Sociologie des élus depuis 1955 : permanence et changement
p. 175-191
Texte intégral
1Le succès électoral de Margaret Thatcher en 1983 a amené 101 nouveaux élus conservateurs à siéger à la Chambre contre seulement 34 nouveaux élus travaillistes. L'élection à la Chambre par des circonscriptions traditionnellement acquises aux travaillistes d'une centaine de nouveaux députés conservateurs devrait modifier sensiblement la morphologie de la Chambre de 1983 par rapport aux Chambres précédentes. Les députés conservateurs qui ont pris des sièges travaillistes présentent un profil différent non seulement de celui de leurs adversaires, mais aussi de celui des autres députés de leur groupe parlementaire. En effet, les candidats présentés par le parti conservateur dans des circonscriptions acquises par avance à l'adversaire ne sont pas tout à fait les mêmes que dans les circonscriptions où les conservateurs sont surs de gagner.
2Étant donné le grand nombre de sièges perdus, le groupe travailliste de la nouvelle Chambre se trouve d'une part réduit, et d'autre part présente un profil original par rapport à celui des Chambres précédentes. À partir d'une étude comparée des Chambres de 1955, 1970 et 1974 (février et octobre) nous allons à présent tenter d'analyser les changements survenus à la suite des élections de 1983.
Répartition des parlementaires conservateurs et travaillistes en 1970, février 1974 et 1983

3Il s'agit de déterminer en quoi les deux groupes parlementaires les plus importants ont évolué et dans quelle mesure cette évolution est le prolongement d'une tendance déjà visible dans les Chambres précédentes. Tout en soulignant ces changements, nous mettrons en évidence les caractéristiques qui semblent être permanentes. Nous tenterons de déceler les causes de ces changements et de distinguer ceux qui depuis 1955 suivent une courbe, qu'elle soit ascendante ou descendante, de ceux qui ne semblent être que conjoncturels.
4Cette étude ne porte que sur les deux grandes formations, car les autres sont trop faibles en nombre pour qu'une comparaison ait une quelconque signification. Nous avons écarté les élus d'Irlande du Nord, car trop atypiques, et les femmes en tant que groupe, (13 Conservateurs et 10 Travaillistes) car elles continuent à faire figure de mascottes dans cette assemblée à dominante depuis toujours masculine.
5Les paramètres adoptés ont été : l'âge des députés au moment de l'élection, leur niveau de formation, leur distribution professionnelle et leur participation éventuelle aux conseils municipaux ou régionaux. Notre analyse s'appuie principalement pour les élections de 1955 à 1974, sur un article publié dans Élections de crise en Grande-Bretagne en 19751. Pour l'élection de 1983, le Times Guide to the House of. Commons, June 1983 et le Who's Who ont servi de référence.
6D'autre part, les caractéristiques des députés nouvellement élus ont été mises en regard de celles des autres députés de leur groupe parlementaire, des députés occupant un poste de niveau ministériel et des députés du rang. Nous verrons comment le personnel politique parlementaire a évolué par rapport à lui-même et comment chaque groupe a évolué par rapport à l'adversaire.
L'âge des parlementaires
7On observe un rajeunissement au sein du groupe conservateur en 1974 par rapport aux Chambres de 1955 et 1970 où l'on trouvait environ 35 % de moins de 50 ans. En février 1974, 59,6 % des députés conservateurs avaient moins de 50 ans et 19,2 % moins de 40 ans. Cette tendance s'est accentuée en octobre 1974 où 63,4 % des élus conservateurs se trouvaient dans la classe d'âge des moins de 50 ans et 20,4 % avaient moins de 40 ans. En 1983, cette tendance se renverse pour les moins de 50 ans qui ne représentent plus que 55,3 % du groupe conservateur, mais le chiffre pour les moins de 40 ans reste stable (20,7 %).
