à propos de l’occupation française en Allemagne 1945-1949
Le conflit Laffon/Koenig
p. 157-183
Texte intégral
1Les années 1945-1949 ne sont pas souvent mentionnées lors des commémorations franco-allemandes. Il est vrai qu’a priori, cet immédiat après-guerre ne se prête pas aux évocations flatteuses.
2Du côté allemand, la présence de la France à Berlin et dans le sud-ouest du pays, ainsi que sa participation à l’administration quadripartite ont surtout laissé le souvenir d’une politique dure. C’est que Paris, pour conjurer à jamais le danger allemand, s’oppose à toute centralisation politique : les revendications initiales sont, pour la rive gauche du Rhin, la création d’un État tampon, politiquement, économiquement et militairement dans l’orbite de la France, et pour le reste du pays le morcellement en plusieurs états, réunis dans le cadre confédéral le plus lâche possible. Sur le plan économique, il s’agit à la fois de satisfaire les besoins immédiats de la reconstruction française par le jeu des réparations et des avantages divers de l’occupation, mais aussi de s’assurer à long terme une prééminence industrielle en Europe, le rattachement de la Sarre à l’économie nationale et l’internationalisation de la Ruhr devant assurer à la sidérurgie française une base énergétique solide au détriment de sa concurrente allemande.
3Considéré du point de vue français, le bilan de ces quatre années de relations avec le voisin d’outre-Rhin est également peu satisfaisant. À peine le principe de la participation française à l’occupation a-t-il été admis à la conférence de Yalta que l’Union Soviétique, puis les Anglo-saxons, abandonnent l’idée de démembrer l’Allemagne. Paris, d’emblée isolé face aux trois Grands, n’abandonne pas pour autant ses objectifs initiaux : on est persuadé de pouvoir exploiter les divergences entre les Alliés et s’imposer en jouant les arbitres. Il faudra en rabattre de ces ambitions et se contenter – pour la Sarre – d’une seule et toute provisoire satisfaction. À travers ses déconvenues allemandes, la France prend donc, entre autres, conscience du fait que, dans un monde désormais bipolaire et compte tenu de son affaiblissement économique, elle ne peut plus prétendre au rang de grande puissance.
4Et pourtant, l’historiographie, qui commence à tirer de l’oubli cette phase des rapports franco-allemands, ne fait pas que confirmer les mauvais souvenirs. Certes, bien des travaux illustrent la sévérité de l’occupant, ses aveuglements, ses erreurs et ses injustices, qu’ils jugent parfois sans aménité1. Mais les recherches nous montrent aussi qu’il faut nuancer l’image uniformément négative de l’action française en Allemagne, car elle est beaucoup plus marquée que celle des autres alliés par les incohérences et les contradictions.
5Celles-ci2 tiennent tout d’abord au fait que la France n’a naturellement pas pu se préparer à l’occupation avant la fin de la guerre et que son gouvernement, trop mobilisé ensuite par les problèmes nationaux, n’a jamais été capable de planifier de manière suivie la politique menée dans la zone. À part les décisions découlant directement des grands invariants que sont le morcellement de l’Allemagne et son exploitation économique, l’administration de Baden-Baden a donc eu une grande marge de manœuvre. Par ailleurs, les directives parisiennes ne sont pas seulement trop rares – reproche constant des autorités des zones – elles sont souvent imprécises ou contradictoires, ces contradictions résultant de divergences politiques au sein de l’administration centrale ou reflétant simplement – et plus gravement – les dilemmes inhérents à la position française.
6Au manque de clarté des orientations s’ajoutent les flottements dans l’appareil administratif. Le personnel en fonction sur le terrain est hâtivement recruté et s’avère souvent incompétent, quelquefois plus empressé de ses intérêts que de ceux de la France et même politiquement douteux. Pour citer le chef de cet appareil administratif, l’administrateur général de la zone française d’occupation (ZFO), qui est d’ailleurs au centre de cet article,
« dans l’indifférence ou l’inconscience des recruteurs s’est ainsi formée une sorte de légion étrangère administrative, où les nouveaux arrivants étaient dans l’ensemble accueillis sans apporter la justification de leurs capacités, de leur expérience, de leur attitude patriotique ou, simplement, de leur honnêteté ».
7Il a donc fallu « chasser tous ceux qui n’étaient pas en règle avec leur administration d’origine » et poursuivre « sans aucune faiblesse les suspects de collaboration ainsi que les intrigants et les affairistes »3.
8En matière de personnel, le problème de la qualité est bientôt aggravé par celui de la quantité, car à partir du début de 1946 et sans discontinuer jusqu’à la fin de l’occupation, l’administration doit se plier aux réductions d’effectifs qu’impose Paris dans le cadre de mesures d’économie budgétaire. Certes, la zone apparaît disposer d’un encadrement pléthorique, mais il faut distinguer le chiffre total des Français, gonflé par la présence abusive des familles, des touristes, des colonies de vacances et autres visiteurs de celui, moins excessif, du gouvernement militaire proprement dit. Son importance certaine ne s’explique pas seulement par une mauvaise gestion, si souvent critiquée à Paris, mais aussi par les caractéristiques de la politique suivie. Le peu de confiance accordée aux capacités démocratiques des Allemands et la priorité donnée à l’exploitation économique contraignent en effet à un contrôle particulièrement étroit. Certes, la diminution du nombre de cadres actifs en zone est logique dans la mesure où on redonne peu à peu des responsabilités aux Allemands. Mais malheureusement, contrairement aux intentions affichées, le passage de l’administration directe à celle du simple contrôle ne s’effectue sur le terrain qu’avec une extrême lenteur.
9Les insuffisances administratives sont également patentes à l’autre bout de la chaîne hiérarchique. Il suffit pour s’en rendre compte d’observer les structures d’organisation des services centraux français chargés des affaires allemandes : les remaniements successifs, ajoutant au comité interministériel un commissariat général pour les affaires allemandes et autrichiennes (CGAAA) en décembre 1945, un contrôle des territoires occupés en novembre 1946, puis un secrétariat d’État aux affaires allemandes et autrichiennes (SEAAA) à partir de novembre 1947, lequel disparaît cependant dès l’été 1948, en disent déjà long sur la difficulté des rapports entre Paris et Baden-Baden.
10À ce niveau, l’aspect formel du contrôle et celui, politique, de sa nature, ne font évidemment qu’un. D’ailleurs, pour une partie de la classe politique française, les problèmes de communication entre Paris et Baden-Baden n’illustrent rien moins que les résistances de milieux hostiles à la République, sabotant l’exécution d’une bonne politique dans la zone. La suspicion s’étend même parfois à la personne du commandant en chef, gaulliste trop fervent pour qu’on ne lui reproche pas, après la démission du Général, d’écouter davantage la voix de Colombey-les-deux-Églises que les directives gouvernementales. À l’inverse, Baden peut arguer de la lourdeur et de l’inefficacité des organismes parisiens pour justifier sa liberté d’action ; d’autant que l’administration d’un territoire non-métropolitain, avec ses problèmes spécifiques, ici renforcés par les vicissitudes de la collaboration quadripartite, excluent de ne voir en la direction de zone qu’un organe d’exécution.
11Compte tenu de tous ces facteurs, il est clair que la politique française ne peut être considérée comme un bloc. Témoin et acteur, puisque chargé de l’éducation populaire auprès de Raymond Schmittlein, Joseph Rovan parle à son sujet d’une atmosphère de « totale confusion ». Vécue au niveau intermédiaire de l’administration qui était le sien, la politique d’occupation lui apparaissait à l’époque
« comme un vrai patchwork […] Les historiens d’aujourd’hui, habitués à observer des organismes administratifs qui fonctionnent, ont parfois du mal à s’imaginer l’extrême indépendance dont pouvaient jouir dans certains domaines ceux qui voulaient agir »4.
12En d’autres termes, l’inconséquence, qui ouvrait plus ou moins inopinément des espaces de liberté aux initiatives constructives pouvait avoir du bon. L’acquis d’un certain nombre de travaux récents est d’avoir justement mis en évidence de tels aspects positifs, qu’on trouve non seulement dans l’action culturelle, mais aussi, par exemple, dans la reconstruction d’un système de protection sociale5 ou, à certains égards, dans la politique syndicale6.
13C’est en gardant présent à l’esprit ce tableau d’ensemble qu’on doit lire les pages suivantes, dont la matière nous est donnée par la découverte des archives personnelles d’Émile Laffon, administrateur général de la zone française d’occupation7. Ces papiers sont à l’heure actuelle la seule source documentaire disponible émanant de la direction du gouvernement militaire, car les archives du cabinet, dissout après la démission forcée de Laffon et la suppression de sa fonction en novembre 1947 n’ont pas été retrouvées.
14Dans les quelques dossiers, il y a relativement peu de documents ne concernant pas les processus de décision ordinaires, qui ne puissent donc être éventuellement retrouvés dans les archives d’autres services administratifs. L’important est cependant qu’un matériau sinon dispersé soit ici facilement disponible, permettant de reconstruire avec une certaine continuité les vues de l’administrateur général. Ainsi confrontés à une autre strate documentaire homogène, les archives du cabinet civil du général Koenig, exhumées il y a seulement deux ans des caves de l’ambassade de France à Bonn, ces papiers apportent enfin des éclaircissements sur le conflit qui opposa l’administrateur général au commandant en chef. Ils montrent en particulier que ce conflit était plus qu’une de ces nombreuses mésententes fréquentes dans l’appareil d’occupation en Allemagne, mais au-delà de l’élément personnel, reposait sur des divergences politiques profondes. Derrière ce qui pourrait apparaître comme un dysfonctionnement parmi d’autres des organismes français, on découvre donc un débat de fond sur l’avenir de l’Allemagne. Mené d’où il l’a été, son intérêt est entre autres d’attirer l’attention sur l’articulation de la Besatzungs- et la Deutschlandpolitik, c’est-à-dire des deux logiques trop souvent confondues et pourtant souvent contradictoires des objectifs internationaux et des nécessités de l’occupation.
I
15L’existence d’une rivalité entre Émile Laffon et le général Koenig a très vite été un fait notoire. Dès la fin de 1945, trois mois à peine après la prise de fonction de l’administrateur général, toute la presse parisienne en parle. Et parmi les motifs invoqués à l’Assemblée Nationale pour justifier la nomination d’une « commission d’enquête sur les zones d’occupation françaises » au mois de décembre, le premier nommé est justement ce que les parlementaires appellent pudiquement « le défaut d’unité d’action au sommet »8.
16Dans son rapport présenté au printemps 1946, la commission décrit les signes visibles de la mésentente entre les deux hommes. Alors que le gouvernement militaire, c’est-à-dire, contrairement à sa dénomination, l’administration civile d’occupation, est du ressort de l’administrateur général, le commandant en chef s’est doté d’un « cabinet civil » qui, loin d’être l’habituelle cellule d’information et de réflexion qu’on pouvait attendre, double avec plus de 300 personnes tous les services de son adjoint et s’immisce constamment dans leur action9. Si les parlementaires sont fondés à critiquer cette situation absurde, ils oublient de dire que le commandant en chef peut justifier sa pratique par référence au décret du 15 juin 1945 définissant ses fonctions. Selon ce texte, il doit « assurer l’exercice du gouvernement sur les territoires allemands occupés » et « assumer l’autorité sur l’ensemble des services français de gouvernement, d’administration militaire et de contrôle en Allemagne ». Les compétences de l’administrateur général ne sont par contre pas délimitées, seul son titre indiquant sa qualité d’adjoint10. Aux yeux de Koenig, il faut bien une contrepartie à la « large autonomie » laissée à Laffon, donc « un organe capable d’assurer l’unité de direction »11.
