1Par ses multiples dimensions, l’environnement urbain est devenu un des grands enjeux sociaux de la vie politique canadienne. Cette préoccupation majeure est consacrée en 1990 par le Plan vert du Canada, ce vaste programme de conservation et de régénération de l’environnement, évalué à 3 milliards de dollars sur six ans. Le thème est porteur : il rejoint également les administrations municipales qui, sous les pressions d’acteurs locaux ou devant l’éminence d’une crise environnementale annoncée, s’empressent de la traduire en termes d’énoncés, de programmes et de politiques. Son écho se répercute donc dans les pratiques et les discours des intervenants de la vie politique municipale. En effet, plusieurs études démontrent que la problématique environnementale touche un éventail de questions, diverses et variées, comme l’habitation et le logement, les structures et la forme urbaines, la protection des espaces naturels, la qualité de l’eau, de la terre et des sols, la gestion des déchets, la conservation des ressources et de l’énergie, la qualité de vie, l’aménagement des espaces libres et d’autres sujets encore (Ville de Montréal, 1991 ; Maclaren, 1993 ; Ouellet, 1993 ; Tomalty et Pell, 1994).

2Les gestes de planification et d’intervention urbanistiques dans les métropoles canadiennes interviennent dans le sillage de la restructuration de l’économie urbaine, alors que le rôle des villes change et qu’émerge l’idée de la ville dite post-moderne. Les économies urbaines en restructuration se caractérisent dorénavant par les secteurs liés au tertiaire moteur, aux nouvelles technologies et à l’économie de l’information (Bell, 1973 ; Castells, 1989). Il reste que l’emblématique de cette ville post-moderne est culturelle, avec en premier plan le sujet individuel et sa quête de valeurs et des sens (Harvey, 1989 ; Touraine, 1992). L’effet d’un tel changement est double, d’abord une crise économique et sociale consécutive à la désindustrialisation, visible dans certains secteurs industriels et dans certaines parties de la ville ; ensuite une crise d’identité, issue de l’effritement des valeurs de la modernité et de ses repères sociaux. Signe des temps, et à titre d’exemple, l’identité au quartier ouvrier semble un relent du passé à tel point que les projets industriels, dans les quartiers centraux, autrefois des citadelles ouvrières, ne sont plus assurés du soutien inconditionnel des groupes sociaux et du mouvement associatif local (Sénécal, 1995).

3Ainsi s’impose l’obligation de répondre aux carences de la ville industrielle comme aux effets sociaux dévastateurs de la désindustrialisation. En fait, la stratégie consiste à réaménager les espaces dégradés et laissés pour compte. Il s’agit de reprendre possession de quartiers entiers, de zones industrielles anciennes. Les interventions visent au premier chef les espaces libres, les friches et beaucoup les derniers témoins naturels que sont les littoraux, les petits boisés ou les emprises vertes des infrastructures (chemin de fer, couloir aérien de transport d’électricité). Plus encore, il s’agit de remodeler la forme urbaine, de revoir les configurations que trop fonctionnalistes, et d’arriver à promouvoir un design urbain de qualité, à la fois vert, patrimonial et esthétique, de défendre un certain cadre de vie de qualité. C’est ainsi que l’idée de métropole culturelle prend forme. Les villes investissent la thématique environnementale dans l’espoir de recréer le lien perdu avec la nature et de créer les conditions qui donnent un sens à l’acte d’habiter et engagent un sentiment d’appartenance. Cette quête de nature en ville aiguillonne les communautés locales dans leur tentative d’influer sur les décisions qui les concernent et ainsi de statuer sur leur propre avenir.

