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Traduction et résonance morphique

Jean-Pierre Courtial

Texte intégral

1La notion de forme a fait l’objet de recherches en psychologie, intelligence artificielle et mathématiques. R. Sheldrake a fait l’hypothèse d’ondes de forme et d’une logique de résonance morphique pour expliquer la reproduction des formes des organismes vivants et notamment des formes acquises. Cette théorie a fait l’objet de controverses véhémentes. Nous montrons que la théorie de la traduction appliquée à la construction des connaissances scientifiques met en œuvre des formes et, selon certains calculs mathématiques issus de la dynamique fractale, un principe de résonance morphique. La théorie de la traduction construit des objets et, par inversion des associations, des sujets. Le modèle biocognitif de Martinez apparaît comme la transposition de la théorie de la traduction aux processus biologiques inscrits dans la culture. Nous faisons l’hypothèse que, des cycles de traduction d’objets et de sujets par l’intermédiaire des formes, résulte une nouvelle forme d’énergie irréductible au concept scientifique classique d’énergie, proche de la notion de « Qi » chinoise. La logique de construction de sujets peut conduire à un régime relationnel de présence complémentaire de la pensée instrumentale propre à la science classique et source de nouvelles lois de la nature. La théorie de la traduction suggère ainsi d’élargir la démarche scientifique au-delà de la construction des seuls objets quantitatifs relevant de la causalité. Elle conduit à des réponses à certains aspects controversés de la théorie de R. Sheldrake.

La science des formes

  • 1 Cette loi consiste en la notion d’activation d’un nœud dès lors que la somme des courants en entré (...)

2La psychologie a découvert la notion de forme dans les années 1920 avec la Gestalt psychologie, en relation avec la théorie des champs en physique. La psychologie de la forme part du principe que tout être humain en groupe constitue un champ avec le groupe au sens de constituer un équilibre où chacun est dépendant des autres, l’ensemble présentant une structure ou forme. On a pu également parler de forme au niveau perceptif, cognitif, au niveau de la silhouette de quelqu’un. Du point de vue perceptif, de célèbres illusions font cohabiter plusieurs formes à l’intérieur d’un même dessin, ce que l’on prend pour le fond peut devenir forme et inversement. Le tout d’une forme peut être dans la partie au sens où, par exemple, une même forme comme manière d’être d’une personne peut s’observer au niveau du visage, des mains, des vêtements, de même que la partie peut être dans le tout. De son côté l’analyse mathématique des formes s’est transformée avec l’intérêt d’automatiser la lecture de l’écriture manuscrite. Jusque-là elle décomposait les formes en structures géométriques de base (segment, cercle, etc.). En filmant dans les années 1970, dans le cadre de recherches en intelligence artificielle, une forme avec une caméra de télévision à balayage envoyant une série de pixels sur un réseau associatif quelconque obéissant à la loi de Hebb1, on a remarqué qu’une forme donnée comme la lettre s écrite à la main correspondait à l’activation de centres précis au sein du réseau (Atlan, 1972). On a appelé attracteurs ces centres caractéristiques de la forme, appellation qui rappelle, en théorie des catastrophes, les états stables vers lesquels convergent les systèmes.

  • 2 L. Nottale (2000) propose de rebâtir la physique sur cette base qu’il nomme « principe de relativi (...)

3Enfin, la notion de forme a pris un tour particulier avec la naissance de la géométrie fractale (Mandelbrot, 1982, 1989). Celle-ci part du principe qu’il existe des phénomènes obéissant à une loi unique mais se déroulant simultanément à des échelles multiples. Il en résulte des objets aux contours irréguliers mais reproduisant la même forme aux différentes échelles2. Les contours peuvent être alors comme des surfaces mais à plus de deux dimensions. C’est le cas d’un rivage mais aussi des cristaux de neige, de certaines plantes, des poumons (comme si ces derniers se développaient à partir d’un principe unique de surface minimale pour un volume maximal, Nottale, 2000).

  • 3 Les structures oscillatoires ou cycliques qui caractérisent le fonctionnement du corps (battement (...)
  • 4 Certaines approches de la perception partent du principe d’une perception a priori 4D du cerveau ( (...)

4À l’aide de l’analyse en réseau issue de l’intelligence artificielle, nous pouvons généraliser la notion de forme à toute structure associative, qu’il s’agisse d’un processus3, d’une relation indépendamment de tout objet. Une forme n’est pas seulement caractéristique de l’espace géométrique. Elle peut être spatio-temporelle comme dans le cas de l’apprentissage de la marche4.

La résonance morphique

5La résonance morphique est un processus d’amplification de la forme des organismes vivants mais aussi inertes (structure des molécules) dont l’existence a été suggérée par R. Sheldrake dans les années 1980.

  • 5 Reprises par Crew (1936) puis Agar (1954). Ces expériences sont elles-mêmes controversées : accusa (...)

6Rupert Sheldrake, né en 1942, fait de brillantes études de biochimie à Cambridge, puis entreprend des études de philosophie à Harvard. Il devient ensuite chercheur à Cambridge dans les années 1960, peu après les découvertes de Watson et Crick. Il se demande comment la double hélice peut contenir dans son code la forme globale d’un être vivant, comment l’ADN d’une cellule du bras « sait-il » qu’il est dans un bras. Peut-être est-ce parce qu’une forme ne se crée qu’une fois alors que la science saisit des répétitions ? Les formes, y compris les cristaux, sont-elles déterminées par la présence des formes passées ? Après un séjour en Inde, il publie en 1981 « une nouvelle science de la vie : l’hypothèse de la résonance morphique » (Sheldrake, 1981) et propose la notion de « formation causative » ou « causalité endoformative ». R. Sheldrake estime que les caractéristiques morphogénétiques sont des structures de probabilité (champ morphogénétique) dans lesquelles l’influence des types passés les plus répandus se combine pour augmenter la probabilité que ces types réapparaissent. Par exemple, tout se passe comme si le gland (germe morphique) faisait « résonner » le champ morphogénétique du chêne et que les formes constituaient comme des « vallées » des champs morphogénétiques ou chréodes (qui deviendront dans d’autres ouvrages, en reprenant le vocabulaire de la théorie des catastrophes, des attracteurs). Il publie ensuite en 1988 « la mémoire de l’univers : résonance morphique et les habitudes de la nature » (Sheldrake, 1988). La mémoire de l’univers serait cet univers platonicien des formes, hors de l’espace et du temps, sauf qu’ici, il se complexifie constamment. Notre visage serait en résonance morphique avec la forme de nous-mêmes et c’est pourquoi les cellules, disparaissant et se reproduisant, maintiennent la même forme. R. Sheldrake cite les expériences de W. McDougall (1927, 1930)5 et de C.H. Waddington (1953) sur la transmission à l’espèce entière des compétences nouvelles acquises par des rats.

