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Un président élu par les médias ?

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Cyril Lemieux

Première partie. Élections et médias : ce que la sociologie peut en dire

Chapitre 8. Les médias comme objet de politiques publiques

Testo integrale

« La sociologie n’impose donc nullement à l’homme une attitude passivement conservatrice ; au contraire, elle étend le champ de notre action par cela seul qu’elle étend le champ de notre science. Elle nous détourne seulement des entreprises irréfléchies et stériles, inspirées par la croyance qu’il nous est possible de changer, comme nous le voulons, l’ordre social, sans tenir compte des habitudes, des traditions, de la constitution mentale de l’homme et des sociétés »
Émile Durkheim, Sociologie et sciences sociales (1909)

Que faire ? (comme aurait dit Lénine)

1Le problème avec la déontologie journalistique est qu’elle n’a pas le pouvoir de contraindre les journalistes. C’est là une vérité sociologique très générale qui rompt avec le juridisme – entendons : avec cette idée propre à la pensée juridique selon laquelle la loi impose d’elle-même son respect. Pour le sociologue, aucune règle n’a jamais, en elle-même, le pouvoir de se faire respecter. Le code de la route, par exemple, n’est pas capable de nous empêcher de griller un stop ou de prendre un sens interdit. C’est en quoi la règle n’est pas assimilable à un mécanisme automatique mais plutôt, comme l’a suggéré le philosophe Ludwig Wittgenstein, à une sorte de panneau indicateur. C’est aussi en quoi, comme l’a soutenu de son côté l’anthropologue Marcel Mauss, la vie sociale est faite d’obligations, c’est-à-dire de nécessités que nous pouvons toujours ne pas respecter.

  • 1 Voir « Pourquoi certaines attitudes journalistiques nous énervent » (pp. 121-122).

2Ce qui nous conduit à respecter la loi n’est donc jamais la loi elle-même : ce sont plutôt des habitudes liées à notre socialisation, et ce sont aussi, indissociablement, des sanctions – qu’elles soient positives (encouragements) ou négatives (répression). Rapporté à la question de la déontologie journalistique, cela nous conduit à substituer au problème de l’existence de la déontologie journalistique (n’ayons plus de doute à ce sujet)1 celui des dispositifs qui permettent de la faire respecter (ayons de gros doutes à ce sujet). La question n’est plus uniquement morale : elle devient d’abord et surtout politique. Que faire ? (comme aurait dit Lénine). à l’échelle de la planète, on peut dire qu’une trop grande dépendance des médias vis-à-vis de l’état dans certains pays, et/ou vis-à-vis du marché dans d’autres, tend à limiter systématiquement la capacité des journalistes à respecter leur morale professionnelle – notamment parce que cette dépendance confère une importance exorbitante à la proximité avec certaines sources, à l’anticipation des ruptures de coopération vis-à-vis de certains pouvoirs et/ou au respect des formats. Un développement des dispositifs démocratiques à l’extérieur mais aussi à l’intérieur des entreprises de presse est porteur d’effets exactement inverses. C’est donc cela qu’il nous faut développer : des dispositifs « démocratiques » dans et autour des médias. On peut en distinguer de trois types :

– des instances juridiques (telles que les tribunaux ou, pour l’audiovisuel en France, le Conseil supérieur de l’audiovisuel), dans la mesure où elles sont censées pouvoir être mobilisées pour faire respecter, lorsqu’ils existent, le droit d’expression, la liberté de la presse et le droit à l’image, ainsi que le droit commercial et les lois anti-trust ;
– des organisations professionnelles (syndicats, sociétés de rédacteurs, et, souhaiteraient certains, Conseil de presse) censées pouvoir aider les journalistes à la défense de leur morale professionnelle, notamment face aux pressions de leurs employeurs ;
– des instances qui critiquent publiquement (critique émanant de médias eux-mêmes, ouvrages critiques et d’analyse, publication du courrier des lecteurs, blogs et sites Internet, etc.).

3Bien sûr, aucun de ces trois types de dispositifs n’est démocratique en soi. Les tribunaux sont, dans de nombreux pays, trop peu indépendants des sommets de l’état pour défendre véritablement le droit de la presse ; certaines organisations professionnelles fonctionnent de façon si peu démocratique qu’elles sont incapables de jouer un véritable rôle de régulation de la déontologie journalistique ; souvent, la critique publique des médias est la première à enfreindre les règles de distanciation professionnelle qu’elle reproche aux journalistes de ne pas respecter.

