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Le couple franco-allemand en Europe

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Henri Ménudier

Avant-propos

D’un anniversaire à l’autre

Henri Ménudier

Texte intégral

1Les anniversaires constituent des points de repère très utiles pour la mémoire, ils incitent à dresser des bilans, à faire un état des lieux et à réfléchir à l’avenir. Aucun pays ne peut se souvenir à intervalles réguliers des nombreux traités internationaux qui ont été conclus en son nom. Il est assez inhabituel de se pencher tous les cinq ou dix ans sur un traité comme celui sur la coopération franco-allemande, signé à l’Élysée le 22 janvier 1963 par le Général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Cette attention particulière, qui ne relève ni du fétichisme, ni de la routine, s’explique sans doute par l’ampleur prise par la coopération entre la France et l’Allemagne depuis cette date.

2Cadre important mais non exclusif de la coopération bilatérale, le Traité de l’Élysée a suscité jusqu’à la fin de l’année 1992 pas moins de 60 rencontres au Sommet entre les chefs d’État et de gouvernement, accompagnés chaque fois par un nombre imposant de ministres et de hauts fonctionnaires. Le décompte des rencontres informelles entre les chefs d’État et de gouvernement est plus difficile à tenir ; les séances de travail et les échanges de vue entre Français et Allemands font désormais partie de la vie quotidienne des responsables politiques et administratifs des ministères. Les parlementaires – ou au moins une partie d’entre eux – s’impli­quent dans ce vaste processus de coopération auquel participent aussi les groupes de pression (presse, syndicats, églises, groupes économiques), les entreprises, les villes, les communes et même les régions, les établissements scolaires et universi­taires, les associations les plus diverses et, à travers tous ces relais, une partie non négligeable des citoyens des deux pays.

3Plus que tout autre traité bilatéral, le Traité de l’Élysée est ainsi devenu une sorte de fil rouge, une référence obligatoire, non seulement pour les relations franco-allemandes mais aussi pour l’édification de l’Europe communautaire. Chaque anniversaire permet de se pencher sur les progrès de l’interdépendance franco-allemande en Europe. N’oublions pas que le Traité a été signé quelques jours seulement après le premier veto du Général de Gaulle contre l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté économique européenne. Les députés du Bundestag manifestèrent leur désapprobation en ajoutant un préambule qui énonçait des objectifs contraires à ceux du Général.

4Cinq ans plus tard, lors du Sommet franco-allemand des 15 et 16 février 1968, les deux gouvernements réaffirmaient une fois de plus leur volonté de poursuivre la construction de l’Europe communautaire. Mais les événements du printemps 1968, la crise monétaire, le refus du Général de Gaulle, fin novembre, de dévaluer le franc et la volonté française de développer la coopération avec Londres pour contrebalancer le poids économique grandissant de la République fédérale en Europe montrent que la coopération franco-allemande rencontrait encore de nombreuses difficultés. Il est même surprenant que le Traité ait survécu aux tensions des années où Ludwig Erhard fut Chancelier fédéral (1963-1966).

5Le 10e anniversaire n’a pas laissé des souvenirs inoubliables. Mais il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici que la Conférence au Sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté, organisée à Paris les 19 et 20 octobre 1972, avait arrêté les premières mesures en vue d’une union économique et monétaire qui devait être réalisée au plus tard le 31 décembre 1980. Deviendra-t-elle une réalité avant l’an 2000 ? Le 21 décembre, la République fédérale d’Allemagne et la RDA signaient le Traité sur les bases de leurs relations, la France reconnaissait la RDA en février 1973. « Nous ne serons ni les premiers, ni les derniers » avait dit le Président Georges Pompidou qui craignait que l’Allemagne fédérale s’émancipe un peu trop grâce à l’Ostpolitik. La crise du dollar en février fait naître le serpent monétaire mais le doublement des prix du pétrole à la fin de l’année précipite l’Europe dans la crise. Une fois encore, les divergences entre Paris et Bonn sont considérables.

6L’année du 15e anniversaire du Traité de l’Élysée est surtout marquée par les efforts du Président Valéry Giscard d’Estaing et du Chancelier Helmut Schmidt qui créent le Système Monétaire Européen au Sommet européen de Brême, les 6 et 7 juillet 1978. Les préparatifs pour les premières élections directes du Parlement européen suscitent des controverses franco-allemandes car Helmut Schmidt s’est prononcé pour des pouvoirs accrus en faveur de celui-ci. De son lit d’hôpital, Jacques Chirac lance un appel contre « le parti de l’étranger » et l’antigermanisme connaît de beaux jours en France.