4De cela, il ressort que les administrations municipales témoignent de l’engouement de l’ensemble de la société en faveur des pratiques et usages à connotation environnementale. De manière plus spécifique à la politique urbaine, la portée de la préoccupation environnementale se diffuse dans les questions de réaménagement urbain, préludes à la constitution d’une nouvelle urbanité qui fait de la qualité de vie un préalable et une priorité de l’expérience de la vie en ville. À telle enseigne, le thème de l’environnement fixe le caractère naturel et vert aux idéaux de qualité de vie et de mieux-être collectif. En ce sens, l’ébauche de la ville durable (Sustainable City) rejoint les projets de type utopiste qui ont marqué les grands mouvements d’urbanisme. Que ce soit les esquisses de ville écologique, de ville verte ou de ville durable, toutes entendent remodeler l’espace et la société urbaines. Car, dans le sillage du concept de développement durable et de développement urbain viable, il émerge un projet global de changement dont le champ d’interventions semble si vaste que rien, finalement, ne lui est étranger. La démarche des études en environnement emprunte ainsi et souvent au systémisme pour finir par croire, un peu abusivement d’ailleurs, que tout est dans tout : l’écosystème urbain intègre tous les éléments interagissant dans les échanges de matières et d’énergie dans la ville. Plus encore, l’écosystème urbain transcende les limites de la ville pour se mouler aux configurations des régions naturelles. Dès lors, le territoire des villes semble que trop artificiel et les cloisonnements administratifs, suivant les différents paliers de gouvernement, des contraintes impossibles. La planification urbaine écologique doit se faire à l’échelle régionale, celle de larges écosystèmes comme celui d’un bassin hydrographique et d’une unité physiographique.

5En fait, les villes canadiennes opèrent un virage vers la planification écologique et une conception durable (sustainable) de l’aménagement qui concerne, simultanément et paradoxalement, la vie locale organisée en communautés de base et l’échelle métropolitaine où interagissent les grands acteurs institutionnels. Pourtant, les valeurs associées à l’environnementalisme, dont l’émergence ne fait pas de doute, imprègnent les discours et les pratiques de la politique municipale, suggérant la prise en compte du vécu des gens dans les processus de décision, sans oublier que les enjeux environnementaux ont une dimension globale, à tout le moins régionale. Ces deux échelles de pertinence s’ancrent dans les enjeux urbains, suggérant une série de thèmes ou de problématiques sur lesquels s’engageront les politiques environnementales : la planification écosystémique des régions urbaines ; le verdissement au profit du réaménagement des espaces libres et dégradés ; l’approche par indicateurs de la qualité de vie en ville. La recension des principales politiques environnementales des métropoles canadiennes permettra d’identifier les interventions et de situer les enjeux majeurs qui ressortent, de manière à engager une réflexion sur l’émergence d’un nouveau phénomène urbain de type post-moderne.

Projet global et discours flou

6Le Canada se présentera très rapidement, en raison de ses ministères et de ses agences, comme un des partenaires majeurs du développement durable. Avec l’adhésion au Rapport Brundtland, il s’agit de définir les composantes du développement durable urbain, dans l’optique de la satisfaction des besoins actuels et futurs. Dès lors, comme il faut bien en définir les éléments constitutifs, certains auteurs comme Gariépy et al. (1990) identifient l’équité sociale, le maintien de la diversité, l’intégrité des écosystèmes naturels ou aménagés. De là, la conservation des ressources est posée comme un impératif. La forme de la ville et l’organisation des activités doivent privilégier la conservation de l’énergie et des écosystèmes naturels.

7Cela dit, au Canada, comme ailleurs, l’environnement urbain est une idée confuse, qui amplifie une quête plus ancienne, qui voulait retrouver la nature dans la ville et qui hante depuis longtemps l’urbanisme végétal. Au premier chef, l’environnement urbain concerne les pratiques aménagistes ; on défend les principes d’une ville compacte, économe d’énergie et de terres ou encore une ville verte engagée dans les expériences de foresterie urbaine, de jardin, de parc ou de ceinture verte. Mais elle reste confuse précisément parce qu’elle est le cumul de plusieurs approches à la fois idéologiques et sociales, mais aussi politiques, culturelles et économiques. Il est certain que la problématique environnementale urbaine est d’abord inscrite en réaction au déclin de la ville industrielle et face à l’émergence d’une urbanité post-moderne. Au moment où les restructurations sociales et spatiales amplifient la ségrégation sociale et les discontinuités fonctionnelles, l’environnement survient, dans les préoccupations des différents acteurs sociaux, comme un débat entre deux types de ville : la ville industrielle même en crise et une sorte de technopole culturelle qui reste encore à définir. Un tel choix n’est pas simple. Les décisions qui se profilent en filigrane concernent d’abord les rapports inégaux et conflictuels entre la ville centre et les villes de la première et de la deuxième couronnes périurbaines, et touchent ensuite aux rapports entre les différents groupes sociaux en compétition dans la ville. Le réaménagement urbain est-il le vecteur de la relocalisation des groupes défavorisés encore logés à proximité du centre ? Les effets des politiques de réaménagement urbain sont connus, dont celui de stimuler la spéculation foncière et de favoriser la gentrification des quartiers populaires. Cela risque d’entrer en contradiction avec le volet social des modèles de qualité de vie urbaine élaborés au Canada (Murdie et al., 1992), en particulier les variables de l’équité et de la satisfaction des besoins.