  • 6 Le sixième étant réservé à des processus magnétiques et électriques particuliers propres à certain (...)
  • 7 C’est pourquoi les spécialistes de ce qu’ils pensent être la psychokinese (nous verrons plus loin (...)

7R. Sheldrake (2004) étend la notion de champ morphogénétique aux comportements, aux pensées sous le terme de champ morphique. Il fait l’hypothèse que l’esprit s’étend au-delà du cerveau, notion qu’il nomme « esprit étendu » et entreprend des expériences de mise en évidence de ce qu’il nomme un septième sens6. Il est à noter qu’une forme se décline simultanément à tous les niveaux des structures concrètes de la matière7.

  • 8 Il dira même plus tard, en 1994, lors d’une interview, que la théorie de Sheldrake est une « hérés (...)

8Les controverses ne vont pas manquer. D’abord c’est le projet même de R. Sheldrake qui, lors de la parution de son premier livre, « Une nouvelle science de la vie », est dénoncé en 1981, par un éditorial de la revue Nature attribué à son rédacteur en chef, John Maddox (Maddox, 1981). Celui-ci met en cause ce qu’il prend pour une réhabilitation de la magie dans les débats scientifiques. Maddox déclare même, que, s’il fallait brûler des livres, c’en serait assurément un8. Plus précisément J. Maddox met en cause : 1/ la proposition (en apparence conforme au principe de réfutabilité de Popper) d’expériences en fait peu commodes visant à prouver l’existence des champs morphogénétiques et qui pourraient sans doute donner lieu à d’autres interprétations ; 2/ la démarche même consistant à postuler un « champ » pour expliquer, au fond, « qu’un sourcier gagne de l’argent parce qu’on lui attribue la capacité de détecter des sources, sans rien dire de la nature de ce champ, de son origine, des moyens de mise en évidence des mécanismes de sa propagation ». La violence du propos est telle que la revue New Scientist prendra alors la défense de R. Sheldrake au niveau de la validité scientifique de ses hypothèses et créera même un prix R. Sheldrake pour celui dont les expériences confirmeraient ou infirmeraient la théorie de la causalité endoformative.

  • 9 La résonance morphique pourrait évoquer la sélection d’états au départ superposés par résonance av (...)

9Les controverses porteront plus tard sur la validité de certaines expériences de R. Sheldrake, tentant de reproduire la causalité endoformative (Rose, 1992 ; Mikulecky, 1996). Sur la question de la nature des ondes de forme, R. Sheldrake invoquera d’abord les champs quantiques de probabilité9 puis il revendiquera l’irréductibilité de la biologie à la physique, suggérant d’autres explications inconnues à ce jour (Sheldrake, 2004, p. 363).

  • 10 Débat sur la télépathie entre Rupert Sheldrake et Lewis Wolpert, Londres, Royal Society of Arts, 1 (...)
  • 11 Ceci rejoint la nécessité épistémologique pour les parapsychologues, pas nécessairement d’élaborer (...)

10R. Sheldrake déplaçant ses travaux vers la mise en évidence de la télépathie, ce sont alors ces expériences qui seront mises en cause. Certains (Lewis Wolpert10) s’étonneront qu’elles ne conduisent pas à des approches quantitatives, à des possibilités d’utiliser concrètement la télépathie ni de faire de la théorie. L. Wolpert met en cause la démarche d’accumuler des expériences (notamment en recourant au public bénévole des lecteurs) sans faire progresser les connaissances11.

11R. Sheldrake répondra que la télépathie se manifeste particulièrement dans des situations extrêmes mettant parfois en jeu des relations affectives complexes et donc non contrôlables en laboratoire, comme l’appel de détresse d’un proche accidenté ou mourant (mais il n’indique pas pour autant en quoi sa théorie met en cause le rapport à la mort en ce qu’elle susciterait une possibilité communicationnelle inédite). Enfin, la télépathie semble facilitée par le fonctionnement culturel des sociétés traditionnelles (si bien qu’on peut penser, avec J. Maddox, que, sans sorcellerie, on ne peut observer les ondes de forme).

12Rendant compte de cette controverse, en 2004, contrairement à la réaction de John Maddox de 1981, la revue Nature exprime cette fois plutôt sa critique envers les objections de principe de L. Wolpert et indique que de plus en plus d’organisations savantes à Londres s’intéressent à la théorie de R. Sheldrake.

13Enfin, notons que la notion de forme n’est cependant pas davantage explicitée chez R. Sheldrake qu’en termes d’attracteurs tels que la théorie du chaos les formule, selon l’image des vallées ou des chréodes vers lesquelles converge tout corps pesant, en particulier sans rapport avec la notion de réseau associatif issue de l’intelligence artificielle qui fait d’un attracteur un nœud ou un ensemble de nœuds dans un réseau associatif animé d’une dynamique du type de la loi de Hebb.

La théorie de la traduction

14La théorie de la traduction (Callon et al., 1983 ; Callon, 1986 ; Callon, Law & Rip, 1986 ; Callon, 1989 ; Callon, Courtial & Laville, 1991 ; Latour, 1991) considère que tout ce qui est associable à l’action de construction des connaissances fait partie de cette connaissance. Ce qui est associable constitue un réseau sociocognitif ou acteur réseau. Les acteurs réseaux, qu’ils soient d’origine humaine ou non humaine, sont à prendre comme des entités autonomes opérant de par leurs seules associations (donc en dehors de toute causalité). En particulier, lors de l’étape de la science en construction, les mots ne sont plus là pour décrire une réalité extérieure à l’homme mais sont des associations parmi d’autres (au même titre qu’un tracé issu d’un appareil de mesure, que l’appareil de mesure lui-même, l’objet mesuré, les connexions mentales, sensorielles et motrices du chercheur, etc.) dont la convergence construira la connaissance. Lorsque la science sera achevée, cette convergence pourra prendre la forme d’énoncés de type causal (la pierre tombe sous l’action de la gravité) auxquels on réduit malheureusement la science la plupart du temps. La structure des associations entre mots reflète, en amont des énoncés, cette construction des connaissances. De plus la connaissance n’étant rien d’autre que la circulation d’un lien social (par exemple, comme on va le voir, associer « autisme » et « naltrexone » relie les autistes et les chimistes, fait du problème de l’autisme un problème de chimie) étudier les réseaux de mots nous permet d’étudier les flux relationnels qu’ils permettent, au moment de la construction des connaissances et à l’étape de la science achevée.

