Des policiers au-dessus des lois ?
p. 129-130
Texte intégral
1« France : des policiers au-dessus des lois » : tel est le titre d’un rapport publié il y a peu par Amnesty International. L’organisation de défense des droits de l’homme y déplore que, dans notre pays, les infractions commises par des membres des forces de l’ordre, qu’il s’agisse d’injures racistes, d’usages abusifs de la force ou même d’homicides, ne soient que peu suivies « d’enquêtes effectives » et que leurs responsables soient « rarement traduits en justice ». Le rapport d’Amnesty dénonce en particulier des attitudes discriminatoires à l’égard des minorités « visibles » et des personnes dites « vulnérables » tels que les migrants en situation irrégulière, les réfugiés et les SDF. Il fournit aussi plusieurs exemples de violences policières présumées, et notamment de décès jugés suspects, auxquels la justice n’a pas donné de suite. Tel celui d’Abdelhakim Ajimi, mort le 9 mai 2008 après avoir été maîtrisé par des policiers lors de son arrestation à Grasse dans les Alpes-Maritimes. Amnesty souligne que deux policiers soupçonnés d’être impliqués dans cette affaire n’ont pas été mis en examen et continuent de travailler dans la ville, tandis que l’enquête se poursuit. Est également cité le cas d’Abou Bakari Tandia, Malien en situation irrégulière mort en garde à vue au commissariat de Courbevoie après être tombé dans le coma, en décembre 2004. Les policiers affirment qu’il s’est jeté contre un mur, ce que la famille juge impossible au regard des rapports médicaux.
2Ces accusations de complaisance à l’égard des violences policières ont été repoussées par le porte-parole du ministère de l’Intérieur, qui s’est dit « choqué » par le titre du rapport. « Personne n’est au-dessus des lois dans ce pays, et surtout pas les policiers ! » a-t-il estimé. Avant d’ajouter : « Les sanctions pour les policiers qui s’écartent des règles d’éthique ou de déontologie sont extrêmement sévères. »
3Qui faut-il croire ? Un ouvrage, publié il y a sept ans par le sociologue Fabien Jobard, peut peut-être nous éclairer. Son titre : Bavures policières ? Son sous-titre : La force publique et ses usages. À partir de différentes sources, dont notamment des entretiens avec des sortants de prison, Jobard identifie, en premier lieu, les déterminants des violences policières. Il en isole trois : premièrement, les caractéristiques sociales des personnes contrôlées ou interpellées, les individus les plus susceptibles d’être victimes de bavures étant ceux qui sont victimes de désaffiliation, d’errance et d’anomie ; deuxièmement, le lieu où se trouvent les personnes, certains territoires étant désignés par les policiers comme requérant un contrôle accru ; enfin, l’exigence de rendement, qui renvoie aux nécessités économiques internes à l’organisation policière et au mode d’évaluation du travail policier. Ces trois déterminants, toutefois, ne suffisent pas à expliquer à eux seuls la survenue de bavures : pour Fabien Jobard, l’élément-clé à prendre en compte est la création de ce qu’il propose d’appeler des « arènes policières ». Ces arènes résultent de la répétition des rencontres entre les policiers et certains de leurs « clients », comme ils les dénomment. Ce sont des espaces-temps limités, soustraits au regard public, et à l’intérieur desquels les relations entre policiers et « clients » sont réglées par une très grande personnalisation des rapports de face-à-face et par le recours à des modes physiques de domination. Jobard montre en quoi de telles arènes sont rendues possibles, et sont même consolidées, à la fois par les équipements matériels des policiers et par le droit, qui leur donne le pouvoir d’extraire certains individus de l’espace public et qui, par ailleurs, attribue à leurs propos une présomption de crédibilité supérieure, lorsqu’il s’agira, éventuellement, de relater ce qui s’est passé. Ces arènes sont ainsi des sortes d’enclaves de souveraineté, concédées à la police. Mais cette souveraineté ne s’exerce pas de façon totalement arbitraire, dans la mesure où elle garde pour horizon un retour à la situation normale et donc une mise en conformité minimale avec la loi.
4Il est donc juste d’affirmer, comme le fait le ministère de l’Intérieur, que les policiers, en France, ne sont pas au-dessus des lois. Mais cela n’enlève rien au fait qu’ils se trouvent régulièrement en dehors du droit, dans des « arènes » où rien ne garantit plus que l’usage qu’ils peuvent être amenés à faire de la violence demeure en totale conformité avec la loi.
514 avril 2009
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