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Villes et politiques urbaines au Canada et aux États-Unis

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Jean-Michel Lacroix

Le développement local et la dynamique métropolitaine au Canada : le rôle des localités dans la restructuration de l’espace des régions métropolitaines

Christopher R. Bryant et Daniel Lemire

Résumé

La restructuration de l’espace métropolitain est le résultat d’un ensemble de processus qui influencent la composition et les rapports entre les différentes activités dans l’espace. Cette restructuration est expliquée en partie par des processus économiques à l’échelle mondiale, en partie par des processus régionaux et en partie par des facteurs et des processus locaux, ainsi que des politiques des différents paliers gouvernementaux. En utilisant des exemples de différentes régions métropolitaines canadiennes, on prétend que les acteurs et les processus locaux ont contribué d’une façon importante à la transformation inégale de l’espace métropolitain et que toute tentative de résoudre les problèmes à la restructuration de l’espace ne peut pas être entreprise sans l’implication explicite des acteurs locaux.

Texte intégral

1La restructuration de l’espace métropolitain est le résultat d’un ensemble de processus qui influencent la composition et les rapports entre les différentes activités dans l’espace. Ces processus impliquent des acteurs et des intervenants qui fonctionnent à des échelles différentes, du secteur privé et du secteur public. Cette restructuration a aussi des conséquences profondes sur la gestion des collectivités locales et les régions elles-mêmes et de nombreuses politiques ont été développées pour y répondre.

2Les objectifs de cet article sont :

  1. de faire une esquisse d’une sélection de conséquences de la restructuration et de la croissance urbaine à l’intérieur des régions métropolitaines au Canada.
  2. de discuter des politiques mises en place pour répondre à ces conséquences.
  3. de démontrer le rôle probable des localités, surtout par l’entremise des actions des collectivités locales et régionales, dans cette restructuration de l’espace des régions métropolitaines1.

3D’abord, une conceptualisation générale de la restructuration est présentée en soulignant les différents processus qui opèrent à des échelles géographiques différentes et les actions des différents intervenants. Deuxièmement, les différentes conséquences de cette restructuration sont en pourparlers au niveau de la forme des activités dans l’espace et au niveau des problèmes posés à la gestion des collectivités locales et des régions métropolitaines. Troisièmement, il y a la question de la gestion de la croissance urbaine dans ces régions. Enfin, quelques conclusions sont présentées par rapport aux solutions possibles qui tiendraient compte de l’importance des rôles des localités par l’entremise de leurs collectivités et communautés locales dans la gestion de la croissance urbaine et de la restructuration de l’espace des régions métropolitaines.

La restructuration de l’espace des régions métropolitaines

4L’espace des régions métropolitaines canadiennes subit, comme ailleurs au monde occidental, une restructuration complexe des activités économiques, sociales et culturelles, de la répartition et de la composition démographiques et de toutes les conséquences qui en découlent. Cette restructuration est en cours même là où l’économie régionale se développe à un rythme modeste, par exemple Halifax, Winnipeg et Montréal.

5Globalement, on assiste toujours à un phénomène de concentration de population dans les Régions métropolitaines de recensement (RMR), et ce, dans chaque province (tableau 1). Ce phénomène est surtout dû à des soldes migratoires positifs à la fois provenant des autres régions du Canada et, pour plusieurs régions métropolitaines, de l’étranger pendant les années 1980 (Patterson, 1992).

  • 2 Les villes régionales étaient définies par ces auteurs autour des 52 villes ayant une population d (...)

6L’aspect le plus évident de cette restructuration de l’espace métropolitain a été la croissance différentielle de la population dans les zones de banlieue et périurbaine (Russwurm et al, 1988 ; Bryant et Coppack, 1991). Malgré une variation régionale importante de la composition de la population en terme de ses composantes géographiques (la population urbaine du noyau urbanisé et la population dispersée — la population agricole dispersée, la population non agricole dispersée et la population des petits centres —), à partir de 1981 la proportion de la population de ce que Russwurm et al. (1988) appellent des villes-régionales2 du Canada s’est stabilisée autour de 80 %, la population rurale non agricole avait augmenté plus de cinq fois entre 1941 et 1981, la population agricole avait diminué et n’était que 40 % de ce qu’elle était en 1941, et la population des petits centres n’avait cessé d’augmenter pour atteindre plus de 10 % de la population de ces 52 villes-régionales en 1981. Dans son analyse de la croissance des RMR de 1966 à 1991, Patterson (1992) note que 60 % de la croissance démographique nette dans les RMR et pratiquement 50 % de la croissance nette du Canada était localisée dans les franges périurbaines (tableau 2). Ces changements sous-tendent une restructuration profonde des rapports entre les noyaux centraux des régions métropolitaines et leurs zones limitrophes.