15C’est donc sur les mots, comme cas particulier d’élément (un objet, une image, un tracé, peuvent jouer le même rôle) constitutif des réseaux des articles scientifiques que nous avons travaillé pour approfondir la structure des acteurs réseaux.

16Du point de vue de la théorie des acteurs réseaux, telle que le choix des mots des inventeurs pris dans leur contexte socioculturel en rend compte (Courtial, 1994), l’idée einsteinienne de relativité et de « petit laboratoire » conduit à attribuer une sorte de « capacité de conscience scientifique » à tout élément de l’univers, ce qui fait bien de la connaissance une circulation parfaitement symétrique entre humains et non humains. La mécanique quantique, interprétée non comme décrivant la nature en soi mais comme relation intégrant la conscience (Bitbol, 2008), correspondrait, de son côté, à travers la notion de superposition d’états et de leur observation probabiliste, au modèle biocognitif issu de la théorie de la traduction qui sera défini plus loin.

  • 12 Elle rejoint ce qu’on nomme en sociologie générale l’équivalence structurale (Burt, 1982), courant (...)

17La théorie de la traduction repose sur des réseaux problématiques exprimant l’équivalence de structures12. Par exemple (Courtial & Gourdon, 1999 ; Courtial 2003), dans les années 1985 une équivalence a été établie par des biologistes entre autisme et excès d’endorphine (induit chez l’animal) parce que ces deux états sont associés aux mêmes traits de comportement : retrait social, hyperactivité, automutilation. Le problème de l’autisme est traduit en problème d’excès d’endorphines, la solution du problème de l’autisme passe par la solution du problème posé par un excès d’endorphines (prendre de la naltrexone, antagoniste des endorphines).

18Du point de vue sociocognitif issu du réseau des associations, il y a une démarche centrifuge d’hypothèse d’objet. L’excès d’endorphines induit les trois symptômes en tous temps et en tous lieux (et son antagoniste, la naltrexone, les annule) et entraîne ipso facto une définition centripète de l’autisme comme état de convergence des trois symptômes. Démarche déductive centrifuge et démarche inductive centripète tendent à former un cycle en équilibre. Les notions d’objet et de sujet n’opposent plus ici l’objet de connaissance et le sujet connaissant mais deux formes de connaissance. Il faut observer que la démarche inductive centripète extrait du contexte un objet autonome qui n’a besoin, ici, que de trois éléments pour être défini, le reste du contexte pouvant être ignoré. Faire progresser la connaissance au-delà pourra consister (à la façon d’un processus développemental en psychologie de l’enfant) à relativiser la définition de l’autisme par les trois symptômes, donc à retourner au contexte oublié, à transformer en objet la relation des trois symptômes à l’autisme en montrant qu’ils ne caractérisent que certaines formes d’autisme. Ce modèle de la traduction conduit à faire de la dynamique des connaissances, de leur complexification, l’insertion dans un contexte toujours plus large de l’ensemble sujet/objet correspondant à une étape sociocognitive donnée.

  • 13 En particulier la technologie des années 1980 de mesurer le mouvement des yeux par rayon réfléchi.

19R. Bailon-Moreno (Bailon-Moreno et al., 2005a, 2005b, 2005c, 2007) a fait l’hypothèse que les réseaux de mots associés présentaient une structure fractale comme tout lexique langagier ainsi que B. Mandelbrot (1989) l’avait montré. D’autre part, nous avons observé (Courtial & Gourdon, 1999 ; Courtial, 2003) que la structure problématique se déclinait à différents niveaux du réseau associatif de façon fractale. Par exemple, dans le cadre des recherches sur l’autisme, la théorie de l’esprit (Baron-Cohen, Leslie & Frith, 1985), met en cause une déficience dans la représentation que l’autiste se fait de l’esprit de l’autre. La multiplicité des formes d’autisme et la complexité de cette association fait que la théorie de l’esprit ne fait pas l’unanimité chez les psychologues. Nous avons montré comment l’analyser non comme un simple concept mais comme un processus sociocognitif du point de vue de la dynamique des connaissances qu’il représente et du réseau qui va en résulter à travers l’émergence d’une forme commune à différents niveaux d’observation. Cette forme consiste, en rupture avec la construction égocentrée de la conscience de soi, à lier deux réseaux jusque là disjoints, perception et attribution de pensée à l’autre. Ce processus consiste, à un niveau élémentaire, à lier regard de l’autre et objet auquel il pense à travers la direction de ce regard, puis, à un niveau intermédiaire à lier expression faciale et émotion et enfin, à un niveau global, lier discours et croyances implicites. Les recherches se sont déroulées simultanément à tous ces niveaux et à des profondeurs variables à chacun de ces niveaux, en fonction des technologies expérimentales disponibles13. Elles ont d’abord pris le nom du « jeu du faire semblant » avant de converger sur ce qu’on nomme aujourd’hui la théorie de l’esprit et qui rend compte de la construction des représentations partagées, à partir notamment de ce qu’on nomme l’accordage (Stern, 1985). Certains autistes ne connaissent pas la surprise car ils ne savent pas à quoi s’attendre dans une situation donnée. Un autiste peut penser que ses rêves se sont réellement passés dans sa chambre.

20L’intérêt de la notion de réseau associatif est que, d’un point de vue dynamique, elle nous permet de faire correspondre à la notion de forme les notions 1/ d’attracteur issue de l’intelligence artificielle, comme nous l’avons vu à propos des réseaux neuronaux formels, c’est-à-dire de nœud au sein d’un réseau, donc l’idée de forme est mathématiquement saisissable de façon simple ; 2/ de cycle d’équilibre, celui de la connaissance conçue comme une relation, une boucle entre théorie (je m’attends à la chute d’une pierre sous l’action de la gravité) et réponses de la nature (la pierre tombe comme prévu). Ce sont de telles boucles qui accroîtront le lien de l’homme à la nature, le lien social en général (car le partage des énoncés théoriques permet la coordination de l’action mais est aussi occasion supplémentaire de rencontre entre êtres humains). La science est d’abord un mode de sociabilité. C’est cette logique de circulation de flux relationnels comme définition de la connaissance que nous appliquerons aux micro-états inscrits dans une culture propre par les thérapeutes énergéticiens faite d’acteurs réseaux comme les autres, pour rendre compte des performances des thérapies énergétiques.

Modélisation statistique de la traduction

  • 14 T. Kuhn (1972) faisait reposer les révolutions scientifiques sur l’émergence de paradigmes révolut (...)