8Si l'on regarde le nombre des députés conservateurs qui occupent un poste de niveau ministériel, on constate qu'en 1955 et 1970 le nombre de députés de moins de 50 ans était respectivement de 2 et de 4 pour chacun de ces cabinets alors que les contre-gouvernements de mars et novembre 1974 comprenaient respectivement 12 et 21 députés sur 22 dans cette classe d'âge. Il est vrai qu'après une défaite électorale, on peut s'attendre à rencontrer davantage d'éléments jeunes dans les rangs des contre-gouvernements. Les membres actuels du Cabinet ministériel qui ont moins de 50 ans sont au nombre de 3 sur 21 seulement. Les critères de sélection des députés pour un poste ministériel sont différents selon que le parti est au pouvoir ou non. En comparant l'âge des membres du Cabinet avec celui du reste du Gouvernement, on voit que le parti ne prend pas de risques dans la sélection des hommes auxquels il confie des responsabilités ministérielles. Ces hommes ont tous déjà occupé des postes ministériels et se trouvent, de ce fait, pour la plupart dans la classe d'âge de 50 à 59 ans. L'âge moyen est 55 ans, le plus jeune ayant 44 ans et le doyen 76. Les sous-secrétaires d'État et autres députés de rang ministériel se répartissent de la façon suivante : 17,7 % de moins de 40 ans et 53,7 % de moins de 50 ans. Ceci se comprend, car ils doivent encore faire leur apprentissage du travail au niveau ministériel avant l'ultime sélection qui fera - ou ne fera pas - d'eux un des ministres. Les critères de sélection pour le reste du Gouvernement sont bien moins draconiens que pour le Cabinet, car les députes sont pris à l'essai. Ceci se traduit par une plus forte proportion de jeunes et il arrive même qu'on y trouve des femmes. Néanmoins, les Conservateurs ont leurs vétérans. En 1983, le groupe conservateur comporte 13 % de députés de plus de 60 ans, mais les Travaillistes les battent dans cette catégorie avec 22 %. Un facteur qui contribue à vieillir le Cabinet élargi aux sous-secrétaires et autres élus occupant un poste de niveau ministériel est l'arrivée des 21 membres de la Chambre des Lords, mais nous ne les avons pas comptabilisés avec les élus.
9Comme pour les Conservateurs, on observe un rajeunissement du groupe travailliste de février et d'octobre 1974 par rapport à ceux de 1955 et 1970. On trouve 49 % des nouveaux élus de février 1974 dans la classe de moins de 50 ans et 16,2 % dans celle de moins de 40 ans contre 33,5 % et 7,3 % en 1955. Bien que les comparaisons soient difficiles à. cause du faible nombre (34) de nouveaux élus (1970 : 52), on trouve 41 % dans les moins de 40 ans et 81,1 % dans les moins de 50 ans. Mais ceci n'a guère de signification étant donnée la distorsion qu'entraine leur petit nombre. Parmi les nouveaux élus conservateurs de cette même élection, on trouve 53,5 % de moins de 40 ans et 93 % de moins de 50 ans. On remarque ici, comme pour toutes les catégories étudiées, que les Conservateurs sont plus jeunes que les Travaillistes.
10Parmi les porte-parole de l'opposition (qui étaient au nombre de 67 au moment de l'élection), on trouve 38,3 % de moins de 50 ans et 4 % de moins de 40 ans. Là encore, on constate que l'âge moyen des Travaillistes est plus élevé que celui des Conservateurs. Par contre, dans le Cabinet fantôme restreint de Neil Kinnock, un peu plus de 50 % a moins de 50 ans.
11Si on compare l'âge de l'ensemble du groupe parlementaire travailliste de 1983 à celui des Conservateurs, on trouve 42 % de députés dans le groupe de moins de 50 ans, ce qui est loin derrière les 55,3 % pour la même catégorie chez les Conservateurs et 11,6 % pour les moins de 40 ans, à peu près la moitié du chiffre pour le groupe conservateur correspondant : 20,7 %. Donc, malgré les fluctuations dues aux échecs et aux succès électoraux, les élus conservateurs continuent d'être plus jeunes que les élus travaillistes. Cette différence entre les deux partis semble être une constante.
12Une des raisons qui explique cette différence d'âge est liée à la formation des députés. En effet, un nombre important des députés travaillistes se forment à l'échelon municipal ou régional, en se faisant élire aux conseils locaux. D'autres complètent leur formation politique dans le cadre des syndicats. D'autres encore trouvent une formation dans les cours du soir pour adultes ou par des stages au cours de leur vie professionnelle. Par conséquent, ils arrivent à la carrière parlementaire plus tard que les Conservateurs, dont aucun n'a fait d'études par ces différents biais. Pourtant, un nombre non négligeable de députés conservateurs n'a pas de diplôme universitaire, mais ils se font élire plus jeunes que les Travaillistes parce qu'ils possèdent d'autres atouts qui les dispensent d'une formation universitaire - des équivalences en somme. Alors que pour bien des députés travaillistes, les études supérieures ouvrent la porte d'une carrière politique au niveau national.