L’expérience canadienne et l’idéal de la ville écologique

8L’expérience canadienne en environnement urbain exprime avec force des thèmes forts, qui se manifestent avec une surprenante récurrence, sous-tendus par des idéaux marqués par une tradition utopiste et une volonté affirmée de donner une portée concrète au discours. Ces thèmes sont développés dans des contextes différents, sous des formes originales, pour devenir des référents majeurs de la politique urbaine au Canada. On les retrouve dans des documents programmatiques comme le Rapport sur l’état de l’environnement (Canada, 1991) ou la documentation produite par la Société canadienne et d’hypothèque et de logement (SCHL) et qui s’intéressent par exemple au logement durable (D’Amour, 1991) ou à la ville écologique du XXIe siècle (Tomally et Pell, 1994 ; Paehlke et Hancock, 1993).

9Il faut lire la description de la ville verte dans l’État de l'environnement du Canada (Canada, 1991, 13, pp. 30-31) pour comprendre quel idéal de l’environnement urbain colore l’expérience canadienne. On y fait mention d’une ville en harmonie avec la nature, dans laquelle l’habitat s’insère dans le vert omniprésent. La gestion municipale s’y arrime aux processus de planification écologique, comme elle s’engage dans la voie de la réorientation de son économie en valorisant des secteurs de pointe et environnementalement corrects. Dans le même ordre d’idées, les paramètres de la planification écologiques, proposés par la SCHL, prolongent cet idéal en formation. La démocratie participative est privilégiée pour parvenir à répondre aux standards des indicateurs sociaux du développement durable. Plus encore l’autodétermination du local, chevillée dans les processus décisionnels provinciaux et nationaux, doit permettre de moduler les systèmes urbains et politiques pour qu’ils soient ouverts, équilibrés et cycliques (Tomalty et Pell, 1994). Cet idéal de la ville écologique canadienne, décrite comme une sorte d’écocité (Canfield, 1990 ; Morris, 1990 ; Beavis, 1992 ; Nozick, 1992), se construit sur quelques repères, ou grandes tendances, qu’il importe ici de dégager.

10La première tendance va dans le sens de projet de ville compacte, centralisée et à haute densité résidentielle. Une telle forme urbaine serait soutenable puisqu’elle permet le maintien des marges agricoles et la conservation des ensembles naturels encore présents (Breheny, 1992 ; Paehlke, 1993). La compacité est interprétée comme un facteur de diminution de la pollution atmosphérique par les automobiles, d’efficacité énergétique et de conservation des terres. La forme étalée de l’agglomération est ainsi mise au banc des accusés. Le navettage quotidien des banlieusards apparaît comme une aberration, de même que l’empiétement des marges rurales et naturelles par des projets résidentiels de type pavillonnaire à très faible densité. L’écocité prend tantôt la forme de la cité jardin, tantôt celle de la cité radieuse, à la disposition très concentrée, avec un système d’espaces libres et verts qui s’insère dans la ville, un zonage rigide des fonctions urbaines, une frange agricole de proximité ou même située au centre de l’agglomération. Mais la ville durable est-elle forcément compacte ? Ainsi s’opposent les choix des consommateurs en faveur des banlieues à faible densité et la planification urbaine visant la compacité.