21Sous-jacentes à la circulation des objets, abstraits ou concrets qui caractérisent la construction des connaissances scientifiques, s’échangent des formes14 au sens de l’intelligence artificielle. Les chercheurs eux-mêmes déclarent communiquer entre eux sur des équivalences visuelles ou motrices ayant aussi peu de rapport avec les formules écrites qu’une musique entendue avec une partition comme si la science véritable était au-delà de l’espace temps dans lequel on l’inscrit habituellement (Sheldrake, 2004).

22R. Bailon-Moreno a cherché à modéliser les équations classiques de la scientométrie (Callon, Courtial & Penan, 1993). Il a quantifié la relation de traduction à partir des mots associés par les articles scientifiques d’un domaine donné (Bailon-Moreno et al., 2005a, 2005b, 2005c, 2007 ; Courtial & Bailon-Moreno, 2007). Pour cela il calcule le réseau des mots associés par les articles qu’il estime constituer un espace fractal de type Hausdorff-Besicovitch. La traduction T opérée par un mot (par exemple « hyperactivité ») présente un aspect à la fois statique – conséquence cumulée de toutes les situations que ce mot traduit – et dynamique – apport ponctuel dans un texte du choix différentiel relativement au mot de rang inférieur. Les deux sont égaux. L’aspect statique est proportionnel 1/ à la position structurelle ou stratégique S du mot dans l’espace fractal et 2/ à la fréquence F d’usages du mot (principe de résonance morphique). L’aspect dynamique est proportionnel au gain de traduction du mot en fonction du rang x dans l’espace fractal soit dF/dx (dérivée de la fonction F par rapport à x). Soit :

23T = k S F = dF/dx, k étant un coefficient de proportionnalité

24Si on applique le modèle de la dynamique fractale (Mandelbrot, 1982), on peut écrire que

25S = - 1/ (x + m)ϕ

26m étant le paramètre de Mandelbrot, ϕ étant un indice de fractalité positif (par opposition à une structure amorphe) d’autant plus élevé que la structure présente un caractère totalement fractal. Il en résulte :

27dF/dx = - k. F. 1/ (x + m)ϕ

28équation différentielle qui, par intégration, redonne toutes les équations classiques de la scientométrie. R. Bailon-Moreno montre ainsi que la dynamique fractale s’applique parfaitement à la construction des connaissances scientifiques.

29R. Bailon-Moreno observe alors des situations où l’indice de fractalité est négatif, situations qu’on peut interpréter de la façon suivante. Il s’agit d’une généralisation de la logique fractale en tant que géométrie de propagation d’une forme (ou acteur réseau « exogène ») en ce que, non seulement un même processus se met en œuvre à des échelles différentes, mais c’est le contexte même de ces processus qui suit une logique fractale. Autrement dit, la connaissance n’est pas seulement la conséquence de la propagation d’un paradigme nouveau à des échelles multiples mais de la multiplication des contextes où ce paradigme peut se nicher. Dans le cas de la propagation d’une niche on parlera de fractalité négative (faite d’acteurs réseaux « endogènes »).

30R. Bailon-Moreno montre que la construction des connaissances scientifiques oscille ainsi entre structure à fractalité positive (issue des paradigmes nouveaux créés par les inventeurs correspondant à l’effet dit « Saint-Mathieu ») et structure à fractalité négative (issue du contexte par le travail des chercheurs dits « modestes » correspondant à l’effet dit « Ortega ») comme si, par réversibilité des associations, des clefs et des serrures, objets nouvellement élaborés et sujets de recherche, se co-construisaient selon une logique de résonance morphique.

Traduction et réseaux bio-psycho-culturels

31La relation de traduction scientifique produit des objets déplaçables dans le temps et dans l’espace, comme, par exemple, les propriétés de la naltrexone. Elle rend possible un discours à la « troisième personne ». Elle aboutit à une conscience « scientifique » de soi, celle de l’ingénieur « galiléen », conscient de voler à 800 kms/h bien qu’il ne ressente rien et néanmoins conscient des forces de décélération à venir à l’atterrissage.

  • 15 On peut peut-être ainsi interpréter, en cas de déni de grossesse, que la prise de conscience entra (...)

32Ce modèle de la traduction fait d’un organe en tant qu’objet de connaissance scientifique un cas particulier d’objet permanent construit à partir d’un cycle relationnel. Ceci rejoint le modèle du couplage structurel de Varela (1989) : la notion de réseau y est substituée à la notion de système issue de la cybernétique car les éléments habituellement constitutifs du système ne lui préexistent plus mais résultent de ses interactions. Les flux engendrent les éléments du corps (cellules – modèle des automates cellulaires de Burks (1970), organes…) et leurs frontières. Biologie, cognition et culture sont ainsi enchevêtrées (Sherlaw, 2006). La « forme propre » d’un acteur est constituée de cycles par lesquels l’acteur se referme sur lui-même en créant sa frontière15, se définissant ainsi et renforçant sa « matière » (Garnier, 2008 ; Herbet, 2008). Poursuivant le modèle de Varela, Martinez (2001), dans le cadre de ce qu’il nomme « biocognition » et « champ de bioinformation », introduit la notion de « co-émergence » contextuelle, conséquence de la rencontre des processus linéaires inscrits dans le temps et de processus simultanés et non locaux, de type fractal.

  • 16 De son côté, en relation avec les recherches sur l’hypnose, Rossi (2001) a proposé le concept de t (...)

33Contrairement à la cybernétique (Courtial, 2009), le modèle du couplage mêle information et matière dans la mesure où l’information est inscrite implicitement dans les processus élaborant la matière16. La parole peut y être une molécule, comme revendiqué ailleurs (Cyrulnik, 1991). Le corps n’est pas instrumentalisé, asservi à des objectifs simples, ceux construits par la science biologique, en liaison avec ce qui serait une information. Chaque élément du corps participe de façon variable à la dynamique globale du système corps-esprit-monde, peut-être comme on va le voir à la conscience.

34On peut considérer que la réalité ultime est constituée de ces cycles de traduction faisant interagir les objets et les états de sujets. Elle serait, en quelque sorte, la relation de l’observateur et de l’observé, comme le proposent, dans le cadre de la mécanique quantique, M. Mugur-Schächter (2006, 2009) ou M. Bitbol (2008). Il n’y aurait plus de « science newtonienne » i.e. fondée sur un substrat matériel incontournable, mais un système anthropique global homme-nature où la conscience n’est pas issue d’une base matérielle mais une relation.

