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Un pasteur républicain au XIXe siècle : Lettres de Jules Steeg à Maurice Schwalb 1851-1898

[1896]

Texte intégral

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Paris, le 24 Février 1896

1[...] Rien ici de nouveau. Ma vie est heureusement toujours assez occupée et j’aurai passé un très bon hiver, sans oppression ni crises.

2Mercredi, j’ai eu la bonne fortune d’être invité avec Berthe à aller à l’Opéra dans une excellente loge d’avant scène, d’où nous avons vu et entendu Lohengrin de Wagner. La fable est un peu enfantine, mais la scène est éblouissante, et la musique a des parties vraiment exquises et d’une poésie parfaite. Ce sont des œuvres qu’il faudrait entendre plusieurs fois pour les pénétrer et en bien jouir. Mais on ne va pas à l’Opéra comme au moulin. C’était la première fois que Berthe y mettait les pieds, et je jouissais de ses ravissements. Samedi soir, je suis allé au bal des anciens élèves de l’Ecole alsacienne, pour leur témoigner mon intérêt. Je fais partie du conseil des études. Arrivé à 10 1/2 j’en suis reparti à 1h1/2 du matin, sans attendre le souper. Je n’ai naturellement pas dansé, mais philosophé avec un certain nombre de pères qui regardaient comme moi tourbillonner la joyeuse jeunesse. Tu vois que je prends ma petite part de la vie mondaine. Peut-être irai je faire aussi un tour mercredi prochain au bal de l’Elysée, pour y rencontrer quelques uns de mes anciens collègues du Parlement. L’ennui de ces sorties, que je fais très rarement, ce sont les rentrées tardives.

  • 1 Lui, sa femme et Berthe.
  • 2 Paul Gaufrés, ancien condisciple de Steeg à Montauban. On se souvient qu'il est directeur de l’asi (...)
  • 3 Jules Gaufrés.

3Hier soir nous dinions tous les trois1 à Courbevoie avec les deux familles Gaufrès. J’ai toujours grand plaisir à me retrouver avec eux, le jeune parce que c’est un ancien condisciple2 qui me rappelle mes jeunes années, l’ainé3 parce que c’est un homme d’une rare valeur morale, un homme de bien, un huguenot d’esprit libre et de ferme caractère, avec qui l’on peut causer en sécurité de toute espèce de sujet. La semaine dernière, j’ai eu le plaisir de diner, chez un de mes collègues de l’inspection générale qui demeure dans mon quartier, avec Pécaut et Buisson.

  • 4 Noël Vauclin, Les Mémoires d'un instituteur français, Paris, Alcide Picard et Kaan. Compte rendu p (...)

4Je lis en ce moment, pour en rendre compte dans notre Revue pédagogique les mémoires d’un instituteur français, par Noel Vauclin4, livre intéressant, candide, qui repose des romans prétendus de mœurs, c’est à dire de mauvaises mœurs. Il y a autre chose en France que le monde frelaté que ces romans et les théâtres nous présentent. Il y a la masse des braves gens, et l’élite des gens de cœur, dont ce brave instituteur, très réel, et que je connais de son vrai nom, fait partie. [...]

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Paris, le 28 Février 1896

  • 5 Les divers projets de réforme du ministère Léon Bourgeois (il était question par exemple d’établir (...)