7La restructuration de l’espace métropolitain est représentée en partie par cette modification de la répartition démographique et de sa composition et par un développement inégal des activités économiques, sociales et culturelles dans l’espace. Cette restructuration de l’espace implique aussi des changements de rapports entres les différentes localités à l’intérieur des régions métropolitaines qui ont des conséquences importantes en matière de gestion de l’espace métropolitain. De plus, la restructuration a d’autres dimensions, reliées aux changements de structures corporatives, technologiques et des rapports entre les salariés et les compagnies.

8La restructuration est donc le résultat d’un ensemble de processus qui fonctionnent à des échelles différentes (Bryant, 1990) (figure 1). Il importe de comprendre que les différentes activités humaines fonctionnent au sein de différents systèmes d’échange ou d’interaction. Ces systèmes fonctionnent à des échelles différentes, par exemple mondial, national, provincial, régional et local. Certaines activités sont donc plus influencées par des forces et des processus provenant des interactions internationales (par exemple les services les plus spécialisés, l’industrie de haute technologie), d’autres sont plus directement influencées par des forces et des processus à l’échelle régionale (par exemple la dispersion de population, le développement des complexes commerciaux) et d’autres relèvent de facteurs et de processus au niveau local (par exemple l’influence des schémas d’aménagement et des plans d’urbanisme locaux et les actions des collectivités locales en matière de disponibilité de terrains à construire). Pour comprendre la dynamique différentielle des activités dans les différentes localités, il est important de comprendre que toute activité peut être influencée non seulement par les facteurs locaux et régionaux, mais aussi par des forces opérant à macro échelle soit directement ou indirectement. On ne comprendrait jamais donc la régression de nombreuses activités industrielles des centres-villes en faisant appel seulement aux facteurs locaux mettant en évidence les comparaisons de coûts et d’accessibilité, par exemple, entre le centre-ville, les banlieues et les zones périurbaines. L’on doit également comprendre le positionnement de ces activités par rapport à leurs concurrents sur le plan national et international et par rapport à l’évolution technologique mondiale (Bryant, 1990 ; Garreau, 1991).

9Tout processus est le résultat de décisions prises par des acteurs à l’intérieur de leur environnement décisionnel. Dans la société occidentale au moins, ces acteurs se trouvent majoritairement dans le secteur privé (des firmes, des fermes, des ménages, des individus). Évidement, ces acteurs prennent leurs décisions dans un environnement décisionnel qui, lui, est influencé en partie par le secteur public. Ce dernier, surtout composé par les gouvernements à différentes échelles influence donc les paramètres de l’environnement décisionnel du privé — les taux d’intérêts, l’implantation des infrastructures, les services sociaux, l’aménagement de l’espace et ainsi de suite.

10Néanmoins, il ne faut pas penser que les gouvernements, peu importe les niveaux — fédéral, provinciaux, régionaux (où ils existent) et locaux — ont nécessairement développé des politiques cohérentes à l’égard des changements et de la gestion des régions métropolitaines et certainement pas entre les différentes échelles gouvernementales. Les interventions sont souvent sectorielles avec des vraies incohérences entre elles. Pensons à l’appui des centres-villes d’un côté et l’aide à l’accès à la propriété et la construction des autoroutes d’un autre côté.

11Souvent, les interventions du secteur public représentent une réaction à un ensemble de « problèmes » et quelquefois elle représentent un essai pour planifier la restructuration de l’espace à l’intérieur d’un système de planification et d’action cohérent. Dans tous les cas, les gouvernements, y compris les collectivités locales et régionales, assument en partie le rôle de gestionnaire (par exemple en voulant contrôler ou influencer la répartition de la croissance urbaine) et en partie le rôle d'acteur, dans le sens qu’ils peuvent prendre des décisions qui se concrétisent par des réalisations tangibles dans l’espace (par exemple routes, logements, centres de traitement de déchets). Évidement, ces deux rôles se chevauchent. Les rôles des collectivités et des communautés locales sont discutés en détail plus loin, à la fois du point de vue théorique par rapport à leur contribution à la restructuration de l’espace et du point de vue de leurs actions concrètes.