Traduction et construction généralisée d’objets et de sujets : cycles multiples

35La convergence des objets liés à une situation au centre de laquelle se trouve une personne, peut, de façon générale, à partir des propriétés déplaçables des objets, contribuer à la définir comme sujet. La position d’une personne au centre d’un amphi vers laquelle convergent les travées et les regards de nombreuses personnes conduit à la définir comme enseignant. Nous ferons l’hypothèse que cette convergence peut définir la conscience en général, ici une conscience d’enseignant pour la personne au centre du réseau, la différence avec la conscience « scientifique » du monde venant de ce que les associations convergentes peuvent être libres et pas nécessairement associées à des objets scientifiques déplaçables, chacun étant censé être un exemplaire d’un modèle commun de relation au monde.

  • 17 C’est pourquoi un psychotique peut établir une relation avec un cheval sur le mode d’un couplage « (...)

36Le couplage peut ainsi mettre en jeu les objets de la science, comme il peut mettre en jeu des relations intersubjectives autour de formes provisoires, comme autant d’acteurs réseaux faisant l’objet d’un consensus culturel, par le jeu des neurones miroirs (Rizzolati, 2007), selon un processus d’accordage (Stern, 1985). Dans le cas des psychoses comme l’autisme, par déficit en théorie de l’esprit comme on l’a vu, aucun couplage n’est possible. Dans le cas de la schizophrénie, le sujet, après avoir accédé au couplage, sélectionne, en général à l’adolescence, les seules associations centrifuges/centripètes qui le placent constamment au centre des situations (centralisme subjectif, Grivois, 2002)17.

37Cette relation par laquelle l’être humain construit sa conscience articule l’acteur humain avec son environnement tout en exprimant sa création, son autonomie. De nombreux cycles sont possibles, en concurrence. Dans l’ensemble des sous-systèmes relationnels du corps assurant sa survie, certains sont privilégiés, d’autres sont inhibés.

38Ce modèle évoque, un peu à la façon de l’homéostat d’Ashby, un ensemble de batteries qui seraient connectées de telle sorte que certaines en rechargent d’autres en fonction de la seule logique de l’équilibre des flux. Il donne à penser que de nombreuses formes de lien social arbitraires sont possibles sous cette seule condition, de la société paysanne à la société nucléaire, de la victime consentante des sociétés sacrificielles traditionnelles aux prises de risque des pionniers de la radioactivité.

  • 18 Celle qui le couplait à sa mère : contrairement à la logique psychanalytique, l’enfant est relatio (...)
  • 19 Ceci rejoint la notion d’élan vital de Bergson dont nous savons (Meheust, 2009) que la théorie psy (...)

39Le « soi » issu de la théorie de la traduction est ainsi le lieu de convergence centripète des associations constituant tous les cycles de couplage, déclinées en de multiples formes secondaires par lesquels l’acteur humain complexifie (pour en accroître l’adaptabilité) sa relation première18 avec son environnement, qu’il s’agisse de se nourrir, de marcher (relation posturale gravitationnelle), d’être propre. Comme l’inventeur, l’enfant crée ces formes nouvelles pour maintenir son autonomie19. Les cycles du couplage expriment une compatibilité culturelle de plus en plus complexe entre les acteurs réseaux perçus par soi et les acteurs réseaux perçus par les autres. Cela rejoint, en psychologie de l’enfant, le modèle développemental post-piagétien de Flier (1995). Par exemple, s’agissant de partager entre enfants un gâteau, l’éducation consistera dans un premier temps à accepter l’égalité des parts à partir d’un principe d’évaluation des quantités (construction de la loi d’invariance des volumes). L’enfant comme sujet est alors défini par la règle simple du droit à l’égalité. Puis, au stade suivant, l’éducation consistera à accepter les inégalités de quantité selon les besoins des enfants, autrement dit à relativiser la relation égalitaire en l’insérant dans un contexte plus large. L’enfant comme sujet est désormais construit dans la complexité de la prise en compte d’inégalités nécessaires. A la différence de la logique du tiers exclu, selon une dialectique du sujet et de l’objet, la logique des formes est telle qu’une contradiction entre deux formes se résout par l’invention d’une métaforme (Spencer-Brown, 1969).

40Les traductions construisant des objets et des sujets dans l’hyperespace des formes surviennent ainsi dans toutes les situations, toutes les cultures. La théorie de la traduction nous permet donc de penser aussi non seulement le différé lié aux objets mais encore son complémentaire, la relation non instrumentale au monde, autrement dit la présence, propre à tant de sociétés traditionnelles, comme état de convergence de réseaux.

41Lorsque la distinction entre sujet et objet s’estompe, le couplage présente une dimension transpersonnelle. La psychologie transpersonnelle (Grof, 1990) considère par exemple qu’à la naissance, la conscience de l’enfant oscille paradoxalement entre une conscience commune avec sa mère – et alors il est amené à se persécuter lui-même par la violence de l’expulsion – et une conscience émergente de lui-même comme entité autonome – et alors il doit se défendre de sa mère. Elle fait de ce conflit une structure majeure du psychisme.

  • 20 Ce serait, du reste, un état hors du temps, suivi d’une reproduction des associations ressenties ( (...)
  • 21 Ceci rejoint la physique de Barbour (2001) pour qui l’espace temps n’est pas le support ultime des (...)

42Ce statut de sujet, issu des traductions opérées par les objets, est donc indépendant du temps et de l’espace. Ceci est vrai aussi bien au niveau du processus inventif20 qu’au niveau des usages liés à un objet technologique. La traduction est à l’origine d’un lien transmissible de génération en génération, à la façon de la « mémoire de l’univers ». Contrairement à la dynamique des phénomènes que la science inscrit dans le temps, la sociologie de la traduction fait du temps et de l’espace des acteurs réseaux comme les autres. Elle ouvre un espace pour une forme nouvelle des lois de la nature hors du temps21. Celles-ci intègrent la conscience humaine dans ses aspects aléatoires. Elles se présentent peut-être sous forme d’une énergie.

L’hypothèse d’une forme d’énergie issue de la traduction

43Nous avons travaillé en effet sur une forme de psychothérapie, particulièrement efficace dans les troubles du comportement alimentaire (où le sujet anorexique est paradoxalement plus dans la vie qu’il ne cherche à se détruire) qui s’explique bien par le recours à la traduction et à la résonance morphique (Dumont, 2008, Courtial & Dumont, 2008). Dans le cadre de cette thérapie, le sujet, appelé à observer ce qu’il ressent « dans le noir au milieu de nulle part » observe en lui la menace de ne pas exister. Le thérapeute l’aide à affronter la menace, à la transformer en une dualité vie/mort qu’il inscrit dans l’ici et maintenant. Cette inscription consiste en une succession de traductions (pensée analogique) toujours plus proches d’un fonctionnement possible en tant que personne matérielle (par exemple il dira d’abord « c’est l’obscurité en moi », puis « je ne vois pas » ou bien « je suis détruit » puis « je vais donner réalité au monstre en moi »), cette matérialité s’amplifiant par résonance morphique et générant peu à peu un espace possible pour la vie. Il est frappant d’observer comment la dynamique qui sous-tend cette thérapie évoque une énergie.