17Certes le CGAAA, tant pour calmer les critiques parlementaires que pour économiser du personnel, ordonne en septembre 1946 la suppression de cet organe – entre-temps rebaptisé secrétariat général. Mais la mesure ne règle rien, puisque Paris réaffirme par ailleurs la prééminence statutaire du CCFA12 et décide, au grand dam de l’administrateur général, de concentrer les services de gestion du personnel, du matériel et du budget à l’échelon du commandant13.
18À propos du conflit entre les deux hommes, on a souvent évoqué les différences de formation et de tempérament. Les biographies nous livrent quelques indications à ce sujet14, mais aussi les témoignages des contemporains. Manifestement, Émile Laffon, brillant avocat avant d’entrer dans la Résistance, est à la fois un homme d’action et un meneur d’hommes. Le rôle important qu’il joue dans la préparation administrative de la Libération avec la résistance intérieure comme agent de liaison de Londres et d’Alger le montre bien15. Secrétaire général du ministère de l’Intérieur avant d’être nommé en Allemagne, il n’entendait manifestement pas occuper les seconds rôles. Et si le jugement peu favorable du général Navarre, qui fait de lui un ambitieux16, n’étonne pas venant de l’ancien chef de cabinet du commandant en chef, on retiendra aussi l’appréciation de Michel Debré, son ami depuis leur étroite collaboration pendant la Résistance : « J’ai déjà dit son intelligence, sa volonté, également son goût de l’autorité. Rien ne lui échappe et il aspire à tout commander »17. On imagine facilement que le général Koenig, militaire de carrière chevronné et encore tout auréolé de ses succès de guerre (« le héros de Bir-Hakeim ») ait mal accepté, en dépit de la bonhomie qu’on lui prêtait, de voir sa primauté contestée par ce « technocrate » remuant et qui plus est de 9 ans son cadet18.
19Est-ce à dire que la rivalité entre les deux hommes a reflété une lutte d’influence entre civils et militaires, comme on l’a souvent dit à l’époque ? Une telle lutte d’influence a existé en zone d’occupation dans les premiers mois de la présence française. Les soldats de la première armée, qui pour une part importante viennent de la Résistance et sont en tout cas très fiers de leurs faits d’armes, ont une piètre opinion des personnels envoyés par Paris : à leurs yeux, il y a là trop de « ronds-de-cuir », de « planqués » ou même de « collabos »19. Dans une période où les effectifs militaires en Allemagne sont encore très nombreux, le gouvernement militaire naissant a donc du mal à s’affirmer, d’autant que les problèmes de ravitaillement renforcent l’indiscipline20. La situation se normalise cependant peu à peu, même si certains éléments des troupes d’occupation, en particulier en Rhénanie-Palatinat, restent très longtemps agités, procédant à des réquisitions sauvages ou cherchant à l’occasion à intervenir dans les affaires politiques21. Il est possible que pour ce type d’escarmouches entre le pouvoir civil et le contingent militaire, le général Koenig ait eu quelquefois, par solidarité de corps, une attitude plus conciliante vis-à-vis de l’armée que l’administrateur général. Mais on voit mal comment il aurait pu ne pas souhaiter le respect de la légalité, c’est-à-dire affirmer la primauté de l’administration civile.
20Quant à la dimension politique du différend Koenig/Laffon, elle est difficile à saisir a priori. Certes, l’administrateur général était dans la Résistance proche des mouvements socialistes, mais il ne faut pas l’opposer trop vite au gaullisme du général Koenig. Ce serait oublier que Laffon lui aussi a été un proche de de Gaulle, pour lequel il avait une très grande admiration. Déclarer Émile Laffon socialiste ne définirait d’ailleurs pas pour autant des positions précises sur l’Allemagne, tant les vues à l’intérieur de la SFIO sont tout d’abord diverses à cet égard. Maurice Grimaud, l’ancien chef de cabinet de l’administrateur général, rappelle en outre les circonstances de sa réaffectation après novembre 1947 pour montrer combien on aurait tort de voir en lui « l’homme des socialistes » : après son départ d’Allemagne, il était sérieusement question de lui confier le gouvernement général d’Algérie. Cependant, au conseil des ministres devant entériner sa nomination, Francisque Gay, membre du MRP, est nommé ambassadeur à Ottawa. Les socialistes demandent une compensation et l’obtiennent ... pour l’Algérie. Leur candidat passe : c’est Marcel Naegelen et non pas Émile Laffon22.
21Sans dénier toute importance aux facteurs administratifs, personnels ou politiques précédemment évoqués, il importe donc avant tout, pour comprendre le différend Laffon/Koenig, de comparer les conceptions qu’avaient les deux hommes de la politique française en Allemagne.
22Cette politique peut d’autant plus prêter à controverse qu’elle est fondamentalement contradictoire. Deux textes élaborés par le secrétariat général du comité interministériel des affaires allemandes et autrichiennes pour préparer la séance du comité siégeant sous la présidence du général de Gaulle le 20 juillet 1945 – donc avant que soient connus les résultats de Potsdam – en portent témoignage23. Ils montrent que dans les milieux gouvernementaux, on avait pleinement conscience de la difficulté de participer au contrôle tripartite en réclamant le morcellement de l’Allemagne, alors que les trois autres puissances occupantes se détournaient de cet objectif.
23À la fin du mois de juillet, Paris est pourtant prêt à jouer le jeu quadripartite : c’est d’abord parce que l’Allemagne constitue « un gage commun » dont la « solidité et l’importance » conditionnent les « divers avantages que nous escomptons de la victoire, notamment dans le paiement des réparations » et « les garanties pour notre sécurité à venir ». Mais il y a une autre raison capitale :
« Il ne faudrait pas non plus laisser l’Allemagne, dans la mesure où nous aurons à contribuer à son administration, devenir une charge pour la France24. […] Il faut éviter que notre rôle en Allemagne […] se limite à assurer les frais d’administration et d’entretien d’une région qui n’a pas à elle seule les moyens d’existence suffisants. La politique de zone, même en ayant en vue la dislocation de l’Allemagne, paraît offrir, au stade actuel, plus d’inconvénients que d’avantages »25.
24Enfin, on souligne qu’il faut présenter aux Allemands l’image d’un front allié uni et ne pas s’exposer « à des soupçons ou aux réclamations » des partenaires « qui entraveraient notre action ». Certes, on reconnaît qu’il existe
« une antinomie d’ailleurs inévitable [...] qui va constituer au départ la difficulté majeure de notre politique allemande. La vie matérielle de l’Allemagne peut comporter une direction ou un dirigisme unitaire, tandis que notre intérêt politique nous commande le fractionnement »26.
25On espère cependant tirer son épingle du jeu en menant « une politique souple et en ménageant l’avenir »27. Ceci dit, la marge de manœuvre apparaît restreinte, car
« aucune considération d’intérêt économique ni de facilité de contrôle ne devra primer les considérations de politique pure, c’est-à-dire de sécurité, dans une question aussi essentielle que la dislocation de l’Allemagne »28.
26Quelques jours à peine après l’adoption de ces textes, les résultats de la conférence de Potsdam, en prévoyant la création dans certains domaines économiques d’administrations centrales allemandes, semblent justement menacer ces objectifs territoriaux. En vertu de leur primauté, la France exprime donc son désaccord et bloque au conseil de contrôle la constitution des administrations centrales. Comme ce veto ne sera pas levé, on a trop oublié que la France formule aussi des propositions devant permettre une coordination administrative interzone par d’autres voies. Pour Paris, il s’agit non seulement de sauver la face, mais de préserver ses intérêts économiques. Peine perdue : aucun compromis n’est possible et c’en est donc fait de la « politique souple » initialement recherchée29.
27Cette contradiction entre objectifs territoriaux et intérêts économiques est également au cœur des problèmes de l’occupation. Dans son premier rapport, daté du 17 septembre 1945, l’administrateur général le décèle avec beaucoup d’acuité30. Selon Émile Laffon, la nécessité première est de passer rapidement à l’administration indirecte : « L’Allemand doit travailler pour nous et pour lui et non pas nous pour lui ». Il doit « endosser des responsabilités vis-à-vis de ses concitoyens dont nous prendrions [sinon] seuls la charge ». Mais encore faut-il que cette administration indirecte soit « compatible avec les intérêts matériels immédiats (de la France) et avec le souci d’une politique différenciée suivant les régions ». La politique rhénane exige en effet un traitement différent des parties de la ZFO, selon qu’elles se situent sur la rive gauche ou sur la rive droite du Rhin31.
28Or, dans le domaine économique, une administration indirecte apparaît plus nécessaire encore :
« Les officiers et fonctionnaires du gouvernement militaire n’ont pas à répartir eux-mêmes les matières disponibles, à rechercher eux-mêmes et sans aucun appui d’organismes responsables allemands les fabricants de tel ou tel produit nécessaire à notre reprise industrielle. Ils doivent dans tous les cas s’adresser à des comités allemands contrôlés par eux, responsables devant eux, qui répondront à leurs demandes ou qui assureront [...] les répartitions nécessaires ».
29Au moment où est rédigé le rapport, les administrations techniques et divers organismes économiques allemands ont été ou sont en train d’être rétablis au niveau provincial. Mais peut-on s’arrêter à cet échelon ? Pour l’administrateur général, le « dirigisme économique impose une centralisation »32. Il est donc souhaitable de « mettre en place des organisations économiques allemandes qui auraient compétence pour toute la zone ».
30C’est ici que les besoins de l’efficacité économique se heurtent aux impératifs politiques qui sont
« de garder aux différentes régions que nous gouvernons leur caractère distinctif et d’accroître leurs tendances fédéralistes, sinon séparatistes ».
31De l’avis de Laffon, accorder la primauté aux objectifs politiques en renonçant à des organismes allemands est dangereux car l’occupant est contraint de trop s’exposer. Comme il le dit dans son rapport suivant, du 10 novembre 1945, les administrations centrales de Baden-Baden sont obligées de « diriger entièrement elles-mêmes sans pouvoir s’appuyer sur une organisation allemande correspondante ». Il leur faut donc endosser une responsabilité qui devrait être à la charge des Allemands « surtout, comme il est probable, si les souffrances de la population s’aggravent avec la pénurie des denrées et des matières premières »33.
32S’élevant dans sa conclusion au-dessus des considérations purement techniques, l’administrateur général revient implicitement sur ce risque d’impopularité qui, à terme, menace les Français en Allemagne. Dans une perspective d’avenir, il relève la contradiction fondamentale consistant à exploiter sans retenue la zone, si bien
« qu’aucune reprise ne peut être envisagée et que l’Allemand n’a toujours aucun espoir immédiat de redressement »,
33tout en voulant par ailleurs
« nous attacher ces populations ou, tout au moins, diminuer leur hostilité à notre égard afin de jeter les premières bases d’un rapprochement durable et fructueux ».
34Pour lever l’hypothèque et, du même coup, surmonter la contradiction de nature administrative évoquée plus haut, Laffon estime finalement qu’il faut
« dans les 4 ou 5 mois qui viennent, tirer le maximum d’avantages, puisque c’est maintenant que nous aurons le plus de liberté vis-à-vis de l’Allemand lui-même et de nos Alliés [...] ».
