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Villes et politiques urbaines au Canada et aux États-Unis

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Jean-Michel Lacroix

Montréal : Ville-région d’Amérique

Joanne Léveillée et Romain Paquette

Résumé

L’évolution de Montréal et de sa région métropolitaine se différencie de celle des villes américaines mais aussi de celle des autres villes canadiennes. Il n’y a pas renforcement de la ville périphérique et affaiblissement de la ville centrale selon les critères de la « edge city » américaine. Montréal est un « conglomérat de villages » où prédomine l’héritage français que viennent enrichir des apports culturels variés, surtout anglais.

Texte intégral

1Les recherches empiriques portant sur la formation de l’aire métropolitaine de Montréal (Carte 1), même entreprises dans une perspective historique ont largement escamoté la formation de la banlieue. Pourtant, tout comme la ville, la banlieue évolue.

2Dans son étape ultime, la formation d’une aire métropolitaine en Amérique du Nord déboucherait sur la mise en place de villes périphériques, qui seraient une création de l’automobile. L’aire métropolitaine montréalaise échappe à cette généralité. À l’encontre des autres aires métropolitaines d’Amérique du Nord, l’automobile n’y a pas fait surgir de vraies villes périphériques.

1) L’étalement urbain d’avant les années 1960

3La région métropolitaine de Montréal garde les marques du finage de type français dans son plan cadastral, tout en présentant une grille de rues d’inspiration américaine. Avant la Conquête, des faubourgs « à la française » étaient apparus. L’influence anglaise s’est ensuite imposée avec de nouvelles industries. Le Montréal actuel porte les empreintes de cette double influence, tant au plan architectural que morphologique. Jusqu’après l’entre-deux-guerres, Montréal a été non seulement la capitale économique, mais aussi la capitale littéraire et mondaine du Canada anglophone. Elle exportait des services financiers à travers le pays. L’influence de ces institutions ne s’estompe qu’avec le mouvement de francisation des années 60, quand le poids démographique anglophone diminue et qu’augmente le transfert des sièges sociaux vers Toronto.

4Le mouvement de décentralisation remonte aux années 1870. Il n’y avait que quatre villes et trois cités en 1871 mais c’est aussi la chance pour Montréal d’agrandir son territoire par l’annexion de plusieurs villes de banlieue. De plus, les progrès techniques constants dans la mise sur pied de services urbains, (Ex : utilisation du tuyau de fonte pour les aqueducs et les égouts) favorisent l’expansion de la banlieue (Carte 2). La révolution dans les moyens et les équipements de transport dans la seconde moitié du XIXe siècle, combinée à la présence de ressources naturelles, humaines et financières constituent les éléments déterminants de l’industrialisation de Montréal et l’expansion des banlieues. Dans cet espace urbain en voie de différenciation fonctionnelle, vers 1920, l’expansion du transport en commun alla jusqu’à précéder l’extension urbaine ; on dit même qu’elle « servit de catalyseur ou d’éclaireur ». En 1941, la ville de Montréal regroupe 81 % de la population métropolitaine. Dans sa répartition spatiale, le modèle du quartier-paroisse prédomine. Graduellement, la distribution des aires sociales s’ajuste aux changements de statut économique et aux mobilités inscrites dans les cycles de vie. Jusqu’aux années 60, il y a peu de débordement montréalais sur les rives sud du fleuve St-Laurent et au nord de la rivière des Prairies (île Gésu) ; la population a plutôt tendance à se redistribuer à l’intérieur même de l'île de Montréal. Les populations extérieures des villages de l’île (Ex. : vers les années 1930, Longueuil a 15 000 hab. et l’île Gésu 20 000 hab.) restent largement agricoles et continuent de vendre leurs produits aux différents marchés publics de la ville (v.g. Atwater, Amherst, Jean-Talon).

5Par contre, durant les années 60 et 70, apparaissent deux phénomènes qui se juxtaposent spatialement : les banlieues-dortoirs et les banlieues-services. Leur situation par rapport à la ville centrale, la proximité du réseau autoroutier, de même que la présence de noyaux urbains anciens complexifient les rapports de dépendance entre les villes de banlieue et la ville centrale.

