L’entrepreneur britannique et son environnement institutionnel : le cas du Cambridge phenomenon
p. 153-164
Résumés
This article examines the interaction between entrepreneurship and public institutions in Britain, focusing on the specific example of the development of the high-technology sector in Cambridgeshire. It lays a particular emphasis on the articulation between local planning policies and the development strategies contemplated by the Cambridge university research laboratories and the private enterprises involved in high technology.
Cet article étudie l’interaction entre l’entrepreneuriat et les institutions publiques en Grande-Bretagne, en s’appuyant sur l’exemple spécifique du développement de la technologie de pointe dans le Cambridgeshire. L’étude s’appesantit tout particulièrement sur l’articulation entre les politiques de planification locales et les stratégies de développement envisagées par les laboratoires de recherche de l’université de Cambridge et les entreprises privées impliquées dans les technologies de pointe.
Texte intégral
1 Le travail proposé ici se situe dans le cadre de l’étude des liens qui existent entre les acteurs privés de la vie économique au Royaume-Uni que sont les entreprises et les entrepreneurs, et leur environnement institutionnel.
2En premier lieu, une définition des termes et des acteurs s’impose. Le terme « institution », tout d’abord, est entendu ici comme l’ensemble des formes et des structures sociales telles quelles sont établies par la loi ou la coutume. Plutôt que le substantif, c’est en fait le verbe « instituer » qui renvoie à l’action d’« établir d’une manière durable ». On peut donc considérer les institutions comme des structures qui, à un moment donné, ont été créatrices, ou ont inscrit une innovation dans la pérennité. Quant à l’entrepreneur, si l’on reprend la définition schumpéterienne rappelée par Marie-Claude Esposito, il s’inscrit également dans une dynamique de création et d’instauration : « Cependant, à nos yeux, quelqu’un n’est, en principe, entrepreneur que s’il exécute de nouvelles combinaisons – aussi perd-il ce caractère s’il continue ensuite d’exploiter selon un circuit l’entreprise créée » (Esposito, 2003 : 22).
3La pérennité à laquelle aspirent tant les institutions que les entreprises et les entrepreneurs est, toutefois, exempte de statisme : il y a dans les deux cas – celui de l’entrepreneur et celui de l’institution – un désir d’adaptation, d’amélioration. Mais les efforts peuvent s’exercer dans des directions contradictoires en raison d’objectifs différents ou même opposés : le profit par rapport à la structuration, la destruction de l’équilibre existant – qui, pour Schumpeter encore, caractérise l’entrepreneur – par rapport à la consolidation, le risque opposé à la sécurité, l’intérêt particulier en contradiction avec l’intérêt général. Il importe donc d’analyser dans quelle mesure ces dynamismes – celui des institutions et celui de l’entreprise – divergent ou convergent, s’opposent ou s’allient, contribuant ainsi à favoriser ou au contraire à freiner l’élan créateur. En particulier, il s’agit d’examiner, à partir d’un exemple précis, dans quelle mesure l’environnement institutionnel constitue un moteur ou un frein à la dynamique entrepreneuriale.
4Pour vérifier cette interférence dans le contexte britannique, il fallait choisir d’examiner un secteur d’entreprises dynamique, afin, justement, de tester l’impact négatif ou positif de l’environnement institutionnel sur l’impulsion donnée par un secteur entrepreneurial en plein développement dans une région bien précise. Dans les années 1990 en particulier, la Grande-Bretagne a su valoriser ce que Colin Crouch, auteur d’un article publié dans Critique internationale, qualifie de « secteurs consommateurs de connaissances » et « d’une position forte dans les secteurs industriels à base scientifique » (Crouch, 2000). Le secteur de la haute technologie semblait donc particulièrement propice au processus d’examen précédemment cité. Quant au choix de la région de Cambridge (alors que d’autres réseaux concentrés1 d’entreprises de haute technologie se sont également développés au pays de Galles ou en Écosse), il fut essentiellement motivé par la longévité du phénomène, plus ancien et plus ample dans le Cambridgeshire que dans les autres régions citées, mais aussi par l’ambiguïté soulignée dans le titre d’un article paru dans The Economist le 14 avril 2001, en pleine déroute de la nouvelle économie : « Ce n’est pas l’effondrement de la nouvelle économie qui fait beaucoup de tort au réseau d’entreprises de haute technologie de Cambridge, mais c’est la planification locale »2 (Economist, 2001).