4Pour rendre ces dispositifs plus démocratiques – selon une position qu’on peut dire gradualiste et mélioriste –, il faut et il suffit de s’en servir davantage… démocratiquement. Plus les personnes qui s’estiment lésées par les médias, feront appel aux tribunaux et au CSA ; plus les journalistes se serviront de leurs organisations professionnelles pour la défense non seulement d’avantages salariaux ou autres mais aussi pour défendre face à leurs employeurs leur morale professionnelle ; plus, enfin, la critique publique des médias sera elle-même exemplaire du point de vue déontologique, plus nous aiderons collectivement (c’est-à-dire aussi : avec efficacité) les journalistes à mieux respecter leurs règles de distanciation professionnelle et cela, sans porter atteinte ni à leur autonomie professionnelle, ni à la liberté de la presse. Au contraire, nous les aurons renforcées toutes deux par notre action.

59 février 2007

Références

  • Claude-Jean Bertrand, L’Arsenal de la démocratie. Médias, déontologie et M*A*R*S*, Paris, Economica, 1999.
  • Cyril Lemieux, « Critique des médias : comment repolitiser le débat ? », Mouvements, n°15/16, 2001.

Rêvons un peu

6Évoquant son bilan de douze années passées à la tête de l’état, Jacques Chirac a eu hier ce mot en forme de constat d’échec : « J’aurais voulu, bien sûr, bousculer davantage les conformismes ». De fait, si l’on considère par exemple la question des rapports entre la fonction présidentielle et les journalistes, force est de constater que sa fille Claude – chargée de sa communication – et lui n’auront pas modifié grand chose sur le fond. Nous restons aujourd’hui dans un pays où c’est le Président, avec l’aide de sa cellule « communication », qui choisit les journalistes qui auront l’honneur de l’interviewer lors de la fête nationale du 1 juillet. Un pays où c’est la cellule « communication » du Président qui conçoit et impose aux chaînes le dispositif médiatique de ses interventions (une conférence de presse avec éventuellement des questions arrangées à l’avance, une interview avec un, deux ou trois journalistes « désignés », ou encore une discussion avec un panel de « Français » savamment choisis) ; un pays où, qui plus est, le Président a toute latitude pour décider quand bon lui semble de bouleverser les programmes de l’ensemble des grandes chaînes de la télé et de la radio publique pour venir parler à la population de ce qu’il veut, autant de fois qu’il veut, aussi longtemps qu’il veut. Ces mœurs sont inconnues dans les pays anglo-saxons où elles paraîtraient choquantes tant l’atteinte qu’elles portent au principe de l’indépendance journalistique, peut sembler grossière. Au demeurant, elles ne sont prescrites nulle part dans la Constitution de notre République. C’est seulement à une coutume instituée depuis le général de Gaulle et à laquelle aucun de ses successeurs n’a cru bon de devoir renoncer, qu’elles doivent leur autorité actuelle.

7Si, sous la cinquième République, les journalistes de l’audiovisuel ont pris l’habitude d’accepter de perdre toute initiative face aux volontés élyséennes en matière de communication politique, c’est parce qu’ils ressentent comme une véritable consécration professionnelle le fait d’être désigné comme l’interviewer attitré du « monarque présidentiel » mais aussi, bien sûr, parce qu’eux et leurs supérieurs anticipent trop bien la rupture de coopération qu’entraînerait toute résistance vis-à-vis des sommets de l’état. Ils semblent mal mesurer cependant qu’ils pourraient acquérir une grandeur autrement plus éclatante et inscrire bien plus haut leur nom dans l’histoire de notre pays si, au lieu d’accepter, ils refusaient d’être désignés par l’Élysée comme interviewer officiel du 14 juillet et le faisaient savoir au public, ou s’ils refusaient collectivement que la cellule de communication de la Présidence leur dicte les dispositifs médiatiques qu’ils doivent mettre en place et tenaient le public informé des éventuelles rétorsions que leur refus pourrait entraîner. En un seul geste public de refus – que rien ne leur interdit d’un point de vue strictement légal –, ils regagneraient en crédibilité ce que des années d’interview trop peu distanciée et de subordination fonctionnelle vis-à-vis du Château leur ont fait perdre.