2) Les banlieues-dortoirs

6Le premier stade de la banlieue se caractérise par des usages majoritairement résidentiels de faibles densités avec quelques petits commerces de dépannage. L’élément déclencheur pour un tel développement est souvent rattaché à des innovations au plan du transport (construction d’une autoroute, d’un échangeur, d’un pont, d’une voie ferrée ou la construction de grandes institutions tel un hôpital, un pénitencier, etc.).

7À l’échelle métropolitaine, le développement des villes de banlieue débute après la Seconde Guerre Mondiale mais il ne se fait pas partout avec la même frénésie. Au point de vue démographique, la majorité de la population métropolitaine d’alors a 20 ans, comme dans les autres métropoles nord-américaines. À ce stade de son cycle de vie, ce type de population possède des besoins considérables en logements. Les banlieues suburbaines de Montréal sont devenues le siège principal des effets de croissance urbaine et de redistribution de la population à l’intérieur de la région (Carte 3). Par ailleurs, l’essor de l’après-guerre rend possible la croissance de la consommation de biens et de services tant en quantité qu’en variété. Il devient alors facile de transporter les biens vers la périphérie. C’est aussi vers cette époque que s’enclenche le mouvement d’implantation industrielle hors des noyaux traditionnels et que surgissent les premières expansions résidentielles pavillonnaires en banlieue mises en place à la suite du développement du réseau autoroutier. Ces implantations s’intensifient à la fin des années 1970. Au niveau institutionnel cette période marque l’instauration de plusieurs mesures gouvernementales qui auront des incidences sur le développement urbain comme, par exemple, les politiques de la Société Canadienne d’Hypothèque et de Logement (SCHL) concernant l’accession à la propriété, les subventions aux municipalités pour la construction de leurs réseaux d’aqueducs et d’égouts et le développement du réseau routier. Ces nouvelles mesures pour faciliter l’accession à la propriété ne s’intègrent pas dans une planification d’ensemble ; c’est pourquoi on voit apparaître la spéculation foncière qui débouche sur des développements urbains anarchiques.

8Le développement résidentiel s’oriente vers le voisinage des centres d’achats locaux et régionaux ou vers des terrains situés à proximité des grandes voies d’accès au centre de la métropole. Le succès du développement des banlieues dans la région montréalaise, lié à une logique de constructeurs (majoritairement de petits promoteurs) et à la double proximité spatiale et sociale, permet de mieux comprendre la conjugaison des éléments présents à cette époque. De plus, au plan économique, l’émergence de la classe moyenne rend plus accessible la possession d’une automobile à partir des années 60. Le débordement montréalais sur la rive sud, vers les années 1955, se composait surtout de cadres intermédiaires et supérieurs. Dans les deux cas, ces nouveaux résidents travaillent majoritairement au centre-ville de Montréal.

9Ces exemples démontrent que le développement de la banlieue de la région montréalaise s’est fait durant les années 60 en parallèle avec le développement du réseau autoroutier, qui exerce un effet semblable à celui du développement des tramways sur l’île de Montréal des années 1892. En même temps que se forment des villes de banlieue à l’intérieur de l’île de Montréal, on voit apparaître des villes de banlieue à l’extérieur de l’île, sur la rive sud et sur l’île Gésu au nord qui composent déjà des villages.

3) Le Centre-ville du Montréal des années 1960

10Cette structuration des villes de banlieue n’a pas empêché le centre-ville de Montréal de continuer d’être actif. Plus de 90 % des emplois du secteur tertiaire de la région montréalaise restent concentrés au centre-ville de Montréal en 1960. Le métro fait partie des infrastructures qui serviront à décongestionner le centre-ville de Montréal et à faciliter le déroulement d’événements d’envergure internationale.