5[...] Tu as raison, il y a une part de ma vie que tu n’as pas partagée, mais aussi cela ne se pouvait guère, c’est ma vie publique, politique. [...] En réalité, c’est à l’extérieur de ma vie, non à l’intérieur ; c’est une forme, un accident. Et aujourd’hui que j’en suis hors, pourquoi veux tu que je t’entretienne de questions d’un intérêt si passager, si fugitif ? Je n’attribue pas autant d’importance que tu peux le croire à l’avènement ou à la chute d’un ministère. Le conflit du cabinet et du Sénat5 n’est plus qu’un feu de paille. Je ne vois pas une révolution ni un coup d’Etat au bout de tous les scrutins. Il faut savoir faire la part des criailleries voulues, des parades, des coups de théâtre. Ce qui se passe chez nous n’est que l’évolution naturelle d’une démocratie qui fait son apprentissage, n’est que l’usage des libertés conquises, liberté de parole et de presse. Tu dis : vous devriez arrêter tout cela, paralyser à tout prix cette poignée de turbulents. Mais non, pas à tout prix, pas au prix de la liberté. Et puis qui cela, vous ? Chez nous, c’est la majorité des suffrages qui fait la loi. C’est le Parlement qui est le maitre, c’est à dire le pays qu’il représente. La seule chose que l’on puisse faire, c’est de parler au peuple, c’est de l’éclairer, de le convaincre, par les journaux, les livres, les leçons, les réunions, l’éducation générale. Nous avons le gouvernement que nous méritons. Nous ne le subissons pas, nous le faisons, nous – c’est à dire la majorité du pays. Qu’il y ait dans le parlement des luttes d’intérêt, des rivalités de personnes, des victoires et des chutes de partis, rien de plus naturel. Cela est ainsi partout où la démocratie règne, en Suisse, en Amérique. C’est la condition du régime parlementaire, du régime populaire. Et il n’y en a point d’autre qui lui soit préférable ; il faut donc le prendre avec ses défauts, pour jouir de ses bienfaits. Et ses bienfaits sont éclatants, éblouissants. C’est la liberté sous toutes ses formes, c’est l’instruction populaire propagée, développée, devenue une condition de salut public, c’est le souci de la justice, de la bienfaisance sociale, c’est, en somme, la dignité de citoyens qui ne sont les sujets de personne et se gouvernent eux-mêmes, ou peuvent le faire, doivent le faire. Tu comprends qu’avec cette admiration profonde des bienfaits de la Révolution, affermis et régularisés par la République, je ne m’émeuve pas outre mesure des minuscules conflits de la politique. A travers tout cela, notre peuple fait son éducation – et moi, je me soucie désormais de l’éducation des jeunes, des générations qui entreront sur la scène du monde quand nous serons partis.

6Voilà des choses, en somme, banales, et je ne sais sais si elles répondent aux regrets que tu m’exprimais. Peut-être mon optimisme recevra-t-il de graves démentis. Si les événements étaient de nature à me troubler, à me prendre le cœur, tu t’en apercevrais bien vite, car je ne saurais ni ne voudrais te le cacher. Aussi longtemps que ce sont choses de tactique et de coulisses, je n’estime pas qu’elles vaillent la peine d’occuper notre correspondance. J’aime mieux te donner et recevoir des nouvelles de nos enfants. [...]

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Paris, le 20 Mars 1896

  • 6 Juliette et Madeleine. Madeleine Steeg, née le 24 septembre 1895, épousera Jacques Pécaut, fils de (...)
  • 7 Instruction religieuse.
  • 8 Cependant elle racontait beaucoup plus tard qu'en entendant la parole si melliflue de « M. Fontanè (...)

7[...] J’ai le grand plaisir d’avoir ici pour quelques jours les deux petites filles de Théodore6. Cela nous donne le regret que tous nos enfants soient séparés de nous par la distance. Il est vrai que nous avons encore Berthe qui suffit à remplir la maison de joie. Elle se développe beaucoup, aime les lectures sérieuses, va volontiers le Jeudi à l’instruction7 de Fontanès8, fait des réflexions in petto, mûrit insensiblement.

  • 9 La lecture en classe, à l'école et dans la famille.
  • 10 Ces deux recueils (parus tous deux chez Delagrave en 1896), et particulièrement celui de poésies, (...)

8Je prépare l’édition d’un choix de poésies de Victor Hugo. Je suis le seul autorisé à cet acte qui eût paru un sacrilège au Grand Homme ; il s’est trouvé que le tuteur de la fille survivante de Hugo (Adèle, folle et dans une maison de santé,) était un de mes anciens condisciples de Henri IV, qui avait consenti à me laisser reproduire des œuvres de Hugo dans mon petit journal9. Il m’a aussi signé, peu de jours avant sa mort subite, un traité qui me permet de faire deux recueils de prose et de vers, à mon choix10. Cela est intéressant et m’occupe assez, à côté du reste. [Il aura après Pâques sa tournée d’inspection générale, qui comprendra les Pyrénées orientales] [...]

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Paris, Dimanche de Pâques, 5 Avril 1896

9[...] Chaque fois que reviennent les grandes fêtes de l’Eglise, et surtout celle de Pâques, je me félicite de n’être plus appelé à prêcher. Je te l’ai déjà dit, mais je ne puis m'empêcher d’exprimer encore une fois ce sentiment, qui est un sentiment de délivrance. Non pas que j’aie jamais prêché en chaire autre chose que ce que je croyais, que j’aie jamais menti à mes auditeurs ou à ma conscience ; mais je sens qu’il eût fallu de plus en plus verser dans l’allégorie ou dans la polémique. C’est sans doute une belle chose que de prêcher à ses contemporains la vie religieuse et morale, mais c’est de si peu d’effet ! Il y faudrait une telle puissance pour attirer, retenir et convaincre les foules ! Et surtout il y faudrait, ce qui me manque de plus en plus une telle clarté, une telle certitude, il faudrait qu’on allumât dans les autres le feu dont on serait soi-même brûlé, qu’on fût un croyant ! Et où est maintenant la foi, la certitude ? [...] Sur le terrain de la vie morale, on peut encore essayer de dire des choses simples, vécues, sans prétention philosophique, d’ordre pratique. C’est ce que j’essaie de faire quand je suis appelé à en parler, occasions que je ne recherche jamais, et que je n’ai jamais déclinées. [...]