Les conséquences de la restructuration et de la croissance urbaine des régions métropolitaines

12Tout un ensemble de facteurs sous-tend la « décentralisation » de différentes activités à l’intérieur des régions métropolitaines au Canada, comme ailleurs, même si le poids relatif des différents facteurs peut être différent par rapport aux métropoles américaines (Coffey et Drolet, 1994). La dispersion des résidences et la croissance différentielle des banlieues et des zones périurbaines se sont enclenchées vers la fin des années 1940, avec un accès à l’automobile de plus en plus généralisé, la recherche de logements moins chers qu’au centre-ville et une recherche d’un environnement avec de meilleures conditions de vie (plus d’espace, moins de pollution, en comparaison avec le centre-ville) (Bryant et al., 1982). Comme le tableau 2 le démontre, cette croissance différentielle en faveur des banlieues et des zones périurbaines s’est poursuivie avec vigueur pendant les années 1980 et se poursuit aujourd’hui.

13Ce mouvement, qui n’était pas seulement une décentralisation provenant d’une relocalisation intra-métropolitaine au profit des banlieues et des zones périurbaines mais aussi le résultat d’une attraction des migrants interrégionaux, était rapidement suivi par le développement de différents types de services et commerces, une fois que le marché local avait atteint les seuils nécessaires. D’où l’apparition des grands centres d’achat dans certains noeuds de banlieue, par exemple Square One à Mississauga à l’ouest de Toronto et Fairview à Pointe Claire à l’ouest de Montréal. À un moindre degré, ce mouvement de décentralisation fut suivi par une croissance différentielle des industries manufacturières accompagné par un déclin relatif et souvent absolu des industries localisées aux zones centrales des agglomérations, par exemple de Toronto (Bryant, 1985) et de Montréal. En partie, ceci reflète les conditions plus favorables des zones périphériques, telles qu’une accessibilité plus importante à cause des autoroutes périphériques, une considération importante pour les industries desservant un marché interrégional et international. Récemment, Coffey et Drolet (1994) ont constaté une décentralisation ou une croissance relative des services dit « supérieurs » autour de la ville de Montréal au profit de certains noeuds importants comme St. Laurent et Longueil, et l’on peut constater le même phénomène dans des noeuds à la périphérie de Toronto comme Markham et Mississauga.

14Ce processus de décentralisation a suivi plus ou moins les mêmes étapes que d’autres ont déjà observées pour les métropoles européennes et américaines (Bauer et Roux, 1976) bien qu’avec une chronologie différente et, dans le cas des métropoles européennes, une forme décentralisée différente à cause du rôle plus important des transports en commun en Europe occidentale. Des changements continus en matière de communications et de conditions de travail suggèrent que ce mouvement se poursuivra sans relâche, par exemple le phénomène du télé-travail et même du développement de l’entreprise à domicile, un des facteurs dans la réduction de taille des nouvelles entreprises. Tout ceci témoigne du fait que les espaces périphériques des régions métropolitaines sont le lieu où d’importantes transformations se manifestent en terme d’organisation sociale du travail et des conditions de vie.

15Le phénomène de décentralisation et ses différentes étapes ont été présentés ci-dessus comme le résultat du fonctionnement des forces du marché libre. Bien que ces forces soient significatives, il ne faut pas oublier que les intervenants publics ont eu un rôle très important dans ce processus, et ce, à toutes les échelles. Au niveau fédéral, les effets des différentes politiques concernant les taux d’intérêt, les aides directes et indirectes d’accès à la propriété et les politiques concernant l’énergie parmi d’autres ont tous encouragé le développement résidentiel pavillonnaire. De plus, l’implantation de certaines infrastructures fédérales ont grandement influencé le modèle de développement autour de certaines métropoles. Des exemples concrets sont fournis par les aéroports de Toronto à Mississauga et celui de Mirabel à Montréal. Bien que l’aéroport de Montréal n’ait pas eu le même impact que celui de Toronto sur les activités industrielles et commerciales, les deux représentent néanmoins des pôles importants d’emploi (tout comme l’aéroport de Dorval dans la banlieue de Montréal). D’autres impacts très directs sont présentés par les différentes propriétés fédérales ; probablement l’exemple le mieux connu est celui de la ceinture de verdure d’Ottawa dont la propriété fédérale se situe à environ 14 000 ha appartenant à la Commission de la capitale nationale sans compter les 6 000 ha appartenant à d’autres ministères et agences fédéraux (Bryant, 1992). Les provinces ont également joué des rôles très importants surtout en terme de création d’infrastructure routière.

