Élèves contre enseignants : la guerre est déclarée !
p. 175-176
Texte intégral
1Parents, en ce jour de rentrée scolaire, avez-vous eu la présence d’esprit de faire enfiler à votre enfant un gilet pare-balles ? Non ? Eh bien, sachez que si vous viviez aux États-Unis, plus exactement dans l’État du Texas, on serait en droit de vous reprocher votre imprudence. On vient en effet d’apprendre que le conseil scolaire du district de Harrold, une charmante petite bourgade au nord de Dallas, a pris à l’unanimité la décision d’autoriser les enseignants à porter, en classe, des armes de poing. Il leur suffira de posséder un port d’arme et de suivre une petite formation destinée à leur apprendre à maîtriser leur stress en situation de crise. Enfants turbulents, vous voilà prévenus !
2Il existe en sociologie de l’éducation un courant de recherche qui a toujours préconisé d’aborder ce qui se passe dans une salle de classe à la manière texane si l’on peut dire, c’est-à-dire en envisageant cela d’emblée comme un théâtre de guerre plutôt que comme une petite société amicale et pacifique. Ce courant, c’est celui dit de l’interactionnisme symbolique. Un de ses pionniers fut dans les années 1930, à Chicago, un chercheur nommé Willard Waller. Pour Waller, ce n’est pas l’ordre scolaire qui va de soi : c’est la résistance à l’ordre scolaire. Voir les choses ainsi, dit-il, nous permet de mieux comprendre comment de l’ordre scolaire est produit, malgré tout. Si nous voulons comprendre les relations réelles entre enseignants et élèves, les mots qu’il faut avoir en tête sont ceux typiques d’un état de nature : guerre, vengeance, litige, victoire et compromis.
3Dans les années 1980, le sociologue britannique Peter Woods a poursuivi cette démarche interactionniste qui accorde au conflit la primauté. Cela l’a conduit à observer que la négociation est la principale stratégie utilisée par les enseignants et les élèves au cours de leurs interactions. En effet, si l’enseignant est trop sévère, ou donne des notes jugées injustes, les élèves sont capables de prendre quantité de mesures de rétorsion, telles qu’arriver systématiquement en retard, ne plus répondre, se désintéresser ostensiblement du cours, prendre constamment un air « cool » et provocateur, ou encore être sans cesse à la limite des comportements interdits. Pour que le travail scolaire puisse se faire, ou simplement que la classe puisse se dérouler, il y a donc une négociation cachée qui s’établit, et qui permet de « faire la trêve ». Woods montre que ce genre de négociations implicites concerne également le type et la quantité de travail donné à chacun par l’enseignant, et même les méthodes pédagogiques qu’il emploie. En fait, c’est l’ensemble du travail scolaire qui apparaît comme une activité négociée de manière implicite et parfois même explicite, et cela aussi bien vis-à-vis des élèves que l’enseignant juge les moins motivés que vis-à-vis de ceux qu’il estime les plus travailleurs.
4Avec ces études interactionnistes, l’idéal d’un enseignant « Souverain-tout-puissant régnant sur sa classe » en prend un sérieux coup. Mais, en réalité, comme l’ont bien montré les historiens, même un monarque comme Louis XIV devait sans cesse négocier et passer des compromis pour asseoir son pouvoir pourtant réputé « absolu ». De ce point de vue, le fait que l’ordre scolaire soit sans cesse l’objet d’une négociation implicite ne fait que nous révéler ce qu’est l’exercice réel de tout pouvoir, même le plus souverain.
52 septembre 2008
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