Les études secondaires
13Il est important d'étudier les différentes voies empruntées par les élus pour obtenir une formation, car du type de formation et de sa durée dépendent leurs chances d'accéder à un poste de niveau ministériel plus ou moins rapidement. Ces voies diffèrent considérablement pour les Conservateurs et les Travaillistes, quelle que soit la Chambre. Nous nous trouvons de nouveau face à une constante, même si la situation évolue très lentement.
14En 1974 un seul député conservateur n'avait pas fait d'études secondaires, mais pour des raisons très différentes de celles des députés travaillistes, plus nombreux dans ce cas. Chez les Conservateurs, les élus n'ayant pas fréquenté d'établissement secondaire avaient fait leurs études sous la direction d'un précepteur ; ils étaient 7 en 1955. En 1983, cette catégorie d'élus a disparu chez les Conservateurs.
15Chez les élus travaillistes, ceux qui n'ont pas fait d'études secondaires sont des hommes qui ont commencé à travailler à 14 ans, tout de suite après l’école élémentaire. Le nombre de députés dans cette catégorie était amené à disparaître après l'Education Act de 1944. Ces élus se placent dans les classes d'âge de 50 ans et plus. Ils étaient 34 % en 1955 et 18,8 % en 1970. Ils ont diminué jusqu'à 16,6 % en février 1974 et sont encore 16,6 % en 1983, ce qui est un indicateur supplémentaire de l'âge moyen plus élevé des députés travaillistes. Ce groupe dépourvu d'études secondaires correspond à une proportion similaire d'anciens travailleurs manuels dans le groupe parlementaire travailliste. Les plus âgés d'entre eux ont fait des études dans les National Council of Labour Colleges et le Workers' Educational Association et les autres dans les centres de formation pour adultes, et beaucoup à Ruskin College. Ceci a permis à une bonne proportion d'entre eux de faire des études supérieures mais nous avons préféré prendre comme critère leur formation initiale afin de faire ressortir les différences entre les deux groupes parlementaires. Il en va de même pour les députés qui ont obtenu un premier diplôme dans une université autre qu'Oxford ou Cambridge et qui terminent leurs études dans ces universités. Nous avons retenu l'université où ils obtiennent leur premier diplôme pour ne pas fausser le chiffre des députés ayant été admis à Oxford ou Cambridge après les études secondaires.
Les Public Schools
16La Public School est une autre variable qui distingue les deux groupes parlementaires dans le domaine des études secondaires. La proportion des élus conservateurs ayant fréquenté l'un de ces prestigieux établissements était de 75,7 % en 1955 et de 75,2 % en 1970. Il n'y a guère de modifications en février ou en octobre 1974 où ils représentent 80 % de l'ensemble. Mais on trouve un indicateur de changement si l'on examine les nouveaux élus conservateurs de 1974 chez qui les anciens élèves des Public Schools ne sont plus que 47,6 %. Dans la Chambre de 1983, ils sont tombes à 23,2 % du groupe parlementaire.
17Le tableau est très différent pour les Travaillistes. Leur groupe parlementaire en 1955 comprenait 22,7 % d'anciens élèves de ces établissements. Ce chiffre tombe aux alentours de 3 % en 1970 et 1974 pour atteindre 2,4 % en 1983. On assiste donc à une très forte diminution de cette catégorie dans les deux groupes. La catégorie semble en voie de disparition chez les Travaillistes. En effet, la fréquentation d'une Public School n'ajoute rien à l'image de marque d'un candidat travailliste. Il faut toutefois remarquer qu'au niveau ministériel, le tableau est assez différent chez les Conservateurs. Malgré la diminution de deux tiers de cette catégorie depuis 1974, on trouve 10 sur 21 anciens élèves de Public Schools au niveau du Cabinet, avec Eton en tête. Ceci est peut-être encore du a un facteur d'âge. Il faudra encore attendre pour voir si les nouveaux ministères conservateurs comporteront moins d'élèves de Public Schools et davantage de députés ayant suivi d'autres voies pour arriver jusque-là, à moins que le cabinet ministériel ne s'écarte de la tendance de l'ensemble du groupe en continuant de recruter parmi les anciens de ces écoles prestigieuses.