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Bourges, le 27 Mai 1896

  • 11 Promotion 1896.

10[...] Je suis en voyage depuis cinq semaines. [...] J’ai fait un voyage tout à fait délicieux [...] dans l’Indre [...] Toulouse [...] les Pyrénées Orientales [...] Béziers, Cette, Montpellier, Lodève etc. Me trouvant si près de Nimes, j’ai été y passer un Dimanche. Je suis allé chez les Babut, il n’y avait personne mais il est venu le soir me retrouver chez un de mes collègues chez qui j’avais diné. Je l’ai retrouvé peu changé, très blanchi ; mais nous n’avons pu causer pendant une heure que de choses banales, qui fournissent une conversation de société. Je doute du reste qu’il eût été possible d’aller un peu au fond. Il se garde. Il est devenu chef de parti ; il est le meneur du parti orthodoxe dans le Midi ; il en est du moins l’orateur et l’oracle. Il a un fils qui vient d’achever ses études théologiques, un autre à l’Ecole normale11 ; sa fille ainée a un grade dans l’armée du salut, et doit se marier avec un converti, un jeune homme de bonne famille catholique de Bordeaux, qui est aussi officier dans la même armée ; mais la générale leur a imposé des fiançailles d’un an, qui renvoient le mariage à l’automne [...]

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Paris, le 6 Août 1896

  • 12 Renée Kergomard.
  • 13 D’après le journal de Joseph Kergomard, Pauline Kergomard passa l’été 1896 avec ses enfants dans l (...)
  • 14 Le 4 août, Steeg écrivait à sa fille Berthe qui est à Flainville : « J’ai une vie pas trop solitai (...)
  • 15 Il y en avait beaucoup à cette époque, querelles intestines, rivalités de personnes, luttes nation (...)
  • 16 A Sainte-Foy sans doute les Sudre, Albert Sudre, fils de Joséphine Sudre, et sa femme Marie, dans (...)

11[...] [Il est en pleine période d'examens et est très occupé]. Ma femme est à Flainville depuis près de trois semaines, où elle est allée recevoir la femme de Théodore avec ses deux fillettes, et Lucie avec son bébé12. [...] Les deux maris sont allés rejoindre leur famille13. J’ai eu Théodore deux ou trois jours. Il a choisi un appartement et présidé à l’aménagement14. Car une grande modification s’est opérée dans leur vie. Il a été appelé comme professeur de philosophie à l’Ecole Alsacienne. Cette Ecole recevant un subside de l’Etat peut avoir des agrégés de l’Université, comme le Collège Stanislas ; ils y conservent leur rang dans la hiérarchie et leurs droits à l’avancement. C’est une grande joie pour nous de ravoir au moins une de nos familles près de nous. – J’attends Louis d’ici peu de jours, si les événements politiques de l’Orient15 ne le retiennent pas à son poste et ne l’empêchent pas de prendre le congé auquel il a droit. [...] Jeanne et son mari sont partis pour un petit voyage dans le midi, voir des amis et parents à Ste Foy, Bordeaux, Orthez, Pau et les Pyrénées16. Ils nous reviendront en Septembre, et nous aurons, j’espère, quelques bonnes journées de réunion complète. [...]

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Paris, le 10 Août 1896

  • 17 Alfred Rambaud.
  • 18 Plus exactement morale et pédagogie. C’est la mort récente d’Henri Marion qui libérait le poste.
  • 19 Sa correspondance avec Félix Pécaut à propos de la préparation de ses cours de pédagogie à la Sorb (...)
  • 20 Charles Bayet (1849-1919), professeur d’histoire à la faculté des lettres de Lyon, puis recteur de (...)
  • 21 Raymond Poincaré, alors ministre de l’Instruction publique.
  • 22 Henri Marion, professeur au lycée Henri IV puis chargé de cours à la Sorbonne, et dont la mort ava (...)
  • 23 Pécaut était « inspecteur général hors cadre, chargé de la direction des études » à l’Ecole normal (...)
  • 24 Que de nommer un protestant, (car ceux-ci étaient déjà nombreux dans le haut enseignement primaire (...)