5C’est ainsi qu'après avoir étudié les modalités de l’expansion du secteur de la haute technologie dans la région de Cambridge et vérifié la correspondance de ce développement avec le concept d’entrepreneuriat, nous examinerons l’interaction entre l’activité entrepreneuriale et le cadre institutionnel local, afin d’analyser dans quelle mesure ce dernier a pu constituer un moteur ou un frein pour les entreprises locales.
1. Le développement de la haute technologie : l’histoire d’une aventure entrepreneuriale ?
6Afin de répondre à cette question, nous examinerons tout d’abord les circonstances du développement du secteur de la haute technologie dans le Cambridgeshire, puis analyserons dans quelle mesure cette expansion peut effectivement être assimilée à celle de l’entrepreneur.
1.1. Le développement de la haute technologie dans le Cambridgeshire
7Le Cambridge Science Park fut le premier parc scientifique créé dans la région de Cambridge. Il est situé dans la banlieue nord-est de Cambridge et s’est développé sur un terrain qui est la propriété de Trinity College depuis sa fondation par le roi Henri VIII en 1546. Terre agricole jusqu’à la seconde guerre mondiale, puis laissé à l’abandon, le terrain ne fit enfin l’objet d’un réel plan de développement qu’en 1970.
8Ce projet vit le jour en réponse à une incitation du gouvernement travailliste en place à la suite des élections de 1964. Ce gouvernement avait en effet décidé d’inciter les universités britanniques, en particulier scientifiques, à développer leurs liens avec le secteur industriel. L’objectif était à la fois de faciliter le transfert de technologie et d’améliorer le rendement des investissements en recherche fondamentale. L’université de Cambridge mit donc sur pied un comité spécial, sous la présidence de Sir Nevill Mott, alors professeur de physique expérimentale. Le comité Mott publia un rapport en 19693, recommandant l’extension de l’industrie fondée sur la recherche scientifique autour de Cambridge, pour tirer le meilleur parti possible de l’expertise scientifique concentrée dans les laboratoires de recherche de l’université et pour augmenter le retour du secteur industriel vers la communauté scientifique de Cambridge. L’université de Cambridge demanda un permis d’aménagement4 sur le terrain évoqué précédemment, alors en friche, pour fonder le premier parc scientifique5 britannique, à l’image des parcs scientifiques américains développés dans les années 1960 à la suite de celui de Stanford aux États-Unis.
9Le permis d’aménagement fut accordé en octobre 1971 et la première entreprise, Laser-Scan, s’installa sur le site à l’automne 1973. Le parc scientifique se développa relativement lentement pendant les cinq premières années de son existence. Ce concept nouveau en Grande-Bretagne n’attirait pas particulièrement les entreprises, malgré l’avantage présenté par la proximité d’une expertise scientifique universitaire. Les entreprises qui s’installèrent furent essentiellement des filiales d’entreprises multinationales. À la fin des années 1970, le parc comptait vingt-cinq entreprises. Mais le phénomène allait s’accélérer dans les années 1980, avec une organisation en réseau de plus en plus marquée. Les entreprises nouvellement installées n’étaient plus seulement les filiales d’entreprises plus importantes, mais des sociétés à part entière. Peu à peu une infrastructure de services conjoints, comme des logements, des services de restauration ou des installations sportives, fut mise en place, offrant une source non négligeable de nouveaux emplois de services. C’est également au cours de cette décennie que de nombreuses sociétés de capital risque ouvrirent des bureaux dans l’enceinte du parc scientifique, comme, par exemple, la société 31, une société de capital risque britannique de premier rang. S’installèrent aussi des filiales de sociétés immobilières, comme Cambridge Consultants. Enfin, au fur et à mesure que se multipliaient les entreprises, le nombre de coopérations sous forme de partenariats augmenta également.