Les études supérieures
18Lorsqu'on examine la formation universitaire des députés entre 1955 et 1974, on observe peu de changements quant aux établissements fréquentés par les élus conservateurs. L'augmentation du nombre de députés ayant fait des études supérieures se traduit par une légère augmentation de la fréquentation d'Oxford et Cambridge, de 53 % en 1955, ils passent à 55,4 % en 1974. Si l'on prend le groupe des nouveaux élus pour la même Chambre, le chiffre est plus élevé : 57,1 % d'entre eux ont fait des études à Oxford ou Cambridge et 13,8 % dans d'autres universités, soit un total de 70 % ayant fait des études supérieures. Pourtant on constate un renversement de cette tendance en 1983, ce qui va dans le même sens que la diminution des anciens élèves des Public Schools. Les anciens d'Oxford et Cambridge ne sont plus que 37,6 %, ce qui est très proche du chiffre des diplômés d'autres universités : 34,5 % du groupe. En 1983, la proportion du groupe conservateur ayant fait des études supérieures est passée de 70 % à 72,3 %. Un peu plus du quart donc n'a pas fait d'études supérieures. Ceci est vrai avec des fluctuations pour le Groupe de 1970, et les deux de 1974. Ils étaient 36,5 % en 1955. Mais si on cherche un indicateur de tendance chez les nouveaux élus conservateurs de 1974, on ne trouve que 20 % d'élus sans diplôme universitaire.
19Dans le groupe des nouveaux de 1983, ils sont 27,7 %. Ceci peut être un effet des résultats exceptionnels qui ont amené un contingent aussi important de députés à la Chambre. On constate que 44,2 % des nouveaux élus conservateurs sans diplôme d'études supérieures ont moins de 50 ans et 9,6 % moins de 40 ans. Cette absence d'études supérieures n'est donc pas due à un facteur d'âge comme chez les députés travaillistes. Car là aussi, on constate une augmentation des sans diplômes universitaires. En 1955, ils sont 60,3 % du groupe parlementaire. Ils ne sont plus qu'un quart de l'ensemble en 1970 et 1974 et remontent légèrement en 1983 où ils représentent 26,7 %. La différence essentielle réside dans le fait que les députés travaillistes sans diplôme universitaire ont pour la plupart d'entre eux (68 %) plus de 50 ans. Pour 1974, nous avions conclu que la baisse du nombre des élus conservateurs sans diplôme universitaire était liée aux besoins du monde moderne où le législateur ne pouvait plus se permettre de poser Sa candidature en amateur. Cependant, tout porte à croire que le quart d'élus des deux partis qui n'ont pas fréquenté l'université tend à devenir une constante, avec des raisons différentes pour chaque groupe.
20Si on laisse de côté les élus conservateurs de plus de 50 ans qui sont dans ce cas pour examiner la classe d'âge de moins de 49 ans, on constate qu'ils ont tous travaillé dans le domaine de l'industrie, du commerce ou de la finance. Parmi eux on trouve 19,4 % d'anciens élèves de Public Schools. Chez les plus de 50 ans sans diplômes universitaires, 89 % sont également dans les affaires : banquiers, administrateurs de société, experts comptables, etc... Ceci tendrait à confirmer que la proportion d'élus conservateurs n'ayant pas fait d'études universitaires et exerçant une profession liée aux affaires - à l'industrie, au commerce ou à la finance - est une constante ou est en voie de le devenir. De même, le pourcentage de cette catégorie ayant fréquenté une Public School fait de ces établissements, comme du monde des affaires, une voie parallèle à l'université, qui mène à Westminster.