35Mais on doit
« dès aujourd’hui penser qu’il nous faudra peut-être accomplir un changement radical de politique ».
36Nous n’avons pas de document sur les réactions à ce rapport du général Koenig lui-même. Mais il est par contre certain que les propositions concernant les organismes allemands de zone sont très mal vues par le conseiller politique du commandant en chef. La nécessité de tels organismes avait déjà été soulignée dans une note du 30 août 1945 par Jacques de Chalendar, travaillant à l’époque à la direction des services économiques et financiers de la zone avant d’être envoyé à Berlin34. Chalendar se contentait alors de proposer pour la zone ce que la France présentait au conseil de contrôle comme l’alternative aux administrations centrales : la mise en place de comités techniques allemands chapeautés par des hautes fonctionnaires de l’administration d’occupation. Tarbé de Saint-Hardouin s’y oppose pourtant, ne voulant y voir que « la tendance qu’ont certains chefs de service à tout centraliser »35. En janvier 1946, il parlera d’« hypertrophie de l’administration centrale » et même d’une véritable « tyrannie » exercée par Baden-Baden dans certains domaines36. Il est vrai que la logique économique l’a alors partiellement emporté, puisque dès l’automne 1945 des organismes allemands consultatifs de zone sont autorisés non seulement pour la poste et les chemins de fer, mais aussi pour les prix, les finances, ainsi que pour le cuir et le textile37. L’état des relations entre la « maison Koenig » et le gouvernement militaire n’en est que plus mauvais : François Puaux, alors collaborateur du conseiller politique, ne parle-t-il pas à la fin décembre 1945 des « instructions centralisatrices théoriques et doctrinaires de l’administrateur général »38 ?
37On peut d’ailleurs noter que certains proches d’Émile Laffon défendent à l’époque des idées encore plus avancées sur la politique allemande que celles du rapport du 17 septembre. Ainsi, un mémorandum émanant du cabinet Laffon ne préconise pas seulement un abandon rapide de l’exploitation économique – une certaine similitude dans le choix des termes suggère que l’administrateur général a pu puiser ici la matière de sa propre conclusion ; l’auteur – non identifié – estime en outre que la politique rhénane n’a pas de sens :
« les sentiments particularistes ne représentent plus rien de profond en Allemagne. L’unité nationale est un fait qui prévaudra contre toutes les divisions artificiellement suscitées par les puissances étrangères [...] Pour neutraliser le potentiel belliqueux de l’Allemagne, pour la faire entrer dans le sein d’une nouvelle Europe, il vaut mieux, plutôt que la diviser, la transformer socialement. Depuis un siècle, l’Allemagne est menée par des ‘hommes de proie’, issus de la caste militaire et de la bourgeoisie industrielle. Il s’agit de détruire ces bases de l’impérialisme pangermaniste »39.
38Bien que ce type de réflexion ne soit pas repris dans le rapport du 17 septembre, la politique rhénane est effectivement l’aspect central du conflit entre le général Koenig et son adjoint. Lorsqu’à la fin du mois d’octobre 1945 le commandant en chef demande à l’administrateur général d’étudier
« les répercussions d’ordre technique et politique que pourrait entraîner l’étroit rattachement des territoires de la rive gauche du Rhin [...] à la sphère d’influence française »,
39celui-ci reste encore sur la réserve. Les mesures envisagées reviennent à son avis à une annexion plus ou moins déguisée qui pose un problème politique. Elle ne lui apparaît réalisable qu’avec l’accord des alliés, car
« les populations de ces pays sont en effet trop inquiètes pour l’avenir et désespérées [...] pour ne pas accepter une situation nouvelle imposée et garantie par les grandes puissances militaires ».
40S’il n’y a pas unanimité alliée, Laffon déconseille en revanche toute tentative : il faudrait s’attendre à une résistance certaine40.
41Trois mois après, il n’hésite plus à prendre vigoureusement position. Il est vrai qu’entre temps, la situation politique a changé. Le général de Gaulle, dont il répugnait certainement en tant qu’ancien collaborateur à critiquer les options n’est plus à Matignon41. Et surtout, le gouvernement qui lui succède semble peu fixé sur l’attitude à adopter. Aux Affaires Étrangères, Georges Bidault paraît adopter une position de repli, axée sur la revendication sarroise face à la résistance alliée42. Laffon estime qu’il faut trancher :
« Les propositions françaises [...] ont eu le mérite de la netteté pour ce qui a trait à la Ruhr ; pour la Sarre, elles sont restées beaucoup plus indécises ; quant à la Rhénanie, il est impossible quand on consulte les textes officiels de savoir ce que veut véritablement la France [...] Il n’existe aucune chance de faire triompher une thèse que l’on exprime confusément parce qu’on la pense confusément ; et encore moins la thèse que l’on n’ose pas soutenir au grand jour [...] Il y a évidemment dans ce séparatisme rhénan un côté si profondément anachronique que l’on ne s’avance qu’à pas feutrés si l’on veut le faire aboutir ».
42Et de conclure :
« Quant à la rive gauche du Rhin, [il faut] reconnaître qu’on poursuit une chimère [...] et se borner à une très longue occupation militaire de cette région, avant-poste du bassin Westphalien »43.
43Ce point de vue est réaffirmé dans un mémorandum du 26 juillet 1946, c’est-à-dire au lendemain de la session de Paris du conseil des ministres des Affaires Étrangères qui a montré l’isolement de la France.
« Le maintien de la thèse française [...] même dans la forme où elle est présentée jusqu’à maintenant, c’est-à-dire camouflée sous des contours volontairement indécis est de nature, dans un proche avenir, à réunir sur nos têtes non seulement les reproches agressifs des trois alliés, mais encore ceux des Allemands eux-mêmes »44.
44Laffon n’est assurément pas le seul à avoir compris la nécessité de réviser la politique rhénane45. Même Bidault, bien qu’il vienne de déclarer à la conférence de Paris que la France maintient ses revendications connues, concède en octobre 1946 devant la commission des affaires étrangères de l’assemblée nationale qu’il ne faut plus guère espérer séparer de l’Allemagne la Rhénanie et la Ruhr46. Mais – et c’est justement ce qui irrite l’administrateur général – cette position n’a rien d’officiel, probablement parce qu’elle rencontre des résistances au quai d’Orsay, parce qu’on ne veut pas faire de concessions tant que le désaccord persistant entre les Trois n’exclut pas de pouvoir jouer encore les arbitres47 et surtout parce qu’on n’ose pas affronter l’opinion.
45Le problème de la Rhénanie retient particulièrement notre attention, car c’est là que, comme nous le verrons, l’interaction entre les objectifs concernant l’Allemagne dans son ensemble et la pratique de l’occupation est la plus étroite. Ceci dit, les vues d’Émile Laffon en cette matière s’insèrent bien entendu dans une analyse globale de la situation.
46Des autres revendications territoriales du gouvernement français, l’administrateur général ne reprend à son compte que celle sur la Sarre. La disposition du charbon et de l’acier de cette province « au titre des réparations et en dédommagement des pertes que la France a subies » lui semble être un dû48. C’est là le seul objectif qui puisse à son sens justifier le veto français contre les administrations centrales. En février 1946, il estime en effet souhaitable une solution en accord avec les alliés, « basée sur un projet précis et non annexioniste »49, qui légitime donc l’exercice d’une pression. Mais en juillet de la même année, après l’échec de la conférence de Paris, marquée entre autres par le refus soviétique de toute concession sur ce problème sarrois, il considère qu’on ne peut plus attendre. Il faut « prendre les devants et installer le cordon douanier, seule mesure susceptible d’affirmer la séparation économique »50. À propos de la Sarre, il n’y a donc pas de désaccord fondamental entre l’administrateur général et Paris.
47Concernant la Ruhr, Laffon s’écarte en revanche rapidement de la politique gouvernementale. Dans son rapport de février 1946, il n’oppose pas aux revendications officielles d’un détachement économique et politique de la région rhéno-westphalienne un non catégorique. Cependant le problème est pour lui secondaire.
« S’il est vrai qu’une Ruhr entièrement rendue à un nouveau Reich allemand constitue un danger pour l’avenir, ce danger est lointain, alors qu’il y a des menaces plus proches et d’un autre ordre ».
48Beaucoup plus urgent lui paraît le rétablissement de l’administration à quatre pour éviter le morcellement par zones.
« La création d’administrations centrales [...] constituera la preuve que les alliés peuvent accomplir ensemble une tâche déterminée et atténuera cette psychose d’impuissance et de mésentente »,
49établissant alors « un terrain plus favorable au problème rhéno-westphalien ». La France doit donc abandonner les revendications irréalistes :
« Le règlement le plus rapide des questions relatives à l’ouest allemand, la levée du veto qui en sera la conséquence, la disparition des autarcies de zones, la reprise en main du problème allemand dans son ensemble s’imposeront dans un assez bref avenir »51.
50Ce raisonnement vaut plus encore après la conférence de Paris. Compte tenu des intentions britanniques, il est clair en effet que le détachement de la Ruhr n’a plus aucune chance d’être accepté, sans parler du fait que la perspective de la bizone compromet de plus en plus le retour à une coopération quadripartite. Il faut donc, après avoir pris l’initiative en Sarre, lever le veto au conseil de contrôle, quitte à monnayer ce pas en avant contre des garanties de participation au contrôle économique de la région rhéno-westphalienne52.
51On trouve donc en Émile Laffon un fervent partisan de la collaboration interalliée. De celle-ci, il espère au début 1946 de meilleures conditions pour réaliser en Allemagne le fédéralisme tel que la France le conçoit. Car cela passe à son avis par le dépassement des frontières de zone qui découpent arbitrairement les provinces traditionnelles. Dans la vision d’avenir qu’il esquisse pour l’Allemagne, il serait alors possible de renforcer les gouvernements provinciaux.
« Sans doute l’extrême misère allemande, la pénurie presque totale obligera à un dirigisme ; mais cette direction de l’économie allemande peut être assurée dans les premiers temps par les Alliés eux-mêmes s’appuyant sur de fortes administrations de Pays et de faibles comités consultatifs centraux53. Au fur et à mesure que la pénurie se fera moins sentir, le haut-commandement allié desserrera son étreinte au bénéfice d’administrations centrales allemandes dont l’utilité d’ailleurs se fera moins sentir puisque le dirigisme ira en s’atténuant »54.
52Si l’isolement des zones n’est pas rompu, Laffon craint en revanche les plus grands dangers. Il y a tout d’abord le risque de chaos économique avec, entre autres, une évolution divergente des prix pouvant drainer les flux de marchandises là où ceux-ci sont le plus haut : la ZFO se singulariserait alors par la disette55 ... Mais il ne faut pas moins redouter les déséquilibres politiques. Dès juillet 1946, l’administrateur général note le hiatus entre les évolutions en zone américaine et en ZFO : création du Länderrat, élections provinciales, etc.
