Pollution automobile : un problème peut en cacher beaucoup d’autres

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Texte intégral

1Par son succès et son rayonnement, le Mondial de l’Automobile 2008, qui s’est ouvert samedi dernier porte de Versailles à Paris, va confirmer une fois de plus l’importance du culte que notre société rend à la voiture individuelle. Tout laisserait penser, pourtant, que ce mode de transport n’a plus guère d’avenir. Il est un des moyens de se déplacer les plus dangereux, et l’une des principales causes de décès dans notre pays, notamment parmi les jeunes. Il est aussi une source de gaspillage énergétique, à l’heure où les réserves mondiales en pétrole s’épuisent. Il est enfin une cause de pollution atmosphérique considérable. Or, tout cela ne freine nullement la progression du parc automobile et ne refroidit guère l’engouement collectif pour les voitures.

2C’est que, si l’automobile pose d’innombrables problèmes à nos sociétés, ceux-ci ne se manifestent jamais d’eux-mêmes : ils sont l’objet d’une construction collective. C’est ce qu’a montré le sociologue américain Joseph Gusfield dans un ouvrage publié en 1981 sous le titre The Culture of Public Problems, livre dans lequel il analysait comment la question des accidents de la route avait été construite aux États-Unis vingt ans plus tôt. Ce qui frappe Gusfield, c’est que l’accent a été mis quasi exclusivement sur « l’alcool au volant », le drinking-driving. Toute une campagne s’est développée sur ce thème, impulsée par des associations d’automobilistes, et relayée par les pouvoirs publics américains. Or, Gusfield fait remarquer qu’on aurait très bien pu se focaliser sur autre chose que sur l’alcool au volant : par exemple sur la solidité des voitures ou sur leur dangerosité. Toutefois, parler d’alcool au volant avait l’avantage de faire du conducteur, et non pas des véhicules, la cause des accidents de la route. C’est pourquoi cette façon spécifique de construire le problème enthousiasma les grandes firmes automobiles, qui lui apportèrent un énergique soutien.

3La leçon à tirer, selon Gusfield, c’est que le sociologue ne doit pas répondre bille en tête aux problèmes sociaux tels qu’ils sont construits par les acteurs. La tâche doit consister plutôt à se demander comment ces acteurs ont construit les problèmes pour lesquels ils veulent des réponses, c’est-à-dire aussi à examiner quelles façons alternatives de construire le problème ils se sont accordés à écarter. En France, par exemple, les problèmes relatifs à l’automobile ont été construits presque entièrement à partir des questions de sécurité routière et, plus récemment, de pollution. Or, ce que ces façons-là de construire le problème ont en commun, c’est de n’avoir jamais réellement contrarié les intérêts de l’industrie automobile. Bien au contraire ! Exiger des voitures toujours plus sûres et toujours plus propres voulait dire : imposer des contrôles techniques plus stricts, des pots catalytiques et des normes anti-pollution et donc finalement, pousser les automobilistes à mettre au rebut leurs véhicules afin d’en acheter des neufs, qui soient conformes aux nouvelles exigences réglementaires. Bref, une façon de dynamiser continûment le marché.

4Or, on aurait pu imaginer de tout autres manières de construire le problème de l’automobile. En rappelant par exemple que les automobilistes bénéficient d’un réseau de routes dense et bien entretenu qui ne leur coûte pas un sou, sauf sur l’autoroute, alors que dans le même temps, le train intègre dans ses coûts d’exploitation le financement des voies ferrées et des gares. Il est vrai que cette façon de montrer que la voiture bénéficie d’un avantage indu, et invisible, par rapport au train avait peu de chances de rencontrer le même soutien de la part de l’industrie automobile. Comme quoi, si nos façons de construire un problème public sont potentiellement nombreuses, elles sont loin d’avoir toutes les mêmes chances sociales de finir par s’imposer à nos esprits.

57 octobre 2008


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