21L'éventail des établissements d'enseignement supérieur fréquentés par les élus travaillistes est plus grand que chez les Conservateurs et comprend des Polytechnics. On trouve 25 et 26 % d'élus travaillistes ayant fréquenté Oxford ou Cambridge dans les Chambres de 1970 et 1974, alors que 29 % d'entre eux avaient obtenu leur diplôme dans d'autres établissements. Ce chiffre baisse de façon spectaculaire en 1983, où l'on trouve seulement 11,2 % d'anciens d'Oxford et Cambridge parmi les députés du rang et 33,6 % diplômés d'autres universités, soit un total de 44,8 % contre 72,3 % chez les Conservateurs.
22Près de la moitié (47,7 %) des députés travaillistes du rang n'ont pas fait d'études supérieures, 20 % de plus que les élus conservateurs. Il faudra donc chercher à déterminer quelles sont les voies parallèles à l'université pour accéder à Westminster dans le cas des Travaillistes qui ne passent ni par les Public Schools ni par le monde des affaires.
23Dans l'actuel Cabinet, on ne trouve que 2 ministres sur 21 qui n'ont pas fait d'études supérieures. À ce niveau, leur nombre a toujours été infime. Dix-sept d'entre eux sont diplômés d'Oxford ou de Cambridge et deux d'autres universités. Si la fréquentation des deux universités les plus prestigieuses n'est pas indispensable pour se faire élire, on voit qu'elle constitue encore un critère de sélection pour un poste de niveau ministériel.
24Pour les autres membres du gouvernement, on trouve 53,6 % d'anciens d'Oxford et Cambridge en 1983 et 19,8 % d'autres universités, soit un total de 73,4 % de diplômés d'université. Ce chiffre est légèrement supérieur à celui de la moyenne des députés conservateurs. Le contregouvernement pour sa part est composé de 19,4 % d'anciens d'Oxford et Cambridge et de 38,8 % d'élèves d'autres universités. Dans le cabinet restreint de Neil Kinnock on trouve près de 50 % dans ce cas. En y ajoutant les députés qui sont arrivés à l'université par la formation continue, on atteint un total de 71,6 % de diplômés de l'enseignement supérieur, ce qui se rapproche du chiffre pour les élus du Gouvernement. Donc, si les députés du rang du groupe travailliste présentent un profil de formation très différent de celui du groupe conservateur, environ 75 % des députés de rang ministériel dans les deux partis ont fait des études supérieures.
Le mandat local - une troisième voie ?
25La moitié des élus de moins de 40 ans dans le groupe conservateur de 1983 a exercé un mandat local dans un conseil municipal ou régional. Ceci est vrai également de la classe d'âge de 40 à 49 ans. La proportion est plus élevée pour les plus de 50 ans. Environ la moitié des élus conservateurs sans diplômes universitaires a fait son apprentissage politique au niveau local. Cette situation est le résultat d'une évolution depuis 1955 où 29 % seulement du groupe parlementaire conservateur étaient formes à l'école des conseils locaux, et ce chiffre passe à 35 % en 1974, et à 41 % chez les nouveaux élus. Si l'on prend les nouveaux élus comme indicateurs d'une tendance, il semblerait que la gestion au niveau local serve de plus en plus de marchepied vers le Parlement.
26Au niveau ministériel on trouve moins d'élus ayant siégé dans les instances locales. Mais la marge d'erreur est plus élevée pour cette catégorie, car la masse d'informations fournies par leur curriculum vitae tend à occulter toute référence à des activités locales, faute de place. Toutefois on constate qu'entre 1955 et 1974 peu de Conservateurs au niveau ministériel avaient exercé un mandat local. En effet, le mandat local retarde la carrière politique et plus on arrive jeune au Parlement, plus on a de chances d'accéder un jour à un poste ministériel. En 1983, aucun membre du nouveau cabinet ministériel n'a fait figurer un mandat local dans son curriculum vitae. Par contre, le reste du Gouvernement comprend 33,5 % de députés qui sont d'anciens élus locaux. Ceci représente une légère baisse par rapport au chiffre pour la même catégorie en 1974 alors que dans le groupe des nouveaux élus, les anciens élus locaux représentent 56,7 %. Ceci tend à confirmer l'hypothèse selon laquelle le mandat local est considéré de plus en plus comme un atout pour les candidats conservateurs.