« En face de ces masses compactes où déjà l’Allemand propose, critique, administre et dirige [...] la ZFO ne peut qu’opposer la poussière de cinq petites provinces dont la plupart sont coupées en deux. En face de ces capitales, de ces foyers de la production, de la pensée, de la politique, nous ne pouvons opposer que nos herbages et nos forêts [...] Les instructions que je reçois consistent pour l’instant à ne rien changer, à défendre aux Allemands de notre zone de connaître les zones voisines, à nous défendre d’elles et de Berlin. Mais il n’est pas possible de rester seul [...] Le statu quo conduira inévitablement à l’effritement de la zone française qui croira tenir, alors qu’elle ne tiendra plus que du vent. Il faut donc prendre de nous-même des décisions rapides si nous ne voulons pas, soit être contraints de les prendre sous une pression extérieure, soit de constater un jour que toute décision est dépassée...56
53Logiquement, Laffon en arrive bientôt à plaider pour le rattachement à la bizone57, seul moyen envisageable de jeter dans la balance le poids – si faible soit-il – des conceptions françaises. Après l’échec de la conférence de Moscou, son plaidoyer se fait plus pressant encore, car il constate en quelque sorte un pourrissement de la situation, « une lassitude générale des occupants ». Elle trouve sa source à la fois
« dans la disparition progressive de l’esprit de conquête et du sentiment de leur force qui étaient ceux de tous les responsables des gouvernements militaires [...] après la capitulation, [...] dans la prise de conscience de plus en plus ferme des masses allemandes et dans les premières manifestations de rébellion, dans la diminution constante des effectifs d’occupation [...] et le départ des meilleurs, dans la certitude enfin que l’état des choses actuel conduira au chaos ».
54Laffon voit se former bientôt en bizone « l’embryon du premier gouvernement fédéral qui,
« poussé par le tumultueux courant unitaire qu’arrêtera faiblement la barrière du fédéralisme, entraîné d’autre part par la pénurie vers un dirigisme croissant, développera de plus en plus ses pouvoirs ».
55La zone française ne pourra résister à ce mouvement général. Si, jusque là, les difficultés avec la population allemande y ont été moins grandes que dans les zones voisines,
« cette tranquillité couvre des dangers latents [...] Il n’y a pas eu de graves réactions allemandes, parce que l’instrument de l’occupation française, le gouvernement militaire, a été, quoiqu’on en ait dit, relativement solide. Dès l’instant qu’il se détériorera, le voile que l’occupation française avait jeté sur l’esprit de résistance allemand peut se déchirer tout à coup »58.
56Une semaine plus tard, le général Koenig remet lui aussi un rapport sur l’orientation à adopter en Allemagne après la conférence de Moscou. Ses conclusions sont diamétralement opposées. Il rejette la fusion des trois zones occidentales, car
« elle risque d’obliger la France à un choix entre les deux blocs qui se disputent la suprématie dans le monde »,
57et entraînerait
« la nécessité d’une vigilance accrue, afin d’éviter que la fusion économique ne soit le signal d’une poussée vers la fusion politique, qui reste indésirable ».
58En outre, la fusion signifiera de nouvelles charges, la participation au déficit de la balance commerciale de la bizone et un manque à gagner sur la zone pour la métropole. Le commandant en chef demande finalement le maintien du statu quo, la seule condition étant à son avis la prise en charge par la France du ravitaillement de sa zone. Le commandant et son adjoint ne sont donc d’accord que sur un seul point, l’opposition aux réductions d’effectifs du gouvernement militaire...59
II
59Les analyses d’Émile Laffon ne permettent pas seulement de mieux comprendre les raisons de son différend avec le commandant en chef. Elles éclairent d’un jour nouveau un certain nombre de grandes décisions administratives qui ont déterminé le cadre de l’occupation.
60C’est tout d’abord le cas en ce qui concerne la création de l’État rhéno-palatin. Celle-ci fait partie d’un projet global du général Koenig et de ses conseillers, conçu à la fois comme moyen de préparer le détachement de la Rhénanie et de résoudre « le problème Laffon ». Il s’agit d’abord de mettre la pratique de l’occupation française en accord avec les revendications présentées aux alliés. Il n’a en effet pas échappé au général Clay que si la France défend la thèse du morcellement pour l’Allemagne dans son ensemble, elle pratique le centralisme administratif au sein de sa zone60. Pour remédier à ce qui apparaît comme une incohérence dont le gouvernement militaire est rendu responsable, on envisage donc une décentralisation administrative61 : les « pays rhénans » seraient soustraits aux autorités centrales de la zone, qui n’exerceraient plus leur tutelle que sur le sud de la zone, constituée quant à elle en fédération d’Allemagne du sud. Ces pays rhénans seraient par ailleurs regroupés en une seule entité pour mieux résister aux forces centrifuges émanant des États riverains. Parallèlement à cette différenciation territoriale, il est prévu de procéder à un allègement administratif, tant par nécessité, puisque Paris commence à imposer des réductions de personnel, que pour suivre le mouvement amorcé en zone américaine62, où le contrôle se substitue peu à peu à l’administration directe. L’intérêt de ce projet, formulé par le conseiller politique et ses collaborateurs et que le général Koenig reprend à son compte pour le proposer début mars 1946 au CGAAA, est qu’il suppose « d’élaguer très nettement »63 l’administration de Baden-Baden avant de la transférer au siège de la nouvelle confédération, Fribourg ou Constance. Ce que le commandant en chef ne traite que par allusion est dit explicitement par Tarbé de Saint-Hardouin : il s’agit à cette occasion de supprimer la fonction d’administrateur général comme chef du gouvernement militaire, ce que permettent tout à fait les textes réglementaires. L’adjoint ne serait plus qu’un conseiller, un rôle duquel on voit difficilement Émile Laffon se contenter.
61Le paradoxe de la procédure administrative veut que la réforme, dont le sens n’a évidemment pas échappé à Laffon, ne puisse être mise en chantier qu’après étude par les services du gouvernement militaire lui-même. Évidemment, l’administrateur général s’oppose au projet par tous les arguments possibles64 : il le fait tout d’abord sur le terrain, fondamental, de la politique rhénane, en se référant à un discours prononcé à Lille par Georges Bidault, qui n’a plus évoqué la séparation, mais seulement une présence militaire de longue durée sur la rive gauche du Rhin. Concernant ensuite le fédéralisme, il adhère pleinement à son principe, ce qui ressortait déjà clairement de ses memoranda de septembre 1945 et février 1946, mais critique les modalités d’application prévues par le commandant en chef. Non seulement la fédération d’Allemagne du Sud a des aspects bien désuets :
« La réunion à Fribourg d’une sorte de Diète où déléguerait entre autres un gouvernement du Hohenzollern pècherait si étrangement par son anachronisme ... »
62mais le fédéralisme ne peut s’appuyer que sur les États allemands traditionnels et non sur les morceaux découpés arbitrairement par les frontières des zones.
« Je ne crois pas qu’on puisse recréer le fédéralisme dans un petit coin d’Allemagne et compter que sa greffe s’étendra bientôt à l’ensemble. Le problème est à résoudre à l’échelle de la nation entière [...] la condition première et urgente est l’occupation de chaque État allemand par une seule et même puissance ».
63Enfin, Laffon fait valoir, non sans avoir nié que le gouvernement militaire soit inefficace et pléthorique, que
« seule l’administration centrale peut conduire à bonne fin le programme de production pour la métropole, de prélèvements à titre de réparations etc, que tout allègement des services français de Baden, qui ont la responsabilité de ces tâches diverses, conduirait à une perte immédiate pour le pays qu’aucun de nous ne saurait accepter sans lancer un avertissement solennel ».
64Outre ces arguments, l’administrateur général peut retarder la mise en place des commissions d’étude de la réforme en contestant leur composition65 et ne se prive pas par ailleurs de mobiliser ses relations à Paris pour freiner le processus66.
65Toutefois, si le projet de réforme échoue, c’est probablement surtout à cause des hésitations du quai d’Orsay face à l’évolution du contexte international. Après l’échec de la conférence de Paris où les Britanniques ont formellement refusé la reconstitution d’un État unitaire sur la rive gauche du Rhin, la formation de la Rhénanie-Palatinat apparaît justifiée67 : elle est annoncée en août 1946. Par contre, l’intransigeance alliée vis-à-vis des revendications territoriales françaises dissuade les Affaires étrangères de permettre pour le nouveau Land un statut administratif particulier. Le général Koenig, qui se plaindra en février 1947 de cette absence de décision68, semble donc pour sa part n’avoir jamais douté de la séparation de la Rhénanie. La mise en œuvre de sa réforme aurait alors permis d’amorcer une politique spécifique avant même que soit acquis l’assentiment des alliés. Celle-ci aurait pu correspondre à ce qu’esquisse une note rédigée début 1947 par le gouverneur rhéno-palatin Hettier de Boislambert : non pas annexer les territoires de la rive gauche du Rhin, mais
« constituer un État qui, tout en conservant ses caractéristiques propres d’État germanique, accepte de créer des liens culturels et économiques avec la France »69.
66Au-delà des conflits internes à l’appareil d’occupation et de la formation de la Rhénanie-Palatinat, le conflit sur la politique rhénane est plus directement important pour les Allemands, car il contribue à retarder le passage à l’administration indirecte.
67Malgré la prudence française quant au rythme de la démocratisation, ni le commandant en chef, ni l’administrateur général ne contestent la nécessité d’augmenter peu à peu les responsabilités allemandes. Mais faute de pouvoir appliquer sa réforme, le général Koenig doit rétrocéder des compétences en mettant les trois Länder de la zone sur le même pied. C’est ce que font les ordonnances du 8 octobre 1946 permettant la formation d’assemblées constituantes, puis la déclaration solennelle du 9 décembre, donnant aux exécutifs provinciaux le titre de gouvernement et le pouvoir de promulguer (sous le contrôle français) des dispositions ayant force de loi70.
68Là où il y a désaccord avec son adjoint, c’est que celui-ci continue à préconiser la création d’un organisme allemand central de zone comme il le fait depuis septembre 194571. La formation de cette sorte de Länderrat lui paraît d’ailleurs encore plus indispensable après l’annonce de la fusion des zones anglo-saxonnes qui « va donner à nos voisins la faculté de traiter les problèmes à une échelle huit fois plus grande que la nôtre »72. Le commandant en chef voit donc d’un très mauvais œil les textes d’application à la déclaration du 9 décembre que Laffon a proposés le 5 novembre afin de délimiter le domaine de compétence des gouvernements allemands provinciaux73. En effet, ces textes prévoient notamment d’exclure toutes les questions économiques importantes pour les réserver à l’échelon central. Koenig peut craindre la mise en place correspondante de comités allemands de zone, d’autant qu’avec le gouvernement Blum, cabinet socialiste homogène (dans lequel le président du conseil prend aussi en charge les affaires étrangères), est au pouvoir depuis le 16 décembre le parti qui a pris le plus nettement position contre le « séparatisme rhénan »74. Les memoranda adressés aux autres occupants sur l’organisation provisoire et la constitution future de l’Allemagne, par lesquels le quai d’Orsay essaie au même moment (vainement) de sauver quelque chose de la collaboration tripartite, ne font d’ailleurs plus état d’un statut spécial pour la rive gauche du Rhin75.
69Bien que ces derniers textes prévoient par ailleurs une répartition des pouvoirs entre l’échelon provincial et l’échelon central du futur gouvernement allemand très semblable à celle que Laffon préconise à l’intérieur de la zone dans son projet du 5 novembre 1946, le commandant en chef parvient pourtant à bloquer l’adoption de celui-ci. Arguant de la nécessité d’une décentralisation maximale et profitant du fait que Pierre-Olivier Lapie, nouveau sous-secrétaire aux affaires étrangères chargé des affaires allemandes connaît encore mal les dossiers, il en impose l’examen préalable dans le cadre d’une réforme administrative d’ensemble en ZFO76. Lorsque les commissions correspondantes remettent leurs conclusions qui, à part quelques propositions pour alléger les méthodes du contrôle économique, statuent sur la répartition des pouvoirs en reprenant pour l’essentiel le projet initial de l’administrateur provisoire, l’intermède Blum est terminé77.
