Le concert européen
p. 66
Texte intégral
1Nous avons peut-être un modèle, une sorte d’ancêtre d’une structure politique européenne dans ce qui a fonctionné au xviiie siècle et encore assez tard au xixe sous le nom de « concert européen », c’est-à-dire l’idée que les États, ou tout au moins les plus importants d’entre eux, avaient une sorte de responsabilité collective les uns envers les autres pour le maintien du système et que, ensemble, ils s’étaient toujours en fin de compte mobilisés pour empêcher que l’un d’entre eux ne le fasse voler en éclats. C’est ce qui s’est passé aussi bien à la fin du règne de Louis XIV et à la fin de la tentative de Napoléon que pour sanctionner en quelque sorte l’irruption de la Prusse dans le système. Cela a duré même encore au-delà de la création de l’unité allemande et italienne, à peu près jusqu’au congrès de Berlin41. Encore à ce moment là, l’intervention de Bismarck pour empêcher une guerre générale en Europe autour des dépouilles de l’Empire turc montrait cette sorte de responsabilité assez terre à terre, qui sans doute, pendant deux siècles, n’a pas empêché les guerres, mais qui a réussi à maintenir une sorte d’équilibre entre les puissances européennes. La manière dont cet équilibre se reconstituait après chaque crise, aussi bien à la fin de la guerre de Trente Ans qu’à la fin des aventures de la Révolution et de l’Empire, est très remarquable. Mais il a toujours eu, en quelque sorte comme corollaire, la multiplicité des Allemagnes, des structures politiques allemandes. Le problème devant lequel nous nous trouvons placés aujourd’hui : imaginer une Europe qui d’abord ne comprenne que des puissances de même poids ou à peu près, comme c’était d’ailleurs le cas à l’époque où la Russie n’était encore qu’une puissance parmi les autres et fasse coïncider une structure d’équilibre européen avec le besoin légitime de la nation allemande de vivre ensemble. N’est-ce pas à travers des structures confédérales plus formelles que celles qui avaient été élaborées du temps du «concert européen» que cette contradiction peut être résolue ? C’est en tout cas un des problèmes que nous aurons à résoudre.
Notes de bas de page
41 Convoqué par Bismarck en 1876 pour régler les problèmes nés des écrasantes victoires des Russes sur la Turquie.
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