11La seconde tendance va dans le sens du verdissement. L’écocité suppose le réaménagement de la ville, sous l’objectif d’introduire l’agriculture et la forêt en ville, même au centre-ville dorénavant traversé de couloirs et de réseaux verts (Richardson, 1989 ; Canfield et al., 1990 ; Moriss, 1990). La nature en ville devient ainsi le prétexte à un changement d’attitude, à l’émergence de nouvelles valeurs (Hough, 1990). La ville écologique, entrelardée de couloirs verts, où se juxtaposent jardins et plantations, rend possible l’accomplissement du rituel du retour à la nature, par lequel le citadin renoue avec ses origines rurales et avec la terre (Jordan, 1990). Sur le plan urbanistique, l’option d’un environnement vert sous-entend qu’un aménagement plus doux conduira immanquablement à une société moins violente : la présence de la verdure en ville servirait de catalyseur à un engagement social et environnemental de la part de tous les citoyens (Bourque et al., 1991).

12Le troisième thème est celui de la qualité de vie, réinvestie dans la problématique environnementale et qui promeut la responsabilisation de la communauté locale. La communauté devient garante de la qualité de l’environnement, puisqu’il est de son devoir de veiller à la conservation des milieux, comme d’assurer son intégrité, tout en témoignant du respect des besoins de chacun et plus encore de ceux des générations futures. Il y a donc une quête de vie communautaire, rivée sur l’espoir de retrouver la solidarité et le sens du partage des sociétés pré-industrielles, ceci dans une perspective de conservation et de la qualité de l’environnement. La communauté doit être autosuffisante pour ne compter que sur ses propres ressources et assurer son développement. Elle ne doit donc pas monopoliser l’énergie venue d’on ne sait où, ni accaparer les produits de la campagne, car son principal attribut serait l’autosuffisance. Ainsi, on retourne à une certaine forme d’autarcie, curiosité urbaine, qui valorise l’agriculture urbaine, les énergies douces et la conservation des ressources. La consommation doit se faire uniquement en fonction des besoins, fussent-ils les plus primaires, selon les capacités des milieux et des groupes humains.

13Autre vecteur, celui d’écosystème urbain, car la ville durable ou Sustainable City n’a de sens et de portée que si on la comprend comme un vaste écosystème, supputant sur les entrées de matière et d’énergie, enregistrant les sorties, tels les produits ou les déchets, comme les émanations et les rejets dans l’air, l’eau ou le sol. Le recours à la notion de système permet de fixer ces relations que l’on désigne sous le terme de flux de matière et d’énergie, à l’intérieur de la dynamique urbaine. C’est ainsi que la ville devient une sorte de machine à transformer la matière, représentée selon les principes de la thermodynamique : entrées, sorties, régulation, rétroaction, avec des cycles de dysfonctionnement et de régulation, qui se succèdent selon des seuils et des ajustements. Dans cette foulée, plusieurs chercheurs voudront comprendre l’environnement urbain en terme d’impacts et de risques environnementaux. Pour cela, on s’attache à saisir les impacts des activités humaines sur l’environnement, en insistant sur les modifications des milieux et des composantes des écosystèmes, sur les effets à la qualité de l’environnement et, bien sûr, sur les risques pour la santé de la population.

14Dernière avenue, enfin, la tentative de définir et de systématiser l’étude de la qualité de vie en ville. À l’instar des propositions de l’OCDE (1991), on cherche à modéliser, à l’aide d’une approche par indicateurs, les composantes de la qualité de vie, qu’elles soient de nature économique, sociale ou environnementale. Ces indicateurs renvoient à des variables socio-économiques ou des variables centrées sur les services et l’environnement, y compris l’accessibilité aux soins de santé ou la proximité des espaces verts (Peat Marwick, 1988). Les efforts de la SCHL en ce sens ont été répercutés sur les villes qui ont testé un modèle élaboré par Murdie et al. (1992) et conçu dans l’esprit du programme des Villes et villages en santé (Healthies Cities). Quant au modèle de la SCHL, il retient les indicateurs standards comme le revenu par ménage, l’accessibilité au service de santé ou de qualité du logement, auxquels s’ajoutent les indicateurs environnementaux, surtout ceux de densité et d’accessibilité des espaces verts. À l’analyse, on observe toutefois qu’il subsiste une contradiction apparente entre la densité résidentielle (un rapport entre la population et le nombre de logements par hectare), qui associe faible densité et qualité de vie, et les indicateurs de consommation d’énergie et de pollution, qui retiennent le nombre d’automobiles par habitant ou le pourcentage de la population utilisant le transport en commun, pour signifier les aspects négatifs de la navette quotidienne banlieue-centre au volant de l’automobile personnelle. Ainsi, la qualité de vie, comme principe et comme réalité vécue, demeure encore sous discussion.