11En 1960, la construction du nouveau centre-ville a été déclenchée avec l’érection du gratte-ciel appelé Place Ville-Marie. Ce pôle d’attraction amène la transformation du Boulevard René Lévesque (l’ancienne rue Dorchester) en véritable canyon routier. De plus, le fait d’accorder une place prépondérante à l’automobile au centre-ville (par l’élargissement des rues et la construction d’autoroutes) crée de sérieux problèmes de congestion dans le centre-ville. Devenu plus compact, le nouveau centre-ville s’allonge d’est en ouest, coincé entre le Mont-Royal au nord-ouest et le fleuve au sud-est. La forte densité des tours à bureaux du nouveau centre-ville, combinée à celle de la rue commerciale Ste-Catherine, dont le développement avait commencé au début du siècle grâce à la venue de grands magasins de vente au détail (de type « department stores »), assure un achalandage propice à son animation et à la viabilité des transports publics.

12À partir de 1966, le Vieux-Montréal et le nouveau centre-ville sont desservis chacun par une ligne de métro en parallèle, distante l’une de l’autre d’environ 600 mètres. La distribution des stations est telle que l’usager n’est jamais guère à plus de trois minutes de marche de l’une d’elles. Cette distance entre les stations permettra le développement, dans les années 80, du plus grand réseau piétonnier souterrain au monde. Il en résulte donc un centre-ville allongé à deux niveaux, desservi par un réseau de transport multimodal dont le métro sert de colonne vertébrale.

4) Les Banlieues-Services

13La maturation des banlieues-dortoirs et du centre-ville des années 60 débouche sur les banlieues adultes vers les années 70. D’un point de vue démographique, entre les années 50 et 70, la croissance de la population est ralentie. La région métropolitaine réunit 2,5 millions d’habitants, dont 2 millions vivent sur l’île de Montréal. Tout en demeurant la ville la plus populeuse et la plus industrialisée, la ville-centre concentre une population relativement homogène au plan ethnique. De plus, de graves problèmes surgissent sur l’île de Montréal : manque de coordination des services policiers, des services des incendies, des services routiers, congestion dans le centre et manque de coordination dans le domaine des transports urbains.

14Vers les années 70, les revenus per capita de la ville-centre sont devenus inférieurs à ceux des municipalités de banlieue de l’île de Montréal (Ducas, 1987). Pourtant, Montréal doit continuer de soutenir financièrement des équipements collectifs métropolitains comme le métro, les grands parcs et certains services comme la police. C’est sous le prétexte du regroupement des services policiers au niveau de l’île de Montréal que se crée le premier organisme régional : la Communauté Urbaine de Montréal.

15La croissance de ces banlieues-services dans la région métropolitaine de Montréal se caractérise par le fait que d’anciens villages sont rejoints par la métropole. Ce phénomène s’est d’abord produit près de la ville centrale : ce fut le cas des municipalités d’Outremont, de Westmount, de Mont-Royal et de Montréal-Ouest. Il se reproduit maintenant sur la rive-sud. Cette particularité s’observe aussi dans la partie nord de la couronne de banlieues. Les échanges de population avec le centre ont modifié les anciens noyaux urbains pour les inscrire de plus en plus dans cette couronne suburbaine, qui entoure l’île de Montréal. Le fait de participer au développement des banlieues dans des secteurs ayant une histoire stimule, chez le nouvel arrivant, un sentiment d’appartenance à un milieu différencié de la ville centrale.

5) L’État et la Métropolisation de Montréal

16L’État joue un rôle important dans l’organisation spatiale au Québec. Par exemple, une initiative fédérale contribue à remodeler la navigation commerciale sur le fleuve St-Laurent par l’ouverture de la voie maritime en 1959. Au plan de la réorganisation de l’espace métropolitain, l’initiative la plus lourde d’avenir aura été celle de la création de la Ville de Laval par le Gouvernement Provincial en 1965. Pour résoudre les problèmes intermunicipaux de l’île Gésu, contrer un phénomène de spéculation, de développement effréné et d’étalement urbain, les 14 municipalités de cette île sont ainsi fusionnées pour ne plus former qu’une seule ville. Ville-île, artificielle, désarticulée, elle comprend plusieurs petits centres-villes.