27Chez les nouveaux députés travaillistes, on remarque une augmentation plus forte encore des élus locaux : de 50 % en 1974 à 70,6 % en 1983. Comme pour les conservateurs, un peu plus de la moitié des députés travaillistes sans diplômes universitaires a exercé un mandat local et certains d'entre eux sont permanents syndicaux. Un autre point commun est le chiffre moins élevé (35,3 %) d'anciens élus locaux parmi les députés du contre-gouvernement que dans le reste du Groupe Travailliste. Malgré leur progression sensible au sein des nouveaux élus, les députés exerçant des responsabilités ministérielles et les porte-parole du contre-gouvernement sont moins nombreux à avoir exercé un mandat de ce type. Un seul membre du cabinet fantôme restreint a été conseiller municipal en 1983.
Distribution professionnelle des élus
28La première difficulté dans une étude des professions des députés est celle du choix, car au cours de sa carrière, un députe peut changer de profession. Nous avons opté pour la méthode recommandée par J. Ross2 qui consiste à retenir la profession que le député a exercé pendant le plus grand nombre d'années. L'inconvénient de cette approche est qu'elle élimine la proportion de mineurs, cheminots etc... chez les Travaillistes, car, s'ils ont commencé leur carrière dans les mines et aux chemins de fer, au moment de l'élection ils se trouvent souvent dans la catégorie de permanents syndicaux. Néanmoins, cette méthode donne des résultats qui correspondent davantage à la réalité. Chez les Conservateurs un autre problème se pose : celui des fermiers qui sont à la fois propriétaires terriens et hommes d'affaires, puisque leurs fermes sont parfois de véritables entreprises. Le cas des juristes est, lui aussi, complexe. On hésite à les classer avec les juristes quand ils sont à la fois administrateurs de société ou conseils juridiques auprès de sociétés importantes.
29Entre 1955 et 1974, le nombre de propriétaires terriens et administrateurs de sociétés dans le groupe conservateur était passé de 30,7 % à 37,5 % en février 1974 pour ensuite retomber à 32,9 % en octobre. Parmi les nouveaux élus de 1974, seuls 26,2 % se trouvaient dans cette catégorie, ce qui semblait indiquer une tendance à la diminution de ce qui avait toujours été considéré comme le pilier du groupe conservateur. Mais la baisse de cette catégorie en octobre 1974 n'était qu'un effet secondaire de la proximité des deux élections de 1974, car en 1983 on trouve 50 % d'élus conservateurs qui exercent ou ont exercé une profession dans le domaine du commerce, de l'industrie et de la finance. Parmi ces 199 élus, on trouve 57,8 % d'administrateurs de sociétés et 6,5 % de propriétaires terriens. Mais le pourcentage des nouveaux élus dans cette catégorie continue d'être plus faible qu'en 1974, soit 12,9 %, moins de la moitié. Si cette tendance chez les nouveaux élus persiste, on peut s'attendre a une diminution de cette catégorie dans les Chambres à venir. Malgré cette courbe fluctuante, environ un tiers des élus conservateurs de l'actuelle Chambre ont été conduits au Parlement par la voie des conseils d'administration. Chez les travaillistes, par contre, les administrateurs de société sont rares. On en trouve un seul dans le groupe parlementaire actuel et un seul fermier. Tout comme les Public Schools, ces deux professions ne constituent guère un atout pour un candidat travailliste.
30Outre les administrateurs de société, le groupe conservateur comprend 12 % de chefs d'entreprise et 25,6 % de cadres supérieurs dans le monde des affaires. Le chiffre est moins élevé chez les Travaillistes, où 8,6 % de cadres supérieurs ont travaillé dans ce domaine. On n'y trouve aucun chef d'entreprise. L'industrie, le commerce et la finance sont les domaines des élus conservateurs sauf en ce qui concerne ces 8,6 % de cadres chez les Travaillistes ainsi que les petits employés, les techniciens et les travailleurs manuels qui représentent l'autre face du monde industriel.
31Les juristes aussi sont toujours en plus grand nombre chez les Conservateurs que chez les Travaillistes. Ils représentent environ 20 % en moyenne jusqu'en 1983 ou l'on en trouve 27 %. Seulement 14,6 % des juristes occupent un poste de niveau ministériel. Par contre, chez les Travaillistes, où l'on trouve 4,6 % de juristes, ils étaient 11,9 % au contre-gouvernement de juin 1983, et un seul dans le cabinet fantôme restreint de Neil Kinnock.