10À la suite de cette première initiative, les parcs scientifiques allaient se multiplier : St John's Innovation Park, à proximité du Cambridge Science Park de Trinity et rattaché au collège St John, Granta, le Wellcome Trust Genome Campus et d’autres encore. À l’heure actuelle, la région de Cambridge compte quelques 1 200 entreprises qui emploient environ 35 000 personnes. Le Cambridge Science Park, plus précisément, compte 64 entreprises offrant 4 000 emplois. Les activités du domaine de la biotechnologie occupent désormais une place prépondérante, mais les entreprises spécialisées dans l’Internet et les télécommunications ne sont pas en reste (voir tableau 1).
Tableau 1 – Nombre d’entreprises de haute technologie dans les districts du Cambridgeshire, fin 1999

Source : d’après Cambridgeshire City Council Research Group, 2000.
11Parallèlement, si la nature des entreprises actuellement installées n’a pas changé – mélange de filiales de sociétés de la région de Cambridge désireuses de développer de nouvelles activités et de filiales de multinationales – ces sociétés ont cependant tendance à être plus importantes et financièrement plus solides que celles des années 1980. Une plus forte proportion d’entre elles est cotée en bourse. Des extensions sont par ailleurs prévues pour accueillir les nouvelles demandes.
1.2. Le développement des parcs scientifiques du Cambridgeshire et la démarche entrepreneuriale
12La première difficulté consiste évidemment à identifier qui, dans cette aventure, mérite vraiment le nom d’entrepreneur, car cette vérification terminologique conditionne en effet l’étude précédemment proposée de la conjugaison des dynamismes de l’entrepreneur et de son environnement institutionnel : est-ce l’université de Cambridge, et plus particulièrement Trinity College, pour avoir été à l’origine du développement et continuer d’en apporter la base scientifique ? Ou bien les entreprises de haute technologie qui se sont installées dans la région ? Ou bien encore leurs bailleurs de fonds le cas échéant ?
13Si l’on se réfère au concept schumpetérien du terme « entrepreneur », c’est-à-dire celui qui « exécute de nouvelles combinaisons », l’initiative du Cambridge Science Park, lancée par l’université de Cambridge, a bien été conforme à la démarche entrepreneuriale. Rappelons en effet, comme l’a également indiqué Marie-Claude Esposito dans le premier chapitre de L’entrepreneur et la dynamique économique, que, pour Schumpeter, l’innovation, qui est à la base de ces nouvelles combinaisons, « peut prendre cinq formes : la fabrication d’un bien nouveau, l’introduction d’une nouvelle méthode de production, l’ouverture d’un débouché nouveau, la conquête d’une source nouvelle de matières premières » ou encore « la réalisation d’une nouvelle organisation » (Esposito, 2003 : 21). Dans le cas de la région de Cambridge, nous sommes bien dans le cadre de la cinquième et dernière option, celle de la mise en place d’une nouvelle organisation de l’exploitation du savoir et de sa valorisation à des fins économiques, une responsabilité partagée, d’une certaine manière, entre l’université de Cambridge et les entreprises.
14Dans son ouvrage The Cambridge Phenomenon : the Growth of High Technology Industry in a University Town, paru en 1985, l’auteur, Mark Segal, relevait en effet que le démarrage du développement du parc scientifique de Cambridge avait reposé sur trois éléments essentiels : « l’éthique de confiance en soi de l’université de Cambridge pour inspirer les start-ups ; la capacité à retenir les droits de propriété intellectuelle pour permettre aux universitaires d’exploiter leurs idées en coopération avec les nouvelles entreprises ; la fourniture d’équipement à coût réduit à des petites entreprises déjà installées »6.
15Or il y a bien eu, et il y a encore, dans le cas de ce que l’on appelle aussi Silicon Fen, en rappel de Silicon Valley, introduction d’inventions dans l’activité économique. Cependant, l’auteur de The Cambridge Phenomenon insiste aussi sur le fait que les efforts des entreprises installées dans le parc ont plus porté sur les innovations brevetables, c’est-à-dire sur la recherche, le design et le développement, que sur la production.
16Si à la définition schumpéterienne, l’on préfère cependant la définition de l’entrepreneur donnée par Jean-Baptiste Say, c’est-à-dire celle de « l’application des connaissances acquises aux besoins des hommes, en y comprenant le rassemblement des moyens d’exécution et la direction de l’exécution elle-même » (Say, 1821 : 324)7, il est indéniable que le développement de la haute technologie dans la région de Cambridge relève bien également de la démarche entrepreneuriale.
