées à l’impuissance si elles ne consentaient pas à des compromis, cela provoqua une opposition latente des milieux intellectuels et culturels et une dérive des idéalistes vers l’extrémisme de gauche ou de droite. La république n’a jamais pu se guérir de cette tare congénitale. L’exode culturel depuis la seconde moitié des années vingt fut aussi une expression de cette déception17.
18L’autre source de la méfiance profonde était l’inflation de 1923. Elle avait abouti pour beaucoup de gens à de lourdes pertes économiques. Mais ce qui était encore plus grave à la longue, c’était qu’on ne rendait pas responsable de l’inflation la guerre et les conséquences de la guerre, c’est-à-dire la monarchie. Au contraire, on en attribuait le plus souvent la responsabilité à la république. À cela s’ajoutait l’impression que les autorités élues à la tête de l’État ne pouvaient ou ne voulaient rien entreprendre contre l’inflation. Il n’est pas nécessaire de débattre ici de la question de savoir si cette impression existait dans le peuple à tort ou à raison. En tout cas, pour beaucoup de contemporains, il n’en résulta pas seulement une peur excessive de l’inflation, mais aussi le sentiment d’être abandonnés par l’État, le parlement et les partis dans un moment de détresse. Et cette impression restait encore vivace même après les années prospères18.
19Pour beaucoup de « républicains de cœur » (Herzensrepublikaner), la méfiance avait son origine en 1918/19. Et pour beaucoup de « républicains de raison » (Vernunftrepublikaner), elle provenait de 1923. L’attitude qui consiste à choisir le moindre mal se répandit aussi dans la population : on accepta la république comme on avait accepté autrefois la monarchie. Cela fut vrai, en tout cas, tant que tout alla bien. Mais lorsque la situation se dégrada et que la conviction s’imposa que les citoyens ne pouvaient pas compter sur la république dans les moments difficiles, pourquoi aurait-on dû alors soutenir encore la république ?
III. Les étapes de la dissolution
1. Du gouvernement majoritaire au cabinet minoritaire
20Le 27 mars 1930 le chancelier du Reich H. Müller et son deuxième cabinet démissionnèrent. Il avait battu le record de longévité des gouvernements depuis la révolution de novembre. Mais après une existence de vingt mois, le gouvernement de coalition qui rassemblait tous les partis démocratiques s’était effondré sous le poids des antagonismes internes19. Pourtant, le bilan n’était pas mauvais : bien qu’il ne s’agisse pas d’une coalition en bonne et due forme, il s’y était formé un certain sentiment de la responsabilité commune et des devoirs parlementaires qui en découlaient. Bref, le deuxième cabinet Müller était sur le chemin de la normalité pour un gouvernement parlementaire. En temps ordinaire, cela aurait peut-être suffi. Mais au temps de la crise économique mondiale, ce n’était pas assez. À partir du moment où l’État n’eut presque plus à gérer que des manques, la propension des partis à vouloir échapper aux responsabilités fut encore plus forte qu’en temps normal.
21Après la démission du chancelier, l’absence d’alternatives démocratiques décrite plus haut se manifesta : on ne pouvait concevoir d’autres majorités gouvernementales que celle de Müller. Comme il n’était plus question de continuer ce gouvernement démocratique de grande coalition, seul un cabinet minoritaire était possible. Celui-ci fut constitué le 30 mars 1930 sous la direction du chancelier Brüning20. Il se composait de ministres issus d’un certain nombre de formations du centre et de la droite, sans être un gouvernement de coalition. Au Reichstag, il se trouvait face à une majorité de partis d’opposition de gauche et de droite.
22Normalement, on aurait pu s’en tenir à ce constat. La plupart des cabinets de la république de Weimar avaient été des gouvernements de minorité. Mais la situation en 1930 était très différente de celle, par exemple, de 192321. À cette époque-là, le président du Reich était un parlementaire chevronné en la personne de F. Ebert ; en 1930, au contraire, c’était, avec Hindenburg, un représentant de l’armée impériale. Alors qu’Ebert avait déjà fait ses preuves comme fondateur et défenseur de la république, son successeur observait une attitude de neutralité positive à l’égard de la constitution de Weimar. Et alors que le chancelier Stresemann avait déjà dirigé un gouvernement de coalition et concevait son gouvernement de minorité surtout comme un cabinet de transition pour préparer le retour à des formes normales de gouvernement parlementaire22, cela n’était pas le cas pour H. Brüning. Il prit même dans son gouvernement un représentant de l’aile modérée du DNVP – ce que Stresemann avait refusé – et il n’estimait pas que son rôle primordial était la défense des formes de gouvernement parlementaires. Sa déclaration gouvernementale le fit clairement comprendre. Elle contenait une menace non voilée à l’encontre du parlement : son gouvernement, disait-il, serait « la dernière tentative pour résoudre la crise avec ce Reichstag ». à l’inverse, le gouvernement du Reich se sentait « assez fort pour contrer toutes les menaces en ayant recours aux moyens que notre Loi fondamentale, la constitution de Weimar, met à la disposition de notre république allemande »23. Le nouveau gouvernement était donc prêt, dès le début, à gouverner sans ou, s’il le fallait, contre le Reichstag. Cela ne pouvait signifier qu’un gouvernement plus ou moins ouvertement présidentiel.
23C’était la véritable nouveauté du cabinet minoritaire de Brüning : il ne ressemblait pas à ses nombreux prédécesseurs. Il ne se donnait plus pour but de gouverner provisoirement sans parlement, jusqu’à ce qu’un gouvernement parlementaire de majorité entre en fonction. Au contraire, il n’était pas exclu d’emblée de gouverner, en cas de besoin, contre le parlement. Mais cela n’était encore qu’une option parmi plusieurs possibles.
2. Déstabilisation du Reichstag
24L’affrontement avec le Reichstag eut lieu rapidement. Le gouvernement Brüning essaya de réaliser par décrets-lois des mesures économiques et de politique sociale pour lesquelles le cabinet Müller déjà n’avait pas réussi à trouver de majorité. Il est indéniable que l’État devait absolument prendre des mesures, surtout pour stabiliser le budget du Reich. Mais il y avait de vifs débats parmi les contemporains sur les mesures appropriées et nécessaires pour y parvenir. Quoi qu’il en soit, le nouveau gouvernement minoritaire opta pour des mesures qu’il n’était pas possible, à l’époque, de faire adopter par le parlement. Ce faisant, le cabinet ne quitta pas seulement les voies d’un mode de gouvernement parlementaire normal. Il abandonna même les mécanismes de gouvernement propres à la monarchie constitutionnelle. Depuis qu’il existe des constitutions écrites, la logique du gouvernement en Allemagne avait toujours été la suivante : les chanceliers qui savaient qu’ils n’étaient pas soutenus par une majorité stable dans leurs parlements étaient sans cesse contraints de chercher pour chaque mesure particulière une majorité spécifique s’ils voulaient obtenir l’adhésion des citoyens. Gouverner sans majorité parlementaire était donc, dans de tels cas, une recherche perpétuelle de compromis avec le parlement. C’est cette voie tracée depuis le xixe siècle par l’évolution constitutionnelle que le gouvernement Brüning a abandonnée. Mais le recours à l’état d’urgence, selon l’article 48 de la constitution de Weimar, pour contrer le parlement, recours qui avait été annoncé à l’avance par le président et le chancelier, était plus grave : c’était une atteinte à l’un des principes centraux de la constitution de Weimar, la responsabilité du gouvernement devant le parlement.
25Étant donné cette situation, le Reichstag se conduisit comme on pouvait s’y attendre : il exigea le 18 juillet 1930 l’abrogation des décrets-lois promulgués24. Le président et le gouvernement répondirent par la dissolution du Reichstag. Selon l’article 25 de la constitution de Weimar, la décision de dissolution était laissée à l’appréciation du président du Reich. Pourtant, on ne pouvait pas ignorer qu’un droit de dissolution aussi large confié à l’exécutif était un corps étranger dans une constitution parlementaire : il venait en droite ligne du système du constitutionnalisme, dans lequel la convocation et le renvoi des chambres avaient été un droit souverain du monarque25. Dans la constitution de Weimar, deux formes de légitimation populaire entraient en conflit : la légitimation du président du Reich par le suffrage direct et celle du Reichstag en tant que représentation du peuple. Cette opposition résultait d’une certaine méfiance de l’Assemblée nationale de Weimar à l’égard du parlementarisme. En 1930, l’exécutif s’avéra le plus fort : lorsque le Reichstag ne le suivit pas, il congédia les députés. Cette mesure faussa complètement le système du gouvernement parlementaire.
