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Caisses d’épargne : pourquoi François Pérol a décroché le job
p. 81-82
Texte intégral
1François Pérol qui était, il y a quelque temps encore, secrétaire général adjoint de l’Élysée, vient de renoncer à cet emploi pourtant prestigieux. C’est qu’il en a trouvé un autre qui l’intéresse davantage : M. Pérol est, depuis hier, à la tête de la future deuxième banque française, née de la fusion des Caisses d’épargne et des Banques populaires. Ces dix derniers jours, une polémique a enflé, comme on le sait, au sujet de cette subite reconversion professionnelle. Une polémique liée notamment au fait que M. Pérol n’a jamais été entendu par la commission de déontologie chargée de contrôler les conditions de départ des hauts fonctionnaires vers le secteur privé. Une polémique que le président Sarkozy, de son côté, a tenté de relativiser, en affirmant notamment, à propos de ceux qui contestaient le choix de M. Pérol, qu’ » ils ne sont pas contents qu’on donne le meilleur à une nouvelle banque ».
2Ainsi M. Pérol serait-il le meilleur que pouvait espérer la banque dont il a pris la tête. Et c’est cela, au fond, qui justifierait son parachutage : le fait qu’il soit le meilleur. Est-ce à dire qu’il suffirait d’être le plus compétent pour décrocher un job ? Est-ce à dire que ceux qui possèdent les meilleurs jobs ne le doivent qu’à leur plus grande compétence ? La sociologie économique nous conduit à une vision quelque peu différente. Qu’on considère par exemple les travaux de Ronald Burt. Au début des années 1990, ce sociologue américain a étudié les mécanismes de la carrière des cadres à l’intérieur d’une firme spécialisée dans la haute technologie. Il a montré que ceux qui obtenaient des promotions le devaient certes aux compétences dont ils pouvaient attester, et aux résultats qu’ils obtenaient, mais aussi à des caractéristiques moins explicites comme leur appartenance ethnique, leur sexe ou leur niveau d’instruction, ainsi qu’au contexte organisationnel, c’est-à-dire au type de fonction occupée ou au lieu d’implantation au sein de la firme. En réunissant l’ensemble de ces données, Burt est allé jusqu’à fabriquer un modèle qui devait rendre prévisible l’évolution de carrière des cadres dans la firme étudiée. Surprise : il constata que les prédictions de son modèle ne correspondaient pas à ce qu’on observait effectivement. Autrement dit, il y avait une part importante de la logique des promotions internes qui restait inexpliquée avec un tel modèle. C’est ici qu’entre en scène ce pour quoi le travail de Burt est resté célèbre : le sociologue a eu l’idée d’introduire, dans son schéma explicatif, une analyse de réseaux. Celle-ci a fait apparaître qu’il existait un lien très net entre le réseau de relations dont dispose un cadre et la rapidité de sa promotion au sein de la firme : ainsi les cadres qui ont un réseau de relations étendu ont une carrière qui progresse à un rythme beaucoup plus élevé que les cadres dont le réseau est limité. Joue ici non seulement la longueur mais aussi la forme structurelle du réseau : ceux qui ont un réseau redondant et hiérarchisé, c’est-à-dire organisé autour d’un contact en particulier, progressent moins vite que ceux qui ont un réseau non redondant et riche en ce que Burt appelle des « trous structuraux ». Qu’entend-il par là ? Disons, pour simplifier, qu’un trou structural est le fait d’avoir un contact avec deux acteurs qui n’ont pas eux-mêmes de contact direct entre eux. Plus votre réseau social est riche en trous structuraux, plus vous possédez d’informations que vos interlocuteurs, pris séparément, n’auront pas, et que vous serez donc les seuls à posséder et à contrôler.
3Les analyses de réseaux qui se développent aujourd’hui en sociologie économique, à la suite des travaux de Ronald Burt, et de quelques autres, mettent ainsi en lumière ce que nous savions tous intuitivement : que cela aide, dans une carrière, d’avoir beaucoup de relations et en particulier, des relations avec beaucoup d’individus qui n’ont pas eux-mêmes de relations directes entre eux. Il faudrait s’en souvenir lorsqu’on qualifie de « meilleurs » que les autres des individus dont l’excellence tient au moins autant à leurs compétences propres qu’aux bénéfices informationnels que leur procure le fait d’appartenir aux bons réseaux.
43 mars 2009
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La sociologie sur le vif
Ce livre est cité par
- Vachée, Cécile. Dansac, Christophe. (2013) L'animation socioculturelle professionnelle, quels rapports au politique ?. DOI: 10.4000/books.cse.334
- (2012) Livres reçus. Questions de communication. DOI: 10.4000/questionsdecommunication.7056
La sociologie sur le vif
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