Pourquoi devenir prêtre ne fait plus rêver les jeunes
p. 183-184
Texte intégral
1Samedi dernier, place des Invalides à Paris, le pape a joué les sergents recruteurs. Aux jeunes, il s’est adressé en ces termes : « N’ayez pas peur de donner votre vie au Christ ! Rien ne remplacera jamais le ministère des prêtres au cœur de l’Église ! Rien ne remplacera jamais une messe pour le salut du monde ! » C’est que Benoît XVI est parfaitement conscient du problème que pose à l’Église de France, depuis plusieurs décennies, la raréfaction des vocations sacerdotales. Il sait que le clergé français, confronté à ce problème, n’a pas attendu le président Sarkozy pour organiser une filière d’ » immigration choisie » consistant à recruter des prêtres en terre africaine afin de continuer à maintenir sur l’ensemble du territoire français une offre de service décente. Mais cette solution pourra-t-elle masquer encore longtemps que la prêtrise, dans notre pays, n’attire plus grand monde ?
2Mais au fait, qu’appelle-t-on une « vocation » sacerdotale ? Pour l’Église, cela consiste en la chose suivante : Dieu vous a élu pour devenir l’un de ses fonctionnaires ; il vous adresse la nouvelle de cette élection, au plus profond de votre cœur et de votre âme. En faisant le geste de répondre favorablement à cet appel intime et de devenir prêtre, c’est le caractère absolu de votre liberté que vous manifestez. Comme on pouvait s’y attendre, les sociologues ne l’entendent pas de cette oreille. Ils se sont donnés pour tâche, eux, de « désenchanter le monde » comme disait Max Weber. Les explications providentielle ou spontanéiste de la vocation ne constituent jamais, à leurs yeux, des explications véritables. Dans leur optique, expliquer vraiment la vocation ne peut vouloir dire qu’une chose : en mettre au jour les mécanismes sociaux. C’est le but que s’était fixé le sociologue Charles Suaud dans un ouvrage paru il y a 30 ans et intitulé, tout simplement, La Vocation. Dans ce livre, Suaud s’intéresse au cas de petits séminaires ruraux qui, en Vendée, jusque dans les années 1960, fournissaient des flots ininterrompus de futurs prêtres. Selon lui, ce qui rendait alors très attractives de telles institutions, c’était le fait qu’elles constituaient, pour les familles paysannes les plus pauvres, quasiment la seule chance de faire bénéficier leurs enfants d’une promotion sociale. Un second facteur tenait au fait que les méthodes pédagogiques en vigueur dans ces établissements étaient très en phase avec les normes de la culture paysanne et, en particulier, qu’elles n’exigeaient pas des niveaux de performance scolaire très élevés. Au cours des années 1960, les choses allaient brutalement changer en raison tout à la fois du développement de la scolarisation au collège et d’un exode rural très massif. Dans ce contexte nouveau, l’école devenait soudain un moyen de promotion sociale beaucoup plus efficace que le petit séminaire. Ce dernier essaya bien de s’adapter en élevant ses exigences en matière de performance scolaire et en intégrant des normes mieux ajustées à la vie moderne et urbaine. Mais toutes ces évolutions ne firent que creuser une distance plus grande avec les familles paysannes pauvres et accrurent donc la crise qu’elles visaient à combattre.
3L’étude de Suaud nous montre que la vocation sacerdotale n’éclot que si certaines conditions sociales sont réunies. Lorsque ces conditions viennent à faire défaut, comme c’est le cas aujourd’hui en France, les vocations se volatilisent. On comprend, du coup, que si nombre de jeunes Africains ressentent de nos jours la vocation de devenir prêtre, cela a peut-être moins à voir avec la volonté de Dieu qu’avec le fait que la prêtrise est devenue, en Afrique, un important et efficace moyen de promotion sociale.
416 septembre 2008
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