26Les conséquences politiques prévisibles étaient au moins aussi graves. Le droit de dissolution du parlement était certes déjà employé pour la troisième fois. Mais, cette fois-ci, il y avait une nouveauté : la première dissolution, en 1924, était pratiquement une élection régulière anticipée du Reichstag ; la deuxième, de la même année, dissolvait un Reichstag qui s’était avéré politiquement incapable de produire une majorité. La représentation nationale de 1928, en revanche, avait su dégager une majorité. Les conséquences prévisibles étaient encore plus fâcheuses. Brüning avait justifié la dissolution du parlement en déclarant que la majorité d’opposition était « divisée et incapable d’assumer des responsabilités »26. Les chances pour que, dans le contexte de l’année 1930, de nouvelles élections produisent un parlement capable de dégager une majorité et d’assumer des responsabilités étaient quasiment nulles. En pleine crise économique, il était peu probable que les électeurs donneraient leurs voix précisément à des partis qui avaient été les principaux responsables de la politique d’inflation de 1923. Si le gouvernement avait encore eu quelques illusions à ce sujet, celles-ci auraient été balayées par les résultats des élections de Saxe du 22 juin 193027. Ainsi, il n’y avait rien de constructif dans la dissolution du parlement en 1930. Elle était propre, en revanche, à altérer la signification politique de l’art. 23, al. 1,1 WRV. Si cet article établissait la durée de la législature à 4 ans, c’était aussi pour garantir la stabilité parlementaire28. La durée prescrite de la législature excluait également qu’on puisse provoquer de nouvelles élections à l’occasion de chaque crise. Le délai de 4 ans permettait en principe d’attendre que des décisions impopulaires portent leurs fruits à moyen terme, sans devoir craindre que le scrutin suivant ne sanctionne simplement les inconvénients à court terme de telles décisions. Cet effet, précisément, fut altéré par la dissolution du parlement. Celle-ci n’allait pas dans le sens du retour vers un parlementarisme en état de fonctionner ; au contraire, elle aggrava la crise qu’elle aurait dû servir à surmonter. Au bout du compte, elle déstabilisa non seulement le parlement lui-même, mais aussi le parlementarisme tout entier en Allemagne29.
3. La politique de tolérance comme démission volontaire du parlement.
27Les élections de septembre eurent pour conséquence d’affaiblir la démocratie de Weimar. Les partis de la grande coalition perdirent la majorité au Reichstag. Un élargissement de leur base entrait aussi peu en ligne de compte que l’entrée du parti national-socialiste dans la coalition30. Ainsi fut tracée la voie qui devait conduire à la formation d’un gouvernement de minorité. Celui-ci, faute d’alternatives, ne pouvait être formé en 1930 que par Brüning lui-même.
28Aussitôt on vit renaître les affrontements entre le Reichstag et le gouvernement, qui avaient conduit aux élections de septembre. Ils devaient nécessairement se rallumer puisque le gouvernement avait entre-temps fait promulguer par un décret-loi du président, après les avoir durcies encore, les mesures refusées par le parlement le 18 juillet 193031. En exigeant leur abrogation, le NSDAP, le DNVP et le KPD montraient leur opposition au décret-loi ; mais en même temps, cela leur permettait aussi d’exprimer au parlement leur hostilité de principe à l’égard de la démocratie de Weimar. Le SPD se retrouva de ce fait dans une situation difficile. D’une part, il était tenu à l’écart du gouvernement : certains partis représentés au gouvernement n’acceptaient d’y rester qu’à condition que les sociaux-démocrates en soient exclus. Mais d’autre part, il n’y avait aucune alternative politique au gouvernement Brüning, sauf en acceptant que les partis hostiles à la constitution y soient explicitement associés. Qui ne voulait pas voir la république livrée aux mains de ses adversaires, devait voter pour Brüning32. Et pour bénéficier de ce soutien du SPD, le gouvernement n’avait même pas à payer de prix politique. Brüning sut jouer habilement sur ce registre. Ses menaces répétées de dénoncer la coalition du Zentrum avec les sociaux-démocrates en Prusse n’étaient rien d’autre que des manœuvres destinées à accentuer les contraintes objectives qui pesaient sur le SPD. Car, en Prusse aussi, la seule alternative à la coalition existante était pour le Zentrum de faire cause commune avec les forces hostiles à la république. Ainsi, le plus grand parti démocratique de la république se trouva confronté à un dilemme insoluble : fallait-il abandonner la république ou abandonner le parti lui-même ? On ne pouvait guère espérer que les électeurs du SPD, à moyen terme, seraient reconnaissants au parti d’avoir sauvé la république au prix d’un abandon total de ses propres objectifs33.
29Le résultat est connu. Le Reichstag, avec l’accord du SPD, repoussa les recours déposés par les partis d’extrême gauche et d’extrême droite et s’ajourna34. Cette approbation implicite de la politique du gouvernement signifiait une défaite à peine voilée du système parlementaire. Elle était, certes, de nature à sauver le gouvernement, mais en même temps elle devait saper la constitution de Weimar. Depuis la loi d’indemnité prussienne de 1866, aucun parlement en Allemagne n’avait subi une aussi lourde défaite. Le vote sanctionnait la transition, déjà accomplie dans les faits, d’une république parlementaire à un gouvernement à caractère présidentiel. Ainsi était annulé un acquis – peut-être même l’acquis essentiel – de la constitution de Weimar par rapport au constitutionnalisme : à savoir la parlementarisation de l’exécutif. Historiquement, la victoire de Brüning dans ce vote représentait un pas en arrière, qui ramenait à l’époque d’avant 1919. Ce recul a été jugé tellement grave par quelques historiens qu’ils considèrent que la date du 18 octobre 1930 marque la fin de la république de Weimar35. Même si on estime que cette conclusion est excessive, on ne peut s’empêcher de constater que le 18 octobre 1930 fut le tournant de la « démocratie inachevée » de Weimar36.
4. Exécutif contre législatif. L’état d’urgence permanent
30La politique de tolérance renforça de facto le gouvernement. Brüning avait atteint un but important. Pour mener à bonne fin sa politique, il avait besoin d’autres formes que celles des lois : il les trouva dans l’article 48, alinéa 2 de la constitution sur l’état d’urgence37. Cet article avait joué au début de la république un grand rôle pratique, mais était presque tombé en désuétude durant la phase de stabilité. Désormais, le gouvernement eut de nouveau recours à ce moyen. Il serait cependant inexact de considérer la politique de Brüning et de Hindenburg comme une simple prolongation des mesures prises par Ebert. En fait, l’institution du pouvoir dictatorial a subi des transformations dramatiques aussi bien en qualité qu’en quantité :
311) Le nombre de décrets-lois a connu un accroissement considérable. Tandis que jusqu’en janvier 1925, 136 décrets-lois avaient été promulgués, il n’y en eut que 9 d’avril 1925 à juillet 1930. De juillet 1930 jusqu’à la fin de 1932 leur nombre augmenta de nouveau pour atteindre le chiffre de 109. Ils ont augmenté non seulement en nombre, mais aussi en ampleur. Depuis le 26 juillet 1930, plusieurs décrets-lois eurent les dimensions de volumineux codes.
322) Il y a eu également une interprétation plus extensive des conditions dans lesquelles il pouvait être fait appel à la législation d’exception. L’article 48, alinéa 2 de la constitution visait des « troubles importants de l’ordre et de la sécurité publique ». à l’origine, on entendait par là des attaques – généralement violentes – contre des fonctions « importantes » de l’État, qu’il n’était pas possible de repousser par les moyens légaux ordinaires. Depuis 1923, la notion d’état d’urgence fut étendue au domaine économique (wirtschaftlicher Notstand), une acception dont on fit amplement usage pendant la crise économique après 1929. À partir de 1932, on y engloba aussi la crise constitutionnelle (Verfassungsnotstand) c’est-à-dire l’incapacité politique – surtout du Reichstag – à dégager des majorités positives. Bref, les conditions requises pour déclarer l’état d’urgence n’avaient plus beaucoup de rapports avec celles prévues à l’origine dans l’article 48, al. 2 de la constitution. Les années 1930/1932 furent pratiquement une période d’état d’urgence permanent.
333) Les mesures à prendre avaient changé elles aussi. Si, dans les premiers temps de la république, l’opinion prévalait que les mesures d’urgence ne devaient pas rester en vigueur une fois que l’état d’urgence était passé, il en fut autrement par la suite. Déjà Ebert, pour remédier à la crise économique, avait commencé à modifier des lois par des décrets-lois et ces changements demeurèrent en vigueur même après la fin de l’état d’urgence. Cette pratique s’était généralisée à partir de 1930. Les mesures d’urgence se transformèrent souvent en mesures définitives.
344) Enfin, les limites imposées à la législation d’urgence disparurent presque complètement. La constitution ne les fixait clairement que pour les droits fondamentaux. Pour le reste, on assista quasiment à un renversement de tendance : à l’origine, la règle était que la constitution restait totalement en vigueur dans les cas d’urgence. Depuis 1931 environ, l’inverse était vrai : les seuls principes constitutionnels qui échappaient à la législation d’urgence étaient ceux pour lesquels on pouvait prouver positivement qu’ils ne devaient pas être modifiés par le pouvoir dictatorial.
35Cette évolution fut favorisée par le fait que le seul instrument de contrôle efficace du droit d’urgence ne fonctionna pas. La politique de tolérance rendait totalement inopérante la demande d’abrogation du parlement en vertu de l’article 48, al. 3,2 WRV. Depuis 1930, dans une situation de crise permanente, l’exécutif cessa d’être un organe de réserve (Reserveorgan), pour devenir un organe annexe du législatif (Nebenorgan). En ajoutant l’importance du rôle du président dans la formation du gouvernement, cela permettait de gouverner sans parlement et finalement aussi contre le parlement. Ainsi, le développement maximal du droit d’urgence qui devait sauvegarder la constitution était aussi une première étape sur le chemin du sabordage de cette constitution.