Politiques urbaines à Montréal et Toronto

15Les villes canadiennes ont donc largement souscrit au projet en environnement urbain. Concrètement, de grandes politiques sont avancées, à Vancouver sur les questions de pollution atmosphérique (Vancouver, 1990). Les principes du développement durable se remarquent dans les énoncés d’urbanisme comme à Ottawa (1991), qui met en parallèle les composantes du durable et les pratiques d’aménagement et de développement urbain. Plusieurs municipalités engagent de vastes programmes de verdissement et d’urbanisme végétal, en préconisant les formules de réseau vert, de ceinture verte ou de parc linéaire, tel le Parkland Strategy d’Halifax (1994) ou le Greenbelt Master Plan d’Ottawa (1995).

16En ce qui a trait aux deux grandes métropoles, Montréal et Toronto, la recension des programmes et des interventions des administrations indique l’ampleur des efforts. Le tableau, qui reprend l’inventaire de Ouellet (1993), est à cet égard très explicite, même s’il n’est pas exhaustif. Le nombre et la variété des sujets abordés sont en effet surprenants. Même que l’administration municipale de Montréal a tracé son propre bilan (Montréal, 1991) et s’est dotée de son agenda 21 à l’instar des propositions du Sommet de Rio (Chantal et Lussier, 1993). Les orientations du plan d’urbanisme contiennent un volet environnemental appréciable, selon le principe de « ville en santé », inspiré de l’idée d’environnement sain, pour lequel la conservation des ressources et le contrôle des nuisances sont une priorité afin de diminuer les impacts sur l’air, l’eau et le sol (Ville de Montréal, 1992, p. 26).

17À Toronto, le bilan environnemental de 1989 et surtout le City Plan de 1991 souscrivent à de larges objectifs, ambitieux et variés, qui touchent à la qualité de l’air, de l’eau et des sols, comme à la gestion des déchets solides, puis abordent les thématiques de la biodiversité, de l’approche écosystémique, de la réhabilitation des parcs et des espaces libres. Les programmes et les politiques se multiplient, bientôt relayés par le Metropolitan Toronto Official Plan (1994).

18En tout état de cause, les deux métropoles font siennes les principes du développement durable qui servent de piliers à l’élaboration d’un volet environnemental structuré et performant. Les programmes et les politiques prévoient des volets social et organisationnel, ouverts sur les thématiques du mieux-être collectif, de la quête de la nature et de la planification écologique du territoire. Dès lors, si le volet environnemental a une programmation claire, les deux autres semblent encore en devenir, posés comme autant de défis et appelant une nouvelle façon d’intervenir dans la ville. De ces deux derniers volets, trois points ressortent comme majeurs.

