Enseignement : le niveau baisse-t-il vraiment ?
p. 167-169
Texte intégral
1Il y a deux semaines, l’enquête Pisa est venue plomber le moral des enseignants de notre pays. Pisa, cela veut dire Programme international pour le suivi des acquis des élèves. Il s’agit d’une enquête réalisée tous les 3 ans, dans les 57 pays les plus riches de la planète. Dans chacun de ces pays, des élèves âgés de 15 ans sont évalués sur leurs connaissances scolaires. Résultat : la France est en recul sensible par rapport aux précédentes enquêtes de 2000 et de 2003. Elle descend au 17e rang dans le domaine des mathématiques et dans celui de la compréhension de l’écrit, et au 19e rang concernant la culture scientifique. Cela veut-il dire que le niveau baisse vraiment ? Nombre d’enseignants en ont le sentiment : les élèves qu’ils ont en face d’eux, leur semblent avoir beaucoup plus de lacunes et de difficultés, notamment en français, en orthographe et en culture générale, que ceux d’il y a quelques années.
2On ne développera pas ici l’analyse proposée il y a plus de quinze ans par les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet dans leur ouvrage au titre provocateur, Le Niveau monte. Elle est bien connue, surtout des enseignants de ce pays. On peut la résumer ainsi : si le niveau baisse, c’est en fait… parce qu’il monte ! En d’autres termes, si les performances scolaires apparaissent aujourd’hui globalement moins bonnes, c’est que globalement, beaucoup plus d’enfants qu’autrefois, et en particulier des enfants issus des milieux populaires, ont désormais la chance de faire des études plus longues. Ces enfants-là sont certes moins dotés par leur environnement familial en compétences et en savoirs qui permettent d’exceller à l’école. Mais n’est-ce pas déjà un progrès que de les voir malgré tout faire davantage d’études qu’ils n’en auraient fait s’ils étaient nés trente ou cinquante ans plus tôt ? Le collège accueille désormais 100 % d’une tranche d’âge, et le lycée environ 84 %. Rappelons que cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, en 1959, seul 6 % d’une tranche d’âge obtenait le baccalauréat. Cette proportion était déjà passée à 40 % en 1985. Aujourd’hui, elle atteint 64 %. En un siècle, la durée moyenne des scolarités a plus que doublé dans notre pays. Depuis trente ans, la proportion des hommes et des femmes quittant l’école sans aucun diplôme a très régulièrement décru. C’est aussi pourquoi, selon l’INSEE, dans la population française aujourd’hui la plus âgée, celle qui est sortie du système scolaire dans les années 1950 ou avant, la proportion de personnes en difficulté avec l’écrit est nettement supérieure à celle constatée dans les générations suivantes.
3Le problème peut faire songer aux débats qui eurent lieu à la fin du xixe siècle, lorsque les élites intellectuelles se déclarèrent consternées par ce que contenait la presse industrielle à grand tirage, alors en plein essor. Ce qu’elle contenait ? Des crimes, de la vulgarité, du mauvais roman, de la superficialité, un renoncement à la culture et à l’élévation spirituelle. C’était, pour ces élites, la manifestation la plus patente d’un déclin inexorable de la civilisation. Un jugement sans doute un peu exagéré mais on ne peut pas dire non plus que ces élites avaient entièrement tort de diagnostiquer une certaine baisse de niveau du débat public. Ce qu’elles refusaient de voir, cependant, c’est qu’avec ces journaux populaires à grand tirage, faits pour plaire au plus grand nombre, des millions de nouveaux accédants à la lecture (paysans, ouvriers, femmes, fraîchement alphabétisés) allaient avoir désormais envie de lire un journal. La presse, cet objet si longtemps réservé, en raison de son prix et de ses contenus, à une petite élite lettrée allait devenir un objet de consommation courante, certes parfois un peu moins sérieux et exigeant intellectuellement qu’auparavant, mais accessible à davantage de monde. La situation n’est-elle pas analogue concernant la querelle actuelle du niveau scolaire qui baisse et qui monte en même temps ? Les uns insistent sur la chute effrayante du niveau des performances scolaires : ils n’ont pas entièrement tort. Les autres mettent plutôt en avant qu’il existe une hausse globale prodigieuse de l’accès à l’éducation. Ils n’ont pas entièrement tort non plus. L’erreur des uns et des autres consiste à refuser de penser conjointement les deux phénomènes de la baisse des performances scolaires d’une part, de la hausse du niveau de scolarisation, d’autre part.
4Penser les deux conjointement, c’est, comme le suggèrent Baudelot et Establet, ne plus se contenter de poser uniquement la question du niveau moyen de performances scolaires, comme persiste à le faire l’enquête Pisa. C’est aussi, et surtout, examiner le taux de dispersion des performances scolaires, c’est-à-dire les écarts de performances entre les élèves. Or, ces écarts s’accroissent dans notre pays. En d’autres termes, il y a de plus en plus de distance entre le niveau de connaissance scolaire auquel parviennent les meilleurs élèves et celui auquel stagnent les moins bons. Face à quoi, trois attitudes politiques paraissent envisageables : d’abord, le laisser-faire, consistant à laisser s’accroître de tels écarts, quitte à s’orienter vers un système scolaire à deux vitesses ; ensuite, l’élitisme, consistant à aligner les normes de référence de l’ensemble du système scolaire sur les performances des meilleurs élèves et donc à exclure du système les élèves les moins performants, ou du moins, à limiter leurs chances de faire des études longues ; enfin, le solidarisme, consistant à veiller en priorité à la réduction des écarts à l’intérieur du système scolaire, en aidant les moins bons élèves à ne pas décrocher. Cette dernière politique est celle qu’a choisie depuis des années un pays comme la Finlande, en mettant en place des dispositifs qui permettent de repérer très précocement les difficultés scolaires rencontrées par un élève, et de tout mettre en œuvre pour les traiter immédiatement. La Finlande, vous savez, c’est ce petit pays au Nord de l’Europe, qui, si l’on en croit l’enquête Pisa, obtient les meilleurs résultats scolaires du monde entier. Après tout, ce n’est peut-être pas un hasard.
518 décembre 2007
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