17Enfin la controverse qui, par ailleurs, oppose les économistes sur l’inclusion ou non de la notion d’assomption du risque, financier en particulier, dans la définition de l’entrepreneur, n’est pas vraiment significative dans l’évaluation de la démarche entrepreneuriale de Silicon Fen. En effet, dans les premières années, les besoins de financement ne constituèrent pas un obstacle au développement des petites entreprises de haute technologie qui s’installèrent autour de Cambridge. Le bureau local de la Barclay’s procura l’essentiel des capitaux requis, sous forme essentiellement de découverts, de prêts à court terme et d’activités de conseil. Une petite proportion de capital risque vint financer la deuxième vague des créations d’entreprises, puis les vagues suivantes. Un programme de garantie des prêts bancaires par le gouvernement central fut également utilisé par 50 % des entreprises qui s’installèrent ou démarrèrent leurs activités après 1981. À l’heure actuelle, seules 5 % des start-ups s’appuient sur du capital risque. La plupart des entreprises ont tendance à se séparer de titres plutôt qu’à faire appel à du capital risque pour faire face à leurs besoins de trésorerie. Cependant les craintes en matière de financement freinent la croissance. Selon un article paru dans The Economist le 14 avril 2001, il s’agit non pas de prudence ou de bonne gestion mais plutôt d’un manque d’ambition : « Trop de start-ups n’ont pas l’ambition de s’agrandir »8 (Economist, 2001).
18Cependant peut-être faut-il aussi chercher ailleurs que dans les aspects financiers les moteurs et les freins à l’ambition des entreprises de Silicon Fen. L’auteur de l’article de The Economist précédemment cité, tout en reconnaissant que Silicon Fen a la capacité de favoriser la création de petites entreprises intelligentes et de « fournir l’impulsion intellectuelle pour des entreprises beaucoup plus importantes »9, vilipende le fait que Cambridge soit encore « de coeur, une tranquille petite ville commerçant »10, concluant que « Silicon Fen n’est pas Silicon Valley et, au fond, ne veut probablement pas le devenir »11 (Economist, 2001). Il convient donc maintenant d’examiner l’environnement institutionnel du Cambridgeshire et son potentiel de synergie ou d’inertie sur le développement du secteur de la haute technologie à Silicon Fen.
2. Silicon Fen et son environnement institutionnel
19La tradition britannique de libéralisme et de laisser-faire n’a en effet pas empêché les institutions de peser sur les initiatives entrepreneuriales, ou de les entourer, selon le point de vue que l’on en a. La question du rôle des institutions (et plus particulièrement de l’État) vis-à-vis de la libre entreprise continue d’être au cœur des débats sur l’économie britannique, que ce soit lors des débats budgétaires ou de la parution de livres blancs sur la compétitivité12. Dans un article paru dans le numéro de septembre 1997 de la revue The Economic Journal, Christine Oughton soulignait que la question fondamentale demeurait en effet « le rôle, s’il en est un, de la politique industrielle dans l’amélioration des performances économiques »13 (Oughton, 1997 : 1487) et que si les années 1980 avaient été caractérisées par le retrait du soutien gouvernemental et la privatisation, la politique économique des années 1990 avait été, au contraire, « recentrée autour de mesures horizontales dont le but était de fournir les conditions de base nécessaires pour catalyser et faciliter la croissance dans un contexte de résorption des barrières douanières et de compétition croissante »14 (Oughton, 1997 : 1487).
20Comme toutes les entreprises britanniques, celles de Silicon Fen ont donc dû se mouvoir entre la liberté d’entreprendre, traditionnellement chère aux Britanniques, et un cadre institutionnel tour à tour incitatif et contraignant.
21Pour cibler efficacement notre analyse, nous nous limiterons ici à l’étude de ce qui touche à la politique régionale du Cambridgeshire, et non aux politiques nationales relatives à la vie des entreprises. De plus nous nous restreindrons à l’étude de la politique de planification, laissant de côté les politiques fiscales et autres.
22Dans l’article précédemment cité de la revue The Economic Journal, l’auteur rappelait en effet que les White Papers on Competitiveness successivement parus depuis 199415 « fixent aussi la politique gouvernementale en matière de sponsoring ainsi que les politiques locales et régionales dans lesquelles les services effectivement rendus à l’échelon local et régional occupent une place prépondérante »16 (Oughton, 1997 : 1487).
