Tennis et dopage : la double vie de Richard Gasquet

p. 267-268


Texte intégral

1Samedi dernier, on apprenait que le cycliste belge Tom Boonen, récent vainqueur de la course Paris-Roubaix, avait été contrôlé positif à la cocaïne lors d’un prélèvement effectué fin avril. Récidive, puisqu’il y a un an, le même Boonen avait déjà été contrôlé positif à la cocaïne et à l’ecstasy. Et voici que ce dimanche, c’est au tour du tennisman français Richard Gasquet de confirmer que, lui aussi, vient d’être contrôlé positif à la cocaïne. C’était lors du tournoi de Miami qui a eu lieu à la fin du mois de mars : on a retrouvé dans ses urines des traces de cocaïne trois fois supérieures au seuil à partir duquel elles sont jugées significatives. Cela pourrait valoir au joueur de tennis, aujourd’hui n°23 au classement mondial, une suspension de deux ans, synonyme, peut-être, de coup d’arrêt définitif à sa jeune carrière.

2Ni Boonen ni Gasquet ne correspondent vraiment au stéréotype du junky ou du cocaïnomane. En excellente forme physique, athlétiques et bronzés, ils sont loin de l’image de déchéance, voire d’animalité volontiers attachée dans les représentations courantes à la figure repoussante et inquiétante du drogué. Ils sont, qui plus est, très bien intégrés professionnellement, et gagnent très confortablement leur vie. Aucune marginalité sociale chez eux. Rien qui ne colle non plus avec la réputation d’irresponsabilité et d’immoralité que s’attirent, dans l’imagerie populaire, les personnes toxicomanes. Bref, le cas de ces deux jeunes sportifs nous oblige tout à coup à réviser nos idées reçues concernant ce qu’est un usager de drogue, et ce que sont sa physionomie et sa conduite sociale typiques. Pour ceux qui souhaiteraient faire le ménage complet dans leur esprit à ce sujet, on peut recommander la lecture d’un petit ouvrage décapant qu’une ethnologue a publié il y a trois ans sous le titre Double vie. Les drogues et le travail. Dans cette brève étude, Astrid Fontaine, c’est son nom, s’est intéressée au cas de personnes qui consomment régulièrement de l’ecstasy, de la cocaïne, de l’héroïne et/ou du cannabis et qui, néanmoins, sont parfaitement intégrées au monde du travail. Assistant de production, chef d’entreprise, ingénieur, consultant, journaliste, haut fonctionnaire, enseignant, cadre commercial, ou ouvrier spécialisé, ces hommes et ces femmes âgés de 25 à 50 ans n’ont qu’une hantise : être démasqué un jour comme drogué par leur entourage professionnel et perdre alors leur job et leur statut social. Astrid Fontaine décrit ici les techniques de dissimulation et de contrôle de soi que ces personnes apprennent à employer afin de s’acquitter le plus normalement possible de leur travail et de rester « insoupçonnable » aux yeux de leurs collègues.

3Comme on pouvait s’y attendre, l’étude fait apparaître que la consommation de drogue est souvent attachée, chez ces personnes, à une logique compensatoire par rapport au travail. En d’autres termes, elle est une pratique d’apaisement et de distanciation face au stress et aux tensions, parfois très fortes, engendrées sur le lieu de travail. Elle est aussi une pratique qui se développe à la faveur de la dégradation des conditions de travail ou des relations professionnelles de l’intéressé. Mais il y a plus inattendu : l’usage de drogues peut aussi se révéler, dans certains cas, un outil de l’adaptation sociale et professionnelle. Les effets des drogues s’avèrent en effet parfois adaptés aux exigences du travail, à tel point qu’ils y renforcent paradoxalement l’estime de soi et l’intégration professionnelle.

4Finalement, au sein de la population des toxicomanes, ces drogués qui travaillent ou, si l’on préfère, ces travailleurs qui se droguent représentent-ils une minorité ? Ce n’est pas sûr. Astrid Fontaine cite ainsi une étude américaine réalisée il y a dix ans qui montrait qu’aux États-Unis, sur près de 3 millions de personnes consommant régulièrement de la cocaïne, seulement un peu plus de 5 % se trouvaient dans un usage compulsif et problématique. C’est dire que les 95 % d’usagers restants pouvaient être jugés entretenir un rapport à la drogue plus ou moins contrôlé et discret. Au fond, c’est aussi ce que les cas de Tom Bonnen et de Richard Gasquet nous rappellent à leur façon : on peut être un consommateur de drogue sans être pour autant un marginal ou une personne désaffiliée socialement. Et si, dans cette histoire, c’était cela, finalement, le plus troublant ?

512 mai 2009


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