36Depuis que Brüning était chancelier, la république parlementaire se transformait ouvertement en une démocratie présidentielle. Celle-ci se situait dans la continuité de la monarchie constitutionnelle et comportait donc des éléments d’autoritarisme38. Le Reichstag, paralysé par la politique de tolérance, ne pouvait que sortir perdant de cette transformation. La partie V du chapitre 6 du décret-loi du 6/10/193139 réglementait les bulletins de dépôt (warrants), réglementation dont le rapport avec l’état d’urgence n’était nullement évident. Il s’agissait d’empiétements sur les attributions habituelles du législatif. Le décret-loi du 26/7/1930 comportait des prescriptions concernant le budget et était donc une ingérence dans le droit le plus ancien des parlements, celui d’autoriser les dépenses de l’État40. En 1932, le gouvernement Papen alla plus loin encore : il promulgua le budget sous la forme d’un décret-loi41. Une telle ingérence dans la compétence budgétaire du parlement ne s’était plus produite depuis le conflit constitutionnel en Prusse (1862), et déjà à cette époque, sous une monarchie constitutionnelle, cela avait provoqué une grave crise. Pour le système parlementaire selon la constitution de Weimar, ce procédé était un signe évident de dégradation.
37La politique de Brüning s’attachait en premier lieu à surmonter la grave crise économique et politique que traversait l’État. Mais il espérait manifestement aussi pouvoir préserver, sinon renforcer la constitution de Weimar dans sa substance, en en changeant la forme. S’il partageait cet objectif avec bon nombre de ses contemporains, ses moyens cependant posaient problème : les buts ambitieux qu’il visait étaient sans commune mesure avec la faiblesse de son assise politique. Le gouvernement Brüning dépendait de trois éléments : de la confiance du président, de la tolérance du parlement, et enfin et avant tout de son propre succès. Ce succès lui fut surtout refusé là où il en avait le besoin le plus urgent : dans sa politique économique. C’est là, et seulement là, qu’il aurait pu s’assurer l’assise dont il avait besoin, c’est-à-dire la confiance des électeurs et des partis. En fait, sa politique produisit exactement le contraire de l’effet recherché : la politique économique de Brüning devait apparaître dans la population comme une répétition de la Erfüllungspolitik, plus exactement comme une subordination intégrale des besoins économiques et socio-politiques à d’autres objectifs42. Lors de la seconde crise économique, l’impression que la république ne voulait ou ne pouvait rien faire pour les gens – les électeurs ! – s’imposa une nouvelle fois.
38Cet échec eut des conséquences désastreuses. Il ne parvint pas seulement à ébranler l’assise politique du gouvernement Brüning, mais également à miner complètement le crédit de la république. Ce que le parlement ne savait pas faire, venir en aide aux électeurs dans un moment de détresse, le pouvoir exercé en vertu de l’état d’urgence n’y parvenait pas davantage. C’est au plus tard à ce moment là que la crise du gouvernement Brüning devint une crise de l’État43. Après la compétence normale, c’était à présent la compétence de réserve qui était épuisée. L’époque des gouvernements Brüning a contribué de façon décisive à saper complètement les fondements fragiles de la république. Celui qui ne s’en était pas encore détourné, ni en 1918/19, ni en 1923/24, le faisait maintenant. Après la démission du premier chancelier des gouvernements présidentiels, les partis fidèles à la constitution n’ont plus réussi à réunir une majorité lors d’un scrutin.
5. « Le nouvel État » : De Brüning à Papen
39Par rapport à son prédécesseur, le gouvernement de Papen se caractérisa par deux particularités : si l’ancien cabinet avait encore pu bénéficier au moins de la tolérance du Reichstag, cela était exclu d’emblée pour le nouveau cabinet. Il n’était plus question de gouverner en vertu de l’article 54 de la constitution de Weimar. Le nouveau gouvernement ressemblait déjà fort à un de ces « gouvernements de combat » dont il était souvent question dans les publications des spécialistes de droit constitutionnel de l’époque44. Comme cette situation ne pouvait être durable, il en découlait une seconde différence par rapport au gouvernement Brüning : dès le début, Papen n’était nullement disposé à concevoir son gouvernement comme un gouvernement de crise ou un gouvernement de réserve (Reserveregierung). Il considérait que le pouvoir exercé en vertu de l’état d’urgence devait être un pouvoir de transition vers l’abandon de la constitution de Weimar. Le nouveau gouvernement ne pouvait et ne voulait plus – du moins à moyen terme – gouverner selon la constitution de Weimar.
40Il le manifesta clairement déjà dans sa déclaration gouvernementale du 4 juin 193245 qui ne fut pas prononcée devant le Reichstag, mais diffusée par la radio. Il n’y était guère question de la constitution, ni des difficultés auxquelles les compétences données par l’état d’urgence devaient porter remède en premier lieu. On y trouva, en revanche, beaucoup de critiques à l’égard de la république en général, des gouvernements précédents et de la « pensée marxiste athée ». Mais on y trouve aussi quelques indications concrètes. Selon le nouveau chancelier, le Reich était sur la mauvaise voie depuis la révolution de novembre 1918 : « socialisme d’État », « défaillance du sens moral », « bolchevisme culturel », « désagrégation », tels étaient les reproches de Papen à l’égard des « gouvernements d’après-guerre ». Son « cabinet des barons » allait changer cela et proposer une nouvelle voie. À court terme, il réclamait « une Allemagne économiquement saine, libre, jouissant de l’égalité de droits ». Mais cette terminologie, qui rappelait encore beaucoup celle utilisée par son ancien camarade de parti Brüning, s’accompagnait d’autres harmoniques : le chancelier parlait de sa « lourde responsabilité devant Dieu et la Nation », il se plaçait donc dans la durée plutôt que dans le court terme. Quant à la responsabilité devant le souverain démocratique, il n’en était plus question. Tout à fait dans le même sens, l’objectif n’était plus le retour à des conditions démocratiques normales, mais bien plus : il s’agissait de construire « l’Allemagne nouvelle » sur « la base des principes immuables de la pensée chrétienne ». Il en attendait tout simplement la « guérison morale et économique de la nation et la renaissance (!) de la nouvelle Allemagne ». Ces objectifs restaient, certes, confus, mais on voyait néanmoins clairement ce dont Papen ne voulait pas : les mécanismes démocratiques fondamentaux du « compromis » et de la « parité ». C’est pourquoi son gouvernement devait agir « indépendamment des partis ».
41Manifestement, Franz von Papen estimait qu’il avait mandat pour agir en s’affranchissant de la constitution et des organes du Reich. Sa légitimité ne pouvait donc pas découler d’une quelconque procédure, mais seulement d’un état de fait : d’une mission plus élevée que le verdict des urnes. Ainsi, il se considérait comme détenteur non seulement d’une compétence de réserve, mais d’une compétence autonome, pleine et entière : cela supposait naturellement que le pouvoir exécutif soit rendu indépendant du législatif. Pour lui, le pouvoir exercé en vertu de l’état d’urgence prenait une dimension nouvelle, constructive : il devait mettre fin à « l’État de masse » pour construire le « nouvel État »46. Quel que soit le sens de cette nouvelle politique : le « nouvel État » n’avait aucun point commun avec la constitution de Weimar, mais il en avait beaucoup avec la « nation » et une autre forme de gouvernement, autoritaire et corporatif. Mais Papen n’était pas aussi explicite, du moins au moment où il prit ses fonctions. La différence entre Brüning et Papen fut donc qu’à présent on avait pris congé, en pensée, de la constitution de Weimar. Le nouveau gouvernement estimait qu’il n’était, non seulement, pas possible, mais même pas souhaitable de revenir aux mécanismes et institutions de la constitution. Quelle que soit la direction que prendrait cette transformation du Reich, une chose était claire : on s’éloignait de Weimar et de la constitution de Weimar.
6. Crise sans issue
42Mais les formes de cette constitution étaient toujours en vigueur et elles étaient tout à fait en mesure d’accumuler de sérieux obstacles sur le chemin du « nouvel État ». Au moment de sa prise de fonctions, Papen ne pouvait pas ignorer qu’il ne disposait d’aucune base parlementaire et qu’un vote de censure serait inévitable. C’était pour cela aussi, que, dès son arrivée au gouvernement, il y eut une nouvelle dissolution du Reichstag47. La question se posait de savoir par quels moyens on pourrait, à l’avenir, assurer la poursuite de la nouvelle politique. À ce propos, le débat constitutionnel s’intensifia en Allemagne dans des proportions étonnantes48.
a) Les objectifs de ces débats étaient sensiblement différents, selon la position politique des auteurs :
43aa) Il y avait ceux, plutôt tournés vers le passé, qui prônaient le modèle de l’État corporatif49. Ils demandaient la création d’une nouvelle « chambre haute » comme représentation du « peuple ». Le point essentiel était que cette chambre ne devait pas être constituée avec le concours des partis, mais sur la base d’autres groupes : en particulier, les groupements économiques, professionnels et militaires, ainsi que les associations d’utilité publique. Elles devaient reproduire au niveau de la vie politique les intérêts économiques et sociaux du peuple. C’était une manière d’atteindre deux objectifs à la fois : réduire l’influence des partis et gagner en autorité en s’assurant le concours de personnalités qui avaient, en tant que dirigeants d’associations, l’expérience de la vie publique. La question des compétences de la nouvelle chambre restait plus vague que celle de sa composition. Elle ne devait pas remplacer le Reichstag, mais le compléter. Toutefois, la primauté devait revenir à la chambre corporative et le Reichstag ne serait convoqué que rarement et uniquement en cas de besoin. La compétence centrale de la nouvelle chambre devait être sa participation à la formation du gouvernement – surtout en cas de vote de défiance. Le gouvernement ne pourrait être renversé que par un vote concordant des deux chambres. On en attendait un important effet de stabilisation. Un parlement domestiqué par une chambre haute, l’exigence du consensus et un gouvernement qui se situait au-dessus des partis : tout cela rappelait beaucoup les constitutions du type de la monarchie constitutionnelle. La différence était que les nouveaux « états » (Stände) ne seraient plus constitués par la noblesse et la bourgeoisie, conformément à la structure économique et sociale du peuple.