16Enfin, les collectivités locales et régionales ont contribué à la dispersion des activités économiques et de la population à cause des stratégies et politiques poursuivies afin de « bénéficier » des avantages de l’implantation des activités économiques par rapport à leur contribution à l’assiette fiscale locale. Cet argument est repris plus loin.

Les conséquences

17Vues de la perspective des collectivités locales et régionales, les conséquences de cette restructuration de l’espace peuvent être classées en deux catégories :

  1. une répartition intra-régionale différente des activités et de la population.
  2. des conséquences qui découlent directement de cette forme décentralisée des activités pour les différentes collectivités locales et régionales.

18Nous avons déjà mentionné l’importance de la décentralisation démographique. Pour les trois métropoles les plus importantes au Canada — Montréal, Toronto et Vancouver — on constate que la frange périurbaine de leurs RMR selon la définition de Statistique Canada a un plus grand pourcentage de la population de ces trois RMR que les villes centrales de ces agglomérations (tableau 2). À titre d’exemple, les plus grands taux de croissance entre 1986 et 1991 dans la région de Toronto (selon l’étude de Bryant et Lemire (1993) se trouvaient au nord et à l’est de Metropolitan Toronto, suivi de près par les villes de Mississauga et Brampton dans la Municipalité régionale de Peel à l’ouest de Toronto (figure 2).

19Les activités économiques ont également connu une certaine décentralisation, mais d’après les analyses de Bourne (1989), sauf pour les activités commerciales desservant un marché plus ou moins local, ce mouvement n’a jamais été aussi important pour les grands villes canadiennes que celui de la population. La conséquence la plus importante de ce décalage est qu’il existe toujours une migration pendulaire très importante en faveur des zones centrales, entraînant ainsi des coûts et des problèmes significatifs au niveau des transports (Bryant, 1990). La population des différentes composantes géographiques se différencie également en terme de sa composition selon le profil d’age et la composition ethnique, parmi d’autres indicateurs. Cet aspect de la composition démographique n’est pas poursuivi dans cet article mais elle sous-tend néanmoins certaines conséquences telles que la problématique de la planification du système scolaire et des services sociaux.

20Par rapport aux conséquences associées avec cette structure décentralisée, Bryant et Lemire (1993) avaient identifié trois grandes catégories de la perspective des collectivités locales et régionales :

211/les coûts de la croissance urbaine (en terme d’infrastructure sociale ou infrastructure physique).

22Ces impacts sont très différents selon les collectivités, par exemple certaines collectivités connaissent une augmentation rapide des besoins de services à cause de l’augmentation de la population mais bénéficient également d’une augmentation de leur assiette fiscale à cause de l’expansion des activités économiques (le cas de certaines banlieues et collectivités périurbaines) et d’autres connaissent des difficultés financières à cause d’une diminution de population et des activités économiques (le cas de certaines collectivités dans les centres-villes).

232/des impacts qui relèvent de l’utilisation du sol et de la qualité de vie, par exemple des difficultés d’accès aux logements, aux loisirs et à l’emploi.

243/des problèmes concernant la dégradation et la disponibilité des ressources, par exemple la perte des terres agricoles de première qualité et les problèmes d’approvisionnement en eau pour certaines collectivités.

25Bryant et Lemire (1993) ont étudié les perceptions des urbanistes et aménagistes dans six régions métropolitaines du Canada — Halifax, Montréal, Toronto, Winnipeg, Calgary et Vancouver. 87 questionnaires ont été envoyés à un échantillon de responsables régionaux et locaux dans ces régions ; 57 furent renvoyés complétés.