  • 22 Bien que les psychoénergéticiens assimilent la plupart du temps cette énergie à une énergie classi (...)
  • 23 De ce point de vue, pour la psychologie énergétique, à la façon de la médecine chinoise tout est r (...)

44La traduction suppose une dynamique, celle-là même qui produit les connaissances scientifiques et dont nous avons vu qu’elle pouvait prendre l’aspect d’une résonance morphique. La traduction conduit en effet, à travers les flux qu’elle fait circuler, à une organisation dont on peut penser qu’elle présente une dimension énergétique (Courtial & Rocher, 1996, Rocher, 1996). Perceptible dans certaines situations, elle sous-tendrait l’acteur réseau « énergie » organisateur de la pratique des thérapeutes s’en réclamant (pour un exemple de littérature « indigène » : Brennan, 1993). La traduction se renforce en effet en fonction de l’étendue des circuits concernés, des cycles sujet objet, centripètes centrifuges qu’elle permet. Elle est irréductible au concept classique d’énergie en physique lié aux seuls objets, aux forces s’exerçant sur ces objets et à leurs déplacements22. C’est un acteur réseau de l’hyperespace de la traduction, expression d’une relation. Elle évoque le concept d’énergie en médecine chinoise, le « Qi », qu’on traduit improprement par énergie alors que le « Qi » n’est qu’un acteur réseau issu d’un système où la distinction entre sujet et objet propre à la science moderne s’estompe. En médecine chinoise le « Qi » est précisément le souffle, effet précisément de ce qui s’échange entre le ciel et la terre23.

45Dans le régime de présence, de pleine conscience (encore appelé « mindfulness »), le sujet renonce à toute pensée instrumentale centrifuge (se laisse-t-il couler dans le fleuve de la durée dont parle Bergson ?). S’il perd en pouvoir instrumental sur la nature, il peut se laisser envahir par l’énergie dont il vient d’être question, renouveler sa relation au monde et engendrer des processus thérapeutiques. Ce régime ne s’observe-il pas dans la relation de transe ou de type hypnotique, à deux (irréductible à la psychologie classique, Michaux, 2008) ou collective, théorisée par R. Girard (1978) comme lieu du désir mimétique ? C’est le « magnétisme animal » de Mesmer irréductible au magnétisme minéral (Vinchon, 1936 ; Bellet, 2009) si difficile à analyser par les commissaires du roi (Chertok & Stengers, 1989). Sujets et objets se mêlent, la logique du tiers exclu cède le pas de façon chaotique à la logique de contagion (Favret-Saada, 1977) qui, en l’absence d’objets et de sujets bien définis évoque une résonance morphique, alors peu contrôlable et non reproductible.

  • 24 Pour les psycho-énergéticiens (Brennan, 1993), la pathologie vient d’abord d’une rupture des cycle (...)
  • 25 De ce point de vue, conformément au modèle relationnel de la traduction, il n’y a pas, en psychopa (...)

46N’avoir pu créer, c’est n’avoir pu exister et cette fracture serait décelable à un niveau énergétique24. Lorsqu’une personne ne parvient pas à établir les cycles qui la protégeraient de la non existence, n’y aurait-il pas un « vide énergétique », un « attracteur morbide25 », qui, par résonance morphique, étant donné la proximité des situations familiales, peut se transmettre de façon transpersonnelle et transgénérationnelle ? Ce serait un cas de pathologie sans sujet.

  • 26 C’est ainsi qu’un accompagnant de fin de vie peut retirer de l’énergie d’un accompagnement se pass (...)
  • 27 D’où, peut-être, les phénomènes de perception du corps sans l’habiter observés dans les expérience (...)
  • 28 C’est peut-être cette disparition que perçoivent les énergéticiens lorsqu’ils parlent d’envol de l (...)

47A l’approche de la mort, la personne accède peut-être à ce cinquième stade décrit par Flier (1995) où elle n’instrumentalise plus rien à son profit, s’investissant dans la seule présence de ceux qui l’entourent, devenant la « relation qui crée la vie et la mort ». Cet état, proche de l’état de ceux qui, vivant une expérience de mort imminente, refondent leur vie sur d’autres valeurs, peut être ressenti par les accompagnants de fin de vie26. A mesure que le corps se défait, que le couplage se dissout27, l’énergie liée aux choix opérés par la personne, à la création de soi, perd peu à peu de sa résonance morphique avec le corps28.

  • 29 Ceci rejoint, en psychologie, la question de l’approche idiographique par opposition à l’approche (...)

48Le modèle de la traduction pouvant être à l’origine de processus thérapeutiques plus larges que ceux issus de la médecine objective, il en résulte une possibilité de revisiter la statistique épidémiologique. Au lieu, par exemple, de faire des malades atteints du cancer (ou des personnes souffrant de taux de cholesterol élevé, etc.) des objets autonomes interchangeables à l’intérieur d’un modèle unique de la maladie, avec des événements aléatoires communs (obéissant à la loi de Gauss), sans tenir compte de l’activité créatrice du sujet face à sa maladie, on pourrait recourir à des calculs statistiques de cohérence biopsychoculturelle fractale à différentes étapes de la vie de la personne prise comme témoin d’elle-même, comme norme et créant ses propres événements29.

Conclusion : retour à l’énigme des champs morphiques

49Cette approche de la traduction ouvrant sur la présence est susceptible d’ouvrir la science vers de nouvelles frontières, de la réconcilier avec la philosophie orientale – en ce qu’elle jugeait la logique incomplète (Needham, 1977) – de refonder la psychologie. La psychologie expérimentale est implicitement « newtonienne », rattachée au corps, à la reproduction des tâches inscrites dans le temps. Or, le fonctionnement psychique part aussi bien du futur comme présent possible que du présent en ce qu’il modifie le passé (Mather & Marsden, 2004).

  • 30 L’objet de toute psychothérapie serait, de ce point de vue, d’établir un lien entre les deux forme (...)

50La traduction rend compte aussi bien d’une forme de connaissance incluant le temps (c’est alors une science newtonienne relative à des grandeurs quantitatives) que s’en passant (c’est alors une science hors du temps, du présent, de succession qualitative des formes, Barbour, 2001). La conscience qui ne s’inscrit pas dans le tiers exclu (notamment transpersonnelle) est la limite de la science newtonienne (qui fait de la conscience transpersonnelle une psychose)30.