2.1. L’organisation régionale de la planification17
23En Grande-Bretagne, la politique locale de planification s’organise selon un plan de développement, appelé Development Plan, élaboré au niveau du conseil de district, le District Council. C’est ce plan qui délimite le cadre du développement de la région concernée. Le paragraphe 54 A du Town and Country Planning Act de 1990, toujours en vigueur, indique que tout projet de développement doit être conforme au Development Plan, à l’exception de petites extensions de logements privés et de certains services statutaires. Il existe cependant différents niveaux de planification et les stratégies définies par chacun des niveaux doivent s’articuler avec celles définies au niveau supérieur. C’est ainsi que pour le South Cambridgeshire, site du Cambridge Phenomenon, la stratégie définie dans le plan de développement du conseil de district doit s’inscrire dans le cadre de la politique définie aux niveaux régional et local, en l’occurrence le Regional Planning Guidance for East Anglia valable jusqu’en 2016. La rigidité inhérente à ce système d’emboîtement est compensée par le fait que les plans font l’objet de révisions et donnent lieu à des consultations régulières.
24Le South Cambridgeshire Development Plan de 2003 comporte plusieurs chapitres, parmi lesquels on trouve un chapitre sur le développement économique, un autre sur l’occupation des sols et un autre enfin sur l’environnement, chapitres sur lesquels nous appuierons notre démonstration.
2.2. Les incidences du plan de développement économique sur les entreprises de Silicon Fen
25Le texte d’introduction de l’Economic Development Strategy Consultation Draft publié en avril 200318, relève d’emblée la difficulté d’une planification non contraignante pour les entreprises, et souligne les tiraillements possibles : « Le boom de la haute technologie a créé une masse critique d’entreprises dans le sud du Cambridgeshire [...]. C’est le rôle de ce Conseil d’assurer l’équilibre entre les désirs du monde des affaires et la nécessité de s’assurer que la croissance est entreprise de manière durable »19 (South Cambridgeshire District Council, 2003a).
26Le texte détaille les mesures que le District Council met en place pour faciliter le développement des entreprises locales, et en particulier celui du secteur de la haute technologie fondée sur la recherche et le développement. La base de concertation établie avec un panel d’entrepreneurs locaux pour définir les contenus du plan de développement a permis d’identifier les principales préoccupations auxquelles le District Council doit s’efforcer de répondre : le manque d’investissement dans les infrastructures (de transport en particulier, sachant, par exemple, que Silicon Fen n’est pas reliée à Heathrow), le manque de main-d'œuvre qualifiée dans le secteur du bâtiment, la possibilité d’appliquer une subvention exceptionnelle et les critères qui seraient retenus pour son calcul et son attribution, enfin le besoin de logements à des prix abordables.
27Jusqu’à présent, outre des mesures de développement de l’infrastructure, le District Council avait développé une politique d’aide aux entreprises essentiellement par le biais de Business Link Services, une antenne apte à fournir une panoplie de services, essentiellement d’information et de communication, mise à la disposition des entreprises, en particulier pour les aider à exploiter efficacement les sources de subventions nationales20. De même les Training and Enterprise Councils21, instances régionales, fournissent aux entreprises locales un soutien en matière d’organisation, d’information et de formation.
2.3. La politique de l’environnement et de la construction
28Les réponses fournies par le District Council aux attentes des entreprises de Silicon Fen sont cependant limitées par la politique de l’environnement et de la construction. Le programme « ceinture verte de Cambridge »22 contraint tout nouveau développement à se situer exclusivement dans un rayon de 8 kilomètres autour de la ville de Cambridge. Proposées pour la première fois dans les plans de développement des années 1950, ces limites n’apparurent officiellement dans le Cambridge Green Belt Local Plan qu’à partir de 1992. La ceinture verte n’est pas interdite aux constructions, ou même aux changements de destination : certains bâtiments, comme ceux liés aux activités agricoles ou aux activités sportives, sont autorisés. De même, de manière exceptionnelle, si une construction est jugée nécessaire, mais qu’aucun espace convenable n’a pu être trouvé en deçà ou au-delà de la ceinture verte, l’autorisation de construire peut être accordée en son sein même.