26Face aux questions concernant les problèmes associés avec la croissance urbaine et rencontrés le plus souvent dans les collectivités, les préoccupations concernant les transports et l’environnement (par exemple la gestion des déchets) furent mentionnées le plus souvent. Les considérations reliées aux coûts de la croissance urbaine étaient également mentionnées très souvent, y compris les dépenses en capital pour la mise en place des infrastructures adéquates et l’impact d’un développement « déséquilibré » sur les taxes locales (trop de développement résidentiel par rapport aux activités économiques). Les conflits d’utilisation des terres agricoles furent mentionnés beaucoup moins souvent, même dans les régions avec une ressource agricole importante, telle que les collectivités autour de Montréal.

27L’importance générale accordée aux problèmes de transport, à l’environnement et aux coûts témoigne des stress généraux créés au fur et à mesure que la région métropolitaine se développe et que la décentralisation se poursuit. Évidement, il y a des différences régionales dues en partie aux différences du milieu physique et aux différences dans la structure administrative de chaque région. Mais ce qui ressort peut-être le plus, c’est le fait qu’un sous-ensemble de problèmes se présentent presque de façon systématique pour les différentes composantes géographiques de ces régions (zones centrales, banlieues, zones périurbaines).

La gestion de la croissance urbaine dans les régions métropolitaines

28Ce qui ressort de toute analyse de l’environnement dans lequel les régions métropolitaines se sont développées au Canada est, premièrement, la grande hétérogénéité de l’environnement politique et législatif créée par les provinces et deuxièmement, la grande diversité des entités régionales. Dans le cas de plusieurs métropoles moyennes en Ontario, par exemple Waterloo, il existe des municipalités régionales avec des pouvoirs et des responsabilités pour la plus grande partie du territoire sous l’influence directe des villes principales. Mais dans d’autres situations, par exemple celle de Toronto, la situation est des plus complexes. La partie centrale qui comprend la ville de Toronto et cinq autres villes fut organisée en une entité administrative régionale dès 1953. Avec la croissance et l’étalement urbains au delà des limites de cette structure administrative, plusieurs zones ont été organisées en municipalités régionales entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, notamment Durham, York, Peel et Halton. Donc il y a plusieurs unités régionales, chacune ayant des services et des responsabilités importants en matière d’aménagement et d’urbanisme. Même ces efforts n’ont pas été suffisants et la création par la province de l’Office of the Greater Toronto Area couvrant ces différentes unités administratives régionales fut entreprise afin de promouvoir une meilleure cohérence dans la planification et l’aménagement de cette grande région (Greater Toronto Coordinating Committee, 1990).

29La région de Montréal est aussi, sinon plus complexe que la région de Toronto, avec la ville de Montréal et 28 autres municipalités sur l’Ile de Montréal organisées en une seule unité de gestion, la Communauté Urbaine de Montréal ; mais au nord de l’Île, il y a la ville (et la Municipalité régionale ou MRC) de Laval, la deuxième ville au Québec selon sa population, et dans le reste de la région les collectivités sont organisées en MRC.

30Les autres régions métropolitaines présentent d’autres formes de structure administrative, chacune avec ses spécificités. Même là où il y a une seule structure qui couvre la quasi-totalité de la région métropolitaine, par exemple le Greater Vancouver Regional District, une observation globale est que les régions métropolitaines sont en général un amalgame de multiples collectivités, qui détiennent en général des responsabilités importantes.

La rôle des collectivités et des communautés locales

31C’est dans ce contexte d’une grande variété de structures régionales des régions métropolitaines et du maintien de responsabilités locales importantes que l’on peut s’interroger sur le rôle des localités dans la restructuration et dans la gestion de l’espace des régions métropolitaines canadiennes.

32Dans la discussion précédente, l’importance de la reconnaissance des différentes échelles géographiques des systèmes d’échange ou d’interaction a été soulignée. Dans cette conceptualisation de l’espace, tous les acteurs et intervenants contribuent à façonner l’espace, l’espace étant une construction sociale des différents acteurs et intervenants. Dans quelle mesure est-ce que la construction d’un espace d’action locale par des acteurs et intervenants locaux peut contribuer à la différenciation de l’espace intra-métropolitain ? Où même à un développement inégal, un concept plus émotif, dans lequel on fait appel aux processus d’accumulation et d’exploitation ? Est-ce que l’on peut réellement parler de villes-États (Bagnasco, 1995) même à l’intérieur de l’espace métropolitain ?

