Sarkozy contre Villepin : bestial !
p. 57-58
Texte intégral
1Dans l’affaire Clearstream, le parquet de Paris a demandé la semaine dernière le renvoi de Dominique de Villepin devant le tribunal correctionnel. Apprenant la nouvelle, les journalistes en ont profité pour revenir une nouvelle fois sur « la guerre sans merci » qui oppose, depuis les débuts de cette affaire, messieurs de Villepin et Sarkozy. Le Monde, notamment, a rapporté ce propos étonnant que l’actuel président de la République aurait tenu il y a deux ans à Dominique de Villepin : « J’ai eu un chien, un labrador. Un animal très beau, très intelligent mais intenable. Un mâle dominant, m’avait prévenu le vétérinaire. Voyez-vous Dominique, j’ai dû m’en séparer. Il ne faut jamais laisser deux mâles dominants dans un même endroit et aujourd’hui, le mâle dominant, c’est moi ! »
2Le propos manque peut-être de raffinement mais du moins pose-t-il la question de savoir si nous autres, êtres humains, ne serions pas guidés, en réalité, jusque dans notre comportement prétendument le plus hautement civilisé, par nos hormones et notre taux de testostérone. Il existe sur cette question au moins trois positions. La première, qui a aujourd’hui le vent en poupe, caractérise ce que l’on peut appeler le réductionnisme naturaliste. Elle correspond à l’idée, défendue par les partisans des approches évolutionnistes d’inspiration darwinienne, selon laquelle nos comportements s’expliquent entièrement par nos gènes. Si messieurs Sarkozy et Villepin s’affrontent si agressivement, c’est, selon les tenants de cette école, que leur capital génétique les y contraint : un capital qui résulte de millénaires de sélection naturelle au cours desquels ce sont les mâles humains les plus agressifs qui ont acquis, par rapport aux autres, des avantages reproductifs. La seconde position, diamétralement opposée à celle-ci, caractérise la tendance constructiviste en sciences sociales. Elle correspond à l’idée que nos comportements s’expliquent entièrement par notre socialisation. Pour les tenants de ce courant, si messieurs Sarkozy et Villepin s’affrontent si agressivement, c’est qu’enfants, ils ont intériorisé des normes comportementales typiques de la façon dont on concevait, dans leur milieu social, ce que doit être un « vrai » petit garçon, et, plus tard, des normes de virilité et de combativité typiques de la politique professionnelle et de la haute administration publique.
3Il revient à l’un des pères du courant sociologique connu sous le nom d’interactionnisme symbolique, le philosophe George Herbert Mead, d’avoir proposé, dans les années 1930, une troisième position au sein de ce débat. L’un des exemples favoris de Mead était précisément celui du combat de chiens qu’utilise aujourd’hui Nicolas Sarkozy. Contre la position constructiviste, Mead admet une forte similitude entre l’homme et le chien. Mais contre le réductionnisme naturaliste, il ne la localise pas dans le fait d’être déterminé par ses gènes. Il l’attribue plutôt au fait que tout combat, de chiens ou d’hommes, est une interaction, c’est-à-dire que l’attitude d’un combattant n’a de signification qu’en tant qu’elle est une réponse à l’attitude de l’autre. La différence majeure entre chiens et hommes tient ici à ce que les hommes utilisent pour se répondre des mots et des symboles signifiants qui sont liés à leur culture d’appartenance. C’est cette dimension symbolique de leur interaction, cet interactionnisme symbolique, qui introduit entre eux ce qui n’existe pas entre les chiens : une indétermination sur le sens, et la possibilité du changement historique. Ainsi pour Mead, si messieurs Sarkozy et Villepin s’affrontent si agressivement, c’est qu’aucun des deux n’est en mesure de contrôler, à lui seul, le processus interactionnel d’agression mutuelle qui les lie. Pour en sortir, il faudrait que l’un accepte de donner l’impression d’interpréter comme non agressive l’attitude de l’autre, et que l’autre accepte à son tour d’en faire de même. Pour Mead, en raison de l’indétermination propre à la communication humaine, ce scénario est quelque chose qui est toujours possible mais qui n’a jamais rien de mécanique ou d’obligatoire.
414 octobre 2008
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