8Rêvons encore un peu : les actuels candidats à la présidence pourraient opérer une « rupture tranquille » par rapport à Jacques Chirac et à ses prédécesseurs et instaurer un « ordre (plus) juste », en promettant, s’ils sont élus, de laisser dorénavant à la profession journalistique le soin de désigner les interviewers du 14 juillet comme celui de faire des propositions publiques concernant le dispositif médiatique des interventions présidentielles. Ils pourraient aussi envisager que les allocutions solennelles du président de la République soient réservées aux seules chaînes du service public. Ce serait aider la corporation des journalistes dans son ensemble à s’émanciper un peu plus du Pouvoir, et notre République à ressembler un peu moins à une monarchie de droit divin.

912 mars 2007

Références

  • Jérôme Bourdon, Histoire de la télévision sous de Gaulle, Paris, Anthropos/ INA, 1990.
  • Patrick Lehingue, « La parole présidentielle » in B. Lacroix, J. Lagroye, dir., Le Président de la République. Usages et genèse d’une institution, Paris, Presses de la FNSP, 1992.

À propos de trois propositions socialistes concernant les médias

10Voilà, c’est fait : Ségolène Royal a rendu publiques ce dimanche à Villepinte les cent propositions qui forment son « pacte présidentiel ». Nombre de quotidiens les ont publiées hier. On découvre que trois propositions sont consacrées aux médias : la n°79 annonce la volonté de la candidate d’établir, si elle est élue, « une Haute Autorité du pluralisme, dont les membres seront désignés par le Parlement à une majorité des /5èmes » ; la n°80 porte sur la nécessité de « renforcer les mesures anticoncentration » ; enfin, la n°81 émet l’idée de « taxer les recettes publicitaires des chaînes privées en faveur de l’audiovisuel public ».

11Que penser de tout cela ? D’abord, qu’il est fort bienvenu que les politiques réfléchissent à l’élaboration de politiques publiques dans le secteur des médias. Alors qu’une très grande part des frustrations et des critiques de nos concitoyens porte aujourd’hui sur le traitement de l’information et sur ce qui est vu par beaucoup d’entre eux (parfois à travers les lunettes déformantes du conspirationnisme) comme la « manipulation de l’opinion » par les médias, le silence a été assourdissant ces dernières années, dans les différents partis politiques, pour fournir une réponse, sous forme de programmes d’action et de réformes concrètes, à de tels sentiments. Comme si les médias constituaient le seul secteur à ne pas pouvoir être l’objet d’une réflexion de la part du législateur. Comme si hommes et femmes politiques ne devaient cultiver vis-à-vis des journalistes qu’un rapport instrumental à usage personnel et en aucun cas, une perspective politique à visée d’intérêt général. Accueillons donc sur le principe ces trois propositions avec grande satisfaction.

12Et sur le contenu ? Sans doute faudra-t-il attendre d’en savoir un peu plus pour pouvoir en juger. Quel sera exactement le pouvoir de sanction sur les journalistes et les entreprises de presse de cette Haute autorité imaginée par la proposition n°79 ? S’il est trop faible, l’institution ne servira pas à grand chose, n’étant ni vraiment crainte, ni respectée par les professionnels de l’information. S’il est trop fort, aux mains de parlementaires comme il est proposé, l’institution risque de porter atteinte à l’autonomie professionnelle des journalistes et à la liberté de la presse.

13Les propositions n°80 et 81 introduisent de leur côté des mesures visant à limiter l’extension des logiques marchandes dans les médias et donc leur emprise sur les pratiques journalistiques. C’est ce qui fait tout leur intérêt – un moyen puissant de rappeler que ce secteur industriel n’est pas tout à fait comme les autres, étant donné qu’il remplit une fonction vitale pour le bon fonctionnement de la démocratie – mais c’est aussi ce qui fera qu’elles ne passeront pas comme une lettre à la poste – à prévoir : un branle-bas de combat de la part des dirigeants des grandes entreprises de presse privées et de leurs alliés.