12[...] Quant à la démission de Buisson [...] elle n’a pas la cause que tu soupçonnes. Le ministre actuel17 est un de ses amis personnels. Buisson était très fatigué par le labeur surhumain de 17 années pendant lesquelles il a fait une œuvre colossale. Il pensait à se retirer, épuisé, usé à la tâche. Une occasion unique s’est offerte : la vacance de la chaire de morale et de philosophie18. Les universitaires ont vu d’un assez mauvais œil cette prise de possession de la chaire de la Sorbonne par un administrateur. Il leur montrera qu’il y a en lui l’étoffe d’un penseur, d’un professeur éminent19. Il n’y a pas eu disgrâce, mais plutôt faveur dans cette nomination, du reste si bien justifiée. Il est certain néanmoins que son départ est un malheur ; son successeur20 est un homme intelligent, instruit, un lettré, un archéologue, mais il n’a pas l’envergure ni l’inspiration de Buisson. C’est une nouvelle ère, moins créatrice qu’administrative, qui commence. Joins à cela la démission de Pécaut, qui quitte Fontenay la semaine prochaine. Là encore il y a une apparence qui n’est pas fondée. Il voulait se retirer depuis deux ans pour aller rejoindre sa pauvre femme, presque toujours au lit, et qui ne peut quitter le climat du midi. L’an dernier, M. Poincaré21 l’a retenu ; mais cette année ci, avec l’assentiment de Buisson, et avant la mort de Marion22 (titulaire de la chaire de la Sorbonne) il a insisté et donné sa démission. Là encore, c’est une perte irréparable. Je ne dis pas que le parti réactionnaire n’en tirera pas bénéfice, mais il n’est pour rien dans ces deux résolutions, qu’on ne peut blâmer, vu leurs motifs légitimes. D’ailleurs Pécaut a 67 ans, et sans être plus fatigué qu’auparavant, il est d’une santé précaire. Je sais que dans les conciliabules avec Buisson et le Ministre, il a été question de moi pour le remplacer23. Ce serait un acte de courage, presque d’audace24 ; je ne sais ce qu’on décidera. Je laisse aller. Quant à moi, je suis effrayé de cette idée, de cette tâche difficile et redoutable. Mais si le Ministre s’y décide, je ne me sentirai pas le droit de la refuser. Du reste, nul au monde, à l’heure actuelle, en dehors de ces trois, n’en sait rien - que toi et moi. Je quitterais avec regret les fonctions agréables et relativement faciles que j’ai à présent. Du reste, je doute fort qu’il soit donné suite à cette idée. [...]

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Seine Inférieure, le Bourg-Dun, 19 Août 1896

  • 25 Le 15 août, fête de l’Assomption.
  • 26 Près de Pontoise. Buisson prendra sa retraite au village de Thieuloy-Saint-Antoine dont il était c (...)

13[...] Le ministre a eu le courage moral dont je te parlais dans ma dernière lettre. Il me veut à Fontenay. J’ai terminé mes examens Vendredi. Samedi matin, je suis parti pour la campagne, chez Buisson, qui nous avait donné rendez vous, à Pécaut et à moi. Il a loué pour l’été, surtout pour sa femme, un chalet dans un coin très retiré, et peu accessible. Il y avait foule au départ, jour de fête25. Je n’ai trouvé Pécaut qu’à la descente, à la gare de Presle26, là Buisson nous attendait, en paysan, une gaule à la main. Nous avions à faire une ou deux heures de route à travers bois. Temps délicieux, chaud au soleil, doux à l’ombre, belles allées couvertes, où nous voyions s’ébattre biches et daims. C’est là, chemin faisant, que les choses se sont décidées. Buisson avait vu le ministre la veille, avait reçu ses instructions et les pleins pouvoirs. M. Rambaud me faisait proposer de garder le Musée et de prendre la direction de Fontenay, avec un supplément de traitement, et en restant “hors cadre”, ou bien de prendre tout à fait la place de Pécaut, en prenant rang, à son départ, dans le cadre des six inspecteurs titulaires et en devenant directeur des études de Fontenay. J’ai préféré cette seconde alternative, d’accord en cela avec mes deux amis. 1° Je ne veux pas donner prise à des accusations malveillantes de cumul et d’accaparement, qui nuiraient à notre cause – 2° Fontenay vaut que je lui donne tout mon temps et tout mon souci – 3° Je ne serais pas fâché que mon départ du Musée ouvre une porte à l’un de nos amis. C’est donc une affaire entendue et réglée, quoique non encore ébruitée parce qu’elle n’a pas encore figuré à l’Officiel. Le ministre s’absentait pour quelques jours, et d’ailleurs le décret n’aura d’effet que pour le 1er Octobre. D’ici là, rien de changé – Mais pour moi, tout est changé. Je suis allé Dimanche soir diner avec Pécaut, et lui faire mes adieux, recueillir aussi ses renseignements, instructions et conseils. Après que je l’eusse quitté, après 9h du soir, pensant que cette maisonnette hospitalière allait se fermer, que cette lumière allait s’éteindre, je suis revenu sur mes pas, pour voir encore une fois briller sa lampe derrière les vitres !

