La Chine va-t-elle enfin devenir communiste ?
p. 35-36
Texte intégral
1Qu’il me soit permis d’évoquer aujourd’hui un auteur que Raymond Aron considérait comme l’un des pères fondateurs de la sociologie : Karl Marx. Les théories de ce penseur ne sont plus guère enseignées dans notre pays. Il fut pourtant, sans aucun doute, l’un des rares sociologues du xixe siècle à avoir pensé comme tel le phénomène qui domine aujourd’hui tous les esprits : la mondialisation.
2L’occasion de redécouvrir la pensée de Marx nous est offerte par les Jeux Olympiques de Pékin qui se sont achevés dimanche dernier. Qu’est-ce que ces Jeux vont changer dans la société chinoise ? Selon beaucoup de commentateurs, ils vont faire entrer définitivement la Chine dans l’ère du capitalisme. Bien entendu, cela fait belle lurette que la Chine est intégrée au système capitaliste mondial. Nous nous en rendons compte à chaque fois que nous achetons des vêtements, des chaussures ou des jouets. Mais jusqu’alors, ses propres marchés intérieurs étaient encore trop peu ouverts, au goût des capitalistes occidentaux. Ces derniers espèrent que désormais, cela va changer. On prédit aussi qu’un effet collatéral de cette intensification du capitalisme en Chine sera quelque chose que l’on observe au demeurant déjà : la lente pénétration – oui, même en Chine ! – de l’idéologie libérale, selon laquelle la propriété privée constitue le fondement des sociétés humaines, et selon laquelle, également, tout individu doit être reconnu comme un détenteur de droits individuels. Ce passage d’un régime communiste au capitalisme intégral aurait-il chagriné Marx ? Eh bien, certainement pas ! Le vieux barbu s’en serait même sans doute félicité. N’a-t-il pas toujours considéré, en effet, qu’on ne pouvait pas brûler les étapes en matière de transformation sociale : un mode de production communiste ne peut advenir que si, auparavant, a pleinement triomphé le mode de production capitaliste. Et cela, pour une raison simple : le passage au communisme s’appuie sur les contradictions internes du capitalisme. Ce sont ces contradictions, rien d’autre, qui le rendent historiquement nécessaire.
3De ce point de vue, il faut bien admettre que les Chinois de 1949 ont fait preuve d’impatience, en voulant passer directement d’un mode de production agraire à un mode de production communiste, sans passer par la case capitaliste. Le résultat ne fut pas vraiment une réussite, du point de vue même de la théorie marxiste : l’État chinois n’a pas dépéri, c’est le moins qu’on puisse dire ! Et les classes sociales, en Chine, n’ont en rien disparu. Eh bien, voilà que les Chinois ont maintenant une chance de se rattraper ! Car la Chine, en devenant peut-être authentiquement capitaliste grâce à ces Jeux Olympiques, augmente sérieusement ses chances de vivre enfin les contradictions internes qui lui permettront de devenir un jour authentiquement communiste.
4Comme le philosophe Karl Popper l’a soutenu, les prédictions de Marx au sujet du passage réputé inéluctable du capitalisme au communisme peuvent être jugées peu scientifiques. En effet, elles relèvent peut-être davantage du domaine de la foi que de celui de la science. Et c’est précisément ce qui fait leur caractère infalsifiable, comme dit Popper : on ne peut jamais ni les dire vraies ni les dire fausses. Ainsi, malgré tout ce qu’on ne cesse de nous répéter depuis la chute du mur de Berlin, que le capitalisme triomphe aujourd’hui mondialement, y compris en Chine, n’est certainement pas quelque chose qui peut invalider la théorie de Marx. Mais, ajouterait Popper, ce n’est pas non plus quelque chose qui peut la valider.
525 août 2008
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