a) La planification écosystémique

19Les deux grandes métropoles canadiennes ont poursuivi cet objectif de parvenir à une planification écosystémique avec un inégal succès. Toronto aura joui d’un grand avantage du seul fait que sa communauté urbaine existe depuis fort longtemps et, surtout, du fait du grand projet régional que fut la Commission royale sur l’avenir du secteur riverain de Toronto (1991), qui initie une approche nouvelle-celle de la biorégion de Toronto-et une démarche axée sur l’écosystème pour la régénération des villes. Son rapport intitulé Régénération s’inspire du concept de développement durable pour situer les impératifs et tracer le programme d’intervention autant pour le secteur riverain que pour l’Oak Ridges Moraine qui constitue la limite d’un bassin versant. La protection des terres va de pair avec les objectifs de la ville durable ; l’intégrité écologique régionale va dans le sens de la consolidation de la partie urbaine de la région. Certes, des tensions ont pu apparaître entre la ville centrale, la communauté urbaine du Grand Toronto et les régions de la frange périurbaine. Néanmoins, la revitalisation du secteur riverain est reprise à l’échelle du Grand Toronto. De plus, la Metropolitan Toronto and Region Conservation Authority poursuit le travail de Régénération et livre des balises pour toute planification urbaine du secteur de l’Oak Ridges Moraine. Il ressort une volonté ressentie aux échelles métropolitaine et régionale de concerter la planification urbaine et de maintenir les préoccupations de conservation et de revitalisation élaborées par le rapport de la Commission royale sur l’avenir du secteur riverain de Toronto (Municipality of Metropolitan Toronto, 1994 ; Kruger, 1995).

20Les choses sont passablement moins claires dans la région de Montréal. D’entrée de jeu, la définition de la région comme une biorégion n’est pas évidente, à moins de prendre le fleuve comme unité physiographique fédératrice, mais cela déborde largement les limites de la métropole. Le Plan d’action du Saint-Laurent représente justement un exemple de planification écosystémique, dont les interventions en faveur de la restauration du fleuve et de la préservation des habitats fauniques passent par la concertation des différents acteurs institutionnels métropolitains. Mais les interventions du Plan Saint-Laurent se limitent aux milieux aquatiques. L’incapacité d’agir sur les aspects urbains provient bien sûr du fait que la région de Montréal ne bénéficie pas d’un organisme métropolitain de planification urbaine. La portée de la Communauté urbaine de Montréal se limite à l’île de Montréal et aucune juridiction n’a le mandat d’établir la concertation nécessaire entre le centre et les municipalités régionales de comtés avoisinantes, là où précisément l’étalement urbain se fait sentir. Récemment, des initiatives de concertation entre les différents gouvernements locaux de la région métropolitaine commencent à se former. Une table des maires et préfets est constituée depuis peu. Il reste que la seule instance de dimension métropolitaine est la Commission de protection du territoire agricole et son mandat se limite, comme son nom l’indique, à protéger les meilleures terres agricoles. L’idée de créer une instance métropolitaine de planification est ancienne. Elle est reprise par le Groupe de travail Montréal et sa région (GTMR) qui suggère le concept de ville-région, pour la promotion du développement durable, une meilleure gestion des ressources et une planification cohérente. La publication du rapport du GTMR permet d’illustrer les rapports conflictuels entre la ville centrale et les banlieues.

b) Verdissement et politiques de réaménagement urbain

21Les politiques et les pratiques de verdissement semblent réussies dans les deux cas. Les espaces libres ont fait l’objet d’une attention particulière tant pour la renaturalisation de secteur entier, comme la vallée de la rivière Don à Toronto ou d’un grand parc comme le mont Royal à Montréal (Ville de Montréal, 1993 ; 1993b ; 1995). Pour Toronto la Commission royale sur l’avenir du secteur riverain de Toronto (1991) fut l’occasion d’élaborer une stratégie verte (Reid et al., 1990). Si le vert dans la ville s’organise comme la trame structurante de la forme urbaine de la ville viable, il est intéressant de noter que les politiques de verdissement, tant à Montréal qu’à Toronto, ne se limitent pas aux parcs ou aux plantations de rue : elles sont une façon d’introduire la nature au sein de l’habitat et de réorganiser les liens entre les différents types d’espaces.

22De telles stratégies de verdissement et d’intensification des pratiques d’urbanisme végétal visent au premier chef les espaces dégradés et souvent en friche de l’ancien complexe industriel. À cet égard, il importe de souligner les difficultés de penser les effets sociaux qui découlent de la transformation de ces espaces souvent partie des milieux populaires et socialement défavorisés. En fait, on se contera de se demander : le verdissement pour qui ?