  • 27 Steeg a 60 ans.
  • 28 C’est la devise de la maison de Nassau et des Pays Bas.

14Me voilà donc appelé, à l’âge raisonnable de la retraite27, à un genre d’activité tout nouveau pour moi, à une nouvelle vie – Je vais méditer pendant les vacances, et je passerai à l’action, à la rentrée. C’est une mer en apparence paisible, mais semée de récifs que celle où je me laisse embarquer. Je n’ai pas hésité, parce que j’y ai vu un devoir envers notre cause, envers notre œuvre, envers mes amis, envers Buisson et Pécaut, qui redoutaient avec raison un saut dans l’inconnu. Au moins, pendant que j’y serai, si je ne fais pas autre chose, “je maintiendrai”28. Ma femme en est très heureuse ; elle tremblait toujours que la politique ne me reprit. Cette situation exauce tous ses vœux, et ce m’est certainement une douceur, car elle a bien mérité d’avoir quelque satisfaction.

15Je suis ici depuis Lundi soir, avec toute la famille, sauf Jeanne qui arrivera dans peu de jours, et Louis cette semaine. Flainville est déjà et va être encore plus animé. [...]

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Le Bourg Dun, Seine Infre, le 4 Septembre 1896

  • 29 Le décret est du 28 août 1896.
  • 30 L’actuelle gare du Luxembourg ; le chemin de fer de Sceaux (actuelle ligne B du R.ER.) s'arrêtait (...)
  • 31 La gare de Port-Royal.

16[...] J’ai reçu aujourd’hui seulement l'ampliation du décret du Président de la République qui me fait entrer dans le cadre des titulaires de l’Inspection générale et me charge “de la Direction des Etudes à l’Ecole normale supérieure de Fontenay aux Roses.”29 C’est donc affaire faite et qui va être mise au Journal officiel. La réaction va hurler. Je ne puis regretter avec toi que ce ne soit pas la succession de Buisson qu’on m’ait donné. C’est une charge écrasante, aujourd’hui presque exclusivement administrative, ayant plus à porter sur les hommes que sur les idées, une charge de gouvernement plus que d’éducation, un poste où la politique, sous ses formes les moins nobles, a d’incessants contrecoups. Je serai plus heureux, et, je l’espère, plus utile dans mes fonctions de successeur de Pécaut. Je n’ai pas du tout l’intention d’aller m’établir à Fontenay. Tu as vu Pécaut dans une maison meublée, qu’il a quittée depuis plusieurs années pour une autre située vers le bas du coteau. Il en était locataire, y payait un loyer, avait un bail qui est fini. Je resterai dans mon agréable maison de Paris, où je suis depuis dix ans, ayant un loyer relativement faible, alors que de tels pavillons se paient des prix exorbitants. J’y ai de la place, j’y puis, aux diverses vacances, recevoir les membres de la famille. Paris est un centre, un lieu de rendez vous. Fontenay ne le serait pas. On a prolongé la ligne de Sceaux par des travaux souterrains jusqu’à la rue de Médicis30, au coin de la rue Soufflot ; il y a une gare aussi au carrefour de l’Observatoire31, à quelques minutes de chez moi. Je prendrai un abonnement à l’année, et pourrai circuler sur la ligne plusieurs fois par jour, si c’est nécessaire.

17 [Schwalb songe à quitter Heidelberg avec sa femme pour venir s’installer en France. Dans ce cas, Steeg lui conseille Paris ou la région parisienne.]

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Fontenay-aux-Roses, le 11 Octobre 1896

  • 32 Sans doute Alphonse Darlu, très attaché à Fontenay. Il sera inspecteur général de philosophie de 1 (...)
  • 33 Le 22 octobre, Pécaut écrit à Steeg, en parlant de Mlle Saffroy : « Elle se comporte comme il faut (...)
  • 34 Et installée, comme sa femme (celle-ci sur ordre du médecin) à Orthez.
  • 35 Et quelquefois deux fois par jours. Il est mortellement inquiet pour Fontenay, auquel il tient tan (...)