33Dans l’espace d’une grande région métropolitaine, il est évident qu’une différenciation de l’espace existe en terme de composition des activités et de la population, du niveau socio-économique et des indicateurs du fonctionnent du système socio-économico-politique. Il est possible d’interpréter certains aspects de cette différenciation comme le résultat de processus de développement inégal basé sur des processus cumulatifs d’accumulation et d’exploitation. Ces processus ne sont pas contenus à l’intérieur de la localité et dépendent de réseaux de relations (un type de système d’échange ou d’interactions) politiques et corporatifs ; par contre il y a des processus cumulatifs impliquant la stabilité voire l’inertie de certaines populations, par exemple dans les zones d’industries lourdes dans certains agglomérations (par exemple certains quartiers à l’est de Montréal ou près du centre-ville de Toronto).

34Par ailleurs, il y a d’autres différences entre les milieux locaux qui reflètent l’action des acteurs et des intervenants locaux, toujours potentiellement en relation, par l’entremise des réseaux, avec des acteurs et des intervenants de l’extérieur.

35Dans chaque milieu, il est possible de voir le « développement » (par exemple la transformation de la structure de production, la composition de la production, les rapports entre salariés, gestionnaires et actionnaires, les conditions de travail, les liens entre les unités de production et le milieu social et culturel, etc.) comme une série d’ensembles de projets, d’initiatives et de décisions. On peut les appeler des orientations actuelles (Bryant, 1994, 1995). De plus, dans chaque milieu il peut y avoir des orientations latentes, des ensembles de projets, d’initiatives et de décisions qui pourraient être développés mais qui ne le sont pas (même si les conditions géographiques en général sont favorables). En partie, ceci dépend du poids relatif des différents acteurs et intervenants potentiels dans chaque orientation en comparaison avec ceux des autres orientations.

36Dans l’économie canadienne, comme dans les autres économies occidentales, une proportion importante des décisions qui sous-tendent le développement des différentes orientations relève du secteur privé. Néanmoins, les collectivités locales — et régionales — peuvent adopter certaines orientations dans leur planification. Quelquefois, ceci est le résultat d’un processus cohérent de réflexion, mais souvent les orientations présentes dans les décisions des collectivités locales ne reconnaissent pas l’origine des influences qui les ont amenées à suivre telle ou telle orientation. Quelquefois, l’origine reflète les attitudes et les opinions des résidents de la collectivité ; et, d’autres fois, il est le résultat de la réflexion d’une élite (par exemple des élus, des hauts fonctionnaires locaux, des chefs de file du secteur privé). Et celte élite peut suivre sa propre vision de ce qui est important pour la collectivité ou être influencée par des intervenants et des acteurs en dehors de la localité.

37Par rapport à la gestion de la croissance urbaine dans les régions métropolitaines, il est à noter que les collectivités locales, et régionales où elles existent, ont un rôle important à jouer dans la planification et l’aménagement de l’espace. Et peut-être davantage dans les années à venir avec une décentralisation accrue des responsabilités. Elles peuvent prendre des rôles proactifs, c’est-à-dire, en essayant de planifier leur développement, cherchant certains types de développement plutôt que d’autres, ou elles peuvent prendre un rôle plus passif, répondant aux stress qui sont créés dans leur environnement régional.

38On peut suggérer à la fois une certaine différenciation selon la situation géographique des collectivités à l’intérieur des régions métropolitaines, et une autre dimension qui reflète plus la dynamique des processus à l’intérieur des collectivités.

39Premièrement, dans l’étude de Bryant et Lemire (1993), une certaine différenciation des collectivités en terme de leurs rôles fut constatée en fonction de la situation géographique des collectivités. Ainsi, les réponses des zones centrales des six régions métropolitaines suggèrent que ces zones demeurent des centres très importants pour les migrations pendulaires — d’où les problèmes de transport reliés à leur situation dans le contexte régional. D’autres problèmes reflètent la dynamique de la restructuration de l’espace métropolitain déjà mentionnées, par exemple le déclin de certaines activités économiques, un déséquilibre financier. Leurs stratégies misent à la fois sur des outils traditionnels (par exemple le zonage) et sur la promotion des zones centrales, telle que suggéré récemment par Coffey et Drolet (1994) pour les services « supérieurs ». À part certaines spécificités, les villes des zones centrales semblent viser beaucoup plus l’ensemble de la région par l’entremise de politiques d’amélioration de l’image du centre-ville. On entreprend des stratégies de plus en plus proactives.