14Il ne s’agit nullement, face à ces propositions de réforme, de développer ici ce que le sociologue et économiste Albert Hirschman a appelé une « rhétorique réactionnaire », consistant à rejeter toute réforme au prétexte de ses possibles effets pervers, de sa soi-disant inanité ou de sa dangerosité potentielle. Il s’agit plutôt d’émettre le vœu de toujours plus de réflexion et d’imagination politiques. De telles propositions générales réclament en effet d’être soutenues par des propositions de second niveau, précisant leur mise en œuvre – leur « implémentation » dans les pratiques. C’est sur ce terrain, celui des moyens d’agir que l’on se donne pour les rendre effectives et tangibles, qu’elles perdront, ou non, leur caractère actuel de promesses « verbales » et difficiles à évaluer.

1513 février 2007

Référence

  • Albert Hirschman, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard, 1991.

L’UMP et les médias : pas de proposition, bonne proposition ?

16Si demain, comme le prédisaient unanimement les derniers sondages publiés ce vendredi, c’est Nicolas Sarkozy qui devient le Président de notre République et si, dans les mois qui viennent, il applique les grandes lignes du programme qu’il a proposé aux Français, quels effets cela aura-t-il sur le système médiatique de notre pays ? Certes, la question peut paraître moins cruciale que celle de savoir quelles seront les conséquences de la mise en œuvre d’un tel programme sur la réduction des inégalités sociales, l’accès au marché du travail, l’avenir des régimes de retraite, les rapports de force dans l’entreprise, le système éducatif ou la position de la France en Europe et dans le monde. Mais puisque après tout, sur tous ces sujets, plus vitaux sans doute que les médias, c’est néanmoins par les médias que pour l’essentiel, nous serons informés (ou pas) demain, cette question mérite d’être posée.

  • 2 Voir la chronique précédente.

17Sur les cent propositions qui forment le « pacte présidentiel » de Ségolène Royal, trois concourent à définir une politique publique en direction des médias2. Rien de tel dans le programme du candidat de l’UMP, si ce n’est la proposition d’augmenter le nombre d’émissions culturelles sur les chaînes du service public : les médias ne semblent pas envisagés par Nicolas Sarkozy comme un domaine qui réclamerait instamment, en l’état actuel des choses, la mise en place de nouveaux dispositifs de régulation publique. Ou plus exactement : légiférer en ce domaine (à l’instar, par exemple, du vote des immigrés aux élections locales dont le candidat de l’UMP avait un temps évoqué la possibilité) ne semble pas constituer pour lui une priorité méritant, à ce titre, de figurer dans son programme présidentiel. C’est là un constat, et non pas une critique : l’idée selon laquelle l’état doit cesser d’intervenir massivement dans l’organisation du système médiatique, et qu’il y intervient déjà bien assez, peut se réclamer d’une tradition politique cohérente.

18C’est donc seulement par déduction d’effets induits par l’ensemble de son programme que les conséquences sur le système médiatique de l’accession de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, peuvent être anticipées. À cet égard, on a beaucoup dit du candidat de l’UMP qu’il souhaitait « américaniser » la société française. (Ce jeudi encore, Le Monde parlait de son « conservatisme compassionnel à l’américaine »). On semblait entendre par là que le modèle de société qu’il entend promouvoir est fondé sur des valeurs qui sont celles généralement prêtées, non sans quelque excès de stéréotypie, aux Américains : la liberté d’entreprendre, l’éthique de travail, l’esprit de compétition, le souci de la responsabilité individuelle, le recours au droit dans le règlement des conflits, l’amour obligatoire de la Nation et de ses symboles conçu comme « religion civile » ou encore, la valorisation de la génétique et de la sociobiologie comme modalités explicatives des comportements sociaux. Bien sûr, il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont chacun de ces points se retrouve dans le programme de Nicolas Sarkozy, tant il est évident que de telles valeurs ne peuvent être qu’acclimatées, et non pas transférées telles quelles, dans le contexte français si profondément marqué historiquement par la centralité de l’état dans la vie économique, politique et intellectuelle, ainsi que par la force de la culture catholique et du mouvement ouvrier – éléments certes fort déclinants depuis au moins les trois dernières décennies.

