Être petit est-il un crime ?

p. 163-164


Texte intégral

1« La cour sous le règne de Nicolas-le-Petit. » Tel est le titre de la dernière livraison des Dossiers du Canard Enchaîné qui sort ces jours-ci en kiosque. En quatre-vingt-deux pages enrichies de dessins satiriques, les journalistes du Canard brocardent les ridicules, les flatteries et les vanités dont seraient coutumiers les proches du Président Sarkozy. Nicolas « le Petit » : la formule fait explicitement référence à celle par laquelle Victor Hugo aimait à moquer Napoléon III. Elle fait songer également, bien sûr, au personnage de Sempé, le Petit Nicolas, dont une exposition célèbre actuellement, à l’Hôtel de Ville de Paris, les 50 ans. Mais « Nicolas-le-Petit », cela fait aussi référence à la taille physique du président de la République. Celle-ci, estimée entre 1 m 65 et 1 m 68, situe le chef de l’État entre 6 à 9 centimètres au dessous de la moyenne nationale. Si l’on en croit l’INSEE, cette moyenne s’établissait en effet en 2001 à 1 m 74 pour les hommes français âgés de plus de 20 ans.

2Les moqueries à l’égard des hommes plus petits que la moyenne sont monnaie courante, et pas seulement dans les pages du Canard Enchaîné. Elles nous paraissent inoffensives mais cachent en réalité de réels mécanismes discriminatoires. Il revient au sociologue Nicolas Herpin de l’avoir mis en lumière dans un petit ouvrage paru en 2006 sous le titre Le Pouvoir des grands. S’appuyant sur un très grand nombre d’études statistiques menées en Suède, au Royaume-Uni, en Australie, aux États-Unis et en France, Herpin nous révèle à quel point la taille joue dans la vie sociale, celle des hommes notamment, un rôle aussi décisif que sous-estimé. Ainsi, par exemple, les études convergent à montrer que les hommes se suicident d’autant moins qu’ils sont de plus grande taille. Elles montrent également que les hommes de petite taille vivent moins souvent en couple et qu’ils ont moins d’enfants. Au demeurant, dans nombre d’enquêtes, la taille apparaît comme un motif explicitement donné comme important pour le choix d’un conjoint. Ainsi, une enquête de l’INED faisait apparaître en 1984 que 70 % des femmes interrogées refusaient l’idée de vivre avec un homme plus petit qu’elles.

3Ce n’est pas tout : les études menées en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis soulignent que les hommes de petite taille sont moins diplômés et qu’ils sortent plus souvent du système scolaire avant l’âge de fin d’études. Une enquête australienne démontre que, dans ce pays, les garçons de petite taille – mais non les filles de petite taille – redoublent plus fréquemment à l’école. La taille, enfin, influe sur la rémunération du travail. Ainsi, en 1996, à diplôme égal, le quart des Anglais les plus grands touchait un salaire de 13 % plus élevé que le quart des Anglais les plus petits. Les mêmes études montrent que les hommes de petite taille ont moins de chances d’accéder à des postes de responsabilité.

4Les données réunies par Nicolas Herpin invitent à deux types de conclusions. Pour commencer, elles soulignent que la taille n’est pas un trait ethnique mais plutôt un capital humain de santé. Les comparaisons historiques et internationales montrent en effet très clairement que nos conditions de vie dans l’enfance sont un facteur beaucoup plus décisif que notre patrimoine génétique individuel pour expliquer la taille que nous faisons à l’âge adulte. L’accès à un système de santé efficace, la moindre pénibilité du travail et l’existence d’un État providence commandent plus que tout la taille moyenne que peut atteindre la population d’un pays. La taille, autrement dit, est liée pour une part décisive à l’organisation sociale.

5En second lieu, l’étude de Herpin met en lumière que la taille est au principe, dans nos sociétés, d’une discrimination à peu près aussi forte que celle de la couleur de peau ou celle du genre, si l’on considère par exemple leur impact respectif sur le salaire. L’énigme est dès lors entière : pourquoi ce principe discriminatoire n’émerge-t-il pas dans l’espace public en tant que problème social ? Pourquoi le racisme de la taille n’est-il pas vécu comme tel ? Pourquoi rions-nous d’un président de la République au seul motif qu’il n’est pas grand ?

628 avril 2009


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