40Les problèmes des banlieues face à la croissance urbaine des régions métropolitaines étaient perçus beaucoup plus en termes de difficultés reliées à la croissance locale. Donc, une recherche souvent proactive pour un meilleur « équilibre » entre les différents types de logement, les activités commerciales et les activités industrielles. Certaines zones de « banlieues » avaient élaboré des programmes de développement non seulement par rapport à l’organisation de leur espace mais aussi par rapport aux relations avec l’extérieur (par exemple la prospection de l’investissement extérieur), par exemple la ville de Laval (Montréal) et celle de Markham (Toronto).

41Enfin, les problèmes des municipalités de la zone péri-urbaine sont souvent reliés au fait qu’elles sont des petites municipalités avec peu de ressources pour faire face aux pressions de l’expansion de l’espace résidentiel pour une augmentation des services. Les différences entre municipalités sont toutefois très grandes, avec certaines essayant de contrôler et de limiter le développement et d’autres essayant d’accroître l’activité commerciale et industrielle afin d’équilibrer leurs budgets.

42Là où il y a une coordination régionale importante, l’ensemble de ces problèmes pour les collectivités périurbaines semblent moins importants, par exemple dans la région de Vancouver et dans les Municipalités régionales autour de Toronto.

43Deuxièmement, l’on doit reconnaître une grande diversité de situations à l’intérieur de chacune de ces trois grandes zones ou situations géographiques. Dans l’espace des « banlieues », il existe des noeuds très importants tels que Mississauga et Laval ; de certains points de vue ces noeuds sont devenus des pôles significatifs de sorte qu’ils ne méritent plus le terme « banlieue ». Dans ces situations géographiques, des actions et des interventions importants ont accompagné le développement, et il y a des liens importants entre les gouvernements locaux et leurs représentants (par exemple les commissaires de développement économique) et les représentants des secteurs moteurs. Souvent menée par une élite, ce genre de politique vise la création de pôles d’emplois indépendants, une augmentation de l’assiette fiscale pour faire face à l’augmentation considérable de leurs populations (leur fonction « banlieue ») et fournir un haut niveau de services à leur population.

44D’autres collectivités locales ont développé des politiques d’aménagement et d’urbanisme afin d’empêcher certains types de développement, pratiquant même des politiques d’exclusion (implicitement) en matière de développement résidentiel. Ce genre de situation est cumulative, impliquant des réseaux de relations à l’intérieur de la collectivité liant implicitement certains segments de la population résidente et leurs valeurs et les directions prises par le conseil municipal. Cette situation se trouve dans certaines collectivités locales dans la plupart des régions métropolitaines, en banlieue, en zone périurbaine et même dans certains quartiers. C’est une forme d’« élitisme défensif » relié à l’accumulation de capital de type consommateur (propriété, maison, espace individuels) et surtout peut se trouver en zone périurbaine où l’espace de la collectivité a un certain « cachet » ou un caractère particulier.

45Par contre, d’autres endroits avec un tel cachet peuvent être l’objet d’un développement d’infrastructure et d’activités, par exemple Mont St. Bruno au sud de Montréal avec ses pistes de ski et ses développements résidentiels importants.

Conclusions

46Il est évident que l’espace des régions métropolitaines est caractérisé par une différenciation spatiale de sa restructuration et par un certain développement inégal impliquant des processus d’accumulation et d’exploitation différentiels. Cette différenciation et ce développement inégaux sont en partie reliés aux influences des acteurs et des intervenants qui opèrent à macro et à meso échelle, mais également ils sont en partie reliés aux actions et aux interventions des acteurs et des intervenants locaux, dans leur processus de construction de leur espace d’action locale.