70Le général Koenig a pu sauver la mise, car dans le gouvernement Ramadier, Georges Bidault a de nouveau le portefeuille des affaires étrangères. Avec ce retour, les éléments les plus conservateurs du quai d’Orsay – parmi lesquels il faut sans doute compter Tarbé de Saint-Hardouin78 – reprennent le dessus : le mot d’ordre est de ne rien faire qui préjuge de la question rhénane avant la session du conseil des ministres des affaires étrangères prévue à Moscou pour le printemps79.
71C’est donc au nom du statut de la rive gauche du Rhin que l’application de la réforme administrative – bien que pendante depuis décembre 1946 ! – reste suspendue80. Une initiative de l’administrateur général montre d’ailleurs à cette occasion à quel point les affaires étrangères méconnaissent les réalités de l’occupation. Laffon invite en effet dès le 12 mars 1947 les directions économiques du gouvernement militaire à présenter des projets d’instruction et de textes réalisant une partie des modifications étudiées par les commissions81. Or, les propositions de réforme n’ont pas encore reçu l’aval du gouvernement (un comité interministériel ne se réunira pour en débattre que le 28 du même mois)82. L’initiative est ambiguë. Indéniablement, elle vise à fixer les compétences imparties aux Länder pour donner enfin tout son sens à la déclaration du 4 décembre 1946. À cet égard, les instructions de l’administrateur général respectent l’esprit fédéraliste des memoranda français, puisque tous les pouvoirs incombent a priori aux provinces sauf ceux délégués à l’échelon central, domaines réservés que sa lettre énumère comme le faisait le texte du 5 novembre 1946. Laffon va cependant plus loin, en indiquant qu’il « envisage de constituer sans tarder le bureau ‘répartition’ et les bureaux ‘financiers’ allemands à caractère fédéral » et en faisant demander aux ministères allemands correspondants de rechercher des fonctionnaires pouvant y être détachés. Pense-t-il, ce faisant, aux « implications rhénanes » de telles décisions ou agit-il en vertu de mobiles administratifs dont la logique est évidente ?
72Quoi qu’il en soit, les instructions du 12 mars déclenchent une salve de télégrammes en provenance de Moscou, où la conférence des ministres des affaires étrangères a commencé depuis le 1083. La réaction la plus remarquable est celle de Georges Bidault en personne, qui exige le retrait de mesures gênant
« la position française en ce qui concerne le régime de la Rhénanie et le renforcement des pouvoirs des Länder [et] provoquant une centralisation qui, du moment qu’elle n’existe pas en zone américaine [sic !], ne paraît pas indispensable ».
73Car
« jusqu’ici, nous nous sommes passés des administrations centrales et notre acceptation ne signifie pas que nous soyons pressés de les voir se constituer ».
74On est donc bien revenu en deçà des memoranda de janvier. Plus grave encore est que le conseiller politique du commandant en chef montre la même ignorance que son ministre de ce qui se passe en Allemagne : il regrette en effet que Laffon « retire aux Länder des attributions dont ils disposaient ». Comme on le constate à la direction de l’économie et des finances de Baden-Baden, le Quai
« s’imagine que depuis le 4 décembre, les Länder disposent déjà des pouvoirs souverains et ignore que l’essentiel des pouvoirs économiques a été conservé en administration directe par le gouvernement militaire »84.
75Sur ce, les instructions du 12 mars sont annulées et c’est seulement après l’échec de la conférence de Moscou que la déclaration du 9 décembre 1946 est concrétisée par l’ordonnance 95 et l’arrêté 218 des 9 et 10 juin 194785.
76Bien entendu, le problème rhénan n’est pas le seul obstacle au passage à l’administration indirecte. La teneur de l’arrêté n° 218, qui réserve l’essentiel des décisions économiques à l’échelon zone, c’est-à-dire au gouvernement militaire, puisqu’on ne se résout pas à créer à ce niveau des instances allemandes, montre à l’évidence le rôle primordial que jouent aussi les intérêts économiques. Évoquer rapidement ce facteur, dont l’importance n’a encore fait l’objet d’aucune recherche systématique, nous permettra de suivre l’évolution des idées de l’administrateur provisoire en la matière depuis les propositions fracassantes de son rapport du 17 septembre 1945.
77Ces idées évoluent entre les deux pôles que fixent les toutes premières directives au gouvernement militaire :
« Nous devons avoir une politique qui nous rapporte [...] Nous devons aussi aider ce pays à se relever de ses ruines »86.
78Après le voyage du général de Gaulle en ZFO, qui est pour le chef du gouvernement l’occasion d’évoquer les perspectives de réconciliation dans un discours qui fait grande impression87, l’administrateur général semble penser que l’exploitation économique va pouvoir s’alléger :
« Jusqu’ici, notre répartition du charbon allait vers des industries travaillant pour la France. Désormais, l’importance de nos prélèvements va être réduite par l’obligation qui nous est faite de les payer en $. Dès lors et conformément à la politique définie par le général de Gaulle, nous allons être conduits à orienter la production en tenant un plus grand compte des besoins de la population allemande [...] Si d’une façon générale la production industrielle devra être employée à couvrir par priorité les besoins français, vous ne manquerez pas de faire remarquer que les exportations vers la France ne constituent pas des prélèvements gratuits, mais des achats payés en $, de manière à permettre à la zone de régler les importations de denrées alimentaires indispensables à sa survivance »88.
79Dans les mois qui suivent, les memoranda ou autres documents de synthèse dont nous disposons évoquent peu le problème de la politique économique en ZFO. Ceci dit, les positions que l’administrateur général prend sur le problème allemand dans son ensemble ont des implications économiques. Lorsqu’il plaide pour une levée du veto français sur les administrations centrales, c’est entre autres, comme nous l’avons vu, pour conjurer les périls qu’il voit s’annoncer en ce domaine. Par ailleurs le bras de fer engagé avec le général Koenig sur la question rhénane et la réforme administrative influence aussi son argumentation économique. L’accent mis tout d’un coup sur la nécessaire satisfaction des besoins français sert alors à justifier l’existence d’une forte administration centrale de zone, qu’il s’agit de défendre. Le mémorandum du 26 juillet montre par ailleurs que Laffon n’a pas complètement perdu de vue ses idées de septembre 1945 : parlant des réparations, il estime « que les événements obligeront peut-être le gouvernement à décider de l’enlèvement rapide, pour en finir une fois pour toutes de tel ou tel établissement industriel », les « événements » en question étant un allègement des réparations et une amélioration matérielle des conditions de vie des Allemands décidés par les Anglo-Saxons. L’analyse des problèmes économiques est donc là encore placée dans un cadre quadripartite : l’autarcie des zones, avec entre autres la responsabilité pour le commandant en chef de la balance commerciale de sa zone ne sont plus de mise :
« Sans doute, la France éprouvera-t-elle des pertes dans les premiers temps en associant sa zone d’occupation au déficit des zones anglo-saxonnes sinon russe. Mais les considérations politiques doivent avoir le pas sur les considérations financières. »89
80Malgré la différence de contexte, Émile Laffon reste fidèle à ses prémisses de 1945.
81Notons que cette primauté du politique, le général Koenig la défend tout autant, même si c’est au service d’objectifs opposés. Le commandant en chef n’est pas aveugle. Si, à la différence de son adjoint, il approuve le veto sur les administrations centrales, il ne lui échappe pas que la constitution de la bizone va aggraver la situation économique de la ZFO, à ses yeux déjà « franchement mauvaise » en décembre 1946. Il faudra craindre
« que les Anglo-Saxons, désireux d’utiliser l’effet psychologique produit par l’annonce de la fusion [...] n’usent désormais avec plus de facilité de certains procédés de pression économique pour nous contraindre à entrer dans leurs vues »90.
82Pour le CCFA, ce danger est grave, mais ne doit pas impressionner outre mesure : « Il existe une parade », celle d’une « véritable alliance économique [...] entre notre pays et sa zone d’occupation ».
83Si une telle alliance implique des charges pour la Métropole, la ZFO
« revivifiée serait capable de fournir [...] à la France ce dont elle a besoin et de mettre à la disposition de la population allemande les ressources nécessaires à sa vie même [...] Un tel arrangement [...] rendrait confiance aux trois pays de notre zone et multiplierait leurs contacts avec nos hommes d’affaires. [...] La France gagnerait sa partie vis-à-vis des Allemands si elle consentait à se pencher sur le problème économique de sa zone et à faire dès maintenant et vite les quelques sacrifices nécessaires, de ‘première mise’, si on peut dire, dans le domaine industriel et pour le ravitaillement »91.
84Cet appel au gouvernement, même s’il est formulé avec une grande solennité, a peu de chances d’aboutir. D’une part, la France connaît elle-même une dramatique crise du ravitaillement92, d’autre part elle entend intégrer immédiatement dans son effort de reconstruction non seulement le charbon de la Sarre, mais aussi tout ce qu’elle peut tirer de la substance de la zone elle-même. Si bien qu’à l’inverse de ce qu’escomptait l’administrateur général en 1945, le facteur économique prend, au fur et à mesure que le temps passe, davantage d’importance dans la politique d’occupation. Un projet d’instructions au commandant en chef d’octobre 1946 émanant du sous-secrétariat d’État aux affaires étrangères allemandes témoigne qu’après la phase d’exploitation plus ou moins anarchique, à savoir :
« une politique de courte durée qui avait pour objet essentiel d’assurer à la France la satisfaction de ses besoins immédiats »,
85on veut entrer dans celle de l’exploitation systématique :
« une politique à plus longue échéance ayant pour but de rendre l’économie de la zone complémentaire de l’économie française ».
86Il est question entre autres d’orienter l’ensemble de la production – sauf, pour l’essentiel, l’agriculture et l’artisanat – en fonction des besoins français. Le programme général et les programmes particuliers à chaque branche seraient étudiés au CGAAA avec les services du Ministère de la production industrielle. En matière de commerce extérieur, il est question avant tout d’assurer à la population allemande un minimum de 1500 calories et de tendre vers un équilibre aussi précis que possible de la balance commerciale : c’est seulement lorsque ces deux conditions seraient remplies que pourrait être amélioré le niveau de vie des Allemands en répartissant entre eux la plus grande quantité de produits industriels. Un tel projet, dont la réalisation est prévue à partir de juillet 1947, exclut évidemment toute perspective de fusion avec la bizone93.
87Pendant la courte période du cabinet Blum, on peut croire à un changement d’orientation. Le chef du gouvernement manifeste la volonté d’accélérer le relèvement économique allemand94 et les ministres économiques, comme les responsables de la politique vis-à-vis de l’Allemagne, réunis à Paris en janvier 1947, se déclarent prêts à tenir davantage compte des besoins de consommation de la population en ZFO. Ils envisagent même à terme la fusion avec la bizone. Cependant, au-delà de ces pétitions de principe, rien n’est fondamentalement changé dans la mesure où on exclut de négocier avec les Anglo-Saxons des accords de production, qui risqueraient de modifier « la personnalité et la structure » de la ZFO et de la rendre dépendante de la bizone. C’est bien le signe que les besoins de la métropole ont toujours priorité95.