  • 31 On peut noter à ce sujet la théorie de la conscience proposée par Nalimov (1996), pionnier russe d (...)
  • 32 Si l’on admet qu’une résonance morphique est une relation interpersonnelle de présence qui s’établ (...)
  • 33 Dans les expériences de Peoc’h (1986) un second robot placé à côté du robot en relation d’empreint (...)

51La traduction permet d’étendre l’analyse scientifique à toutes les formes de lien social (Boltansky & Thévenot, 1991) et conduit à l’anthropologie symétrique (Latour, 1991, 1996 ; Tornatore, 2006 ; Favret-Saada, 2009) pour laquelle il n’y a pas de différence de nature entre société moderne et sociétés traditionnelles, il n’y a pas de « grand partage ». Dans le cadre de celles-ci, le lien social est la conséquence de flux aussi bien centripètes que centrifuges par l’intermédiaire d’objets aux contours variables, non déplaçables contrairement aux objets de la science31. La logique des formes ne faisant pas la distinction entre sujet et objet, l’énergie issue de la traduction rejoint l’hypothèse de la résonance morphique32. La question du substrat des « ondes de forme » ne se pose plus. Les expériences de R. Peoc’h (1986, 1994, 1997) avec des poussins influant des robots commandés par des générateurs de nombres aléatoires montrent que, contrairement à l’hypothèse de Sheldrake, il n’y a pas de champ morphique au sens classique mais l’émergence de cycles entre la conscience du poussin et le GNA par l’intermédiaire des mouvements du robot33. La science non instrumentalisable consiste encore en la production d’objets mais cette fois qualitatifs et probabilistes. Lorsque objet et contexte constituent un réseau autonome, émerge alors la causalité et ses objets déplaçables, cas particulier d’une démarche scientifique plus large, aux preuves expérimentales plus complexes, exposée au risque de la magie dénoncé par J. Maddox, origine des difficultés rencontrées par Sheldrake et la parapsychologie.

Remerciements

52Cette synthèse est l’aboutissement de recherches conduites avec d’autres, chercheurs, psychothérapeutes énergéticiens, doctorants. Je remercie particulièrement Yves André Rocher avec qui j’ai commencé à étudier la question de la néguentropie des « cités, civique, industrielle, etc. », Aleth Ackerman, Maria Colliot et Denise Trémouilles, qui m’ont initié à la psychologie énergétique, Raphael Bailon-Moreno, qui a poussé très loin les calculs relatifs à la structure fractale des connaissances, Christine Dumont, qui a développé une approche théorique d’une thérapie entièrement nouvelle, Pierre-Henri Garnier, qui a introduit la notion d’acteur réseau dans le contexte de l’éducation thérapeutique puis des soins palliatifs, Jacki Herbet, qui a travaillé sur l’approche de la maladie et de la mort à l’aide d’Internet et la relation de personnes psychotiques avec des chevaux, Mioara Mugur-Schächter qui a bien voulu s’intéresser à la thérapie ACCES et à mes travaux, tout en ouvrant des perspectives épistémologiques nouvelles, René Gabriel Peoc’h, qui m’a présenté ses expériences avec des robots et des poussins de façon très précise, Geneviève Rivoire, qui m’a aidé à rester dans le cadre exigeant de la science certifiée tout en m’initiant à la notion de « Qi », William Sherlaw, qui a développé le modèle du couplage « biopsycho-socio-culturel » dans le cadre de l’anthropologie de la santé. Je remercie enfin l’équipe à l’origine de ce livre, Madeleine Akrich, Yannick Barthe, Fabian Muniesa, Philippe Mustar pour leurs précieuses remarques.

53En hommage à Michel Callon et au Centre de Sociologie de l’Innovation de l’École des mines de Paris qui, dans les années 1980, m’ont ouvert des horizons inestimables de liberté et de créativité.

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Notes

1 Cette loi consiste en la notion d’activation d’un nœud dès lors que la somme des courants en entrée dépasse un seuil (entraînant un courant en sortie) et en l’accroissement de connectivité entre deux nœuds simultanément activés.

2 L. Nottale (2000) propose de rebâtir la physique sur cette base qu’il nomme « principe de relativité fractale » dont la particularité est de refonder le calcul différentiel (les surfaces fractales sont continues mais non dérivables).

3 Les structures oscillatoires ou cycliques qui caractérisent le fonctionnement du corps (battement cardiaque, respiration mais aussi les oscillations cellulaires) constituent sans doute également des formes. C’est cette oscillation qui facilite le changement, permet l’exploration de cycles nouveaux, puisque les éléments des systèmes gardent constamment une mobilité, aspect qui échappe à l’approche linéaire classique de la science et à l’analyse habituelle des systèmes.

4 Certaines approches de la perception partent du principe d’une perception a priori 4D du cerveau (Ninio, 1996).

5 Reprises par Crew (1936) puis Agar (1954). Ces expériences sont elles-mêmes controversées : accusations de fraude d’une part, d’autre part McDougall testait la transmission génétique (théorie de Lamarck) des caractères acquis ; Agar montrera que cette transmission se fait plus généralement en dehors de la filiation génétique mais qu’elle reste fragile, liée à la santé globale de la population de rats.

6 Le sixième étant réservé à des processus magnétiques et électriques particuliers propres à certaines espèces.

7 C’est pourquoi les spécialistes de ce qu’ils pensent être la psychokinese (nous verrons plus loin qu’il s’agit d’une influence réciproque) considèrent qu’il est plus facile « d’influencer » un générateur de nombres aléatoires (GNA) lorsque les effets de cette influence s’inscrivent dans un dispositif technique « gratifiant » (par exemple à travers des sons associés aux nombres ou des mouvements imprimés à un robot par ces nombres (Peoc’h, 1986) plutôt que de tenter d’influencer directement le GNA sans intermédiaires, à la façon des tentatives antérieures d’action directe de la pensée sur la désintégration d’un atome par exemple (Schmidt, 1969).

8 Il dira même plus tard, en 1994, lors d’une interview, que la théorie de Sheldrake est une « hérésie » et justifie le même genre de condamnation que Galilée dût subir.

9 La résonance morphique pourrait évoquer la sélection d’états au départ superposés par résonance avec l’observateur, manière de réconcilier le concept de synchronicité avec la physique qui avait la faveur de Jung et Pauli (1952), mais les états dits superposés de la mécanique quantique n’ont rien à voir avec des formes.

10 Débat sur la télépathie entre Rupert Sheldrake et Lewis Wolpert, Londres, Royal Society of Arts, 15 janvier 2004. L. Wolpert est professeur d’anatomie, University College, Londres.