17Plus tard, dans le but de freiner l’étalement urbain, l’adoption d’une nouvelle loi-cadre en 1979, par le gouvernement du Québec, oblige la détermination du périmètre d’urbanisation pour chaque municipalité du Québec. L’adoption subséquente de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme vient créer au niveau régional les Municipalités régionales de Comté (MRC) qui deviendront d’autres gouvernements de niveau régional.

6) Émergence de Pôles et de Sous-Pôles

18Dans la région de Montréal, le développement des banlieues se fait un peu à la manière des vagues générées par une pierre jetée à l’eau. Près de la ville-centre, les premières banlieues se fusionnent à la ville centrale et deviennent des quartiers ou se consolident au niveau du tissu urbain. La trame urbaine des unités de voisinage est complétée par l’ajout de projets résidentiels de plus forte densité et par la mise en place d’une stratégie de développement industriel. Par contre, les nouvelles banlieues-dortoirs, plus éloignées de la ville-centre, passent à la phase banlieues-services. Dans l’évolution de la trame urbaine de la banlieue, des noyaux résidentiels disparates et des centres d’achat sont apparus en pleins champs au cours des années 70. La consolidation s’est faite dans les années 80 par une densification tant résidentielle que commerciale des franges urbaines non encore exploitées. Des édifices à bureaux y font éventuellement leur apparition. Le système organisationnel développe des emplois tant dans le secteur tertiaire (commercial et de bureaux) que dans le secteur secondaire (manufacturier et industriel) ; ils se répartissent donc maintenant aussi en banlieue.

19Les critères de construction des centres d’achat régionaux apparaissent aujourd’hui comme étant principalement les avantages de localisation routière (v.g. Galeries d’Anjou, Fairview, Pointe Claire, Carrefour Laval) afin de favoriser la desserte d’une clientèle régionale. De grandes surfaces restaient disponibles vers les années 70 et les prix des terrains y étaient relativement bas (comparés à ceux du centre-ville). De plus, les habitudes de consommation des années 70 ont favorisé ce genre d’implantation.

7) Processus d’autonomisation

20Dans un processus d’autonomisation, il faut considérer le vieillissement de la population d’origine et de la population active. Il engendre une demande pour des services plus spécifiques (v.g. domaine de la santé, de l’éducation, des loisirs, de la culture). En ce sens, les industries et les commerces exigent des services qui à leur tour génèrent de nouveaux besoins.

21La région montréalaise est confrontée à un héritage historique qu’elle ne peut évacuer, celui du paradoxe d’être composée de villages (Sénécal ; 1992). La redistribution démographique à travers toute la région métropolitaine ne semble pas gêner l’attachement des Montréalais pour leur centre-ville. De plus, le développement urbain semble rester associé au développement des systèmes de transport.

8) Mégabanlieues et Cités Périphériques

22Selon Langlois, la mégabanlieue constitue le dernier stade de développement de la banlieue dans la trame urbaine de la ville centrale, puisque cette dernière l’absorbe quelle que soit son appartenance ou sa non-appartenance à une entité administrative ou politique distincte. L’équilibre économique est atteint et il n’est plus nécessaire de combattre pour croître. Les infrastructures consolidées en banlieue possèdent beaucoup d’attraits. Montréal est aujourd’hui une région urbanisée, totalisant près de trois millions d’habitants, qui prend la forme d’une étoile. Son coeur s’identifie à la ville-mère et au tissu urbain continu de toute l’ile : les 29 municipalités de cette île constituent la base de la Communauté Urbaine de Montréal (CUM : 1 750 500 habitants). Les autoroutes et les ponts aidant, ce noyau urbanisé déborde sur l’île Gésu : Laval constitue désormais la seconde ville la plus peuplée du Québec après Montréal (Laval, 285 000 résidents). Même phénomène sur la rive sud, avec les municipalités de Longueuil, St-Lambert, Brassard et autres, qui regroupent maintenant plus de 600 000 habitants. Le reste constitue des excroissances urbaines le long des autoroutes qui rayonnent tout autour de ce territoire urbanisé vers les villes périphériques de St-Jérôme, Sorel, St-Hyacinthe, Saint-Jean, Valleyfield et Lachute. De façon générale, la ville nord-américaine est une création de la libre action du marché, i.e. agissant sans les entraves qu’un État plus « démocrate » pourrait lui créer. La manifestation la plus récente et la plus spectaculaire de cette libre action est l’émergence de ces cités périphériques, appelées « edge cities » par celui qui les a identifiées, soit Joël Garreau.

