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Tour de France cycliste : et si le dopage faisait partie du jeu ?
p. 269-270
Texte intégral
1Depuis que le 96e Tour de France cycliste s’est élancé samedi dernier de Monaco, il n’est question, dans la presse, que de dopage. Il est vrai que les dernières éditions de la Grande Boucle furent toutes entachées de scandales liés à ce fléau. Cette année encore, l’Espagnol Valverde, un des favoris, sera absent de la compétition en raison de son implication dans une affaire de dopage de grande envergure, l’affaire « Puerto ». Il en ira de même pour le grand espoir néerlandais Thomas Dekker qui vient d’être suspendu à la suite d’un contrôle positif à l’EPO. Et puis surtout, il y a Lance Armstrong. Le come back du septuple vainqueur du Tour, aujourd’hui âgé de 37 ans, alimente tous les soupçons.
2Au fond, comment comprendre la place qu’occupe le dopage dans la pratique des coureurs cyclistes professionnels ? Amaury Sport Organisation, la société propriétaire du Tour de France, relayée par les médias partenaires de l’événement, nous invite à comprendre la prise de produits dopants chez le coureur comme une réalité parasitaire, une maladie qui vient gangrener le vélo de l’extérieur. Ainsi y aurait-il les règles du cyclisme, qui sont saines et qui assurent l’équité et la droiture de la compétition, et il y aurait, par ailleurs, des tricheurs qui bravent ces règles. Il se pourrait pourtant que cette façon de voir nous induise totalement en erreur et nous fasse manquer l’essentiel. Pour s’en convaincre, changeons un court instant d’univers social et de braquet. Ouvrons le livre que l’anthropologue britannique Frederick Bailey consacra en 1960 au fonctionnement de la vie politique dans le village de Bisipara, en Inde. Dans cet ouvrage, traduit en français sous le titre Les Règles du jeu politique, Bailey opérait un distinguo éclairant entre règles normatives et règles pragmatiques. Les règles normatives, disait-il, ce sont celles qui déterminent quels sont les trophées mis en jeu, qui sont les agents autorisés à participer à la compétition, comment la compétition doit se dérouler, et comment elle doit être contrôlée. Ce sont, si l’on veut, les règles officielles et structurantes du jeu politique. Les règles pragmatiques, elles, énoncent ce qu’il convient de faire pour obtenir tel ou tel résultat : par exemple, ce qu’il convient de faire concrètement pour gagner le soutien d’un chef de clan, ou comment il faut s’y prendre, concrètement, pour neutraliser un adversaire dérangeant. Ces règles-là sont directement liées aux savoir-faire et aux tactiques des compétiteurs.
3Revenons au cyclisme professionnel. Ici, les règles normatives sont celles qui expriment les valeurs sportives communément admises par le grand public, comme par exemple l’égalité formelle entre les compétiteurs et le fait que rien ne doit être fait pour en avantager certains au détriment des autres. Ces règles ont une incidence bien réelle sur la compétition. Pour autant, résument-elles l’ensemble des règles à suivre pour devenir un cycliste victorieux ? Ce serait faire peu de cas de toute une série de règles pragmatiques comme celles liées, par exemple, à l’art des arrangements de course, c’est-à-dire au fait de savoir parfois laisser gagner un concurrent en échange d’une contrepartie qui pourra être sportive ou financière. Ou encore, comme celles qui consistent à savoir s’injecter les bons produits masquants au bon moment, afin de faire fi des contrôles anti-dopage. Si l’on suit la perspective indiquée par Bailey, de telles règles pragmatiques méritent d’être reconnues comme des composantes à part entière du jeu. Sans leur prise en compte, il devient en effet impossible à un observateur de décrypter correctement le jeu et d’identifier les stratégies réelles des concurrents. Certes, cela peut choquer, car nous préférerions nous en tenir, en politique comme en cyclisme, à la croyance qu’il n’existe jamais que des règles normatives. Pourtant, la réalité est là, et elle ne date pas d’hier : toute compétition, qu’elle soit politique ou sportive, génère, à côté des règles normatives qui la structurent, des règles pragmatiques, dont la maîtrise est ce par quoi un véritable initié se distingue d’un profane.
47 juillet 2009
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La sociologie sur le vif
Ce livre est cité par
- Vachée, Cécile. Dansac, Christophe. (2013) L'animation socioculturelle professionnelle, quels rapports au politique ?. DOI: 10.4000/books.cse.334
- (2012) Livres reçus. Questions de communication. DOI: 10.4000/questionsdecommunication.7056
La sociologie sur le vif
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