88Cette évolution n’échappe pas à l’administrateur général, mais il ne peut que s’y plier. Les termes mêmes d’une lettre qu’il envoie le 10 janvier au commandant en chef pour justifier ses conceptions administratives reflètent une acceptation sans enthousiasme de cette donnée. Après avoir, conformément aux positions que nous connaissons, défendu le traitement au niveau central (et non provincial) des questions économiques, il indique en effet qu’il
« peut paraître désirable de proposer au gouvernement français de généraliser l’institution d’organismes de zone [...] L’existence d’organismes fédéraux de zone à structure très souple et compétence nettement définie permettrait de remettre aux Allemands eux-mêmes la responsabilité de la vie économique de leur pays ».
89C’est ce qu’il avait toujours préconisé pour décharger le gouvernement militaire de responsabilités pesantes. Il lui faut maintenant y renoncer en concédant que
« si cette solution permettait de résoudre harmonieusement le problème posé, elle aboutirait vraisemblablement, en confiant à des administrations allemandes la réalisation des programmes français, à restreindre considérablement l’intérêt matériel immédiat que la France retire de l’occupation de sa zone »96.
90Qui plus est, cette contrainte économique nationale pèse durablement sur les décisions de la politique d’occupation. Alors que Laffon escomptait à la fin 1946 que le détachement de la Sarre, en appauvrissant la zone et en déséquilibrant sa balance commerciale pousserait à la fusion97, l’analyse des coûts et des avantages que font les experts dissuade finalement Paris de s’engager dans cette voie. Selon le directeur de l’économie et des finances à Baden-Baden, le maintien d’une politique de zone implique certes un probable déficit de la balance commerciale et fait risquer des mesures de rétorsion des Anglo-Saxons, mais il faut voir qu’il permet de continuer à nourrir les troupes d’occupation par des prélèvements sur place, alors qu’inversement la fusion avec la bizone associerait la France au financement du déficit commercial important de celle-ci98. Paris préfère attendre et aura plutôt à s’en féliciter, dans la mesure où la balance commerciale de sa zone reste malgré tout excédentaire jusqu’à la fin de l’année 194799.
91Mais dans ces conditions, le gouvernement militaire est contraint de garder toute la responsabilité d’une administration directe qui doit rester efficace au nom du rendement économique pour la métropole ... tout en perdant constamment de sa substance par suite des compressions d’effectifs ! C’est cette absurdité que dénonce le dernier grand rapport de l’administrateur général, écrit après la conférence de Moscou100.
92Ce que Laffon y critique, c’est surtout le décalage entre les ambitions et les moyens à l’intérieur d’une ligne politique qu’il lui faut accepter, même si elle le met mal à son aise. Il n’est manifestement pas question pour lui de réclamer comme en septembre 1945 des sacrifices économiques à la métropole au nom de l’avenir des relations franco-allemandes, alors qu’en France la crise du ravitaillement est à son point culminant101. Le problème, c’est que la politique voulue était « la seule de toutes les politiques entre lesquelles nous pouvions choisir qui exige la présence durable d’un personnel nombreux ». Seul le maintien du gouvernement militaire aurait pu permettre « d’éviter la constitution en ZFO d’un Länderrat strictement et uniquement composé d’Allemands ». Or
« dès l’instant où les ordres de production et d’exportation seront directement passés aux organismes allemands, il ne faudra plus compter sur un aussi important pourcentage de réalisations. Comme dans le même temps, les importations nécessaires à la zone n’iront pas en décroissant, la balance commerciale accusera un déficit [...] qui sera en tout cas largement supérieur aux économies [...] obtenues par suite de la réduction des effectifs ».
93Ces prévisions ne se réalisent pas tout à fait. Certes, la balance commerciale de la zone est déficitaire dès le début de l’année 1948, mais la France continue à tirer un bénéfice économique notable de sa zone dans la mesure où elle retarde malgré tout la formation d’un Länderrat et ne rétrocède qu’au dernier moment les pouvoirs économiques aux Allemands102. Le prix à payer n’est pas tant l’agitation sociale et politique – d’une ampleur certaine, mais jamais vraiment dangereuse dans un territoire assez peu industrialisé – que l’image négative qui s’attachera durablement au souvenir de l’occupation française.
94Si la teneur du différend entre Laffon et Koenig est bien de nature politique – et la preuve a été largement apportée – il serait trop schématique de parler à son propos d’une opposition entre une politique dure et une politique conciliatrice. Ce qui sépare les deux hommes, c’est la référence à la conception gaullienne originelle fondant la sécurité dans les relations franco-allemandes sur des acquis géopolitiques et la « grandeur » de la France sur la position d’arbitre que celle-ci occuperait entre les deux Grands.
95Le général Koenig et les milieux du quai d’Orsay qui l’inspirent s’y montrent fidèles jusqu’à l’aveuglement. Quant à l’administrateur général, qui s’en écarte, il reste pour nous un peu caché derrière sa fonction. C’est en effet surtout à partir des expériences de l’occupation qu’il formule ses critiques et se démarque de la stratégie fixée à Paris. Cette caractéristique, qui fait justement tout l’intérêt de ses analyses, nous en masque en revanche l’arrière-plan politique. Ainsi, on peut apprécier la lucidité de bien de ses jugements, apparenter son refus du détachement de la Rhénanie à celui des socialistes, sentir que derrière les réflexions de ses rapports et mémoires, sa pensée ne s’arrête pas à l’horizon allemand103 : elle nous échappe cependant.
96La question aurait pourtant de l’intérêt, à la fois pour la connaissance du personnage, et pour mieux comprendre ses affinités politiques (en termes de partis) donc par là-même le jeu des influences qui s’est joué à Paris – un jeu tournant finalement en sa défaveur, puisqu’il doit démissionner en novembre 1947104. Car si Laffon est resté en poste malgré son désaccord fondamental avec le général Koenig, c’est bien dans l’espoir d’assurer seul un jour la conduite de la politique d’occupation.
97Concernant cette dernière, les archives Laffon également peuvent susciter quelques interrogations stimulantes. C’est en particulier le cas des options sociales de l’administrateur (au sens de Gesellschaftspolitik). Il semble en effet dans un premier temps que le mémorandum rédigé au sein de son cabinet à l’automne 1945 corresponde sur ce plan à ses propres convictions. Ainsi, en écho aux propositions de ce document (« plutôt que de diviser l’Allemagne, il faut la transformer socialement »), on peut citer les instructions données, le 25 octobre 1945 en ZFO aux délégués supérieurs après le voyage de de Gaulle :
« Nos intérêts [...] coïncident avec ce souci d’une transformation des rapports sociaux puisque la caste allemande des grands propriétaires et des chefs de grosses entreprises a toujours soutenu les partis qui mettent en tête de leurs programmes l’élimination de notre puissance [...] Il est envisagé de ne point laisser les entreprises à leurs propriétaires nazis, qui feront l’objet d’une épuration, ni même d’en remettre l’administration à titre de séquestre à d’autres grands propriétaires allemands moins suspects : cette solution de facilité n’apporterait qu’une apparence de changement d’administration »105.
98Et dans son rapport du 10 novembre 1945 on peut lire :
« Je suis partisan, parce que notre souci doit être avant tout de procéder à l’élimination du patronat prussien ou nazi, d’envisager la remise des entreprises confisquées à des coopératives ouvrières »106.
99Il y aura même quelques promesses allant dans ce sens faites par le directeur du travail de la zone. Mais ces déclarations ne seront pas suivies de mesures en conséquence107. Y a-t-il une évolution de l’administrateur général ou, ce qui est plus probable, des blocages administratifs, politiques et économiques ? Des travaux ultérieurs devront l’établir.
***
100Notons pour terminer que, malgré la clairvoyance de ses analyses, Émile Laffon n’échappe pas un trait de son époque. C’est l’idée quelque peu sionnariste de la « grande œuvre administrative et politique » que la France doit accomplir en Allemagne108. Cette attitude, renforcée sans doute par l’exaltation propre à la Libération (« La France nouvelle ... doit ici faire ses preuves ») a déjà été relevée par Rainer Hudemann109. Partagée par beaucoup de membres du gouvernement militaire, elle rejaillit p.ex. sur la politique culturelle, la politique syndicale et, plus globalement, se traduit par une conception assez « tutélaire » de la démocratisation110. Les rapports et memoranda de l’administrateur général en portent la trace lorsqu’ils affichent p.ex. un certain mépris pour la hâte que les Américains mettent à organiser des élections111. Sur ce point au moins, on peut donc constater une communauté de vues entre Émile Laffon et Pierre-Marie Koenig.
Notes de bas de page
1 Cf. p.ex. Klaus Dietmar Henke, « Politik der Widersprüche. Zur Charakteristik der französischen Militärregierung nach dem Zweiten Weltkrieg », Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte 30 (1982), pp. 500-537. Theodor Eschenburg, voit quant à lui dans la politique culturelle un moyen de faire oublier les rigueurs de l’occupation (Jahre der Besatzung 1945-1949, Stuttgart 1983). Pour une revue générale des travaux, cf. Rainer Hudemann, « Französische Besatzungszone 1945-1952 », in : Neue politische Literatur 26 1/7/1981, pp. 325-360 et le même, « Wirkungen französischer Besatzungspolitik: Forschungsprobleme und Ansätze einer Bilanz », in : Ludolf Herbst, Westdeutschland 1945-1955, Unterwerfung, Kontrolle, Integration, Munich, 1986. Cf. également Rainer Hudemann, « L’occupation française en Allemagne. Problèmes généraux et perspectives de recherche », in : Henri Ménudier e.a., L’Allemagne occupée 1945-1949, Asnières 1989, p. 221-242.
2 Pour toute l’introduction, cf. l’analyse plus détaillée dans le premier chapitre de Alain Lattard, Gewerkschaften und Arbeitgeberverbände in Rheinland-Pfalz unter französischer Besatzung 1945-1949, Mayence, à paraître fin 1988.
3 Rapport de l’administrateur général au général Koenig, 10.1.1945, Archives Laffon (AL) I A.
4 Intervention lors du colloque des 16 et 17 janvier 1986 à l’Institut Français de Stuttgart in Institut francais de Stuttgart, Die französische Deutschlandpolitik zwischen 1945 und 1949, Tübingen 1987, pp. 41 et 46.
5 Cf. Rainer Hudemann, Sozialpolitik im deutschen Südwesten zwischen Tradition und Neuordnung 1945-1953, Sozialversicherung und Kriegsopferversorgung im Rahmen französischer Besatzungspolitik, Mayence 1988.
6 Lattard, Gewerkschaften .... op. cit.
7 Il me faut ici remercier tout particulièrement Monsieur Maurice Grimaud, ancien chef du cabinet de l’administrateur général, dont les renseignements m’ont permis d’entrer en contact avec Monsieur Olivier Laffon, fils de celui-ci. Sans l’amabilité de Monsieur Laffon, ainsi que de Monsieur Michel Fontaine, qui m’ont permis de consulter les papiers de l’administrateur général dans de très bonnes conditions, cette étude n’aurait pu voir le jour. Je leur en suis très reconnaissant.
8 Journal Officiel (JO), Assemblée Nationale (AN) Débats, séance du 21.12.1945, p. 291.
9 JO AN Documents, séance du 8.4.1946, annexe 926, p. 915.
10 JO Lois et décrets, 27.6.1945, décret n° 45 1046 du 15.6.1945.
11 Général Koenig à l’administrateur général, 12.10.1946, AL III/1A
12 CCFA = Commandant en chef français en Allemagne. « Les rapports entre les diverses autorités civiles et militaires sont parfaitement définis et ne sauraient prêter à d’inutiles controverses... Chacun de vos agents du haut en bas de l’échelle administrative doit être pénétré de cette hiérarchie et je vous demande de bien vouloir le rappeler fermement » : SEAAA (Pierre Schneiter) à Koenig, 17.9.1946, AL I A.