44Les doctrines de « l’État autoritaire » étaient, elles aussi, conservatrices. Leur objectif essentiel était de créer ou d’accroître la capacité d’action de l’État grâce à « l’autorité » ou à l’action d’un « guide » (Führung)50. Cela suppose un État neutre, qui se situe au-dessus des partis, et qui ne doit pas prendre des volontés partisanes comme éléments de base de ses propres décisions. Il devait se situer au-dessus du peuple et de ses représentants et leur faire connaître ses décisions. Comme les consultations électorales, le parlement et les partis n’intervenaient plus dans le processus de prise de décision de l’État, le président et les fonctionnaires « neutres » se retrouvaient au premier plan51. Un objectif second était l’établissement de nouveaux rapports entre l’État et le peuple. Comment, dans un État neutre qui se situe au-dessus des partis, les citoyens peuvent-ils être amenés à approuver les décisions de celui-ci et à y obtempérer ? Le moyen d’y parvenir devait être une image nouvelle et positive de l’État, du peuple et du citoyen. Les notions clés étaient la « nation », la « communauté »52 ou l’image de l’État en tant qu’organisme. De telles périphrases n’étaient pas simplement destinées à nier les divergences d’intérêts entre la collectivité et l’individu, mais à les réconcilier sur un plan d’abstraction plus élevé. Le troisième objectif était de créer dans le nouvel État un ordre dont la fonction serait de renouveler sans cesse et d’exprimer le consensus « vivant » entre les intérêts de la communauté et ceux des individus. Pour y parvenir, il fallait que le nouvel ordre n’existe « pas seulement » sur le papier, mais qu’il soit ancré dans la vie et l’esprit des hommes et du peuple53.
45En revanche le soutien actif des revendications national-socialistes de 1932, visant à modifier la constitution, ne joua qu’un modeste rôle secondaire dans ce courant54.
46bb) Les moyens envisagés pour atteindre ces nouveaux objectifs restaient presque aussi problématiques que les objectifs eux-mêmes. Étant donné les rapports des forces au parlement, la voie de l’article 76 de la constitution était exclue d’avance. Au lieu de cela, deux alternatives possibles apparurent – abstraction faite du scénario qui s’est finalement réalisé le 30 janvier 1933, lorsque le président du Reich a simplement remis le pouvoir à Hitler, conformément à l’art. 53 WRV55 :
47La première voie se situait en apparence encore dans le cadre de la constitution. C’est en particulier dans les sphères de la Reichswehr qu’était discutée depuis 1932 une alternative qui s’appuyait sur les articles 25 et 48 de la constitution56. Le point de départ était une dissolution du Reichstag, conformément à l’article 25, al. 1 WRV. Mais cela n’aurait servi dans un premier temps qu’à ajourner la crise puisque, dans ce cas, selon l’art. 25, al. 2 WRV, de nouvelles élections devaient avoir lieu au plus tard 60 jours après la dissolution. C’est là qu’intervient le nouveau plan : il consistait à repousser les nouvelles élections à une date déterminée ou indéterminée par un décret-loi, conformément à l’art. 48, al. 2 WRV. Pendant ce temps, le gouvernement et le président auraient pu prendre les mesures jugées nécessaires, sans le contrôle du parlement. On ne pouvait certes pas modifier formellement la constitution dans le cadre juridique de l’état d’urgence. Mais on pouvait envisager d’entrer en pourparlers entre-temps avec les dirigeants des partis politiques et de subordonner la tenue de nouvelles élections à des concessions qui pourraient également concerner des modifications constitutionnelles. L’inconvénient de ce plan résidait dans son incompatibilité avec la constitution. L’article 48, al. 3 WRV prévoyait la possibilité d’un contrôle parlementaire par le Reichstag même pendant l’état d’urgence. L’existence du parlement et sa possibilité de se réunir ont été considérées au milieu des années 1920 comme un acquis essentiel de la constitution de Weimar, même vis-à-vis de la dictature57. On ne peut être sûr que ce consensus existait toujours en 193258.
48La théorie du droit non écrit sur l’état d’urgence allait plus loin59. Elle se fondait sur le postulat que l’art. 48, al. 2 WRV permettait seulement de combattre des atteintes à la constitution provenant « de l’extérieur », mais non son érosion « de l’intérieur » et que le cas d’une telle « paralysie de la constitution » n’a jamais été réglé dans le droit en vigueur. Puisque la législation sur l’état d’urgence ne s’appliquait pas à ce cas, il y avait place pour un droit coutumier en cas de crise menaçant la survie de l’état (Staatsnotrecht) et ce droit prévalait par rapport au droit positif. Ce droit pouvait être exercé par tout organe de l’État qui n’était pas encore « paralysé » par l’érosion. C’était un appel au président du Reich, mais aussi au peuple. L’avantage de cette doctrine était que le droit supra-positif à l’état d’urgence n’était pas fondé par un droit positif et qu’il ne pouvait donc pas être limité par celui-ci. C’est pourquoi il ne pouvait être limité ni par l’article 25, al. 2 WRV, ni par l’article 48 al. 3 WRV. Son inconvénient résidait dans le fait que le recours à un droit supra-positif signifie qu’on quitte le terrain de la constitution. Du point de vue de la constitution positive en vigueur, un tel procédé aurait signifié une violation du droit, voire un coup d’État60. C’était sans doute une des principales raisons de la répugnance du président à utiliser ce moyen.
49b) Dans les rangs sociaux-démocrates, le débat sur la constitution suivait une voie politiquement opposée. « La social-démocratie n’a pas le droit de laisser naître le moindre doute dans l’esprit de ses partisans : le temps des compromis est passé et le temps de la lutte pour la survie, et pour la survie de l’État, a commencé »61. Les prises de position se multiplièrent pour la république, pour les partis républicains, pour une alliance de circonstance entre républicains et communistes et pour un engagement politique contre les adversaires de la constitution de Weimar. Les moyens préconisés étaient surtout une intensification de l’information et de la formation politiques62. Et si ces moyens s’avéraient insuffisants ? « Il ne s’agit pas ici en premier lieu de problèmes qui pourraient être résolus par une nouvelle constitution. Mais, à partir du moment où certains groupes ne sont plus disposés à se soumettre à la volonté populaire et détruisent ainsi les fondements de la démocratie, une réforme de la démocratie serait un palliatif insuffisant. Seule l’émergence de nouvelles formes sociales peut alors créer à nouveau les conditions nécessaires à la démocratie »63.
50Dans le contexte politique de l’année 1932, cette vision était aussi abstraite qu’irréaliste. La position constante de la social-démocratie, depuis au moins 1919, était qu’il fallait réaliser les objectifs politiques du parti et que, pour cela, la démocratie parlementaire était un bon moyen. Mais que faire lorsqu’on est obligé de constater que la cote des objectifs du SPD était tombée, en 1932, à son cours le plus bas depuis la Guerre mondiale et que les vestiges de démocratie qui existaient encore étaient menacés par la droite ? Aussi étrange que cela puisse paraître, ces auteurs ne proposaient aucune solution pour résoudre la crise ; leur programme visait à préserver la constitution de Weimar et à intensifier la lutte politique en faveur de la république. En mettant ainsi leurs espoirs dans « les nouvelles formes sociales », les juristes sociaux-démocrates, spécialistes du droit public, paralysaient eux-mêmes leurs forces intellectuelles et politiques. Cette attitude aboutit finalement à la passivité et la résignation et s’avéra incapable d’opposer la moindre perspective positive à la misère du présent. Tant que la crise durait, il semblait que la république n’avait qu’une chose à faire, essayer d’y survivre. Cette attitude ressemblait tout à fait à la tactique du moindre mal qui avait conduit le SPD, depuis 1930, à son agonie politique au Reichstag.
51On était prêt, à la rigueur, à accepter quelques corrections sur des points secondaires. C’est ce qui apparut à propos du mode de scrutin pour l’élection du Reichstag. On considérait que si les suffrages des citoyens étaient tellement éparpillés et que si les élections ne produisaient plus que des majorités négatives, cela était dû à une situation générale désolante et non à la constitution64. La crise parlementaire ne résultait pas du mode de scrutin ; au contraire, les résultats des élections étaient l’expression de la crise. À partir de là, on critiquait les projets visant à changer le mode de scrutin : par exemple, le remplacement du scrutin proportionnel par le scrutin majoritaire ou l’instauration d’un quorum assorti d’un seuil minimal65. Les réformes constitutionnelles proposées se limitèrent essentiellement à un objectif : la stabilisation du gouvernement du Reich face aux majorités négatives du Reichstag. Ces réflexions tournaient autour de l’instauration du vote de censure « constructif »66 ou de la limitation des droits du Reichstag à demander l’abrogation de décrets-lois du président, en vertu de l’art. 48 al. 3 WRV67. On ne disait rien de la manière dont on voulait et pouvait faire aboutir même des propositions aussi modestes.