32Tout comme leur formation secondaire, leur distribution professionnelle distingue les Travaillistes de leurs homologues conservateurs. En 1955, on observe le début d'une transformation qui sera profonde et continue jusqu'en 1974. Le pourcentage d'ouvriers, cheminots, mineurs et permanents de syndicat, qui s'élevait à 41,7 % en 1955 tombe à 21,5 % en 1970, à 18,6 % en février 1974 et à 14,2 % en octobre. On constate une différence importante entre les nouveaux élus travaillistes de 1974 et ceux de 1983. En 1974 il n'y avait aucun mineur ni cheminot parmi eux, contrairement à la tradition, alors qu'en 1983 on trouve 5 mineurs parmi les nouveaux élus. Ceci pourrait être un indicateur qu'en période de difficultés, à l'intérieur comme à l'extérieur du Parti, les responsables de la sélection des candidats se replient vers les valeurs traditionnelles.
33En 1983, 29,5 % des élus travaillistes sont des travailleurs manuels et petits employés. Le chiffre pour ces catégories a presque doublé depuis 1974 et le début de la crise. Par contre, les permanents de syndicat ont diminué depuis les années 70, où ils représentaient un peu plus du tiers des élus, pour tomber à 14 %. Avec la montée du chômage et les négociations salariales de plus en plus problématiques, les syndicats préfèrent sans doute limiter leur contribution à Westminster au parrainage de députés et garder leurs cadres pour le travail sur le terrain.
34La montée du nombre d'enseignants dans les rangs des élus travaillistes était spectaculaire entre 1955 et 1974. De 14 % en 1955, il passe à 21,5 % en 1970, puis à 26,4 % en 1974. Plus du quart du groupe travailliste sont des enseignants qui sortent ainsi de leur classe sociale d'origine, et accèdent par cette voie à la Chambre. Dans la Chambre actuelle, ils constituent 30,9 % des élus travaillistes et tout porte à croire que cette tendance à l'augmentation de leurs effectifs se poursuivra. Si l'on considère exclusivement les nouveaux élus de 1983, on n'observe pas d'augmentation dans ce domaine. Ils sont 20,6 %, loin derrière le chiffre pour l'ensemble du groupe. Mais ce chiffre n'est guère significatif, étant donné le faible effectif des parlementaires travaillistes.
35La distribution professionnelle parmi les porte-parole du contre-gouvernement n'est pas la même que lorsque le Parti est au pouvoir. On compte parmi eux un quart d'enseignants pour 43,3 % de travailleurs manuels et de petits employés. Le nombre de ces derniers diminue lorsque le Parti est au pouvoir : cinq sur les treize porte-parole principaux de l'opposition en 1983.
Changement ou permanence
36Dans notre étude de 1974, nous avions tenté de déterminer si le changement constaté dans les deux groupes parlementaires se faisait dans le sens d'un rapprochement du personnel politique des deux formations ou bien, au contraire, d'une différenciation.
37Nous avions conclu en 1974 à un rajeunissement des deux groupes parlementaires, l'âge moyen des Conservateurs étant de 48 ans et celui des Travaillistes de 50 ans. En 1983 si nous observons les moins de 50 ans, nous constatons une baisse d'effectifs tant chez les Conservateurs que chez les Travaillistes. Nous assistons donc à un vieillissement des deux groupes, encore accru chez les Travaillistes par le faible nombre de nouveaux élus à la dernière élection.
38Comme 1974, 1983 montre une image très différente des études secondaires et supérieures des deux Groupes. La diminution sensible du nombre d'élus conservateurs ayant fréquenté une Public School a pour corollaire la même diminution pour les Travaillistes de plus de 50 ans n'ayant pas de formation secondaire. Cette dernière catégorie semble destinée à disparaître très rapidement.
39Nous avions également souligné un rapprochement entre les deux Groupes par le fait que les députés travaillistes fréquentaient davantage l'université, y compris Oxford et Cambridge, et que parallèlement, le nombre de députés conservateurs anciens élèves de Public Schools diminuait. Cette tendance se retrouve dans la Chambre de 1983 pour les Public Schools, mais les députés qui n'ont pas fait d'études supérieures augmentent dans les deux Groupes : de 25 % en moyenne en octobre 1974, ils passent en 1983 à 26,2 % pour les Conservateurs et à 26,7 % pour les Travaillistes. Environ un tiers du Groupe Conservateur et la moitié des Travaillistes arrivent à Westminster par d'autres voies que celle de l'université.
