Lutte contre le sida : la faute morale de Benoît XVI

p. 217-218


Texte intégral

1Jusqu’alors, un certain nombre de personnes croyaient que le meilleur moyen pour endiguer la pandémie de sida qui frappe si durement le continent africain était le préservatif. Mardi dernier, dans l’avion qui le menait à Yaoundé, au Cameroun, le pape Benoît XVI les a détrompées. « S’il n’y a pas l’âme, si les Africains ne s’aident pas, on ne peut résoudre le problème du sida avec la distribution de préservatifs » a-t-il affirmé. Il a même ajouté, à la stupéfaction générale : « Au contraire, cela augmente le problème. » Le pontife a alors révélé quel était le vrai bon moyen de se protéger contre le sida, à savoir : « renouveler l’homme intérieurement. » En clair, il s’agit de lui communiquer, à cet homme, une « force spirituelle et humaine » qui l’aidera à adopter « un comportement juste à l’égard de son propre corps et de celui de l’autre ». Il fallait y penser. Cependant, qu’adviendra-t-il pour ceux qui, n’ayant pas réussi à acquérir cette force spirituelle protectrice, seront contaminés par le virus ? Vis-à-vis d’eux, il faudra, a dit le pape, accroître toujours « notre capacité à souffrir avec ceux qui souffrent ».

2Les réactions, c’était prévisible et c’était peut-être voulu, n’ont pas manqué. Et la polémique n’a cessé d’enfler. Les propos pontificaux ont été dénoncés comme absolument « irresponsables ». Ils « pourraient anéantir des années de prévention et mettre en danger de nombreuses vies humaines » s’est insurgé la ministre belge de la Santé. Il semble que « pour Benoît XVI, le dogme religieux soit plus important que la vie des Africains » a renchéri la responsable d’une organisation sud-africaine anti-sida.

3On peut voir dans cette polémique une énième illustration de ce qui constitue, selon Max Weber, l’antinomie fondamentale de l’action politique, à savoir l’opposition entre ces deux maximes de la conduite humaine « totalement différentes et irréductiblement opposées » que sont ce que le sociologue allemand appelle l’éthique de la conviction d’une part, et l’éthique de la responsabilité d’autre part1. Le partisan de l’éthique de conviction entend soumettre son action de manière inconditionnelle à des principes intangibles : il se montrera, à la limite, indifférent aux conséquences ultimes de ses gestes. De son côté, l’adepte de l’éthique de responsabilité a une conception foncièrement pragmatique de l’action : il mesure l’adéquation des moyens utilisés au regard des fins poursuivies et, avant d’agir, tient compte des conséquences pratiques prévisibles de ses actes. Pour Max Weber, il est impossible de dire, de façon absolue, laquelle de ces deux éthiques mérite plus que l’autre notre respect. Mais une chose est sûre : poussée à bout, chacune d’elles introduit, dans le domaine de la politique, un danger : l’éthique de responsabilité, si plus aucune conviction ne vient la soutenir, se mue en opportunisme pur et simple, et vide ainsi la vie politique de toute authenticité ; l’éthique de conviction, si plus aucune appréciation de ses conséquences pratiques ne l’arrête, dégénère en intolérance et en fanatisme et conduit à la catastrophe humanitaire.

4Pour Weber, c’est donc plutôt un compromis entre ces deux éthiques qui doit être recherché. À titre personnel, le sociologue allemand estimait que dans nos sociétés modernes la conviction doit rester ferme mais que la politique, néanmoins, doit viser une certaine « objectivité ».En d’autres termes, la politique doit s’alimenter le plus possible de diagnostics scientifiques sur les causes des difficultés auxquelles il faut remédier, sur les moyens qu’il est possible de mettre en œuvre et sur la désirabilité même de certains objectifs, compte tenu des coûts et des sacrifices qu’ils vont impliquer. En tournant le dos à cette conception « objective » de la politique, Benoît XVI a certes réaffirmé l’importance de l’éthique de conviction, dans un monde qui tend à l’oublier. Mais il a complètement échoué à articuler cette éthique de conviction avec l’éthique de responsabilité et ce qui va de pair, avec les savoirs objectifs fournis par la science. C’est en cela qu’il a commis une faute morale particulièrement lourde.

524 mars 2009

Notes de bas de page

1 Sur cette antinomie, voir également « Boycotter les JO de Pékin ? » p. 19-21.


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