52c) Les projets de réforme constitutionnelle du gouvernement von Papen et de ses conseillers se plaçaient dans une large mesure dans la ligne des tendances montrées ci-dessus pour les conservateurs68. L’élément fondamental du « Nouvel État » serait surtout qu’il devait chercher ses modèles dans le passé, par exemple, un retour vers le constitutionnalisme du temps de la monarchie – mais sans monarchie, contrairement à la position de Brüning – ; la création d’un système bicaméral sur une base corporative ; la suppression du suffrage universel égalitaire au profit d’un système gradué, le remplacement du scrutin proportionnel par un mode de scrutin uninominal et, enfin, une plus grande indépendance du gouvernement face aux chambres.
53Mais, pour le gouvernement aussi se posait la question de savoir par quels moyens il pourrait réaliser les réformes envisagées. Comme le président du Reich se refusait à proclamer l’état d’urgence, de même qu’il refusait de suspendre, par décret-loi, l’article 25 de la constitution, il ne restait finalement plus à Papen que la voie qu’il avait déjà esquissée lors de sa déclaration gouvernementale, c’est-à-dire à collaborer avec les forces avec lesquelles « la nation était disposée à marcher vers son avenir ». Dans l’abstrait, cela ne pouvait être que la collaboration avec les partis politiques que, par principe, Papen récusait. Concrètement, cela ne pouvait signifier que la collaboration avec les majorités existantes. Dans cette perspective, le « Nouvel État » prend un autre visage : ce n’est plus un projet original pour un avenir politique différent, mais une tentative pour adapter la situation constitutionnelle aux données du statu quo politique. C’est à l’image de toute la politique de Papen : on n’a pas à faire à un précurseur venu avec un programme original, mais à un opportuniste forcené.
7. Le Reichstag livré aux adversaires de la République
54Pour réaliser sa politique gouvernementale, Papen avait donc besoin des forces politiques existantes. Mais, dans leur immense majorité, celles-ci lui étaient hostiles. Il n’y avait au Reichstag aucune constellation politique imaginable qui aurait pu offrir au « cabinet des barons » la chance la plus infime de trouver une majorité. Fait significatif : même le parti auquel Papen appartenait jusqu’à sa nomination, le Zentrum69, refusait tout soutien à son cabinet. Le chancelier était donc contraint de trouver lui-même sa base. Cela ne pouvait être qu’à droite. D’où sa « politique des gages » donnés au NSDAP : par exemple, la levée de l’interdiction des SA (16 juin 1932) et la défense faite aux Länder de prendre, de leur côté, des mesures contre les SA ou contre le port de l’uniforme (28 juin 1932)70. On peut aussi compter parmi ces gages la dissolution du Reichstag le 4 juin 1932. Comment comprendre autrement les motifs par lesquels cette mesure fut justifiée ? L’argument mis en avant, selon lequel les dernières élections des parlements régionaux (Landtage) auraient montré que la composition du Reichstag ne correspondait plus à la volonté du peuple71, équivalait à une faveur faite au NSDAP. En effet, celui-ci est sorti vainqueur des neuf élections régionales du premier semestre 1932 ; partout, il avait le plus grand nombre de députés et il disposait même de la majorité absolue au Landtag d’Oldenbourg. Cette motivation montre bien que le renforcement du NSDAP à l’échelle nationale n’était pas seulement une possibilité acceptée, mais qu’il était quasiment voulu.
55Le résultat du scrutin confirma l’hypothèse : après les élections de juillet 1932, le NSDAP était aussi le groupe le plus nombreux au Reichstag et la base pour les majorités négatives des partis révolutionnaires de gauche et de droite était jetée. Désormais, non seulement le gouvernement von Papen, mais aussi la république ne pouvaient plus compter sur le moindre soutien d’une quelconque majorité parlementaire. L’option politique qui s’exprimait là était claire : avant les élections de juillet, il était malaisé de gouverner contre les nationaux-socialistes ; depuis le mois d’août, c’était pratiquement impossible. Les faits et les déclarations de l’année 1932 parlent un langage sans équivoque : du point de vue de la constitution, les élections de juillet n’étaient nullement obligatoires. En voulant, au paroxysme de la crise économique, adapter la majorité parlementaire à la volonté populaire, on n’était pas seulement prêt à accepter de bon coeur la victoire des nationaux-socialistes ; on livrait sciemment le Reichstag aux adversaires de la république. Si, en juin-juillet 1932, pratiquement seul le gouvernement Papen dépendait du bon vouloir des nationaux-socialistes, depuis le mois d’août 1932, ceci valait pour n’importe quel gouvernement parlementaire72.
56L’espoir de Papen que les nationaux-socialistes, maintenant plus forts, iraient dans son sens et participeraient à son « combat pour le rétablissement de l’âme et de l’économie de la nation, pour la renaissance de la nouvelle Allemagne » se révéla être une illusion73. En pratiquant sa politique des gages, il n’avait aucune garantie que les nationaux-socialistes allaient lui en savoir gré. Ceux-ci y étaient d’autant moins portés qu’ils occupaient depuis les élections de juillet la position politique clé dans le Reich. Six semaines plus tard, la Nouvelle Ligne avait échoué : le parlement s’apprêtait à réclamer, contre la volonté du chancelier, l’abrogation de certains décrets-lois. C’est pourquoi, après une « législature » de six semaines, le parlement à peine élu fut à nouveau dissout74. Au fond, cela ne changea rien au résultat : les majorités négatives subsistèrent, quoique légèrement affaiblies. Mais à ce moment-là, le parlement n’avait pratiquement plus d’importance : le sixième Reichstag ne se réunit que pour deux séances, le septième, élu en novembre 1932, ne se réunit qu’une fois avant le 30 janvier 1933.
8. Le gouvernement du Reich livré aux ennemis de la République
57Depuis le passage à des gouvernements de type présidentiel et la paralysie progressive des parlements, la politique se jouait de moins en moins au niveau de la représentation nationale. C’est le pouvoir exécutif qui devint de plus en plus l’agent de l’activité politique. Dans le peuple, la crédibilité de la procédure démocratique continua à baisser : malgré une cascade d’élections provoquées par les fréquentes dissolutions du parlement, l’influence des citoyens diminua et celle d’élites autoproclamées augmenta. Le débat politique se radicalisa de plus en plus et cessa d’observer les formes démocratiques. Autrement dit, à présent la politique se faisait dans la rue. La terreur grandissante qui régnait à la fin de la république en était une preuve éloquente. Mais, sur ce point, ceux qui protestaient entrèrent en conflit avec les représentants d’un exécutif qui cherchait à maintenir la sécurité et l’ordre publics. La lutte pour la république s’était ainsi cherché d’autres forums et d’autres formes, en dehors du parlement75.
58Finalement, le combat pour la république se présenta comme un combat pour le pouvoir exécutif. Comme il n’y avait plus aucun autre pouvoir qui pût lui faire concurrence, celui qui contrôlait l’exécutif contrôlait la république. Une importance particulière revenait à cet égard au Land de Prusse qui était de loin le Land le plus grand, et où se situait la capitale du Reich. Le gouvernement ne pouvait subsister ou tomber qu’à Berlin. C’est pourquoi le combat pour le pouvoir exécutif se concentrait sur la capitale du Reich. Les gouvernements de H. Brüning avaient accordé une grande importance à ce combat et avaient essayé d’enrayer par toute une série de mesures la terreur qui s’étendait76. Il était temps : de janvier à octobre 1931, 45 personnes avaient été tuées et 193 grièvement blessées pour des raisons politiques rien qu’en Prusse.
59Dans ce domaine aussi, l’entrée en fonction de Papen signifia un changement de politique. Le premier gage donné aux nazis, la levée de l’interdiction des SA et du port de l’uniforme, paralysa l’exécutif républicain dans son combat contre la violence politique. La campagne électorale de juillet 1932 fut marquée par la terreur ; des souvenirs de l’époque de la guerre civile après la Guerre mondiale resurgirent. Lorsque la campagne électorale fut terminée, ces conflits ne se s’atténuèrent pas. Au contraire, par la suite, la sécurité devint encore plus précaire : entre le 17 août et le 1er décembre 1932, 2 853 personnes furent jugées pour infraction au décret-loi contre la terreur politique77. Cette terreur, que le gouvernement avait lui-même légalisée, servit justement de prétexte à Papen pour destituer le gouvernement prussien encore en fonction, lors du fameux Preußenschlag. Quel que soit le jugement qu’on porte sur cette action du point de vue juridique78 : la levée de l’interdiction des SA et du port de l’uniforme, ainsi que le coup d’État contre le gouvernement de Prusse, ont privé la république d’appuis indispensables au niveau de l’exécutif. Elle ne pouvait désormais plus compter non plus sur le gouvernement de Prusse pour opposer une résistance à l’évolution politique.