40Chez les Conservateurs, la proportion d'élus ayant fréquenté Oxford ou Cambridge tombe de 57 % en 1974 à seulement 37,6 % en 1983 et rejoint le chiffre pour les députés de leur groupe fréquentant d'autres universités. C'est là qu'on observe la plus grande différence entre les deux groupes dans ce domaine, même si la tendance générale est à un rapprochement. Dans les années 70, seulement un quart environ du groupe travailliste avait fréquenté Oxford ou Cambridge en 1983, on n'en trouve plus que 11 %. Le reste a fait ses études dans d'autres universités et dans des polytechnics. Donc, dans le domaine des études, les élus travaillistes continuent à offrir une image plus plébéienne que les conservateurs et ceci se reflète également dans les professions qu'ils exercent.
41Si l'on a pu observer une baisse dans la proportion des administrateurs de sociétés et des propriétaires terriens de 1955 à 1974, où ils n'étaient plus que 26,2 % dans le groupe conservateur, en 1983 ils remontent à 29,5 %. Il est vrai que chez les nouveaux élus conservateurs ils ne sont que 12,9 %. Même si leur nombre diminue parmi les nouveaux, le parti conservateur représente à lui seul cette catégorie socio-professionnelle. Il représente la direction du monde du commerce, de l'industrie et de la finance. Les juristes aussi continuent à être plus nombreux dans le groupe conservateur.
42Il n'y a toujours pas d'ouvriers parmi les élus conservateurs. Leur nombre est en diminution chez les travaillistes, ce qui tendrait à indiquer un rapprochement. Mais avant de trancher dans ce sens, il faudra attendre de voir si l'augmentation de leur nombre en 1983 est conjoncturelle ou non.
43Une tendance qui différencie les Travaillistes des Conservateurs est l'augmentation constante des élus enseignants du secondaire et du supérieur chez les premiers, alors que leur nombre reste infime chez les seconds.
44Un domaine où l'on constate un rapprochement est celui du mandat local. En effet, les Travaillistes passent de 50 % d'anciens élus locaux en 1974 à 70,3 % en 1983, et les Conservateurs semblent avoir changé d'attitude envers l'apprentissage politique à ce niveau et passent de 29 % d'anciens élus en 1955 à 38,5 % en 1983.
45Les hommes sélectionnés pour les responsabilités ministérielles dans les deux groupes continuent à être très différents des députés du rang et c'est à ce niveau qu'on trouve le plus de ressemblances entre les élus des deux partis.
46S'il est possible de dire que, pour les études supérieures, le parti conservateur s'est rapproché au cours des dix dernières années de l'ensemble de la population, avec un transfert d'élus à d'autres universités qu'Oxford et Cambridge, et qu'il s'est aussi rapproché des intérêts de ses électeurs par une plus grande participation à la gestion municipale et régionale, il n'est guère possible de conclure à un rapprochement avec le groupe travailliste en ce qui concerne les autres variables analysées. Au contraire, les clivages de toujours continuent d'exister : d'un côté les dirigeants du monde du commerce, de l'industrie et de la finance, ainsi que les juristes, et de l'autre côté, les employés de ces secteurs, les permanents syndicaux qui les représentent, les députés parrainés par les syndicats et un fort contingent d'enseignants. On a beau dire que ces deux partis ne sont pas des partis de classe, il n'en reste pas moins que les personnes qui représentent la population au Parlement appartiennent à des mondes assez différents et défendent des intérêts souvent divergents.
Notes de fin
1 MOPIN (F.), ROSSELIN (M.), "Le renouvellement du personnel politique conservateur et travailliste depuis 1955 in : Élections de crise en Grande-Bretagne, sous la direction de Monica CHARLOT, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Publications de l'Université de Lille III, 1975. Times Guide to the House of Commons. London : Times Newspapers Ltd., 1983. Who's Who. London : Adam and Charles Black, 1982.
2 ROSS (J.). Political Representation. London : Eyre and Spottiswoode, 1953.
Auteur
Université de Paris XIII
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