13 CGAAA, Note sur la réorganisation de l’administration française en Allemagne, 17.9.1946, AL III/1 A.
14 Marie-Pierre Koenig, Caen 1898 – Paris 1970. Volontaire en 1917, entre à Saint-Maixent après la première guerre mondiale. Capitaine en 1939, fait partie du corps expéditionnaire en Norvège, puis, ramené en Grande-Bretagne, se rallie au général de Gaulle. À la tête d’une brigade de FFL, résiste aux troupes italiennes, puis allemandes à Bir-Hakeim. Nommé chef des FFI en 1944, puis gouverneur militaire de Paris après la Libération de la capitale. Commandant en chef de la ZFO.
Emile Laffon, Carcassonne 1907 – Paris 1958. Lycée Louis le Grand, Licence de droit, école des mines de Paris. Avocat à la cour d’appel de Paris 1935-1939, 1er secrétaire de la conférence du stage des avocats, résistance, membre de la délégation du comité français de la libération nationale à Alger, secrétaire général du ministère de l’Intérieur (1944-1945). Administrateur général adjoint au commandant en chef de la ZFO.
15 à ce sujet, cf. entre autres Robert Aron, Histoire de la Libération de la France, Paris (Fayard) 1959 et Charles-Louis Foulon, Le pouvoir en province à la Libération, Paris (Armand Colin) 1975.
16 Interview automne 1983. Cf. aussi Henri Navarre, Le temps des vérités, Paris (Plon) 1979, pp. 198-199 : « M. Laffon, homme fort intelligent, très brillant, mais d’une ambition, d’une susceptibilité et d’un orgueil tout à fait exceptionnels, voulant être le premier partout et ne cessant de se démener dans ce but. Avec lui, les problèmes allaient être journaliers ».
17 Il s’agit bien d’un jugement sur l’activité de Laffon en Allemagne, que Michel Debré a pu d’autant mieux observer qu’il a été pour un temps secrétaire général du CGAAA. Cf. Michel Debré, Trois Républiques pour une France, Mémoires, Paris (Albin Michel) 1988, Tome 2, p. 66. Cf. aussi le panégyrique de Laffon dans le tome 1, p. 196 (même titre, Paris 1984): « Il avait l’étoffe d’un chef. Ce ne fut pas un des moindres signes de la mauvaise orientation de la IVe République, que le choix que fit Laffon de quitter le service public après avoir été délégué général (sic) de notre zone d’occupation en Allemagne, puis président des houillères du Nord et du Pas de Calais. Il brilla à la tête d’une grande entreprise industrielle et minière. Tant mieux pour elle, mais tant pis pour les gouvernements qui ne surent pas le retenir. S’il n’était mort prématurément, la Ve République l’aurait vu revenir au premier plan de l’état ».
18 Le général Navarre décrit le général Koenig comme « un homme très simple et très direct », et parle de sa rondeur et de son « bongarçonnisme » (sic). Le temps... op. cit. p. 197. Quant au qualificatif de technocrate, employé par Michel Debré lui-même, il n’a ici rien de péjoratif : il fait allusion à la formation d’Emile Laffon, plus précisément à la trajectoire caractéristique Louis-le-Grand, Licence en droit, Ecoles des mines.
19 Cf. Edgar Morin, Allemagne, notre souci, Paris 1947, pp. 33-34
20 Cf. Secrétariat général pour les affaires allemandes et autrichiennes, note sur la situation à Baden-Baden, 10.9.1945, AL « Documents d’intérêt personnel ».
21 Cf. p.ex. Hettier de Boislambert à Laffon, 20.3.1046, AL « Documents d’intérêt personnel ».
22 Interview de Maurice Grimaud.
23 Note sur le problème allemand, 19.7.1945, directives pour notre action en Allemagne, 19.7.1945, compte rendu de la séance du comité interministériel, 20.7.1945 et Archives nationales F 60/3034/2. Cf. également Henri Ménudier e.a., L’Allemagne occupée, op. cit. p. 169-182.
24 Note ...op. cit.
25 Directives ... op. cit.
26 Note ... op. cit.
27 Directives ... op. cit.
28 Note ... op. cit.
29 Cf. Ernest Deuerlein, « Frankreichs Obstruktion deutscher Zentralverwaltungen 1945 », in : Deutschland Archiv 5/1971. Pour une étude très fine de la position française, en particulier des efforts faits pour ne pas rompre la coopération quadripartite, cf. Hudemann, Sozialpolitik... op. cit.
30 Rapport de l’administrateur général adjoint au commandant en chef français en Allemagne (CCFA), 17.9.1945, Arch. Nat. F 60 3034
31 Directives .. loc. cit. : « Dans notre zone, une politique unique est impossible. Il y aurait intérêt à préparer l’avenir en travaillant séparément les diverses parties de cette zone ».
32 Le meilleur exposé sur les raisons de la centralisation est de la plume de Jean Filippi, directeur du service économie-finances du gouvernement militaire: Note sur la décentralisation des services économiques et financiers du GMZFO, 23.7.1946, AL III C. « Un régime d’économie dirigée, indispensable pour permettre le paiement des réparations et assurer à la classe ouvrière allemande le minimum vital nécessaire au maintien de l’ordre exige des organisations communes aux différentes provinces. [...] Techniquement, on ne voit pas comment pourrait être décentralisée la politique monétaire et son corollaire, la politique des prix ». L’autonomie économique provinciale conduit à « une tendance à l’autarcie [...] diminuant les excédents exportables ou retardant les mouvements de produits alimentaires vers les régions déficitaires ». En matière industrielle, seule une administration centralisée peut faire les arbitrages nécessaires à la répartition des produits-clés. Enfin, « l’équilibre de la balance commerciale ne peut être assuré que par l’exploitation systématique des ressources et la compression énergique des besoins de la zone que seule une administration centrale peut réaliser [...] L’acide sulfurique produit par l’IG-Farben (Palatinat) doit être envoyé à la Rhodiaceta (Bade) pour y être transformé en fibres destinées aux textiles du Wurtemberg, sans que la continuité de cette opération puisse être rompue ou subordonnée à l’entente des trois administrations des Länder intéressés ».
33 Rapport de l’administrateur général au CCFA, 10.11.1945 AL I A.
34 Interview de Jacques de Chalendar et Note sur la réorganisation des administrations allemandes (copie) 30.8.1945. Archives de l’occupation (AO). Papiers du conseiller politique (CP) CIIIO.
35 Tarbé de Saint-Hardouin, conseiller politique du CCFA, à Marcel Berthelot, secrétaire général du comité interministériel pour les affaires allemandes, 3.9.1945.
36 Note pour le CCFA, 12.1.1946, AO Archives du cabinet civil (CC) Pol III A2.
37 Rapport de l’administrateur général au CCFA, 10.11.1945, loc.cit. et discours aux ministres allemands, 8.4.1946, AL « Documents d’intérêt personnel ».
38 Note pour l’ambassadeur (Tarbé), 22.12.1945, AO CC Pol III A 7. Le terme « maison Koenig », alors employé couramment dans l’entourage de Laffon, témoigne du mauvais climat qui régnait alors entre les deux administrations.
39 Le document (AL I E) ne porte ni date, ni nom d’auteur. Son contenu permet toutefois de la situer à une date antérieure à la publication du communiqué
40 Administrateur général à CCFA, 4.11.1945, AL I A
41 Selon Maurice Grimaud, de Gaulle avait lui aussi beaucoup d’estime pour Laffon. Tant que le général est au gouvernement, le chef de gouvernement militaire a eu des contacts directs avec son cabinet.
42 Cf. Hudemann, Sozialpolitik ... op. cit., p. 162 et Wilfried Loth, Die deutsche Frage in französischer Perspektive, in : Herbst, Westdeutschland ..., op. cit., p. 41..
43 Rapport de février, administrateur à CCFA, 8.2.1946, AL I A.
44 Mémorandum sur les affaires allemandes, 26.7.1946, AL I A.
45 Le directeur de l’économie et des finances, Jean Filippi, est tout aussi sceptique vis-à-vis des positions officielles : cf. note pour l’administrateur général, 2.3.1946, AL II B.
46 Cf. Loth, Die deutsche Frage ... op. cit., p. 41.
47 Cf. Catherine de Cuttoli-Uhel, La politique allemande de la France, symbole de son impuissance ?, contribution au colloque d’Augsbourg, 4.1984, manuscrit non publié, pp. 7‑8.
48 Mémorandum sur les affaires allemandes, 26.7.1946, loc. cit.
49 Rapport de février, 8.2.1946, loc. cit.
50 Mémorandum du 26.7.1946, loc. cit.
51 Rapport de février, 8.2.1946, loc. cit.
52 Mémorandum du 26.7.1946, loc. cit.
53 Laffon est donc bien partisan d’une forte décentralisation politique, même s’il admet la centralisation économique.
54 Rapport de février, 8.2.1946, loc. cit.
55 Ibid.
56 Mémorandum du 26.7.1946, loc. cit.
57 Conséquences de la fusion des zones anglo-saxonnes, 27.12.1946, AL I D.
58 Rapport de l’administrateur général, 23.4.1947, AL I A.
59 Général Koenig à ministre des affaires étrangères, 30.4.1947, AO CP CII O.
60 Tels sont les termes de François Puaux dans : Note pour l’ambassadeur, 22.12.1945, loc. cit.
61 Note (François Puaux), 10.1.1946 et note pour le CCFA (Tarbé), 12.1.1946, AO CC Pol A III 2 et note (Tarbé), 9.2.1946, AO CC Pol III A 9
62 Le Länderrat, formé à l’initiative américaine dès octobre 1945, a obtenu un surcroît de pouvoirs à la fin de l’année.
63 Général CCFA à CGAAA, 6.3.1946, AO CC Pol III A 2 ainsi que AL I A.
64 Administrateur général à CCFA, 15.4.1946 (avec document joint non daté sur « l’organisation de la politique française »), AL I B.
65 Cf. Laffon à Koenig, 27.4.1946 et Koenig à Laffon, 4.5.1946, AL I A.
66 Cf. la lettre du 4.5.1946 (Ibid.) qui, par ailleurs, en dit long sur la dégradation des rapports entre Koenig et son adjoint : « Je considérerais donc comme un manque de loyauté grave le fait qu’un de mes collaborateurs laisserait croire, même par des sous-entendus à peine marqué, que je tenterais d’apporter à notre zone des modifications administratives importantes en me cachant du gouvernement. Cela n’est point dans ma manière et serait au surplus un stupide enfantillage. Je crois comprendre que le président du gouvernement a eu un moment l’esprit traversé par cette idée. Je n’imagine pas qu’une telle pensée ait pu effleurer son esprit si des bruits non fondés ne lui avaient été rapportés ».
67 Elle se justifie plus encore avec la formation de la Rhénanie du Nord-Westphalie.
68 Koenig à Sous-secrétaire aux affaires étrangères, 10.2.1947, AO CO III 1.
69 Note de Hettier de Boislambert (non datée, mais transmise par une lettre du 8.1.1947); AO CC Pol III A 2. Hettier ajoute : « Dans le domaine économique, des échanges franco-rhénans sont immédiatement réalisables dès que l’état de Rhénanie-Palatinat aura obtenu la maîtrise de ses relations commerciales ».