60Le démantèlement de la république ne signifiait pas encore que les nationaux-socialistes auraient le pouvoir. Cette étape ultime était réservée au président, malgré les réticences dont il fit preuve jusqu’au bout. Après que toutes les tentatives pour incorporer les nationaux-socialistes au système présidentiel tel qu’il existait eurent échoué, les postes clés de l’exécutif – la direction du gouvernement et le ministère de l’intérieur – furent livrés aux nationaux-socialistes le 30 janvier 1933. Ce n’était pas seulement la politique des gages qui était ainsi conduite à son terme avec la participation active de Papen79. C’était aussi la destruction totale de la république, la disparition de toute volonté politique de rester, ne serait-ce que formellement, dans le cadre de la constitution de Weimar. Il n’était pas nécessaire d’abroger celle-ci : elle n’avait plus aucune substance politique. Ce qui lui manquait dorénavant c’était un substrat politique, un État qu’elle aurait pu « constituer ».
Conclusion
61Dans l’historiographie constitutionnelle, le débat sur l’échec de la république de Weimar a débouché sur un débat à propos de la constitution de Weimar80. La constitution fut-elle l’une des causes de la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes ? Ou du moins ne l’a-t-elle pas suffisamment empêchée ? Ou bien, les raisons de l’échec étaient-elles tout à fait étrangères à la constitution ? La recherche récente s’efforce de nuancer ses conclusions. Contrairement à ce qu’on a souvent dit, la constitution et la république n’étaient pas simplement « relativistes »81 : elles disposaient d’une importante panoplie d’instruments pour leur propre défense. Mais il est vrai que ces instruments ont été utilisés de manière très diverse et, dans l’ensemble, tout à fait insuffisante82. De leur côté, dans leur ascension vers le pouvoir, les nationaux-socialistes ne sont pas restés dans les limites de la légalité : on sait maintenant que la thèse de la légalité ne relève que de la propagande d’Hitler83. Mais il est établi aussi que l’action des organes de l’État n’est jamais déterminée complètement par les constitutions. C’est pourquoi il ne faut pas considérer seulement les règles constitutionnelles, mais aussi les institutions et les personnages de la vie constitutionnelle. Et il faut tenir compte aussi de ceux qui furent les responsables des menaces auxquelles succomba la démocratie. C’est leur puissance qui fut la principale cause de l’échec de la république.
Notes de bas de page
2 Sur l’histoire de la période : A. Rosenberg, Entstehung und Geschichte der Weimarer Republik, Réimpr. 1988, p. 454 sqq. ; K. D. Bracher, Die Auflösung der Weimarer Republik, 5e éd., Réimpr. 1984 ; id.. in: G. Schulz (ed.), PLOETZ Weimarer Republik, 1987, p. 123 sqq ; K.D. Erdmann/H. Schulze : Weimar - Selbstpreisgabe einer Demokratie, 1980/84 ; M. Funke in : Bracher/Funke/Jacobsen, Die Weimarer Republik 1918-1933, 1987, p. 505 (bibliogr. ibd.., p. 652 sqq); G. Jasper, Die gescheiterte Zähmung, 1986; G. Schulz, Zwischen Demokratie und Diktatur, 1992 ; H. A. Winkler, Der Weg in die Katastrophe, 2e éd., 1989 ; id., Die deutsche Staatskrise 1930-1932, 1992 ; id., Weimar, 1993, p. 285 sqq.
3 Cf le titre de H. A. Winkler, Der Schein der Normalität, 2e éd., 1988. Cette appellation ne reflète qu’imparfaitement la manière dont les contemporains ont vécu cette période. En réalité ils ont davantage perçu la normalité que l’apparence de normalité.
4 Ces succès ont également marqué les bilans personnels de nombreux républicains de ce temps. À cette époque ils estimaient que la république démocratique avait connu son baptême du feu et qu’elle était à présent consolidée. Le sentiment dominant était : « Nous avons réussi. » Cf. entre autres H. Sinzheimer, Justiz (IV) 1927/28, p. 635 sq : « La démocratie en Allemagne a subi avec succès l’épreuve du feu. » Cf. également C. Severing, Mein Lebensweg 2, 1950, p. 206 sqq.
5 à propos de la « politique des fonctionnaires » cf. H. Fenske, Bürokratie in Deutschland, 1985, p. 29 sqq, 32 sqq ; R. Morsey in : Erdmann/Schulze op. cit., p. 151 sqq ; Runge, Politik und Beamtentum im Parteienstaat, 1965, pass. ; H. J. Schmahl, Disziplinarrecht und politische Betätigung der Beamten in der Weimarer Republik, 1977 ; K. Sühl, SPD und öffentlicher Dienst in der Weimarer Republik, 1986.
6 Vue d’ensemble chez Bracher, Auflösung, op. cit., p. 157 sqq, 205 sqq.
7 Le ministre-président de Prusse, Otto Braun (1987-1955) constitue sans doute une exception : il n’a accédé à de hautes fonctions qu’après la révolution. À ce sujet cf. H. Schulze, O. Braun oder Preußens demokratische Sendung, 1977.
8 À propos du problème des générations sous la république de Weimar, lire : D. Peukert, Die Weimarer Republik, 1987, p. 13 sqq, 25 sqq.
9 à cela s’ajoutait le décès d’importants représentants de l’idée démocratique, par exemple Hugo Preuss (1860-1925) et Max Weber (1864-1920), celui de la socialiste Rosa Luxemburg (1870‑1919), et la grave maladie de Otto Braun (1932).
10 Cf. à ce sujet : C. Gusy, Die Lehre vom Parteienstaat in der Weimarer Republik, 1993, p. 25 sqq. Ce sont en particulier les ouvriers agricoles et les employés qui n’étaient pas représentés dans l’éventail des partis. Sous la république, aucun des partis traditionnels n’a pris en charge leurs intérêts particuliers.
11 À propos de la discussion autour de « croiseur-cuirassé A » cf. Winkler, Normalität, op. cit., p. 533 sqq, 541 sqq.
12 Il en résultait que les partis avaient une certaine tendance à vouloir entrer dans l’opposition lorsque l’enthousiasme de leurs partisans était à la baisse. À propos de l’attitude du SPD dans le gouvernement H. Müller, cf. Winkler, op. cit., p. 763 sqq ; à propos de l’attitude du DVP sous le chancelier Brüning, cf. Winkler, Katastrophe, op. cit., p. 138 sqq, 373 sqq, 418 sqq.
13 Une des causes pourrait être la situation de double dépendance que la constitution de Weimar a donnée au gouvernement. Il avait besoin à la fois de la confiance du président (art. 51 WRV) et de celle du Reichstag (art. 54 WRV). Au sujet de la pratique et de sa genèse, cf. E. R. Huber, Deutsche Verfassungsgeschichte VI, 1981, p. 330 sqq.
14 Winkler, Weimar , op.cit., p. 166.
15 Sur cette situation dans le gouvernement H. Müller, cf. Winkler, Normalität, op. cit., p. 736 sqq.
16 Vue d’ensemble chez Winkler, Normalität, op. cit., p. 26 sqq.
17 Vue d’ensemble chez K. Sontheimer in : Bracher/Funke/Jacobsen, op. cit., p. 454 sqq (bibl. ibid., p. 672 sqq) ; voir également pour certains aspects : id., Antidemokratisches Denken in der Weimarer Republik, 2e éd. 1983 ; A. Schwan in : Erdmann/ Schulze, Selbstpreisgabe, op. cit., p. 259 sqq. Cf aussi V. Gessner, Das Ende der Weimarer Republik, 1978, p. 62 sqq. Bracher, Auflösung, op. cit., p. 19 sqq. souligne l’importance de la notion de compromis pour la structure de la république de Weimar.
18 Pour plus de détails cf. G. Feldman (Hg.), Die Nachwirkungen der Inflation auf die deutsche Geschichte, 1985 ; au sujet de la peur de l’inflation et de son rôle pendant la période de déflation depuis 1930 , cf. Winkler, Katastrophe, op. cit., p. 494 sqq.
19 En apparence, les différends ne concernaient que des questions budgétaires d’importance secondaire : en fait, les partis de la coalition avaient épuisé toutes leurs capacités de coopération. Cf. Winkler, Normalität ..., op. cit., p. 809 sqq ; Huber, Deutsche Verfassungsgeschichte VII, 1984, p. 719 sqq.
20 Sur Brüning: G. Schulz (ed.), Politik und Wirtschaft in der Krise 1930-1932, 2 tomes, 1980 ; E. Lohe, H. Brüning, 1969 ; ainsi que H. Brüning, Memoiren 1918-1934, 1970.
21 Sur Ebert et Hindenburg, H. Möller, Weimar – Die unvollendete Demokratie, 3e éd., 1990, p. 1 sqq, 57 sqq ; également en général T. Eschenburg, Die Republik von Weimar, 2e éd., 1985, p. 121 sqq ; M. Funke in : Bracher/Funke/Jacobsen, op. cit., p. 505 sqq ; S. Haffner, Von Bismarck zu Hitler, 1989, p. 201 sqq.
22 Au sujet de l’attitude de Stresemann à l’égard des exigences du DNVP, voir Huber, Deutsche Verfassungsgeschichte VII, 1984, p. 401.
23 Déclaration gouvernementale (Regierungserklärung) reproduite in : E. R. Huber, Dokumente zu deutschen Verfassungsgeschichte 4, 3e éd., 1992, p. 461 (Nr. 390).