29Cette réglementation stricte n’a cependant pas été sans poser des difficultés majeures à des entreprises de haute technologie désireuses, par exemple, de s’agrandir : en 2001, Wellcome Trust se vit ainsi refuser la construction d’un nouveau parc scientifique à partir de l’extension de son site au sud de Cambridge, ce qui suscita des réactions parmi les entrepreneurs locaux, comme celle de Mark Hauser, fondateur de Acorn et Amadeus Capital, deux sociétés de haute technologie installées sur le Cambridge Science Park, évoquant le « Conseil luddiste du Cambridgeshire du Sud dominé par une confrérie d’assassins »23 (Economist, 2001). Plus gravement, le conflit, dans ce cas précis, ne s’est pas circonscrit à l’opposition entre une entreprise désireuse de s’agrandir pour devenir plus compétitive et des institutions castratrices. La décision institutionnelle a servi de point d’ancrage à une lutte intestine entre entreprises concurrentes, puisque dans ce cas, précisément, un autre parc scientifique, Granta Park, se porta partie civile contre le développement de Hinxton Hall, où Wellcome souhaitait développer un nouveau parc scientifique. Wellcome eut gain de cause, mais ce cas illustre parfaitement les incidences réductrices, non seulement directes, mais aussi indirectes, que l’environnement institutionnel peut avoir sur la volonté entrepreneuriale.
Conclusion
30L’auteur d’un article paru dans The Economist le 14 mars 1998 soulignait que, pendant longtemps, certains chercheurs, en particulier universitaires, avaient communément considéré que « la culture britannique avait développé des préjugés anti-industriels »24. Dans le même article on pouvait lire que « si l’on demandait aux gens de nommer un entrepreneur britannique, seul le nom de Richard Branson leur viendrait à l’esprit »25 (Economist, 1998). Le cas du développement des entreprises de haute technologie autour de Cambridge tend à prouver le contraire. Cependant on assiste à un phénomène qui, malgré son dynamisme entrepreneurial initial, demeure, d’une certaine manière, inachevé, tant par une inertie interne, en particulier face au risque financier, que par un environnement institutionnel parfois trop contraignant. Quelle que soit la responsabilité des entreprises elles-mêmes et de leur éventuel manque d’ambition, le rôle joué par l’environnement institutionnel ne peut être nié. Dans un rapport paru en 1998, intitulé Cambridge Phenomenon Report Mark II, et rédigé par le même cabinet que le premier rapport du même nom, les auteurs s’en prenaient cette fois au gouvernement central dont ils dénonçaient le manque de soutien à la région de Cambridge, en particulier en matière d’infrastructure26 (Segal, 1998).
31Alors que se développent des entités similaires au pays de Galles et en Ecosse et que la concurrence dans le secteur de la haute technologie est toujours aussi vive, Silicon Fen n’a pas encore atteint l’équilibre délicat entre, d’une part, la valorisation industrielle de la recherche et la libre entreprise, thèmes chers au New Labour, et, d’autre part, les impératifs environnementaux et sociétaux de la politique de développement régional.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Crouch, Colin, 2000, « Italie et Royaume-Uni : les surprises d’une comparaison », Critique Internationale, no 8, juillet.
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Economist (The), 2001, “Silicon Fen strains to grow”, 14 avril : 33-34.
Esposito, Marie-Claude, 2003, « L’entrepreneur de Cantillon à Schumpeter » in Esposito, Marie-Claude, et Christine Zumello (éds), L’entrepreneur et la dynamique économique : l’approche anglo-saxonne, Paris, Economica.
Hobsbawn, Eric, J., 1969, Industry and Empire, Harmondsworth, Penguin. Oughton, Christine, 1997, “Competitiveness Policy in the 1990s”, The Economic Journal, vol. 107, no 444 : 1486-1503.
Say, Jean-Baptiste, 1821, Catéchisme d’économie politique, 2e édition, in Say, JeanBaptiste, Cours d’économie politique et autres essais, Paris, Garnier-Flammarion : 307-448, 1996.
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South Cambridgeshire District Council, 2003a, Regional Planning Guidance for East Anglia, Economic Development Strategy Consultation Draft, Cambridge, avril.