  • 1 L’appauvrissement de ces populations découle largement du mode de financement de leur système d’éd (...)

23Pourtant, dans l’organisation spatiale des grandes métropoles américaines, ces « edge cities » constituent le contrepoids socio-économique des « ghettos ». En ces derniers, un phénomène d’« involution » sociale entretient des populations démunies dans une spirale d’enfermement, d’appauvrissement1 et de criminalité. Ces quartiers pauvres de la ville centrale sont étiquetés comme des lieux d’insécurité, auxquels il faut échapper pour réaliser le rêve américain. La fuite de l’insécurité ressentie dans la ville centrale a renforcé la recherche d’une meilleure qualité de vie. Le regroupement spontané dans une « edge city » représente l’aboutissement de ce double mouvement. L’apparition des « Edge Cities » dans l’Amérique anglophone vient mettre un terme à la valse banlieue-ville centrale ; dorénavant complètement coupé de la désolante ville centrale, le citadin américain n’a plus à s’embarrasser des préoccupations d’équité sociale.

  • 2 Au Québec, l’éducation ne dépend financièrement de la population locale que pour un léger pourcent (...)

24Au contraire, Montréal a été classée à égalité avec Melbourne et Seattle-Tacoma à la première place des cent villes les plus vivables de la planète par le Population Crisis Committee de Washington (Marsan ; 1992). Cette région obéit à des impératifs culturels différents2 : même s’il vit en banlieue, le citadin tient à garder un lien avec la ville centrale (v.g. le métro de Longueuil et son prolongement futur à Laval). Loin de susciter un sentiment de désolation, le centre-ville de Montréal reste un lieu de divertissement important au niveau régional. Dans la région montréalaise, le développement des banlieues n’a pas encore atteint le stade de la spécialisation fonctionnelle. Les trois quarts de l’espace à bureau métropolitain se retrouvent au centre-ville ou à sa périphérie immédiate. Même s’il est en perte de vitesse depuis les années 60 (Lamonde & Coll ; 1989), le centre-ville de Montréal continue de concentrer plus de 80 % des emplois de bureaux de la région métropolitaine. En beaucoup de secteurs d’activités, l’emploi se concentre encore sur l’île de Montréal et dans la ville centrale. La complémentarité persiste. L’amélioration du transport en commun perpétue les liens de complémentarité. On peut voir dans cette complémentarité une expression spatiale d’un besoin profond de rééquilibrage des avantages entre collectivités, caractéristique d’une certaine culture québécoise, tout comme la « edge city » reflète l’individualisme acharné de l’américain anglo-saxon.

25De nombreux facteurs socio-économiques et technologiques contribuent à la décentralisation de l’activité économique (v.g. les avancées en télécommunication, la technologie de la fibre optique, télécopieurs, conférences téléphoniques, ordinateurs reliés par réseaux électroniques, etc.). Ils ont libéré de nombreuses entreprises du secteur tertiaire de la nécessité de se situer à proximité de leurs marchés. Ces changements renforcent un mode de décentralisation relié à la suburbanisation. Mais, à Montréal, les forces centripètes semblent réussir à faire contrepoids aux forces centrifuges.

9) Conclusion : L’Américanité de Montréal

26Garreau et Lévine défendent la thèse que l’avenir de la trame urbaine en Amérique du Nord passe par le renforcement de la ville périphérique et l’affaiblissement de la ville centrale. Aux yeux de Levine, cette « folklorisation » peut être évitée si le législateur s’assure que la décentralisation ne laisse pas derrière elle un noyau urbain ravagé, « évidé ».