24 Verh. des RT, T. 428, p. 6524 sqq.
25 Étude historique : J. Jekewitz, Der Grundsatz der Diskontinuität der Parlamentsarbeit im Staatsrecht der Neuzeit, 1977, p. 47 sqq ; D. C. Umbach, Parlamentsauflösung in Deutschland, 1989, p. 21 sqq.
26 Proclamation du gouvernement du Reich du 18. 7. 1930, chez Huber, Dokumente, op. cit., p. 475 (Nr. 398). Voir également la déclaration faite à la presse par le Zentrum le 11 mars 1930, avec l’accord du Président, in : Schulthess, EGK 1930, p. 67.
27 Étude approfondie chez Huber, Verfassungsgeschichte VI, op. cit., p. 811 sq. Les nationaux-socialistes y passèrent de 5 mandats à 14 mandats ; les partis bourgeois de droite ont subi d’importantes pertes (DNVP : de 8 à 5 ; DVP : de 13 à 8 ; Wirtschaftspartei : de 11 à 10). Huber résume ce résultat en écrivant : « Ni la droite ni les partis bourgeois du centre, ni la gauche socialiste n’étaient plus en mesure, après ce résultat, de constituer une majorité au Reichstag. » (p. 811).
28 Pour plus de détail, C. Gusy, Weimar - Die wehrlose Republik ? 1991, p. 36 sqq. Y sont montrées les intentions décrites ci-dessus à propos du cas particulier de la Prusse. Celle-ci devait sa relative stabilité principalement au fait qu’il n’y eut aucune élection législative au plus fort de la crise économique. Après les élections du 28 mai 1928 les électeurs n’y ont été appelés de nouveau aux urnes qu’en avril 1932. Ce ne fut pas un hasard si, en Prusse aussi, les partis d’extrême gauche et d’extrême droite ont tenté d’utiliser la voie de la consultation populaire directe pour obtenir une dissolution prématurée du Landtag en vue de déstabiliser le parlementarisme. Cf. Huber, op. cit., p. 757 sqq. Mais dans ce cas, les tentatives n’eurent aucun succès, contrairement à ce qui s’est passé au niveau du Reich.
29 Dans ses Mémoires Brüning lui-même ne parle absolument pas de ces aspects. Il n’y évoque que « la lutte décisive entre une forme de parlementarisme absurde et une démocratie saine et modérée dans laquelle le gouvernement... doit combattre les intrigues et la déraison qui avaient pris le dessus dans l’ancien Reichstag. » H. Brüning, Memoiren 1918-1934, 1970, p. 182. Manifestement, Brüning n’était pas mécontent du résultat. En octobre 1930, il se considérait comme « renforcé vis-à-vis de l’étranger » (ibid., p. 202) et il constata : « à partir de ce moment (c’est-à-dire après l’ajournement du 16 octobre 1930) le Reichstag ne s’est plus réuni contre la volonté du gouvernement. » (ibid., p. 201). Cela ne fut toutefois le cas que pour la durée de sa présence à la tête du gouvernement et était dû essentiellement au fait que le groupe parlementaire du NSDAP a boycotté toutes les séances du 10 février 1931 au 5 mai 1931 et qu’il a de nouveau quitté la séance en octobre 1931.
30 À l’époque Brüning a envisagé cette seconde hypothèse au moins momentanément. Sur ses entretiens avec Hitler, voir : Brüning, op. cit., p. 192 sqq ; Winkler, Katastrophe, op. cit., p. 220 sq. à propos de la position du Zentrum à l’égard du NSDAP en 1933, voir E. W. Böckenförde, Der deutsche Katholizismus im Jahre 1933, 1988, p. 39 sqq. Étant donné ces circonstances et compte tenu aussi de ce qu’il dit par ailleurs, le constat de H. Hürten in : M. Broszat/K. Schwabe, Die deutschen Eliten und der Weg in den 2. Weltkrieg, 1989, p. 156 : « Les catholiques allemands dans la mesure où ils suivaient les directives de leur Église ont donc été jusqu’en 1933 fermement opposés au bolchevisme et au national-socialisme », n’est sans doute pas assez nuancé, du moins en ce qui concerne le national-socialisme.
31 NotVO du 26 juillet1930, RGBl S. 311.
32 Déclaration du groupe parlementaire SPD au Reichstag, in : Jahrbuch der Deutschen Sozialdemokratie 1930, p. 21 sqq ; extraits in : Huber, Dokumente, op. cit., p. 478 (n° 402).
33 À juste titre Huber, Verfassungsgeschichte VII, op. cit., p. 783, écrit que les élections de septembre ont été « le début du déclin de la social-démocratrie ». à propos de ce déclin jusqu’en 1933, voir les détails chez E. Matthias in : E. Matthias/R. Morsey, Das Ende der Parteien 1933, Stuttgart 1960, p. 103 sqq, 112 ; id., VHfZ 1956, 250 ; T. Pirker in : Erdmann/Schulze, Weimar, op. cit., p. 323 ; Winkler, Katastrophe, op. cit., p. 584 sqq. Sur les causes, Winkler, Weimar, op. cit., p. 444 sqq (« La logique du moindre mal »).
34 Verhandlungen des RT, Bd. 444, p. 186 sqq, 202 sqq.
35 Cf. en particulier. A. Rosenberg, Entstehung und Geschichte der Weimarer Republik, 1988, p. 477 ; position assez proche de K. D. Bracher, Die Auflösung der Weimarer Republik, 5e éd., réimpr. 1984, p. 257 sqq, qui qualifie la formation du gouvernement Brüning de « première étape de la dissolution ».
36 Cf. H. Möller, Weimar, op. cit., sous-titre et p. 203 sqq.
37 à ce sujet et sur ce qui suit, cf. Gusy, Weimar, op. cit., p. 46 sqq, 50 sqq. Pour les premières années de la république, voir également A. Kurz, Die Diktatur des Reichspräsidenten, 1992.
38 La thèse, selon laquelle le dualisme entre le président et le Reichstag a été une survivance de la pratique constitutionnelle et renfermait des éléments autoritaires, a été défendue en particulier par K. Löwenstein, AöR 1949, 181 sqq ; et id., Verfassungslehre, 1959, p. 90 sqq. Dans le même sens, A. Rosenberg, Die Geschichte der Weimarer Republik (1935), in : id., Entstehung und Geschichte der Weimarer Republik, 1988, p. 474 sqq ; K. D. Bracher, Die Auflösung der Weimarer Republik, 5e éd., réimpr., 1984, p. 257 sqq, considèrent que l’utilisation des décrets-lois à partir de 1930 pour remédier à la « crise constitutionnelle », n’est plus le dernier épisode de la lutte pour protéger la constitution de Weimar, mais la première phase de la mort de la république.
39 RGBl S. 537.
40 La constitutionnalité de ces réglementations était déjà controversée à l’époque. Voir : R. Thoma, ZöR 1931, 26.
41 En premier lieu le décret-loi du 29 mars1932, RGBl II 97 ; ensuite le décret-loi du 30 juin 1932, RGBl II 153. Appréciation favorable du point de vue juridique chez C. Schmitt, Der Hüter der Verfassung, 1932, p. 122 sqq ; défavorable du même in : W DStRL 1 (1924), p. 99 ; de G. Anschütz, Die Verfassung des Deutschen Reiches, 14e éd., 1933, p. 287 ; et de R. Thoma in : G. Anschütz/R. Thoma, Handbuch des deutschen Staatsrechts II, 1932, p. 229.
42 À ce sujet, cf. K. Borchardt in : Winkler, Staatskrise, op. cit., p. 109 ; Holtfrerich ibid., p. 133 ; vue d’ensemble chez Winkler, Weimar, op. cit., p. 408 sqq. à propos des conséquences sociales, id., Katastrophe, op. cit., p. 19 sqq ; sur les modèles de rechange discutés à l’époque, ibid., p. 494 sqq. à l’époque de la Erfüllungspolitik la primauté avait été donnée à la politique extérieure et à la lutte contre les conséquences de la défaite ; à présent on donne la priorité à la politique budgétaire et à sa consolidation.
43 Formule empruntée à H. A. Winkler, Staatskrise, op. cit.
44 Sur la politique de Papen, bonne vue d’ensemble chez Th. Eschenburg, Die Republik von Weimar, 2e éd., 1985, p. 293 ; J. Bach, F. v. Papen in der Weimarer Republik, 1977. Sur le « gouvernement de combat » H. Herrfahrdt, Die Kabinettsbildung nach der WRV unter dem Einfluß der politischen Praxis, 1927, p. 58 ; id., ZfP (18) 1929, 733. La discussion autour des doctrines de Herrfahrdt en particulier : K. Rothenbücher, ZöR (7) 1928, 329 ; F. Glum, AöR (15) 1928, 442 ; R. Thoma in : G. Anschütz/R. Thoma, HBDStR I, 1930, p. 507 sqq, spéc. p. 509 ; R. Wertheimer, Der Einfluß des Reichspräsidenten auf die Gestaltung der Reichsregierung, thèse 1929, p. 116 sqq, 124 sqq ; E. Wolgast, Die Kampfregierung, 1929, p. 77 sqq ; voir également. R. Smend, Verfassung und Verfassungsrecht, 1928, 146 Fn 2.