47Les acteurs et les intervenants des localités doivent faire face aux pressions de développement reliées aux processus à macro échelle (par exemple la concentration de la population et des activités dans les grandes régions métropolitaines) et à meso échelle (par exemple l’évolution de la décentralisation à l’intérieur de la région métropolitaine). Donc, certaines résistent et d’autres subissent les conséquences sans développer des stratégies cohérentes. D’autres contribuent directement au processus de décentralisation par leurs stratégies d’attraction d’investissement, soit commercial, soit industriel, soit résidentiel. La dynamique des processus locaux soulève toute la question de la gestion par la gouvernance (Benko, 1995), le gestion de l’espace et du développement par des formes différentes de concertation, de coopération et même de partenariat entre les collectivités locales et les intérêts associés avec l’espace de la collectivité — les résidents, les entreprises locales et les investisseurs et entreprises de l’extérieur. La variété de formes de gouvernance est énorme.

48Quant à la gestion des régions métropolitaines, le même constat peut être fait. La grande diversité de structures administratives à travers le Canada a déjà été soulignée. Bien qu’il y ait des spécificités régionales concernant les problèmes créés par la décentralisation à l’intérieur des régions métropolitaines, il y a aussi beaucoup en commun, et ce, quelle que soit la structure administrative. Ceci suggère beaucoup de réserve quant à la création de gouvernements supra-régionaux (par exemple, pour la grande région de Montréal). Le développement se fait en grande partie par le secteur privé de toute façon et les spécificités locales représentent une ressource à ne pas gâcher. D’où l’importance de bâtir une approche coopérative, quelque que soit la forme formelle de la structure administrative, afin d’élaborer des stratégies d’envergure régionale.

Bibliographie

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Annexes

Tableau 1 : Part des populations des RMR par rapport aux populations provinciales et nationale, de 1986 à 1991

Tableau 1 : Part des populations des RMR par rapport aux populations provinciales et nationale, de 1986 à 1991

* Part de la population nationale
Source : Statistique Canada, Catalogue 93-303.

Tableau 2 : Composantes de la population des RMR du Canada, de 1966 à 1991

Tableau 2 : Composantes de la population des RMR du Canada, de 1966 à 1991

Source : adapté de Patterson, 1993, Tableau 1.

Figure 1 : Les systèmes d’échange et les échelles géographiques.
Source : Bryant et Lemire, 1993.

Figure 2 : La région de Toronto : la variation en pourcentage de la population entre 1986 et 1991 par subdivision de recensement
Source : Bryant et Lemire, 1993 (reproduite avec l’autorisation de CIRUR)

Notes

1 Cet article est basé sur des recherches entreprises par l’auteur principal sur de nombreuses régions métropolitaines au Canada, en partie dans le contexte d’une étude faite pour le CIRUR à Toronto (Bryant et Lemire, 1993), en partie dans le contexte de travaux d’expert-conseil entrepris pour la Commission de la capitale nationale sur la ceinture de verdure d’Ottawa, et aussi des recherches sur l’espace agricole dans les zones périurbaines de Toronto et de Montréal subventionnées par le Conseil de Recherches en Sciences Humaines de 1984 à 1992. L’auteur aimerait remercier également l’Université de Montréal pour une subvention de voyage au colloque sur les « Villes et politiques urbaines au Canada et aux États-Unis ».

2 Les villes régionales étaient définies par ces auteurs autour des 52 villes ayant une population de plus de 40 000 habitants en 1976 et incluant toutes les subdivisions de recensement comprises dans un rayon de 50 km du centre urbain pour la plupart de ces centres et de 60 km pour les villes régionales de Toronto, Montréal et Vancouver.

Table des illustrations

Titre Tableau 1 : Part des populations des RMR par rapport aux populations provinciales et nationale, de 1986 à 1991
Légende * Part de la population nationaleSource : Statistique Canada, Catalogue 93-303.
URL http://books.openedition.org/psn/docannexe/image/4832/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 115k
Titre Tableau 2 : Composantes de la population des RMR du Canada, de 1966 à 1991
Légende Source : adapté de Patterson, 1993, Tableau 1.
URL http://books.openedition.org/psn/docannexe/image/4832/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 236k
Légende Figure 1 : Les systèmes d’échange et les échelles géographiques.Source : Bryant et Lemire, 1993.
URL http://books.openedition.org/psn/docannexe/image/4832/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 134k
Légende Figure 2 : La région de Toronto : la variation en pourcentage de la population entre 1986 et 1991 par subdivision de recensementSource : Bryant et Lemire, 1993 (reproduite avec l’autorisation de CIRUR)
URL http://books.openedition.org/psn/docannexe/image/4832/img-4.jpg
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Auteurs

Université de Montréal, Montréal, Québec.

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