18[...] Je suis entré en fonctions dès ce 1er Octobre. C’est à dire que ce jour là je suis allé à Fontenay voir la Directrice et l’Econome, seules présentes, les élèves ne devant rentrer que le 8. J’ai reçu ceux des professeurs qui étaient rentrés, l’après midi de Dimanche. Vendredi, j’ai réuni les élèves et les répétitrices dans la grande salle et leur ai adressé une allocution de salut cordial. Hier, j’ai assisté à la première leçon : cours de morale, par un de nos philosophes les plus distingués et les plus sérieux de l’Université32. La plus grosse difficulté, et qui parait momentanément surmontée, c’était le mauvais vouloir de la directrice – une femme fort intelligente, que M. Pécaut avait choisie il y a six ans, et qui avait fini par supporter impatiemment la haute autorité et le contrôle de son supérieur. Elle avait remué ciel et terre pour qu’on ne donnât pas de successeur à M. Pécaut et qu’elle restât seule chargée de toute la direction. Ce ne fut l’avis ni de MM. Buisson et Pécaut, ni du Ministre, et elle ent une violente déception de ma nomination. Mais elle comprit vite, à mes deux visites, deux choses : l’une, c’est qu’elle avait à choisir entre la soumission et la démission, l’autre, que je restais avec elle le même que précédemment, c’est à dire, si elle le voulait, un ami, bienveillant et sans morgue. Elle a cédé, et parait avoir pris son parti de l’inévitable33. Quelqu’un qui n’a pas pris son parti, c’est notre ami Pécaut. Il a voulu se retirer pour rejoindre sa femme, sa fille veuve34 ; mais la séparation d’avec son œuvre est un vrai déchirement ; il m’écrit presque tous les jours35 ; je le tiens au courant pour ménager la transition. Il a encore beaucoup de vigueur et aurait pu continuer ; il faut qu’il trouve à s’occuper. Orthez est un séjour mortel, où il n’a aucune relation possible : la ville décline, la société catholique est sotte et fermée ; l’Eglise protestante est orthodoxe. Je pense que le Ministre l’emploiera à des inspections et enquêtes, où il rendra de grands services. Je vais à Fontenay tous les jours, passer le matin ou l’après midi, selon les circonstances ; j’ai du reste encore la direction du Musée pédagogique, jusqu’à ce qu’on me donne un successeur.

19Nous avons quitté Flainville le 30 7bre après un mois de pluie ! Flainville est un hameau de la commune du Bourg Dun, dont le bureau de poste est dans une autre commune appelée Fontaine le Dun. Le Bourg Dun est dans les terres ; notre maison est sur la lisière de la commune limitrophe qui est maritime : St Aubin. Tu vois que cette fois je songe à répondre à tes demandes de renseignements [...]

20J’ai eu pour ma part un assez mauvais mois de septembre, un mois de vieux ! Je suis bien remonté depuis mon retour à Paris.

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Paris, le 1er Novembre 1896

  • 36 Simone Steeg (plus tard Mme Pascal Dupuy) (1896-1964) était née le 19 septembre 1896.
  • 37 Où Jean Kergomard était professeur à l’Ecole normale.

21[...] Je n’ai guère de loisir pour le moment. Je vais chaque jour à Fontenay, soit le matin, soit l’après midi ; j’y assiste à quelques leçons, je cause avec la directrice, les répétitrices, je lis quelques travaux d’élèves, je donne quelques leçons de pédagogie morale, je réponds aux lettres reçues, qui iront toujours en augmentant. A Paris, le Musée, les commissions, les examens, me prennent le reste de mon temps. Et je ne m’en plains pas ; cela est mon devoir, mon “état. J’ai depuis longtemps renoncé à toute ambition d’auteur, de savant ; je fais au jour le jour ce qui se présente. La vie de famille a forcément et heureusement aussi sa large part. En ce moment, j’ai Théodore, sa femme et ses trois filles36, venus passer l’après midi du Dimanche ; ils viennent fréquemment déjeuner ou diner. Ma femme est à Bourges, chez Lucie, dont le bébé était souffrant, mais est guéri ; elle va partir demain pour Blois37, chemin du retour, et y restera la semaine. En ce moment Jeanne est suppléante à l’Ecole normale, pour une maitresse en congé ; elle s’intéresse beaucoup à ses leçons, à ses élèves. Son mari prépare les examens de l’Inspection primaire, et m’envoie quelquefois des compositions, qui sont bonnes. [...]

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Paris, le 23 Novembre 1896

  • 38 Lorsqu’ils étaient enflammés du zèle d’annoncer l’Evangile.