27L’aire métropolitaine montréalaise ne se conforme pas aux critères de la « edge city » américaine et ne remplit pas les critères énoncés par Garreau. L’implication de l’État dans la planification de son développement, tant au niveau fédéral, provincial que municipal, a fait concurrence aux forces du capitalisme, alors que les apports variés (historique, démographique, économique et culturel) continuent d’imprégner son organisation spatiale d’une façon originale. Même sans intervention de l’État, l’évolution de Montréal et de sa région métropolitaine se différencie de celle des villes américaines et de celle des autres villes canadiennes. Les espaces où se créent les villes de banlieue autour de Montréal ont été au préalable des espaces agricoles tapissés de villages. A mesure que s’installe l’urbanisation sur l’île de Montréal, ces villages deviennent les centres de villes de banlieue ; puis, quand il y a des annexions ou des fusions, elles se transforment en quartiers urbains. Ce processus, relativement spontané, fait de Montréal un « conglomérat de villages ».

28Sur les terres américaines de la côte Atlantique, ce type d’évolution urbaine n’a pas été possible, parce que l’agriculture qui l’occupait s’est déplacée quand les terres du « Middle West » américain sont devenues disponibles. En un siècle, la forêt a reconquis ces terres rurales ainsi abandonnées sur la Côte Atlantique des États-Unis. Ces terres se prêtaient également à la suburbanisation et même à la mégalopolisation. Dans cet espace dépourvu de véritables villages, les « edge cities » se sont mises en place silencieusement, de façon subreptice. Alors que les mesures de l’« affirmative action » s’imposaient dans les villes centrales pour corriger les conséquences des discriminations passées et favoriser l’emploi et l’éducation des minorités qui s’y trouvaient, de véritables échappatoires géographiques se mettaient en place.

29Ainsi, la métropole québécoise échappe à cette polarisation des grandes aires métropolitaines anglo-américaines. L’apport francophone, fondé en partie sur des valeurs plus collectives et moins individuelles, y a considérablement atténué la virulence du capitalisme. McNicoll (1993) a montré que la société montréalaise est une société multiculturelle. Dans son espace, des concentrations ethniques existent, mais elles ne constituent pas des quartiers ethniques et encore moins des ghettos. Même s’il existe un problème d’intégration à la majorité, les minorités ethniques y sont plus dispersées que dans les métropoles américaines. Ces minorités se sont appropriées les structures de villages mises en place par les francophones (Grenier & Wolfe ;1990). Montréal participe donc avec les autres grandes villes d’Amérique à l'américanicité du continent ; mais, il s’agit d’une américanicité particulière, nous pourrions dire d’une québécité où l’héritage français prédomine, enrichi d’apports culturels variés, surtout anglais.

Annexes

CARTE 1. TERRITOIRE DE LA RÉGION MÉTROPOLITAINE DE MONTRÉAL

CARTE 3. BANLIEUES MONTRÉALAISES EN 1976

Notes

1 L’appauvrissement de ces populations découle largement du mode de financement de leur système d’éducation. Comme ce système dépend principalement des impôts prélevés auprès des contribuables locaux, le départ vers des villes de banlieue des plus fortunés réduit considérablement l’assiette fiscale, et fait des moins fortunés les contribuables principaux du financement de leur système scolaire. Cet affaiblissement de l’assiette fiscale conduit inévitablement à une détérioration du système d’éducation.

2 Au Québec, l’éducation ne dépend financièrement de la population locale que pour un léger pourcentage des coûts: l’essentiel provient du Gouvernement Provincial. La qualité du système d’éducation ne baisse donc pas nécessairement avec le départ des citadins aisés vers les villes de banlieue. L’impact de ce départ est compensé par l’arrivée de nouveaux citadins, venus s’installer dans les condos qui se multiplient en périphérie du centre-ville.

Table des illustrations

Légende CARTE 1. TERRITOIRE DE LA RÉGION MÉTROPOLITAINE DE MONTRÉAL
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Légende CARTE 3. BANLIEUES MONTRÉALAISES EN 1976
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Auteurs

Université de Sherbrooke, Sherbrooke, Québec.

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