45 Reproduit chez Huber, Dokumente, op. cit., p. 539 (Nr. 440).
46 Le terme est emprunté au titre d’un livre de W. Schotte, Der neue Staat, 1932, pour lequel Papen avait écrit une préface. Parmi les contemporains ce titre-slogan fut déjà utilisé pour qualifier les objectifs politiques de Papen.
47 Dans sa déclaration gouvernementale (op.cit., p. 541), Papen a justifié cette mesure par la phrase : « La nation aura à décider clairement et sans ambiguïté en compagnie de quelles forces elle est disposée à s’engager sur la voie de l’avenir. »
48 Vues d’ensemble chez D. Grimm in : Winkler, Staatskrise, op. cit., p. 183 ; E. Kolb/ W. Pyta ibid., p. 155 ; H. Mommsen ibid., p. 1 ; voir également G. Schulz ibid., p. 39 ; sur la discussion parmi les spécialistes de droit constitutionnel, cf. C. Gusy, ZfP 1993, n° 4.
49 H. Herrfahrdt, op. cit., p. 38, 45 sq ; id ., Die Einigung der Berufsstände als Grundlage des neuen Staates, 1919 ; id., Das Problem der berufsständischen Vertretung, 1921 ; id., Reich und Länder 1930, 9 ; de même, H. Gerber, Freiheit und Bindung der Staatsgewalt, 1932, p. 26 sq. Sur le « problème de la chambre haute », voir également E. Tartarin-Tarnheyden, ZfP (15) 1926, 97.
50 À ce sujet et en particulier sur les notions clés d’« auctoritas » et de « potestas », C. Schmitt, Verfassungslehre, Berlin 1928, p. 75 sqq ; développé chez H. Gerber, op. cit., p. 13 sqq.
51 Sur ces problèmes, voir en particulier A. Köttgen, Das deutsche Berufsbeamtentum und die parlamentarische Demokratie, Berlin 1929, p. 57 sqq.
52 Cf par exemple O. Koellreutter, Reichstagswahlen und Staatslehre, 1930, p. 16 sqq.
53 à propos de « l’intégration organique de l’individu » dans l’État, cf. G. A. Walz, Vom Wesen des öffentlichen Rechts, 1928, p. 54. Dans le nouvel « État démocratique sain », les droits fondamentaux ne doivent pas avoir un caractère « négatif, défensif », mais seulement un caractère « positif et constructif » ; cette définition est de E. R. Huber, AöR 1933, 7 sq, qui ajoute : « Le status negativus est alors relativisé par le status activus et remplacé par celui-ci dans ses rapports essentiels. »
54 Sur ce point Gusy, Parteienstaat, op. cit., p. 92 sqq.
55 C’est le plan poursuivi – en tout cas selon T. Eschenburg, Die Republik von Weimar, 2e éd., München 1985, p. 305 – par Papen en 1932 dans son célèbre discours devant le Herrenclub à Berlin.
56 Différents stades de la préparation de ce plan sont analysés par E. R. Huber in : H. Quaritsch (ed.), Complexio oppositorum, Berlin 1988, p. 33 sqq ; H. Worm, DSt 1988, 75 sqq ; T. Eschenburg, op. cit., p. 166 sqq ; Winkler, Katastrophe, op. cit., p. 707 sqq, 835 sqq.
57 C. Schmitt, WDStRL 1, 95 ; E. Jacobi, ibid., p. 118 ; R. Thoma, Archiv f. Sozialwiss. 1925, 212.
58 C. Schmitt, op. cit., p. 303 sqq ; id., Die geistesgeschichtliche Lage des deutschen Parlamentarismus, 1932, p. 30 sqq. Schmitt, qui a été mêlé à titre de conseiller aux plans de la Reichswehr, a en tout cas modifié ses positions de principe, sans préciser quelles seraient les conséquences de sa nouvelle doctrine sur les rapports entre président du Reich et Reichstag dans le cas d’une dictature. Sur ce point le plan, malgré son apparente proximité par rapport à la constitution de Weimar, n’était pas conforme à celle-ci. Cf. également F. Glum, DJZ 1930, 1413, 1417 sqq.
59 J. Heckel, AöR (61) 1932, 257, 310 sqq.
60 On se rend compte à quel point la situation semblait être sans issue aux yeux des contemporains, en lisant le commentaire très élogieux des propositions de Heckel par E. Fraenkel, Justiz (8) 1932/33, p. 139.
61 O. Kirchheimer (1930) in : id., Von der Weimarer Republik zum Faschismus : Die Auflösung der demokratischen Rechtsordnung, Frankfurt 1976, p. 91, 95. On trouve également des diagnostics de la crise chez G. Decker, Die Gesellschaft 1930 II, p. 193 ; M. Cohn, Sozialistische Monatshefte 1932 II, p. 744 sqq ; C. Mierendorff, ibid., p. 738 sqq ; voir aussi H. Simons, ibid., p. 911 sqq ; 1933, 90 sqq ; O. Kirchheimer, Die Gesellschaft 1932, 415 sqq. Compte rendu des discussions constitutionnelles de la social-démocratie chez Winkler, Katastrophe, op. cit., p. 802 sqq.
62 C’était un thème qui revenait sans cesse dans les écrits de H. Heller in : id., Gesammelte Schriften II, 2. A., 1992, p.ex. p. 421 sqq, 435 sqq, 611 sqq, 625 sqq, 645 sqq. De même E. Fraenkel, Justiz (7) 1931/32, 275 sqq, 417 sqq ; (8) 1932/33, 53 sqq ; id. (1932) in : Zur Soziologie der Klassenjustiz, 1968, p. 57 sqq, 73 sqq, 89 sqq ; G. Decker, Die Gesellschaft 1932, 377 sqq.
63 Kirchheimer (1930), op. cit., p. 112.
64 Par exemple H. Sinzheimer, Justiz (6) 1930/31, p. 56 sqq. ; Kirchheimer (1930), op. cit., p. 100 ; approfondi par H. Heller, op. cit., p. 421 sqq.
65 R. Thoma, Handbuch des Deutschen Staatsrechts I, 1930, p. 195.
66 E. Fraenkel, Die Gesellschaft 1932 II, p. 486, 493 sq. De même H. Simons, Neue Blätter für den Sozialismus 1932 II, p. 586 : Il visait une restriction du droit du Reichstag de renverser le gouvernement. Ceci ne serait permis qu’une fois par an, lors de la discussion du budget.
67 Kirchheimer (1930), op. cit., p. 112. (contre). E. Schiffer, Sturm über Deutschland, Berlin 1932, p. 259. (pour).
68 Présenté par Huber, Verfassungsgeschichte VII, op. cit., p. 1008.
69 Le lendemain de son entrée en fonction, Papen se retira du Zentrum et continua en tant que chancelier « sans parti » : Huber, op. cit., p. 982.
70 Interdiction des SA du 13 avril 1932, RGBl p. 175 ; Levée par le 1er et le 2e décret-loi contre la terreur politique des 14 et 28 juin 1932, RGBl p. 297/339. En contrepartie, Hitler avait promis de « tolérer » le cabinet jusqu’aux élections : Huber, op. cit., p. 987. À propos de la politique des « gages », cf. Bracher, Auflösung, op. cit., p. 479 sqq. ; Jasper, op. cit., p.88 sqq.
71 Ordonnance du président du Reich du 4 juin 1932, RGBl p. 255.
72 À propos des plans pour constituer un gouvernement de coalition avec les nationaux-socialistes, mais sans Papen, cf. Winkler, Katastrophe, op. cit., p. 721 sqq ; Huber, Verfassungsgeschichte VII, op. cit., p. 1090 sqq.
73 Papen, « Déclaration gouvernementale », op. cit.
74 Décret-loi du président du Reich, du 12. 9. 1932, RGBl S. 441.
75 Bonne description chez Winkler, Weimar, op. cit., p. 375 ; « Die Ausschaltung der Massen ».
76 Cf Winkler, Katastrophe, op. cit., p. 391 sqq, 639 sqq, 698 sqq ; Gusy, Weimar, op. cit., p. 191 sqq.
77 Décret-loi du 9/ 8/1932, RGBl, p. 403 ; sur le texte Gusy, op. cit., p. 205 sqq., 211 sqq. Les cas les plus célèbres furent les meurtriers de Potempa.
78 Détails de Gusy, op. cit., p. 298 sqq.
79 En fin de compte on constate ici, comme déjà lors du gouvernement du chancelier Papen, que celui-ci ne proposait pas une alternative au national-socialisme, mais un chemin menant au national-socialisme. D. Grimm in : Winkler, Staatskrise, op. cit., p. 200 sq. ne partage pas cette opinion.
80 à propos du débat sur ces raisons, G. Schulze in : Erdmann/Schulze, op. cit., p. 23, 37 sqq., qui identifia 115 (!) facteurs expliquant la faillite de la République de Weimar.
81 Conception sans doute développée pour la première fois par O. Koellreuter, Festgabe f. R. Schmidt, 1932, p. 11 sqq., 114 sq..
82 C’est le résultat de l’étude de Gusy, Weimar, op. cit., p. 367 sq.
83 Développé par, K. Ruffler, Vom Münchner Landfriedensbruch zum Potempamord : Der Legalitätskurs der NSDAP, thèse Mayence 1994.
Auteurs
-
Christoph Gusy
Professeur à l’Université de Bielefeld.
- Hacquemand (trad.)
- Alexandre Challein (trad.)
- Valérie Robert (trad.)
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