22[...] Hier soir, j’ai assisté à une réunion de jeunes philanthropes et libres-penseurs, soucieux de propagande démocratique et rationaliste. C’était dans une des salles du Musée pédagogique que M. Buisson m’avait prié de leur prêter. Il y avait là surtout des étudiants, quelques docteurs en médecine, quelques instituteurs et jeunes professeurs libres. Cinq ou six personnages de marque avaient été invités comme moi. J’ai été très frappé tout ensemble de la bonne volonté généreuse de ces jeunes gens et de l’étroitesse fanatique de la plupart. Ce sont des orthodoxes retournés. Ils voulaient qu’on mît à la base des statuts une confession de foi déclarant qu’on acceptait le libre examen, sans prétendre en limiter les conséquences. Cette adjonction (un truisme !) était le Shibboleth, hors de là point de salut ; ils voient partout des traitres, des réactionnaires. Et je me demande ce qu’ils peuvent bien vouloir propager, leur ardeur antidogmatique allant jusqu’à proscrire toute affirmation. Je suis revenu un peu triste. Il me semble que j’aimais encore mieux nos ardeurs conquérantes d’antan38 ; elles avaient du moins une inspiration et un but. L’ardeur de détruire est inhérente à la jeunesse ; mais nous voulions bâtir aussi. Ceux ci disent qu’ils ne veulent propager qu’une méthode, et ils prétendent s’adresser aux enfants des écoles et au peuple. Ce n’est pas une méthode qu’ils réclament. [...]

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  • 39 En-tête imprimée en haut à gauche :

Fontenay-aux-Roses, le 28 Décembre 189639

23[...] O oui, moi aussi, je le répète souvent, le cantique d’angoisse ! Mais ma vie est si pleine d’occupations que je ne puis guère me replier ainsi sur moi même et me ronger de questions sans réponse ; je me garde pour l’action. Je regrette de n’avoir pas vingt ou trente ans de moins pour l’œuvre que je suis appelé à faire, ou toute autre analogue. J’ai un peu d’expérience et de sagesse, mais il me manque la force et surtout la folie, la folle confiance et le téméraire élan de la jeunesse. Que de fossés je ne sauterais plus aujourd’hui que je franchissais d’un bond, au risque de me casser le cou ! Je vais mon petit bonhomme de chemin – aussi longtemps que les jambes me porteront – c’est à dire – sans métaphore – que je fais chaque jour la tâche quotidienne, les voyages, les inspections, les leçons, les conférences, les bouts d’article, les conversations, tout ce qui se présente, tout ce qui s’impose ; et je me dis que de l’ensemble de tant de choses résultera peut-être un ouvrage, une action utile, une influence durable. [...]

Notes

1 Lui, sa femme et Berthe.

2 Paul Gaufrés, ancien condisciple de Steeg à Montauban. On se souvient qu'il est directeur de l’asile Lambrechts à Courbevoie.

3 Jules Gaufrés.

4 Noël Vauclin, Les Mémoires d'un instituteur français, Paris, Alcide Picard et Kaan. Compte rendu par Jules Steeg dans la Revue pédagogique, XXVIII (1896, I), p. 356-362.

5 Les divers projets de réforme du ministère Léon Bourgeois (il était question par exemple d’établir un impôt sur le revenu !) alarmaient la majorité modérée, forte surtout au Sénat. Sur ce dernier point, Steeg avait pris parti en faveur de l’établissement d’un tel impôt dès 1871 dans le Progrès des Communes.

6 Juliette et Madeleine. Madeleine Steeg, née le 24 septembre 1895, épousera Jacques Pécaut, fils de Félix Pécaut fils, et petit-fils de F. Pécaut ; elle mourra de la grippe espagnole en 1920.

7 Instruction religieuse.

8 Cependant elle racontait beaucoup plus tard qu'en entendant la parole si melliflue de « M. Fontanès », cela coulait si bien qu'elle n’y trouvait plus (« in petto ») aucun sens.

9 La lecture en classe, à l'école et dans la famille.

10 Ces deux recueils (parus tous deux chez Delagrave en 1896), et particulièrement celui de poésies, d’innombrables fois réédité, sont le moyen par lequel Hugo fut surtout connu de la masse des lecteurs. Encore aujourd’hui il n’est pas de poème très largement connu de Hugo qui n’y figure pas.

11 Promotion 1896.

12 Renée Kergomard.

13 D’après le journal de Joseph Kergomard, Pauline Kergomard passa l’été 1896 avec ses enfants dans la « petite maison » que les Steeg venaient d’acheter sur le coteau (et qui plus tard, fut la maison de François Le Cœur et de sa femme, née Berthe Steeg).