19Quoiqu’il en soit, si l’on accepte de prendre au sérieux l’idée selon laquelle le projet du candidat de l’UMP est de « réveiller » la société française jugée engourdie, par l’introduction dans ses rapports sociaux d’une certaine dose d’américanité, il devient possible d’envisager, avec les limites inhérentes à ce type d’exercice, quels pourront être les effets de ce projet global sur le système médiatique de notre pays : il suffit de se tourner vers le fonctionnement actuel du système médiatique américain. Dans cette perspective, il apparaît que : 1) l’influence du service public de l’audiovisuel devrait décliner (elle est marginale aux États-Unis) ou plus exactement (parce que nous sommes dans un pays plus attaché au service public que les États-Unis) ses ressources financières devraient nettement s’amenuiser. En particulier, la proposition, déjà évoquée, de Nicolas Sarkozy d’augmenter le nombre d’émissions culturelles sur les chaînes du service public, pourrait dans ce cadre se retourner contre ledit service public à partir du moment, du moins, où le déficit en recettes publicitaires qu’entraînerait une telle augmentation – ces émissions, par nature plus « exigeantes », risquant de détourner l’audience populaire vers des chaînes privées libres, elles, de diffuser des programmes plus attractifs « pour le plus grand nombre » – ne serait pas compensé par un renforcement significatif du financement public de ces chaînes et donc aussi par une hausse de la redevance. 2) Au niveau des conditions de travail des journalistes, si l’on se réfère à nouveau à la situation américaine, le mouvement déjà bien entamé d’externalisation des coûts (recours massif aux pigistes) pourrait être boosté dans notre pays : plus d’activité donc pour les journalistes en situation précaire mais aussi plus de concurrence entre eux et une moindre sécurité de l’emploi pour la profession dans son ensemble, y compris pour les journalistes salariés en CDI. 3) Au niveau des rapports entre médias et public, on pourrait assister, comme aux États-Unis, à une montée des contentieux réglés juridiquement mais aussi, peut-être, des systèmes de médiation qui, dans les pays anglo-saxons, permettent précisément de désamorcer ce type de contentieux. 4) Au niveau des pressions exercées par les pouvoirs économiques (actionnaires, annonceurs) sur le travail journalistique, on pourrait assister à leur accroissement, dans la mesure où l’impératif de rentabilité et le poids des luttes concurrentielles deviendraient plus prégnants encore dans les entreprises de presse qu’ils ne le sont aujourd’hui, et où aucun renforcement des dispositifs juridiques d’endiguement de ces pressions ne serait envisagé. 5) Au niveau, enfin, des pressions exercées par les sommets de l’état sur le travail journalistique, les liens personnels que Nicolas Sarkozy entretient avec les patrons des grandes entreprises de presse de ce pays (Martin Bouygues, Arnaud Lagardère, Serge Dassault…) et le comportement qui lui a été prêté durant cette campagne – polémiques autour du départ d’Alain Genestar de Paris-Match, menaces du candidat vis-à-vis de la rédaction de France 3, pressions que son entourage aurait fait subir au SPQR et à Canal Plus pour empêcher la tenue du débat Royal-Bayrou… – pourraient laisser supposer leur renforcement, mais laissent aussi envisager une éventuelle réaction défensive d’une partie de la profession et plus largement, un accroissement de la critique des médias dans la blogosphère, et la recherche de nouvelles formes de « journalisme citoyen », notamment grâce à l’outil Internet – à l’instar de ce à quoi on a assisté aux États-Unis depuis le second mandat de George W. Bush.

20Le plus frappant, c’est sans doute que toutes ces évolutions sont déjà en cours depuis plusieurs années. En cela, l’élection de Nicolas Sarkozy ne ferait qu’abattre les quelques digues qui les retenaient encore, que d’aucuns jugent des « archaïsmes » français retardant la modernisation économique des médias et l’amélioration de leur compétitivité au plan international, et d’autres, des garanties indispensables à la promotion de la culture et à la défense de la liberté de presse.

215 mai 2007

Références

  • Eric Klinenberg, Fighting for Air. The Battle to Control America’s Media, New York, Metroplitan Books, 2007.
  • Kristina Borjesson, dir., Media Control, Paris, Les Arènes, 2006.
  • Edwy Plenel, Combat pour une presse libre, Paris, Galade, 2009.

Note

1 Voir « Pourquoi certaines attitudes journalistiques nous énervent » (pp. 121-122).

2 Voir la chronique précédente.

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