7Pour le 20e anniversaire du Traité de l’Élysée, on ne peut manquer d’évoquer le célèbre discours du Président François Mitterrand au Bundestag, le 20 janvier 1983, dans lequel il apporte son soutien au nouveau Chancelier Helmut Kohl, aux prises avec les pacifistes dans la grave querelle des euromissiles. Désireux d’éviter le découplage du continent européen par rapport aux États-Unis d’Amérique, et favorable à la solidarité des États de l’Alliance atlantique, le Président français plaidait pour l’équilibre des forces comme base indispensable à la paix et à la détente en Europe. à quelques semaines des élections fédérales fixées début mars, le président du SPD, Willy Brandt, n’apprécia pas du tout l’intervention de son ancien collègue de l’Internationale socialiste. En mars, les divergences écono­miques entre la France et l’Allemagne fédérale, la dévaluation du Franc et la réévaluation du Deutsche Mark au sein du SME provoquèrent de sévères affronte­ments entre Paris et Bonn. Le ministre français de l’Économie, Jacques Delors dénonçait publiquement « l’égoïsme » des Allemands et menaçait de quitter le SME. Quelques jours plus tard, le gouvernement français annonça un changement de cap pour sa politique économique et le Sommet européen de Stuttgart (17‑19 juin) décida une nouvelle relance pour la Communauté européenne. Le couple franco-allemand jouait une fois encore un rôle moteur sur le plan commu­nautaire.

8Du 7 au 9 janvier 1988, Erich Honecker, chef d’État de la RDA et secrétaire général du SED (le parti communiste) est reçu en visite officielle à Paris (il s’est rendu quelques mois plus tôt à Bonn). Ses hôtes l’accueillent avec tous les hon­neurs dus à son rang mais lui rappellent clairement qu’ils ont une autre conception des droits de l’Homme que celle qui est pratiquée en RDA. La RDA n’existe plus depuis le 3 octobre 1990 et Erich Honecker est en prison à Berlin où, atteint d’un cancer, il doit répondre de certains des forfaits de son ancien État devant la justice de l’Allemagne unie. Personne ne pouvait prévoir de tels développements en janvier 1988.

9Le 25e anniversaire du Traité de l’Élysée s’accompagne de toute une série de décisions destinées à renforcer la coopération franco-allemande. Ainsi sont créés :

  • le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité,

  • la brigade franco-allemande,

  • le Conseil franco-allemand économique et financier,

  • le Haut Conseil culturel,

  • le Collège franco-allemand pour l’enseignement supérieur,

  • le Prix de Gaulle – Adenauer.

10Une déclaration commune des deux États énonce ce qui est en fait un des prin­cipes de base de la politique extérieure française et allemande depuis le 9 mai 1950, confirmé par le Traité de l’Élysée en 1963 :

« La commémoration du 25e anniversaire du Traité de l’Élysée permet aux deux pays de réaffirmer leur communauté de destin et de renforcer leur coopération au service de la construction européenne et de la paix ».

11La France et l’Allemagne veulent accélérer l’intégration communautaire ; en février 1988 le Conseil européen extraordinaire de Bruxelles s’accorde sur le pro­gramme de la Commission « Réussir l’Acte unique » et ouvre la voie au marché intérieur de 1992.

Le 30e anniversaire du Traité de l’Élysée ne peut pas passer inaperçu car l’unité allemande, les graves difficultés internes auxquelles la France et l’Allemagne sont confrontées, l’entrée en vigueur du grand marché intérieur le 1er janvier 1993, l’avenir incertain du Traité de Maastricht et des procédures d’élargissement de la Communauté, les tensions au sein du SME, les controverses à propos du GATT, les dangers qui menacent l’ancienne URSS et les nouvelles orientations de l’adminis­tration de Bill Clinton ne manquent pas d’affecter la coopération franco-allemande. Le jour où débute à Bonn le 60e Sommet franco-allemand, Jean François-Poncet écrit dans l’éditorial du Figaro (3.12.1992) :

« Jamais l’Europe n’a eu autant besoin de l’entente franco-allemande ».