South Cambridgeshire District Council, 2003b, Cambridge Green Belt Local Plan, Cambridge.
South Cambridgeshire District Council, 2003c, South Cambridge Development Plan, Cambridge.
Town and Country Planning Act, 1990, London, HMSO.
Sites web
<http://www.scambs.gov.uk>
<http://bridge.anglia.ac.uk>
<http://wwww.tomw.net.au/nt/cp.html>
<http://www.cambridge-science-park.com>
<http:/www.cec.cam.ac.uk>
<http://www.trin.cam.ac.uk>
<http://www.stjohns.co.uk>
<http://www.cambridgeshire.gov.uk>
Notes de bas de page
1 Le terme anglais couramment utilisé pour décrire ces concentrations est celui de clusters.
2 “The dotcom crash is not doing Cambridge’s high-tech cluster much damage. Local planning policies are.”
3 Le Conseil municipal (City Council) soutint le projet car ses membres se sentaient frustrés par les restrictions que subissait le Conseil dans ses projets en matière de politique de logement et d’emploi, les ressources fiscales locales s’en trouvant ainsi également restreintes. Le rapport reçut également le soutien des employeurs locaux, confrontés à de graves difficultés de recrutement en raison de la pénurie de logements.
4 Il s’agit d’un processus intitulé planning permission. La procédure n’est pas obligatoire lorsque le terrain concerné est destiné à une utilisation planifiée avant 1964.
5 De tels pôles sont appelés science parks.
6 “an ethos of self-confidence of the University of Cambridge, which inspired start-ups; the ability to retain intellectual property rights allowed University people to try exploiting their ideas with new firms; the provision of low-cost facilities to already established small companies.”
7 Cette définition est rappelée par Marie-Claude Esposito (2003 : 17).
8 “Too many start-ups lack the ambition to become big.”
9 “providing the intellectual firepower of much larger firms.”
10 “at heart a quiet little market town.”
11 “It’s not Silicon Valley and, more importantly, deep down, it probably doesn’t want to be.”
12 White Papers on Competitiveness, HMSO Publications.
13 “the role, if any, of industrial policy in enhancing economic performance.”
14 “re-focuses around horizontal measures with the aim of providing the right underlying conditions to catalyse and facilitate growth in the context of declining trade barriers and increased competition.”
15 Le premier Livre blanc, paru en 1994, proposait plusieurs mesures destinées à aider les entreprises britanniques à devenir plus compétitives sur le marché mondial : une amélioration de l’éducation et de la formation, une aide à l’innovation et à l’exportation spécialement destinée aux petites entreprises, un soutien aux économies régionales, un effort particulier pour attirer les investissements étrangers.
16 “also set out the government’s policy on sponsorship and regional and local policy measures where significant emphasis is placed on the importance of local and regional delivery of policy.”
17 Le terme britannique officiel est celui de planning policies.
18 Il s’agit de la dernière version, non encore définitive, du plan de développement du conseil de district du South Cambridgeshire.
19 “The high tech boom has created a critical mass of companies in South Cambridgeshire (...). It is the role of this Council to balance the desires of business with the need to ensure that growth is undertaken in a sustainable manner.”
20 Le programme Business Links fut lancé par le ministère du Commerce et de l’Industrie britannique en 1992. Le réseau est constitué de plus de 200 centres de conseils aux entreprises, regroupant en un point de contact unique, à l’échelon local, tous les acteurs de la vie économique locale : les entreprises, les chambres de commerce, les autorités locales et les Training and Enterprise Councils.
21 Il existe 82 Training and Enterprise Councils au Pays de Galles et en Angleterre et 22 en Écosse.
22 Le nom de ce programme est Cambridge Green Belt.
23 “luddite South Cambridgeshire Council dominated by the shooting fraternity.”
24 “British culture has developed an anti-industrial bias.”
25 “hard-pressed to name any modem British entrepreneurs, they would probably come up with Richard Branson.”
26 L’élaboration de ce second rapport, intitulé Cambridge Phenomenon Mark II, fut financé conjointement par la Commission européenne, le Cambridge Science Park, le St John’s Innovation Centre, le Cambridgeshire County Council et le Training and Enterprise Council du Cambridgeshire.
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