70 Ordonnances 65, 66 et 67 du 8.10.1946, JO CCFA 12.10.1946 et déclaration du CCFA faite le 4.12.1946. Le texte d’application concernant le contrôle des textes publiés dans Eberhard Konstanzer, « Weisungen der französischen Militärregierung », in : Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte 1970/4.
71 Cf. les memoranda et rapports cités précédemment, ainsi que administrateur général à général CCFA, 23.11.1945, AL III/1 f et administrateur général à Koenig, 16.7.1946, AL I C.
72 Passim.
73 Laffon à CCFA, 5.11.1946, AO CC Pol III A 3a.
74 L’expression est employée par le sous-secrétaire d’Etat aux affaires étrangères lors d’une réunion à Paris, le 13.1.1947 (AO CC Pol III C1 A/B). Sur les positions des socialistes, qui ont refusé la séparation de la Rhénanie dès leur congrès de 1944, cf. Wilfried Loth, Sozialismus und Internationalismus, die französischen Sozialisten und die Nachkriegsordnung Europas 1940-1950, Stuttgart 1977, p. 36
75 Mémorandum relatif à l’organisation provisoire de l’Allemagne et mémorandum relatif à l’organisation constitutionnelle de l’Allemagne, 17.1.1947 in : Documents français relatifs à l’Allemagne, Paris 1947.
76 Cf. Koenig à Laffon, 24.12.1946, AO CC Pol III A 3a. Laffon comme Koenig, avaient eu connaissance de la teneur des memoranda avant leur publication cf. note (non datée) de la fin décembre AO CC Pol III A 8. En ce qui concerne les rapports du CCFA avec le sous-secrétaire d’Etat, le général a, semble-t-il, présenté sa réforme comme un travail d’adaptation des structures administratives de la zone à celles prévues par les memoranda et pour l’Allemagne dans son ensemble. Taisant manifestement son objectif d’un traitement différencié de la rive droite et de la rive gauche du Rhin, il peut donc remettre en marche la machine des commissions de réforme et gagner du temps. Aux yeux de Laffon, la réflexion sur la décentralisation a déjà été faite : cf. Koenig à Laffon, 8.1.1947 AL I B, Lapie à Koenig, télégramme arrivé le 21.1.1947, AO CC Pol III C 1 a et b ainsi que Laffon à Koenig, 10.1.1947, AO CC Pol III A 3 a et surtout le projet de réponse pour cette dernière lettre de la main de Laffon (la lettre ayant été rédigée par Maurice Grimaud), non daté AL, « documents d’intérêt personnel ».
77 Les commissions de réforme de l’administration et de réorganisation du contrôle économique achèvent leurs travaux à la fin du mois de février 1947 : comptes rendus de séance in AO CC Pol III A 3 b et c. Le gouvernement Blum n’a duré que jusqu’au 16 janvier.
78 Selon Cuttoli, La France ..., op. cit., Tarbé, en présentant les divergences entre alliés en mars 1947, note que « les Français seront appelés à jouer un rôle de premier plan. Que la France incline d’un côté ou de l’autre et elle contraint l’Union Soviétique à l’isolement ou compromet gravement le jeu des Anglo-Saxons [...] Nul doute, dans ces conditions, que nous soyons dès le début de la conférence, l’objet de pressantes sollicitations ». C’est d’ailleurs Tarbé qui, lors de la dernière réunion faisant la synthèse des travaux de réforme administrative, déclare « La France désire toujours séparer la Rhénanie du reste de l’Allemagne » : 22.2.1947, AO CC Pol III A b.
79 Cuttoli, ibid., cite également une lettre éloquente du général Koenig à Bidault, quelques jours avant l’ouverture de la conférence de Moscou : la tâche de son ministre y est présentée comme « relativement facile », car « après avoir exposé la thèse française dans son intégralité, il suffira de prier ses partenaires d’exposer les leurs dans le détail (souligné dans l’original). Le différend Anglo-saxons/Soviétiques éclatera alors avec netteté, peut-être avec violence. Cette tactique aura l’avantage de nous faire gagner un temps appréciable. Lorsque les esprits seront revenus au calme, à Moscou ou ailleurs, la délégation française entreprendra les négociations sérieuses avec un plan encore intact et donc une monnaie d’échange ».
80 Dans son rapport du 30.4.1947, loc. cit., le CCFA confirme qu’on a jusqu’alors temporisé.
81 Laffon à délégué général et délégués supérieurs, 13.3.1947, AL II A et AO CP C II O.
82 Fiche sur la conférence au sujet de la décentralisation des services économiques du gouvernement militaire, 28.3.1947 à Paris, AO CC Pol III A 3a.
83 Télégramme du général Catroux, 28.3., de Paul Leroy-Beaulieu, 29.3., du conseiller politique du CCFA, 29.3., AO CP C III) et de Bidault (arrivé le) 3.4.1947 (AO CC Pol III A 3a).
84 Note pour le directeur général de l’économie et des finances, 22.4.1947, AI I A.
85 Ordonnance n° 95 relative aux pouvoirs des Länder de la ZFO du 9.6.1947 JO CCFA 13.6.1947 et arrêté n° 218 relatif aux matières réservées par le CCFA, 10.6.1947, JO CCFA 17.6.1947. Cf. aussi Konstanzer, Weisungen...., op. cit.
86 Administrateur général à directeurs généraux et administrateurs de pays, 20.8.1945, AL I A.
87 Extraits de ce discours dans La revue de la zone française, 15.11.1945.
88 Administrateur général à délégués supérieurs, 25.10.1945, AL I A.
89 Mémorandum, 26.7.1946, loc. cit.
90 Le général Koenig considère que la répartition du charbon, de l’énergie électrique ainsi que les tractations pour le ravitaillement ont déjà largement prouvé la mauvaise volonté des Anglo-Saxons. En décembre 1946, la disette sévit en ZFO.
91 CCFA à M. le président du gouvernement, 6.12.1946, AL I G a.
92 Cf. Jean-Pierre Rioux, La France de la Ve République : tome I : L’ardeur et la nécessité 1944-1952, Paris 1980, p. 39 sq.
93 Projet d’instruction au général commandant en chef en Allemagne, Sous-secrétariat d’état aux affaires allemandes et autrichiennes à Koenig, octobre 1946, AL I G a.
94 Cf. Pierre-Olivier Lapie, De Léon Blum à Charles de Gaulle. Le caractère et le pouvoir, Paris 1981, p. 37.
95 Cf. note pour l’ambassadeur, 15.1.1947, AO CP C II O : Pour une analyse plus détaillée de la réunion, cf. Lattard, Gewerkschaften ..., op.cit.
96 Laffon à Koenig, 10.1.1947, AO CC Pol III A 3 a.
97 Conséquences de la fusion des zones anglo-saxonnes, 27.12.1946, loc. cit.
98 L’équilibre économique et financier de la zone française au lendemain de la conférence de Moscou, 15.4.1947, AL I G a.
99 Chiffres dans Matthias Manz, Stagnation und Aufschwung in der FBZ, thèse dactylographiée, Mannheim 1968.
100 Rapport ... 27.4.1947 loc. cit. Un document interne à la direction générale économie/ finances décrit (sans ironie !) les contraintes qui pèsent sur le gouvernement militaire de la manière suivante : « Nous devons en effet chercher à la fois A) à équilibrer la balance commerciale de la zone ; B) assurer un minimum vital aux Allemands ou, à défaut, leur donner au moins l’espoir de l’obtenir par leurs propres efforts ; C) percevoir le maximum de réparations par prélèvements d’outillage et désarmer industriellement et commercialement l’Allemagne ; D) imprimer à la structure politique et économique de notre zone une forme plus démocratique et, en particulier, y développer des sentiments fédéralistes et les mouvements syndicaux ; E) rechercher pour la France des avantages indirects, p.ex. en développant les productions nécessaires à la France en stérilisant les productions qui la concurrencent, en favorisant la passation d’accords économiques et financiers durables, en dirigeant le commerce extérieur dans un sens favorable aux intérêts français, en acceptant des prix moins âprement discutés dans nos relations avec la France, etc ... ; F) n’employer qu’un nombre sans cesse décroissant de fonctionnaires et agents français et initier progressivement les Allemands aux responsabilités qui deviendront tôt ou tard les leurs ». Note pour M. le Directeur général de l’économie et des finances, 22.4.1947, AL additif au dossier I A.
101 La ration officielle de pain par personne et par jour tombe à 250 g à partir du 1er mai 1947 et à 200 g à partir du 1er septembre. Elle était encore de 350 g d’octobre 1944 au 1er novembre 1945 : cf. Rioux, op. cit. Dès lors on comprend mieux le ton de l’administrateur général dans son rapport du 23.4.1947 : « En toute hypothèse, fusion ou statu quo, les décisions à prendre [...] conduiront à l’inévitable et justifiée protestation des services techniques de la Métropole, qui verront les ressources de la zone échapper, pour la plus grande part, aux demandes françaises ».
102 à ce sujet, cf. Lattard, Gewerkschaften ..., op. cit., chap. I.
103 Il a p.ex. nettement conscience du fait que le veto au Conseil de contrôle, maintenu au nom d’une politique de dépassement des blocs contribue à accuser leur antagonisme.
104 Une lettre que le directeur de cabinet de l’administrateur général envoie de Paris, probablement à l’automne 1947, laisse entrevoir ces luttes d’influences : « Les demandes faites par la majorité du comité directeur de la SFIO auprès de Ramadier en ce qui concerne la dualité ‘civils’/’militaires’ portent leurs fruits », Grimaud à Laffon, AL hors plan dossier « projets de réforme du gouvernement militaire ».
105 Administrateur général ... 20.8.1945, loc. cit.
106 Rapport ... 10.11.1945, loc. cit.
107 Sitzung in Baden-Baden im Büro der Arbeit, 19.9.1946 : Archives du Verband der Pfälzischen Industrie, Neustadt, Vi S Akte « Anerkennung der Arbeitgeberverbände 3.1946-3.1950 » et Der Gewerkschafter (Journal des syndicats de Rhénanie-Palatinat) 15.6.1946 « Achtung Sequesterbetriebe ».
108 Administrateur général ... 20.8.1945, loc. cit.
109 Rainer Hudemann, « Kulturpolitik im Spannungsfeld der Deutschlandpolitik. Frühe Direktiven für die französische Besatzung in Deutschland », in : Französische Kulturpolitik, études rassemblées par Franz Knipping et Jacques Le Rider, Stuttgart 1987
110 qu’on peut illustrer par la phrase de Raymond Schmittlein, directeur de l’éducation publique à Baden-Baden : « La rééducation du peuple allemand ne pouvait être laissée au peuple allemand », cité dans : La dénazification par les vainqueurs, études réunies par Jérôme Vaillant, Lille 1981, p. 10.
111 « Les Américains se découragent devant cette Europe malheureuse, bouleversée et anachronique, ils veulent, avant leur départ, recourir sans tarder au remède universel : les élections et pour les permettre, ils lâchent la bride aux partis. les Français ont une autre conception [...] il leur est apparu que ce n’était pas en quelques mois que la démocratie allait reprendre une population brisée et laminée par le nazisme » : rapport 10.11.1945, loc. cit. Cf. aussi : administrateur général rapport de février, 8.2.1946, loc. cit.
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