12Il poursuit par cette phrase significative :

« C’est à la France et à l’Allemagne qu’il appartient de proposer à leurs partenaires, qui l’attendent, la stratégie de la survie dont la Communauté ne peut plus se passer ».

13La concertation franco-allemande était effectivement indispensable à la veille du Conseil européen d’Édimbourg, les 11 et 12 décembre.

14Les problèmes de la Communauté européenne ont toujours été au cœur des relations franco-allemandes, comme le montre Pierre Gerbet dans sa substantielle contribution. Le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer l’ont rappelé aussi dans la déclaration commune du Traité de l’Élysée selon laquelle le

« renforcement de la coopération entre les deux pays constitue une étape indispensable sur la voie de l’Europe unie qui est le but des deux peuples ».

*

15Le couple franco-allemand en Europe est un livre collectif sur les liens très étroits qui ont toujours existé entre l’Allemagne, la France et l’Europe (ce que l’historien Georges-Henri Soutou fait clairement ressortir pour la période avant et après 1945) et plus particulièrement entre la coopération franco-allemande et l’Europe communautaire. Plusieurs auteurs dressent un bilan différencié des domaines de la coopération prévus dans le Traité de 1963 et des développements dans les autres secteurs qui n’avaient pas été envisagés au départ.

16Malgré tous les dispositifs pour faire coopérer la France et l’Allemagne, il convient de s’interroger sur ce qui rapproche et ce qui éloigne encore les deux pays, l’accent étant mis sur les données socio-économiques et culturelles et sur un aspect particulier de la politique extérieure, la crise yougoslave. Le travail de rapprochement réalisé dès 1945 par des personnes et des organismes privés a fortement contribué à changer l’esprit des relations franco-allemandes, aussi quelques contributions attirent-elles l’attention sur le rôle des acteurs et des média­teurs ; la coopération ne se réduit pas seulement à l’activité des deux gouverne­ments. Il est frappant de constater que les principaux responsables politiques des deux pays, quelle que soit leur appartenance politique, se montrent très favorables, à quelques nuances près, à une coopération franco-allemande au service de l’Europe – même si certaines tendances doivent être corrigées comme le relève Daniel Vernet dans sa préface.

17En expliquant les acquis et les difficultés du passé, en explorant les voies de l’avenir, ces études originales et ces documents aideront à réfléchir sur la meilleure façon de relever les défis des prochaines années afin que le couple franco-allemand reste ce qu’il a toujours été depuis 1950 – le moteur de l’Europe communautaire. Le message de ce livre est clair : la France et l’Allemagne ont plus que jamais une responsabilité de premier plan à assumer dans la construction de l’Europe. Malgré des différences sensibles, les deux pays ont des intérêts convergents ; leurs écono­mies sont fortement intégrées, leurs conceptions socioculturelles sont assez proches et ils partagent une vision commune de l’avenir de l’Europe communautaire. La co-responsabilité franco-allemande à l’égard de l’Europe dans son ensemble est la grande tâche qui nous attend dans la perspective de l’an 2000.

Auteur

Professeur des Universités (Paris III, Institut d’Allemand d’Asnières), Henri Ménudier est chercheur-associé au Centre d’Études et de Recherches Internationales (Fondation Natio­nale des Sciences Politiques) et directeur de séminaire à l’école Nationale d’Administration (Formation permanente).
Auteur de plusieurs livres sur l’Allemagne et les relations franco-allemandes, il a fait paraître, sous sa direction, trois livres collectifs en 1990 : La République fédérale d’Alle­magne dans les relations internationales. En l’honneur d’Alfred Grosser, Bruxelles, éditions Complexe, l990, 362 p.; L’Allemagne occupée 1945-1949, idem, l990, 362 p.; La RDA 1949-1990. Du stalinisme à la liberté, Asnières, Institut d’Allemand, 1990, 280 p.
Autres livres récents : Les deux Allemagnes, 1984-1989 (avec Sigolène Brisou, Tatjana Globokar, Valérie Lainé), Paris, La Documentation française, l990, 276 p.; L’Allemagne. De la division à l’unité, sous la dir. d’Henri Ménudier, Asnières, Institut d’Allemand, 1991, 300 pages.

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