c) L'approche par indicateurs et la qualité de vie en ville

23Cette déficience à penser le volet social de l’environnement trouve écho dans les bilans environnementaux des deux métropoles, qui y font peu référence, sinon de rappeler les programmes de logements sociaux et d’accessibilité au logement. Le bilan social de la politique environnementale reste un défi. Certes, les projets pilotes réalisés à Montréal et à Toronto dans le sillage de la modélisation des indicateurs de la qualité de vie de la SCHL (Murdie et al., 1992) démontrent le caractère inachevé de l’expérience (De Conink, 1993 ; Salsberg, 1993). À tout prendre, le modèle reçoit un bon accueil de la part des deux administrations municipales. Celles-ci soulignent l’importance de représenter l’état de la situation à l’aide de données chiffrées, disponibles et accessibles, dans le cadre d’un modèle suffisamment souple pour qu’il s’adapte aux réalités locales (Sherwood, 1993). Pour utile qu’il soit, le modèle de la SCHL reste en deçà des interrogations et des potentialités ouvertes par l’écologie urbaine. Dans le même créneau de la qualité de vie, le mouvement des Villes et communautés en santé (Healthies Cities) ajoute aux objectifs habituels de démocratie locale et de conservation des milieux, ceux de lutte contre les inégalités et l’atteinte d’un niveau de prospérité économique suffisant pour répondre aux besoins (Hancock, 1991). Ainsi, les objectifs de qualité de vie acquièrent une dimension nouvelle, investie d’une volonté de changement social qui, à défaut d’être comblée, conduit le mouvement vers une impasse. En somme, la prise en compte de réalités sociales contrastées et complexes prêle un sens au modèle de qualité de vie urbaine qui déborde largement sur le niveau politique. Par contre, l’évaluation des réalités socio-économiques intègre mal les enjeux sociaux, le vécu, les conflits de pouvoir et de classes et, surtout, les systèmes de perception et de représentation des réalités urbaines. En somme, les administrations municipales ont du mal à mesurer — comme elles ont du mal à les prendre en considération — la part des initiatives locales et des réseaux des mouvements communautaires.

Conclusion

24Devant le désenchantement de la population canadienne vis-à-vis des politiques environnementales fédérales et provinciales, dont le récent abandon du Plan Vert canadien est le reflet, il faut admettre que les villes ont pris le relais en faisant de l’environnement un thème porteur et un champ d’actions. Contre toute attente, la sensibilité environnementale a investi la gestion et la planification municipales à l’intérieur de processus de réaménagement urbain indissociables des mutations économiques et structurelles qui façonnent la ville postindustrielle. Les villes reprennent à leur compte l’idéal de la ville écologique dans ses versants les plus utopistes, mais en cherchant à lui donner un contenu pratique. À petites touches, elles tissent une nouvelle urbanité engagée dans des pratiques et des actions. Pourtant ce cumul d’actions ne donne justement pas une somme clairement définie et qui correspondrait à la ville durable (Sustainable City).

25Le développement des politiques environnementales urbaines se heurte, dans les métropoles canadiennes, aux structures politiques et administratives qui ne correspondent pas, loin s’en faut, à celle des régions métropolitaines voire des biorégions sur lesquelles on voudrait agir. Sur ce point, il faut que la concordance entre les limites naturelles et administratives soulève des problèmes également, dont celui de la gestion des rapports ville centre et banlieues, comme des équilibres urbain-rural. Si une certaine cohérence de la gouverne métropolitaine a pu s’établir, peut-être plus manifestement à Toronto qu’à Montréal, elle ne fut pas suffisante à contrer les systèmes de pouvoirs et d’intérêts à la base des problèmes environnementaux comme l’étalement urbain ou la dégradation des milieux.

26Les politiques urbaines en environnement conduisent les interventions aménagistes, sous l’objectif d’appropriation collective des espaces libres, dans une perspective de verdissement, mais sans vraiment mesurer les effets sociaux des mutations économiques qui traversent la société urbaine, sans non plus mettre en place les instruments de gestion et de planification nécessaires au développement de communautés locales marquées par une crise sociale et économique. Ainsi, le projet de ville durable, ou d’écocité, risque de passer à côté d’un de ses objectifs majeurs, celui de prendre en compte les besoins des groupes défavorisés, de façon à atténuer les inégalités et les iniquités toujours présentes dans les métropoles canadiennes.