14 Le 4 août, Steeg écrivait à sa fille Berthe qui est à Flainville : « J’ai une vie pas trop solitaire. J’ai eu Joseph et Théodore. Celui ci songe à partir demain, et vous arrivera avant souper - si rien ne modifie le plan – Je viens de visiter son appartement, qui est vraiment très joli. C’est un rez de chaussée, très clair sur le boulevard, en face d’un joli petit square. Cuisine appétissante, grande salle à manger, joli salon : tout ce qu’il faut pour être bien. C’est un quartier neuf, des rues et des maisons (superbes) que je n’avais jamais vues. C’est sur la grande place du Lion de Belfort, juste en face de leur ancien appartement – mais avec cinq étages de moins à monter ! »

15 Il y en avait beaucoup à cette époque, querelles intestines, rivalités de personnes, luttes nationales, attisées par les rivalités des grandes puissances. Peut-être s’agit-il de la révolte de la Crète contre le joug turc.

16 A Sainte-Foy sans doute les Sudre, Albert Sudre, fils de Joséphine Sudre, et sa femme Marie, dans leur maison (achetée aux Amanieux) du Fort, à la tête du pont sur la Dordogne ; à Bordeaux des parents des Reclus, Henri Bermond, fondé de pouvoirs d’une maison de vins, son frère cadet Albert, facteur de pianos, et M. Pradelles, peintre ; à Orthez il y avait peut-être encore des Reclus, et des parents de Zoé Steeg.

17 Alfred Rambaud.

18 Plus exactement morale et pédagogie. C’est la mort récente d’Henri Marion qui libérait le poste.

19 Sa correspondance avec Félix Pécaut à propos de la préparation de ses cours de pédagogie à la Sorbonne montre en tout cas qu’il les prit très au sérieux.

20 Charles Bayet (1849-1919), professeur d’histoire à la faculté des lettres de Lyon, puis recteur de l’Académie de Lille, directeur de l’enseignement primaire de 1896 à 1914, où il s’engagea à 65 ans.

21 Raymond Poincaré, alors ministre de l’Instruction publique.

22 Henri Marion, professeur au lycée Henri IV puis chargé de cours à la Sorbonne, et dont la mort avait rendu vacante le poste qui fut transformé en chaire, ce qui permettait au ministre d’y nommer qui il voulait, comme il est de tradition pour une chaire nouvellement créée et pourvue pour la première fois.

23 Pécaut était « inspecteur général hors cadre, chargé de la direction des études » à l’Ecole normale supérieure d’institutrices, et cette école avait une directrice. La fonction confiée à Pécaut lors de la création de l’Ecole et pour cette création n’avait pas d’équivalent ailleurs, même à Sèvres, et pouvait être considérée comme provisoire. Il est vrai qu’il lui avait donné un tel relief qu’il paraissait indispensable, mais aussi irremplaçable. La directrice en poste, Mlle L. Saffroy, qui ambitionnait de rester seule à la tête de l’Ecole sans être soumise à un inspecteur général fut furieuse de la nomination de Steeg et fit tout pour lui rendre la tâche impossible. Ce fut un drame pénible dont Steeg se tira avec décision. Les lettres suivantes résument cet épisode.

24 Que de nommer un protestant, (car ceux-ci étaient déjà nombreux dans le haut enseignement primaire et secondaire), et ancien homme politique et républicain anticlérical.

25 Le 15 août, fête de l’Assomption.

26 Près de Pontoise. Buisson prendra sa retraite au village de Thieuloy-Saint-Antoine dont il était conseiller municipal.

27 Steeg a 60 ans.

28 C’est la devise de la maison de Nassau et des Pays Bas.

29 Le décret est du 28 août 1896.

30 L’actuelle gare du Luxembourg ; le chemin de fer de Sceaux (actuelle ligne B du R.ER.) s'arrêtait jusqu’alors à la gare Denfert-Rochereau.

31 La gare de Port-Royal.

32 Sans doute Alphonse Darlu, très attaché à Fontenay. Il sera inspecteur général de philosophie de 1899 à 1919.

33 Le 22 octobre, Pécaut écrit à Steeg, en parlant de Mlle Saffroy : « Elle se comporte comme il faut avec vous ? Tant mieux ; mais ayez les yeux ouverts, et tenez-vous à votre place. »

34 Et installée, comme sa femme (celle-ci sur ordre du médecin) à Orthez.

35 Et quelquefois deux fois par jours. Il est mortellement inquiet pour Fontenay, auquel il tient tant, et pour Steeg.

36 Simone Steeg (plus tard Mme Pascal Dupuy) (1896-1964) était née le 19 septembre 1896.

37 Où Jean Kergomard était professeur à l’Ecole normale.

38 Lorsqu’ils étaient enflammés du zèle d’annoncer l’Evangile.

39 En-tête imprimée en haut à gauche :
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