11 Ceci rejoint la nécessité épistémologique pour les parapsychologues, pas nécessairement d’élaborer une théorie, mais au moins de définir comment ils apprennent à apprendre des effets qu’ils observent (Gutierez & Maillard, 2005).

12 Elle rejoint ce qu’on nomme en sociologie générale l’équivalence structurale (Burt, 1982), courant d’étude du lien social à partir de la seule équivalence des positions sociales. Un des mérites de cette approche est, par exemple, de rendre compte de la logique de propagation des innovations de façon plus conforme aux données observées que la logique dite de contagion.

13 En particulier la technologie des années 1980 de mesurer le mouvement des yeux par rayon réfléchi.

14 T. Kuhn (1972) faisait reposer les révolutions scientifiques sur l’émergence de paradigmes révolutionnaires du type des « gestalt » de la psychologie de la forme.

15 On peut peut-être ainsi interpréter, en cas de déni de grossesse, que la prise de conscience entraîne de façon quasi immédiate le repositionnement normal du bébé.

16 De son côté, en relation avec les recherches sur l’hypnose, Rossi (2001) a proposé le concept de transduction (Piaget parlait déjà de transduction mais uniquement comme opération cognitive en amont de l’induction et de la déduction) par lequel une même information circule d’un espace physiologique à un autre, laquelle information, issue de la pensée par exemple, peut, dans le cadre de la psychobiologie de l’expression génique, agir sur les gènes (neurogénèse). Si nous substituons la notion de forme à la notion mal définie d’information nous retrouvons le modèle du couplage.

17 C’est pourquoi un psychotique peut établir une relation avec un cheval sur le mode d’un couplage « animal » (par exemple relation dominant/dominé) qui exclut l’attente (en tant qu’expression d’un couplage humain inscrit dans la culture et non en tant que simple visée intentionnelle) de l’adulte impossible à satisfaire (Herbet, 2008), relation qui rendra compte d’expériences extraordinaires avec des chevaux ou permettra de revisiter certaines expériences de psychologie supposant un « insu » comme celles de Milgram (Despret, 2004).

18 Celle qui le couplait à sa mère : contrairement à la logique psychanalytique, l’enfant est relation avant d’être corps propre doté d’une structure désirante autonome.

19 Ceci rejoint la notion d’élan vital de Bergson dont nous savons (Meheust, 2009) que la théorie psychologique est liée à sa grande connaissance du magnétisme et s’oppose à la théorie freudienne et notamment à la notion de libido (ici pour nous celle-ci serait liée à une forme « newtonienne » de science).

20 Ce serait, du reste, un état hors du temps, suivi d’une reproduction des associations ressenties (éventuellement strictement motrice) les inscrivant dans des images puis du langage, qui serait à l’origine du processus inventif.

21 Ceci rejoint la physique de Barbour (2001) pour qui l’espace temps n’est pas le support ultime des lois de la science (le temps est la conséquence du changement) mais l’espace « Platonia » des formes prises par la relation homme-nature.

22 Bien que les psychoénergéticiens assimilent la plupart du temps cette énergie à une énergie classique de type magnétique voire électromagnétique (même si celle-ci peut interférer avec de tels champs).

23 De ce point de vue, pour la psychologie énergétique, à la façon de la médecine chinoise tout est relation dans la construction de soi : l’équilibre de la marche est une relation entre la terre et le ciel supposant la domestication psychomotrice de la gravité, se nourrir est une relation etc. et la maladie vient d’une rupture relationnelle (et non d’un trauma physique au sens de la médecine occidentale).

24 Pour les psycho-énergéticiens (Brennan, 1993), la pathologie vient d’abord d’une rupture des cycles du soi, construits à travers la posture, l’alimentation, la sexualité, etc. comme relations et non – sans les négliger pour autant mais en les insérant dans une logique relationnelle – de traumatismes physiques. Dans la mesure où la logique des formes est faite de fusion et de fission, les énergéticiens perçoivent de façon privilégiée les niveaux de rupture au sein des réseaux biocognitifs. Il semble qu’une résonance morphique soit perceptible à proximité immédiate du corps et que d’autres, plus globales, exprimant des fractures relationnelles en amont des fractures physiques (traumatismes physiques) le soient à mesure qu’on s’éloigne du corps.

25 De ce point de vue, conformément au modèle relationnel de la traduction, il n’y a pas, en psychopathologie, de réalité objective, le négatif est réel (Rémy, 2006).

26 C’est ainsi qu’un accompagnant de fin de vie peut retirer de l’énergie d’un accompagnement se passant dans de telles conditions. A l’inverse, il peut être happé par la dynamique énergétique par laquelle le patient abandonne son corps.

27 D’où, peut-être, les phénomènes de perception du corps sans l’habiter observés dans les expériences de mort imminente. L’hyperespace de la traduction rend possible l’impression de perception simultanée de plusieurs corps (Greene, 1983).

28 C’est peut-être cette disparition que perçoivent les énergéticiens lorsqu’ils parlent d’envol de l’âme.

29 Ceci rejoint, en psychologie, la question de l’approche idiographique par opposition à l’approche nomothétique. L’approche idiographique conduit à de nouveaux outils statistiques (voir notamment Juhel, 2005, 2008).

30 L’objet de toute psychothérapie serait, de ce point de vue, d’établir un lien entre les deux formes de conscience ou de logique, celle qui est inscrite dans le temps et dans l’espace, celle qui est hors du temps.

31 On peut noter à ce sujet la théorie de la conscience proposée par Nalimov (1996), pionnier russe de la scientométrie. Pour lui, l’inconscient est continu, la culture, notamment technologique, l’inscrivant dans le discontinu par l’intermédiaire des objets. La connaissance est alors pour lui assimilable à un texte, fait de mots associés dont la logique des associations obéit à la formule de Bayes de probabilité conditionnelle.

32 Si l’on admet qu’une résonance morphique est une relation interpersonnelle de présence qui s’établit entre deux personnes (par inhibition de la cognition instrumentale) en fonction des formes physiques concrètement réalisées, cette résonance dépendra de l’intimité des personnes et, en conséquence, de la distance physique entre elles. Le corps constitue une forme singulière qui, de même que la résonance morphique observable dans les lieux chargés d’histoire, ne crée de la résonance que dans l’espace temps physique où il est (R. Sheldrake théorise ainsi la conscience du membre absent chez un amputé).

33 Dans les expériences de Peoc’h (1986) un second robot placé à côté du robot en relation d’empreinte n’est pas influencé ce qui exclut l’hypothèse du champ.

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